Comptes rendus de l’Académie des sciences/Tome 1, 1835/7 septembre


SÉANCE DU LUNDI 7 SEPTEMBRE 1835.
PRÉSIDENCE DE M. Ch. DUPIN, VICE-PRÉSIDENT.



CORRESPONDANCE.

M. Maillard écrit qu’il vient de découvrir une combinaison géométrique avec laquelle on peut, dit-il, mesurer facilement la distance des corps terrestres et célestes.

M. Morin demande qu’il lui soit permis de retirer un Mémoire qu’il a adressé, en 1834, pour le concours aux prix de Médecine et de Chirurgie fondés par M. de Montyon, Mémoire qui a pour titre : La Calcographie médicale perfectionnée. Cette demande ne peut être accordée, attendu que l’usage constant de l’Académie est de conserver les pièces envoyées aux concours ; mais les auteurs ont toujours la liberté de faire prendre des copies de leurs ouvrages, quand ils en ont besoin.

L’auteur (qui ne se nomme point) d’un Traité en langue allemande sur la navigation aérienne, désirerait que ce Traité, qu’il accompagne d’une traduction française, pût être l’objet d’un rapport. Cette demande n’est pas non plus accordée, l’Académie ayant pour règle de ne jamais porter de jugement sur les écrits anonymes.

Géologie.Ossemens fossiles.

M. Larrey offre à l’Académie, pour être déposée dans son Musée, une tête d’ours fossile, de la grande espèce des cavernes. Cette tête, remarquable par sa belle conservation, a été trouvée dans les grottes de Mialet (département du Gard), par M. le docteur Alexis Juliet.

M. Larrey, qui en a fait l’acquisition à son passage à Nîmes, lors de son inspection relative au choléra indien, désire qu’elle soit examinée par M. Geoffroy-Saint-Hilaire, qui est, en conséquence, prié de vouloir bien faire part des résultats de cet examen à l’Académie.

Embryologie.Anatomie de l’œuf humain.

M. Velpeau, à qui M. Coste, dans la dernière séance, avait cru pouvoir imputer de s’être mépris sur divers faits d’embryogénie, écrit à l’Académie pour signaler, à son tour, plusieurs erreurs dans lesquelles il lui semble que celui-ci est tombé.

« Le peu que j’ai pu apprendre jusqu’ici, dit M. Velpeau, des opinions de M. Coste, en ce qui concerne les objets dont je me suis moi-même occupé, m’autorise déjà, par exemple, à soutenir qu’il se trompe manifestement en disant que les œufs qu’il a montrés lundi étaient parfaitement sains ; car, à cet âge, l’embryon d’un œuf sain n’a pas l’ombilic ouvert ; qu’il se trompe encore en disant que ces œufs sont moins avancés qu’aucun de ceux que j’ai étudiés, car j’en ai présentés à l’Académie de plus jeunes et de plus complets, qui sont d’ailleurs figurés et décrits dans mon Ovologie, ainsi que dans mon Traité d’Accouchemens ; qu’il se trompe de nouveau quand il dit que le cordon et le placenta sont une dépendance de l’allantoïde ; qu’il se trompe aussi dans tout ce qu’il dit de cette dernière membrane, au point de décrire à la place une vésicule qui en est tout-à-fait distincte ; qu’il est enfin tombé dans la même faute pour la membrane caduque, la poche ovo-urinaire, etc. »

La lettre de M. Velpeau est renvoyée à la commission qui est chargée d’examiner le Mémoire de M. Coste.

Météorologie.Électricité comparée du sol et des nuages.

M. Peltier communique une nouvelle observation météorologique qu’il a faite un des jours derniers. On sait que ce physicien a monté des appareils pour étudier la température et l’état électrique des milieux éloignés. L’appareil qui interroge les échanges électriques entre le sol et l’atmosphère, est un fil de cuivre isolé qui s’élève par un de ses bouts à 25 mètres au-dessus du sol, et plonge par l’autre dans un puits, profond de 12 mètres. Au milieu du fil est interposé, soit un multiplicateur de 2000 tours, soit un électroscope à feuilles d’or, soit un autre électroscope comparateur de l’invention même de M. Peltier.

