Conférences inédites de l'Académie royale de peinture et de sculpture/Avant-propos

AVANT-PROPOS




Les Archives de l’École des Beaux-Arts renferment un assez grand nombre de conférences, ou plutôt d’ouvertures de conférences (selon l’expression très juste du XVIIe siècle), prononcées à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture depuis 1668 jusqu’aux environs de 1780. En attendant que ces intéressants documents soient définitivement publiés, nous avons cru bon d’offrir au public quelques discours qui pussent lui donner une idée assez nette de ce qu’était la critique d’art du XVIIe siècle.

On se rappelle peut-être qu’à diverses reprises, des critiques éminents, et entre autres M. Ferdinand Brunetière, ont affirmé que les peintres et les sculpteurs sont presque seuls qualifiés pour juger les œuvres de peinture et de sculpture, que la meilleure critique d’art est celle qui prit naissance et se développa dans les conférences de l’Académie Royale, enfin que Diderot a été une sorte de malfaiteur, coupable d’avoir corrompu la saine critique académique.

À vrai dire, les conférences que M. Jouin, en 1883, avait tirées de Félibien, de Testelin, de Guillet de Saint-Georges, pour les réimprimer, semblaient donner tort aux défenseurs de l’Académie Royale. La comparaison des Salons de Diderot avec les Conférences nuisait plutôt à ces dernières, et M. Jouin le sentait si bien qu’il voulait faire de Diderot le continuateur des peintres critiques : « Qu’on relise les discours de Nicolas Loir ou de Michel Anguier, écrivait-il, leur méthode ne diffère pas de celle que suivra Diderot[1]. » À quoi M. Brunetière répondait : « Diderot a jeté la critique d’art dans une voie fausse, tandis que, cent ans avant lui, les conférences de l’Académie Royale l’avaient dirigée dans la bonne, dans la vraie, dans la seule[2]. » Et M. Jouin était formellement accusé de n’avoir publié que ce qu’il y a de moins bon dans les discours des grands artistes du grand siècle.

Il nous a donc semblé que nous comblerions une lacune si nous publiions les manuscrits des Archives de l’École des Beaux-Arts. Mais nous n’avons pas osé donner la collection complète des conférences, parce que, si elle renferme au point de vue documentaire beaucoup de pièces de grande valeur, elle ne va pas sans quelque sécheresse et quelque monotonie. Nous nous sommes donc décidé à faire un choix.

Mais nous tenions à ce que ce choix fût aussi loyal et probant que possible. Il nous avait paru, à la lecture des conférences, qu’elles démontraient jusqu’à l’évidence que bien exécuter un tableau est une chose, et que bien parler des tableaux des grands maîtres en est une autre. Il fallait donc qu’en choisissant les conférences à publier, nous évitions le reproche d’avoir mis au jour les plus médiocres et de justifier ainsi trop facilement et peu honnêtement notre manière de voir.

Aussi avons-nous cherché une série de conférences où fût discuté un sujet important ; et nous avons eu la bonne fortune de rencontrer un débat qui dure encore de nos jours, celui du dessin et de la couleur ; pendant plusieurs mois, en 1671, des artistes fourbirent soigneusement de curieux arguments qu’ils apportèrent à l’Académie avec l’espoir de terrasser leurs adversaires, et Le Brun mit fin à la querelle en prononçant sur la question une sentence décisive. Nous avons donc consacré la première partie de notre livre aux discours de Blanchard, des deux Champaigne et de Le Brun « sur les mérites du dessin et de la couleur ». Nous y avons même joint un discours intéressant que, vers 1750, François Desportes prononça sur le même sujet.

Mais cela ne suffisait pas ; et puisque les peintres sont en peinture les meilleurs juges, n’est-il pas probable que plus ils ont de talent, plus leur jugement a de valeur ? Aussi avons-nous recueilli avec le plus grand soin tous les discours de Le Brun et de Philippe de Champaigne, dont l’Académie faisait tant de cas qu’il lui arrivait assez souvent de les relire. Pour qu’on pût faire la comparaison entre les conférences des deux grands peintres et celles d’un artiste de second ordre, nous avons complété cette seconde partie de l’ouvrage par les discours de Jean-Baptiste de Champaigne : aussi bien rien de ce qui se rattache au peintre de Port-Royal ne doit-il nous rester étranger, et le neveu fut à l’Académie le défenseur de l’oncle, comme il fut ailleurs le continuateur de ses ouvrages.

Enfin nous avons réuni dans une troisième partie les ouvertures de conférences qui furent prononcées pendant l’année 1672. Il nous a paru que c’était un excellent moyen pour reconstituer la vie intellectuelle de l’Académie dans toute sa variété et sa vérité. Nous avons d’ailleurs eu soin de choisir une époque où l’exercice des conférences était particulièrement actif, où les discussions étaient les plus chaudes, et où les meilleurs artistes étaient chargés de composer les discours. Et ainsi, à côté de l’œuvre complète d’un Champaigne comme critique d’art, nous avons placé la suite aussi complète que possible des conférences de grands artistes pendant une période assez longue et assez brillante.

Nous espérons donc, dans ce débat sur la valeur des conférences académiques, avoir apporté un ensemble de documents utiles et impartialement choisis. Nous nous sommes contentés de les offrir aux curieux et aux érudits sans y ajouter d’autres commentaires qu’une préface explicative sur l’histoire et le genre des conférences au XVIIe siècle. C’est en lisant les discours que chacun se formera une opinion sur l’importance réelle des efforts de la critique d’art avant Diderot.



  1. M. Jouin, Conférences de l’Académie, p. LXVI.
  2. Revue des Deux Mondes, 1er juillet 1883.