G. Lebaucher, Libraire-éditeur, Montréal, 1899.
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X


Ayant ainsi obtenu de mon maître ce qu’il désirait, Chrétien eut une période de rajeunissement. Sans cesse il varia ses fantaisies, qu’il était difficile de repousser, et parmi celles-ci, il demanda à me sucer. La raison qu’il donna, pour obtenir cette marque de condescendance, ne manquait pas de saveur, je la livre telle quelle :

— Je puis bien, dit-il, baiser et caresser un outil qui me rend cocu, alors que j’encule celui qui le porte.

La logique régnait dans ces paroles, la conclusion me révoltait. Que les lèvres d’une femme, me gratifiassent de pareilles friandises, rien de mieux ! Quand à m’engloutir dans celles d’un homme, pouah ! je dérogeais. J’eusse préféré les doux suçons de Clotilde ou, encore, ceux de Marceline ; mais, la femme de mon maître, de plus en plus fatiguée par sa grossesse, se montrait très mijaurée et de son côté ma ration se bornait à la portion congrue. Marcelline nous abandonnait absolument aux caprices de Chrétien, qu’elle ignorait, du reste. Peut-être, exagérait-elle sa pruderie, de crainte qu’on ne se souvint de l’aventure qui conduisit Julien en prison ; quoiqu’il en soit, cette ancienne endiablée affectait de ridicules pudeurs. Il advint cependant que les ardeurs de Chrétien se ralentirent et que les inquiétudes de Clotilde renaquirent. Là où un cul de femme n’a plus d’empire, un cul d’homme ne saurait prétendre à l’exercer longtemps.

Notre chère maîtresse de nos beaux jours de jeunesse possédait une imagination des plus fertiles. Une excellente raison la guidait dans le soin qu’elle apportait à ne pas laisser moisir les sens de son mari : toutes les fois qu’elle parvenait à vaincre l’apathie qui tendait à les envahir, il augmentait la pension mensuelle qu’il lui desservait pour sa toilette et ses plaisirs, et il ajoutait à la dotation dans le cas où il mourrait. Il est pitoyable que les intérêts d’argent jouent un si grand rôle dans les questions d’amour. La nature n’y regarde pas de si près. Elle ordonne de foutre dès qu’on en a envie, elle est dans le vrai, la société est dans le faux.

Comme la confiance de Clotilde en mon maître était illimitée, par cela qu’elle l’avait vraiment aimé de cœur et d’esprit quand il lui enleva son pucelage, elle lui communiqua ses perplexités.

— Chrétien faiblit devant ton cul, dit-elle, il ne te suce plus avec autant de chaleur, je crains qu’il ne se lasse de nos jeux et que ses idées suivent un autre cours.

— Tes craintes sont chimériques, ma belle Clotilde, ton mari s’avachit chaque jour davantage et l’impuissance arrive.

— Il faut la conjurer. Invente quelque jolie folie, mais conservons-le encore aux plaisirs voluptueux.

— Je ne vois rien, rien.

— Toi, un esprit jeune et vigoureux !

— Pour une femme, je ne dis pas ; pour un homme, c’est plus raide.

— Cherche, je t’en supplie. Je te dois ma position par ta complaisance du temps passé, il s’agit de ne pas me la laisser perdre.

— Oh, tu es garantie contre toute surprise.

— Je dépense beaucoup, Julien, et si un malheur survenait j’aurais de la peine à soutenir le même train de maison.

— Il y aurait peut-être un moyen.

— Dis vite lequel.

— Prends un godmichet et encule-moi ; le changement d’allure le ravigotera.

— Bravo pour l’idée, elle est excellente, je l’adore, le succès est certain, je m’en charge.

Ô honte des hontes ! Une femme allait donc grimper mon maître ! L’ère de mes humiliations continuait.

Un soir, tandis qu’étendu sur un canapé, Chrétien, tout nu, comme l’étaient sa femme et Julien, s’assoupissait, les contemplant folâtrer, Clotilde lui flanqua une claque sur les cuisses, qui le fît tressauter sur ses jambes, et lui dit :

— Hé, seigneur pacha, puisque tu ne te sens pas de remplir ton devoir vis à vis du cul que je t’ai procuré, je le remplirai à ta place, et c’est moi qui jouirai de Julien.

— Oh la bonne farce ! tu le mettras à Julien, et que lui mettras-tu ?

— Ce godmichet, mon loup, que je m’applique sous le ventre.

— Un godmichet !

— N’en as-tu jamais vu ?

— Oh si fait, mais il y a bien des années.

— Regarde donc, et tu me diras si je sais bien remplir le rôle de cavalier.