Le 4 septembre dernier, le temps s’était maintenu beau jusque vers cinq heures de l’après-midi, la température était élevée et le sol avait donné, comme il donne à l’ordinaire, des indices d’électricité négative. Un peu avant cette heure, les vapeurs devinrent visibles, quelques faibles nuages se formèrent. Vers cinq heures et demie, des gouttes de pluie tombèrent en petite quantité, mais sans discontinuer. M. Peltier s’aperçut alors que le multiplicateur avait changé de signe, que le courant négatif était devenu descendant, d’ascendant qu’il était auparavant. En éloignant d’un à deux millimètres le fil ascendant du fil multiplicateur, il y eut un jet continu d’étincelles électriques qui dura 20 minutes : il n’y avait ni orage, ni même de gros nuages. Ce courant d’étincelles était d’autant plus remarquable que l’air est mauvais conducteur : il annonçait alors une très grande tension dans l’électricité de l’air ambiant, tension que les instrumens n’avaient pu dévoiler, puisqu’ils y étaient plongés tout entiers. Il a fallu, dit l’auteur, que le sol, faisant partie de l’instrument, eût perdu cette tension négative par l’eau positive qui tombait, pour restituer l’inégalité nécessaire aux désignations d’instrumens qui n’indiquent que des différences. Après 20 minutes, les étincelles cessèrent ; la pluie était devenue plus abondante ; le multiplicateur, incertain d’abord dans sa désignation, nota un faible courant négatif ascendant.

M. Peltier considère cette observation comme méritant l’intérêt des physiciens et des physiologistes, en ce qu’elle fait connaître, dit-il, que dans certains momens, nous sommes plongés dans une atmosphère électrique à grande tension. Il a remarqué de plus que cet état coïncidait avec celui de malaise qu’on éprouve dans les momens qui précèdent certaines pluies d’été.

Histoire naturelle.Conservation des animaux morts.

Il a été rendu compte, dans l’analyse de la séance dernière (page 72), des expériences de M. Lereboullet, relatives à la conservation des objets d’anatomie et de zoologie. M. Gannal écrit aujourd’hui pour établir que c’est dès l’année 1822 que lui, M. Gannal, a fait usage, pour la première fois, du liquide qu’il applique à la conservation des cadavres.

M. Gannal ajoute que le procédé dont il s’était servi jusqu’à ce jour présente quelques inconvéniens. Il les a fait disparaître par l’emploi de l’acétate d’alumine. Les sujets injectés avec cette substance se conservent, dit-il, beaucoup mieux qu’il ne les a vus se conserver encore par aucun des procédés qu’il avait tentés jusqu’ici.

Astronomie.Comètes.

M. Boguslawski, directeur de l’Observatoire de Breslau, écrit qu’il a observé la comète de Halley, le 21 août dernier. La faiblesse de l’astre l’a mis dans l’obligation de recourir pour les mesures au micromètre circulaire.

Le même astronome annonce qu’il a vu la comète de Encke dans les derniers jours de juillet. Ses observations, les seules de cet astre qui aient été faites en Europe, ne sont pas encore calculées.

La lettre de M. Boguslawski renferme encore quelques détails sur la comète découverte par cet astronome, et dont nous avons déjà publié les élémens paraboliques dans notre premier numéro (p. 10).

Astronomie.Comète de Halley.

M. Arago rend compte verbalement de quelques comparaisons qui ont été faites à l’Observatoire de Paris, entre les positions observées et les positions calculées de la comète de Halley. « L’éphéméride, dit-il, qui représente le mieux la marche du nouvel astre, est celle de Rosenberg, fondée sur un passage au périhélie correspondant au 13 novembre 1835. En ascension droite, les discordances sont peu sensibles ; en déclinaison, elles surpassent 20′. On les ferait disparaître les unes et les autres par une faible altération du moment du passage au périhélie. L’éphéméride de M. Lehmann, insérée dans le premier numéro de nos Comptes rendus, est définitivement inexacte. À la date du 1er et du 2 septembre, l’erreur de cette éphéméride est d’environ 1°  en déclinaison et de 45′ en ascension droite. »

M. Poisson fait remarquer « que l’éphéméride qui paraît s’accorder le mieux avec les observations, d’après ce que vient de dire M. Arago, est fondée sur les résultats que M. de Pontécoulant a obtenus par le calcul des perturbations. Mais sans vouloir diminuer la curiosité que l’on a de calculer dès à présent les élémens paraboliques de la comète de Halley, pour les comparer à ceux que différens géomètres ont déduits des perturbations, il pense que ces élémens ne pourront être déterminés convenablement que par des observations faites près du périhélie, et en les corrigeant au moyen d’observations plus éloignées. Pour la comparaison dont il s’agit, il sera nécessaire d’employer les élémens elliptiques, qui peuvent différer sensiblement des élémens paraboliques. M. Poisson se réserve de revenir par la suite sur l’influence de la résistance de l’éther dans le mouvement de cette comète à longue période. À l’égard de la comète de 1200 jours, découverte en 1819, M. Encke a pu calculer l’effet de cette résistance, parce que, depuis cette époque, on a observé six retours successifs de cet astre, et qu’il lui a été aussi possible de vérifier ses évaluations sur des observations plus anciennes, faites en 1805, 1794 et 1785. On n’a pas cet avantage relativement à la comète de Halley. »

M. Poisson termine en expliquant les différences qui existent entre les calculs de ses perturbations faits par MM. Damoiseau et de Pontécoulant. « Dans la pièce, dit-il, qui a obtenu le prix de l’Académie de Turin, M. Damoiseau avait d’abord fixé au 16 novembre prochain le passage de la comète au périhélie. Par un calcul ultérieur, il l’a avancé de près de 12 jours, et fixé au 4 novembre. D’après les perturbations calculées par M. de Pontécoulant, c’est le 13 que ce passage doit avoir lieu. Ces différences tiennent principalement à l’action de la Terre qui a été considérable à l’époque de 1759 et à laquelle M. Damoiseau n’avait pas eu égard dans son premier travail, et aussi aux masses de Jupiter, et de celle du Soleil, que ces deux géomètres ont employées. »

MÉMOIRES PRÉSENTÉS.
Magnétisme terrestre.Nouvelles Considérations sur la théorie de ce Magnétisme, par M. Morlet.
(Commissaires, MM. Arago, Poisson, Dulong.)

Ce nouveau travail de M. Morlet tend à confirmer la théorie du magnétisme terrestre qui lui est propre, et qu’il a déjà exposée dans un mémoire adressé à l’Académie, au commencement de 1834. L’auteur sera invité à remettre sous les yeux des Commissaires ce premier mémoire qu’il avait retiré, afin qu’il puisse être réuni au mémoire actuel, et devenir, avec lui, l’objet d’un rapport commun. Nous renvoyons à l’époque où ce rapport sera fait, l’analyse de la théorie de M. Morlet.

Voici, en attendant, une des conclusions générales par lesquelles il termine son nouveau travail.

« Tout ce que la discussion des observations nous a, dit-il, appris sur les phénomènes du magnétisme terrestre, tend à confirmer l’opinion de Gilbert, qui, dès le commencement du dix-septième siècle, considérait la terre comme un aimant dont l’action a pour effet la propriété directrice de l’aiguille aimantée. Dans cette hypothèse, il suffit de supposer que les molécules magnétiques soient disposées par couches sphériques d’égale densité, pour que l’action de la couche superficielle du globe représente la loi que suivent les inclinaisons très petites observées. Cette loi, qui consiste en ce qu’une inclinaison très petite est toujours double de la distance à l’équateur magnétique, se trouve alors être une conséquence nécessaire de la figure à peu près sphérique de la terre. »

Chimie.Sur une modification isomérique de l’acide mucique ; par M. Malaguti.
(Commissaires, MM. Thénard, Chevreul, Dumas.)