L’admirable femme possédait une crânerie de gestes à ressusciter tous les morts. Elle exécuta avec mon maître une série de scènes, dans lesquelles celui-ci parut vouloir défendre sa vertu, qu’elle entendait ravir. Elle le poussa avec vigueur sur le tapis, et l’attaqua avec une telle science, que Chrétien ne résista pas davantage, et vint mêler ses ébats aux leurs. Oh ce que je fus volé ce jour-là !

Clotilde soutint son rôle jusqu’au bout avec une sûreté remarquable, et ses déhanchements lui donnèrent un tel relief, que son mari, après l’avoir dévorée de feuilles de roses, en jouit sur le dos de mon maître. On ne me servit pas le moindre coin de conin. Dans la joie de son triomphe, la méchante ne s’occupa plus de Julien, et enivra son mari de mille séductions irrésistibles qui ravivèrent ses forces. L’ingrat Julien, dans une nonchalante paresse admira béatement la lascivité de cette maîtresse femme, dont il ignora à ses premières heures d’amour, toutes les ressources sensuelles. Il ne songea pas à moi. Un jeu aussi violent pouvait tuer Chrétien. On ne le renouvela pas une seconde fois. Les circonstances favorisèrent les intérêts de Clotilde, en lui fournissant un concours imprévu. La demoiselle d’honneur de Marcelline, mademoiselle Berthe Verdier, celle qui, le soir des noces de mon maître, se fit baiser par lui, vint passer quelque temps à la campagne. Elle gardait un si excellent souvenir de sa scène d’amour, qu’elle ne perdit aucune occasion de lui courir après. Il l’eut constamment sur les talons, l’espionnant dans tous ses actes, et il lui devint difficile d’aller chez Clotilde aussi souvent que de coutume. Notre chère amoureuse se montra un peu froissée de sa négligence, et lui écrivit cet impudent billet de reproches, dans lequel elle ne ménageait pas ses mots.

« Mon petit putain de Julien, lorsque trois culs vivent aussi unis que les trois nôtres, on ne les sépare pas. Reviens vite ou je te dénonce à ta femme. Ta baiseuse. »

Julien remit au lendemain de déchirer l’épître, et le lendemain elle appartenait à la charmante et peu scrupuleuse Berthe.

— C’est moi, dit-elle à mon maître, qui vous dénoncerai à Marcelline, si vous ne m’expliquez pas la signification de cette lettre.

Julien se défendit mal.

— À la façon dont nous nous sommes compris, vous savez, le soir de notre mariage avec votre cousine, vous devez m’accorder assez d’intelligence pour discerner ce que révèle une telle missive.

Il cacha la vérité ; et l’adoucit en prétendant que Clotilde avait une amie, et que les deux femmes partageaient leurs plaisirs avec lui.

— Je veux remplacer cette amie, conclut l’impitoyable Berthe.

Ô cette décharge de jadis, en voilà encore une qui menaçait de nous conduire loin !

— Je ne demande pas mieux, quant à moi, répondit Julien. Il nous faut cependant le consentement de madame Swenderberg.

— Si elle le refuse, je raconte tout à son mari.

De ce côté, mon maître ne nourrissait aucune appréhension. Mais par expérience, il savait combien il importait de se méfier des confidences intempestives ; il n’ignorait pas qu’une nouvelle affaire de mœurs, lui tombant sur les bras, serait plus cruelle que celle expiée si chèrement, et il ne possédait aucun enthousiasme pour retourner en prison.

— Je ne puis pourtant pas, objecta-t-il, vous imposer aux plaisirs de madame Swenderberg, sans l’en prévenir.

— Je vous accorde vingt-quatre heures.

C’était le salut.

Clotilde, femme experte, débrouillerait la situation.

— Bon, s’écria celle-ci, lorsque mon maître lui eut appris son histoire avec Berthe et les exigences qu’elle affichait, cette fillette veut jouer à la femme, on la servira selon ses désirs. Mène-la moi demain, je serai vêtue en garçon et je me charge d’elle. Ce sera bien le diable si elle ne me rend pas la lettre. Quelle drôle de lubie me traversa l’esprit de t’écrire ainsi !

Malgré l’assurance de sa maîtresse, Julien eut de la peine à chasser l’ennui qui le tourmentait. Il ne lui répugnait pas de jouer un rôle de femme avec Chrétien, mais il tenait à ce que cela ne s’ébruitât pas avec une autre maîtresse que Clotilde.

— Sois tranquille, sois tranquille, répondit-elle à ses observations, nous conserverons pour nous ce secret. Je remplirai le rôle d’amant à l’égard de Berthe, et mon seigneur et maître trouvera peut-être là le nouvel aliment que je cherchais.