L’auteur conclut de ses recherches que l’acide mucique, par le simple effet de l’ébullition et de l’évaporation, subit une modification moléculaire qui lui donne de nouvelles propriétés. Le nouvel acide qui résulte de cette modification moléculaire est soluble dans l’alcool, où l’acide mucique est insoluble ; il est beaucoup plus soluble que lui dans l’eau ; et cette plus grande solubilité se conserve même, en général, dans ses sels, comparés à ceux de l’acide mucique. Cependant la composition des deux acides est parfaitement identique. L’auteur regarde donc le nouvel acide comme isomérique avec l’acide mucique ; et il le nomme par conséquent acide paramucique. Une des propriétés les plus saillantes de ce nouvel acide, c’est que, selon l’auteur, une fois que, ayant été dissous dans l’eau, il y a cristallisé, il perd la faculté de se dissoudre dans l’alcool, prend une solution dans l’eau bouillante à peu près la même que celle de l’acide mucique, et redevient enfin acide mucique.

RAPPORTS.

Nous insérons ici le rapport suivant comme une pièce qui doit servir à l’histoire de l’Académie.

Inauguration de la statue de G. Cuvier sur une des places de la ville de Montbéliard.Députés de l’Académie à cette inauguration : MM. Mirbel, Flourens et Duméril rapporteur.

« Messieurs, nous venons rendre compte à l’Académie de la mission dont elle a chargé MM. de Mirbel, Flourens et moi, en nous honorant de ses suffrages pour aller, en son nom, assister à l’inauguration de la statue de Cuvier, que la ville de Montbéliard vient, à l’aide d’une souscription, d’ériger sur l’une de ses places publiques, en la consacrant à la mémoire du savant naturaliste auquel elle a donné naissance.

» Il nous serait difficile d’exprimer à l’Académie combien cette cérémonie a été convenable, touchante et majestueuse ; c’était une véritable fête civique des plus imposantes, dont les dispositions ont été parfaitement entendues et exécutées.

» La statue de Cuvier est en bronze, un peu plus grande que nature ; elle a été modelée par notre célèbre confrère de l’Académie des Beaux-Arts, l’habile sculpteur M. David, qui, dans cette circonstance, comme dans toutes celles où l’honneur national est intéressé, a donné une nouvelle preuve de son patriotisme, de son zèle et de sa générosité. Cuvier est représenté debout, un crayon à la main, méditant sur les débris de divers animaux fossiles, au moment où, par le rapprochement des parties, il a trouvé le moyen de reconstituer, de reproduire un animal dont la race n’existe plus.

» La place publique que décore la statue est devant l’Hôtel-de-Ville ; de là on aperçoit d’un côté le grand temple et le collége où Cuvier reçut sa première éducation, et de l’autre la maison modeste où il est né, et sur la façade de laquelle est honorablement inscrite cette époque qui date de 1769 ; car la solennité a eu lieu le 23 août, jour même de cet anniversaire.

» Toute la population de Montbéliard, et une grande partie de celle des pays environnans, était venue, en habits de fête, se presser, et occuper tous les lieux élevés autour de l’enceinte réservée au pied de la statue pour les autorités civiles et militaires, les députations des villes voisines et celles des diverses Académies. Sous une vaste tente dressée derrière la statue, s’élevait une grande estrade destinée à recevoir une centaine de jeunes gens des deux sexes, qui devaient exécuter des morceaux de musique instrumentale et vocale. On remarquait sur les premiers rangs une trentaine de demoiselles de la ville, toutes vêtues de blanc, et ornées de simples rubans roses.

» Des fanfares et une symphonie à grand orchestre ont annoncé l’ouverture de l’assemblée ; et au moment où les autorités et les députations ont été placées, le voile qui jusque-là avait couvert la statue, est tombé ; des acclamations unanimes et des applaudissemens prolongés ont salué cette image, dont la noble pose et la parfaite ressemblance ont produit l’émotion la plus vive parmi les spectateurs qui pouvaient le mieux apprécier la vérité et la beauté de cette œuvre représentative.

» M. Saivres, sous-préfet de Montbéliard, a ouvert la séance par un discours dans lequel il a exposé les motifs honorables de la réunion, et toute l’importance de cette solennité. L’un des membres de votre députation a prononcé une courte allocution, dont il croit devoir remettre une copie sur votre bureau. M. Nodier, au nom de l’Académie Française, a pris ensuite la parole, et M. Roger a lu quelques fragmens d’une épitre en vers à Cuvier, dont l’auteur a été jugé digne de recevoir le prix de poésie que l’Académie Française a décerné cette année.

» MM. les professeurs Valenciennes et Duvernoy, le premier au nom de l’Administration du Muséum d’Histoire naturelle de Paris, le second comme représentant de l’Académie de Strasbourg, ont aussi parlé au nom de ces deux établissemens publics.

» M. Tourangin, président de l’Académie de Besançon, s’est exprimé d’abord en ce titre, et il était accompagné de sept autres membres de cette société savante. Ensuite, comme préfet du département du Doubs, il a fait une allocution très chaleureuse et noblement patriotique sur cette circonstance si honorable pour la cité de Montbéliard.

» M. Blondeau, député de l’arrondissement près la Chambre législative, a pris la parole comme représentant du comité des souscripteurs. Puis, M. Rossel, ancien maire de la ville, condisciple de Cuvier, a retracé avec intérêt et émotion quelques-uns des traits honorables de la première jeunesse de son célèbre concitoyen. Enfin, M. le maire actuel a terminé cette partie de la solennité par un discours dans lequel il a exprimé au nom de ses administrés, combien il était touché et reconnaissant de la part que la France éclairée, ainsi que son administration, venaient de prendre à cette fête de famille qui était devenue une auguste cérémonie.

» Pour clore cette mémorable séance, l’orchestre a fait entendre les chants harmonieux d’une cantate à plusieurs chœurs de jeunes hommes et de demoiselles, composée en l’honneur de Cuvier par M. Kouhn, né à Montbéliard et professeur au Conservatoire de Musique à Paris, qui était venu lui-même préparer et présider à cette exécution, qui a produit l’effet le plus ravissant.

» En terminant ce compte rendu, nous ne saurions trop nous louer de l’accueil et des prévenances dont les membres des députations de l’Institut ont été l’objet de la part de M. le sous-préfet, du conseil municipal et les représentans de cette Académie en particulier, de MM. Rossel père et fils, chez lesquels ils ont trouvé l’hospitalité la plus franche et la plus aimable.

» Enfin, nous devons déclarer à l’Académie des Sciences, qu’elle a reçu les témoignages les plus authentiques d’estime et de considération dans les personnes des trois députés qu’elle avait chargés de l’honorable mission de la représenter dans cette grande solennité. »

Après la lecture de ce rapport, et sur l’invitation de plusieurs membres, M. Duméril lit le discours qu’il a prononcé le jour de l’inauguration de la statue de Cuvier.

L’Académie vote l’impression de ce discours.

Entomologie.Rapport sur une Observation de M. Vallot, de Dijon, relative à une sorte de Teigne, insecte dont il a observé les mœurs et fait parvenir quelques débris dans une lettre qu’il a adressée à l’Académie.
(Commissaires, MM. de Blainville, I. Geoffroy-Saint-Hilaire, et Duméril rapporteur.)

« Cette lettre et les pièces qui l’accompagnaient ont été renvoyées à l’examen de MM. de Blainville, I. Geoffroy et moi (Duméril). Nous avons reconnu, comme M. Vallot, que l’insecte dont il est question, est véritablement une teigne, de la section de celles que Réaumur[1] a si bien fait connaître comme se construisant un fourreau recouvert d’un manteau à deux pans.

» L’espèce que décrit M. Vallot est en effet différente de celle que Réaumur, et ensuite Geoffroy, ont observée sur le chêne ; mais cependant elle n’est pas inédite, comme le pense l’auteur de la lettre. Elle est figurée d’une manière très reconnaissable dans Hubner (pl. 45, fig. 308), sous le nom de vibicella, et elle est décrite avec beaucoup plus d’exactitude dans Freitschke, continuateur de l’Histoire naturelle des Lépidoptères d’Europe, par Ochseinheimer, sous le nom de vibicipenella (tome IX, 2e partie, page 217, no 22). Ainsi, le nom que M. Vallot lui a donné, celui de cracella, serait un double emploi. Toutefois, il est juste d’ajouter que ces deux auteurs ne font connaître cette teigne que dans l’état parfait, et comme M. Vallot a observé la chenille, les détails que renferme sa lettre ne sont pas sans intérêt pour la science. Cependant, il est à regretter qu’il n’ait pas décrit l’insecte, et qu’il se soit borné à désigner la plante dont il se nourrit, et à envoyer les débris mutilés.

» Au reste, le petit papillon qu’il a obtenu fait partie du genre Ornix, ainsi nommé par les derniers auteurs allemands parce que toutes les espèces qu’on y a rangées, et qui sont au nombre de 26, ont les ailes très étroites et garnies de franges ou de barbes, qui les font ressembler à des plumes, moins cependant que celles des ptérophores. Ces petites teignes, à l’état parfait, sont pour la plupart ornées de couleurs métalliques très brillantes. Le genre Ornix fait partie de la grande tribu des Ténéïdes, laquelle correspond à l’ancien genre Teigne de Linné, qui comprendrait aujourd’hui, seulement en Europe, plus de 300 espèces, que les entomologistes anglais et allemands ont réparties sur une vingtaine de genres, dont celui des Teignes en particulier ne comprend maintenant que les seules espèces qui vivent aux dépens de la laine, du crin ou de la plume, et qui détruisent ainsi nos fourrures, nos meubles et nos vêtemens.

» Il est donc fâcheux que M. Vallot, l’un de nos correspondans les plus zélés par le fait, quoiqu’il n’ait point encore ce titre, et qui est un observateur très laborieux, n’ait pas été à même de consulter des auteurs moins anciens que Réaumur et Geoffroy ; il eût évité un double emploi qui se serait introduit dans les catalogues de la science, déjà encombrés d’espèces dont l’existence est douteuse ; car il est aujourd’hui impossible à un entomologiste qui veut décrire comme nouvelle une espèce de lépidoptère, de ne pas consulter les ouvrages dont nous venons de parler ; et puisque l’occasion s’en présente, l’Académie nous permettra de lui rappeler que la France aussi possédera bientôt une Histoire complète des Papillons d’Europe. Depuis huit ans M. Duponchel s’occupe de la continuation de cet ouvrage, commencé par feu Godard. Il ne lui reste plus, pour le terminer, qu’à faire paraître les deux dernières tribus, c’est-à-dire les Ténéïdes et les Ptérophores. C’est un ouvrage consciencieusement fait, dans lequel près de 3,000 espèces se trouvent figurées et décrites avec autant de vérité que d’exactitude. Le texte ne se borne pas, d’ailleurs, comme on pourrait le croire, à des descriptions arides. Chaque famille, chaque tribu et chacun des genres, sont précédés de considérations générales qui exposent beaucoup de faits nouveaux et d’observations curieuses sur les mœurs et l’organisation extérieure des espèces qui sont rapportées à ces groupes divers. Quoique cet ouvrage soit établi, dans sa coordination, sur la méthode de feu notre confrère Latreille, M. Duponchel y a introduit un grand nombre de coupes et de genres nouveaux, pour suivre les progrès de la science, de sorte que la méthode peut être considérée comme lui appartenant autant que la partie purement descriptive.

» Pour revenir à l’objet de la lettre de M. Vallot, nous proposons à l’Académie de remercier l’auteur de la communication, en lui faisant adresser l’extrait de ce rapport, pour la partie qui le concerne. »

L’Académie adopte les conclusions de ce rapport.

LECTURES.
Astronomie.Comète de Halley. Note sur la détermination du retour au périhélie de cette comète, d’après trois observations faites en 1835 ; par M. G. de Pontécoulant.

Pressés par le temps, nous regrettons de ne pouvoir donner immédiatement l’analyse de cette Note.

Statistique.Recherches sur la population française aux 18e et 19e siècles ; par M. Charles Dupin.

« Si l’on forme la série des nombres exprimant au 1er de chaque année le total de la population, ces nombres présenteront sans doute de grandes différences d’une année à l’autre ; mais considérés dans leur ensemble, on peut les regarder comme représentant, par leurs irrégularités, les causes perturbatrices, et par leur marche constante, les causes durables et régulières.

» M. Ch. Dupin s’est proposé d’examiner cette marche pour le 18e et le 19e siècle, relativement à la population française. Voici sur quelles bases son travail repose.

» Son point de départ est le dénombrement ordonné par Louis XIV vers l’année 1700 ; il a réuni les observations et les évaluations faites ou publiées par Dupré de Saint-Maur, Buffon, Messence, Expilly, Moheau et Necker, qui donnent des valeurs approximatives de la population depuis 1740 jusqu’à 1780. Vient ensuite l’évaluation d’après l’état des naissances de la France entière de 1770 à 1783, par Laplace, Condorcet et Dionis du Séjour.

» L’Assemblée constituante fit opérer un dénombrement vers la fin de 1790.

» Si la cause d’accroissement de la population pouvait agir seule pendant un temps déterminé, les nombres exprimant les sommes annuelles de la population se succéderaient en progression géométrique dans toute l’étendue de ce temps. Si l’on fait cette recherche à partir de 1700, en formant une progression géométrique pour chaque époque, on trouve : de 1700 à 1777, pour raison de la progression, 1,003 047 ; de 1700 à 1791, pour raison, 1,003 200 ; de 1700 à 1801 , pour raison, 1,003 269. Ces raisons diffèrent fort peu les unes des autres, et leur valeur moyenne semble propre à donner l’expression très approchée de l’accroissement moyen supposé constant pour tout le 18e siècle.

» Les différences entre les valeurs déduites ainsi théoriquement et celles que donne l’observation, sont généralement peu considérables ; elles annoncent que, dans la dernière partie, l’accroissement annuel de la population était plus rapide. Au contraire, dans les premières années du 18e siècle, jusqu’à la mort de LouisXIV, en 1715, les malheurs publics, la famine et les grands hivers l’avaient considérablement ralenti.

» Si l’on faisait une nouvelle courbe logarithmique de population entre 1801 et 1715, en supposant la population de 1700 stationnaire jusqu’à cette dernière époque, on obtiendrait une courbe assez propre à représenter la marche accélérée de la population, telle qu’on la trouve dans la dernière partie du siècle. Elle exprimerait une progression ayant 1,003 815 pour raison ; nombre à peu près égal au progrès réel de 1791 à 1801.

» Passons au 19e siècle, pour lequel il existe le dénombrement de 1801, fait sous le ministère de Chaptal, un second recensement fait dans les années 1806, 1807, 1808 ; enfin, les états de population soigneusement publiés chaque année par le Bureau des Longitudes, et calculés par le savant M. Bouvard.

» Une progression géométrique dont la raison serait de 1,005 765, s’approche beaucoup des résultats effectifs de cette période. Cependant, une rectification de chiffres peu considérable, faite à la base 1801, la rend un peu moins forte. Il faut prendre 1,005 648.

» Il est intéressant de comparer cet accroissement théorique aux accroissemens effectifs. L’accroissement effectif, entre les deux recensemens de l’empire, donne pour raison géométrique annuelle 1,005 962, ce qui est plus que la moyenne des 31 premières années du 19e siècle. Mais cette période comprend les plus beaux temps de l’empire, depuis la paix d’Amiens jusqu’à la veille de l’entrée des Français en Espagne.

» Du 1er janvier 1808 au 1er janvier 1817, on trouve pour accroissement géométrique annuel 1,004 992 pour le temps qui correspond aux malheurs de l’empire, à deux invasions, etc. Enfin, du 1er janvier 1817 au 1er janvier 1831, temps de paix générale, on trouve 1,005 917. Ainsi l’on voit qu’à peu de chose près l’accroissement de la population française est le même dans la plus belle partie du consulat et de l’empire, et dans le temps de paix générale écoulé de 1817 à 1831.

» Dans cette dernière période, les premiers sept ans de paix offrent un accroissement sensiblement plus rapide que dans les sept années subséquentes : c’est l’accroissement moyen dont la raison est égale à 0,005 917, entre 1817 et 1831. »

Dans les mémoires subséquens, M. Charles Dupin analysera les changemens survenus dans les rapports des naissances, des mariages et des décès, depuis la fin du 17e siècle jusqu’à ce jour.

« Les résultats qu’on vient d’indiquer, dit-il en finissant, peuvent être représentés d’une manière très sensible par une courbe logarithmique ayant pour ordonnées polaires cent rayons partis du même centre et formant entre eux des angles égaux, de manière à représenter les cent années de chaque siècle par des longueurs portées sur ces rayons à partir du centre, et proportionnelles aux populations annuelles. Alors on embrasse d’un coup d’œil les variations éprouvées par la marche de la population, pendant un ou plusieurs siècles. »

M. Dupin ayant indiqué que l’accroissement annuel de la population était beaucoup plus rapide depuis le commencement du siècle, et en ayant signalé deux causes, l’influence de la vaccine et les progrès de la prospérité publique, M. Navier fait remarquer « qu’il serait utile, si l’on en avait les moyens, de connaître l’influence respective de ces deux causes, parce que, dans l’opinion générale, et particulièrement dans celle des personnes qui adoptent les idées de Malthus, d’après lesquelles la grandeur de la population est constamment relative à la quantité des subsistances, la vaccine est considérée comme ayant principalement pour effet d’augmenter la durée de la vie moyenne, et non pas la grandeur de la population. M. Navier croit ces principes très justes et très conformes à la raison, et pense qu’il serait important de vérifier si, comme il le lui paraît, l’augmentation plus rapide de la population ne doit pas être attribuée presque uniquement au progrès de la culture et des arts, et à l’amélioration du sort de la masse générale du peuple. »

M. Dupin répond que la vaccine explique une partie, mais seulement une partie de l’accroissement considérable de la population, dans le passage du 18e au 19e siècle ; le reste tient au retour de l’ordre intérieur, au développement rapide de l’industrie, au commerce continental, etc. La partie de son travail qui lui reste à communiquer à l’Académie répondra complétement à la question posée par M. Navier.

La séance est levée à 5 heures.

F.

Bulletin bibliographique.

L’Académie a reçu dans cette séance les ouvrages dont voici les titres :

Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des Sciences, année 1835, no 5, in-4o.

L’Art de composer et décorer les jardins ; par M. Boitard ; 1 vol. in-8o oblong, et 1 vol. de planches ; Paris, 1834.

Botanique des Demoiselles ; par le même, livraisons 1–6, in-8o.

Théorie générale de l’Élimination ; par M. Voizot ; Châtillon-sur-Seine, 1835, in-8o. (M. Libri est chargé d’en rendre un compte verbal.)

Idées nouvelles sur la Navigation aérienne ; in-8o, en allemand.

Cours de Géométrie élémentaire ; par M. Pascal ; Paris, 1835, in-8o.

Concours pour l’Agrégation (Section de Chirurgie). Thèse soutenue par M. H. Larrey ; Paris, 1835, in-4o.

La Perrotine, nouvelle Machine pour l’impression des Indiennes ; par M. J. Girardin ; une demi-feuille, Rouen, 1835, in-8o.

Mémoire sur les moyens de reconnaître l’existence de l’acide sulfurique dans l’acide hydrochlorique du commerce ; par le même ; Rouen, 1835, in-8o.

Mémoire sur les encombremens des ports de mer ; par M. P.-E. Morin ; St-Brieuc, 1835, in-8o.

Académie royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen. Programme des prix de 1836 à 1837 ; in-8o.

Recueil manufacturier, industriel et commercial ; rédigé par MM. J.-G.-V. de Moléon et A. Julien ; 9e année, no 19, 2e série, in-8o.

Archives générales de Médecine, par une Société de médecins ; 2e série, tome 8, août 1835, in-8o.

Traité élémentaire d’Histoire naturelle ; par MM. Martin Saint-Ange et Guérin ; 20e livraison, in-8o.

Journal de Chimie médicale, de Pharmacie, de Toxicologie ; no 9, tome 1er, 2e série.

Bulletin général de Thérapeutique médicale et chirurgicale ; par M. Miquel ; tome 9, 4me livraison, in-8o.

Journal de Pharmacie et des sciences accessoires ; no 9, 21e année, septembre 1835, in-8o.

Journal des Connaissances médico-chirurgicales ; publié par MM. Gouraud, Trousseau et Lebaudy ; 3e année, 3e livraison, in-8o.

Gazette médicale de Paris, no 36.

Gazette de santé, no 106.


  1. Tome III, 6e Mém., page 205, pl. 16, fig. 6 à 12.