Comptes rendus de l’Académie des sciences/Tome 1, 1835/7 décembre



SÉANCE DU LUNDI 7 DÉCEMBRE 1835.
PRÉSIDENCE DE M. Ch. DUPIN.



CORRESPONDANCE.

M. Gréterin, directeur des douanes, transmet le Tableau général du commerce de la France avec ses colonies et les puissances étrangères, pendant l’année 1834.

M. Alexandre Duval, directeur, et M. Villemain, secrétaire perpétuel de l’Académie française, informent M. le président qu’un exemplaire de la nouvelle édition du Dictionnaire, destiné à chacun des membres de l’Académie des Sciences, est déposé au secrétariat de l’Institut.

M. Dieu écrit pour proposer d’appliquer la machine à vapeur au creusement des puits artésiens.

M. Fournier de Lempdes réclame contre MM. Astley Cooper, Malgaigne et Thomson, la priorité d’invention, pour les appareils destinés à guérir les hernies.

Mlle Dupuy fait hommage à l’Académie d’un manuscrit de son père sur la division du temps, que les commissaires à qui ce travail était renvoyé, n’ont pas jugé digne d’un rapport.

M. Gérard Many, desservant de Bouconville (Ardennes), écrit qu’il a trouvé un nouveau moyen d’appliquer la force de la vapeur, mais sans expliquer en quoi sa découverte consiste.

M. Geoffroy Saint-Hilaire annonce l’arrivée à Paris des jumeaux siamois, dont les journaux anglais et américains ont tant parlé et qui sont unis par les parois abdominales.

En présentant à l’Académie le premier volume de l’ouvrage qu’il publie sous le titre d’Histoire des sciences mathématiques en Italie, depuis la renaissance des lettres jusqu’à la fin du dix-septième siècle, M. Libri donne verbalement un aperçu de la multitude de documens inédits qu’il est parvenu à se procurer et que cette histoire renfermera.

M. Flourens annonce que, conformément à l’autorisation qu’il en avait reçue dans la séance précédente, il a ouvert le paquet cacheté joint au Mémoire sur l’origine de la bile, adressé pour le concours de physiologie expérimentale, et qu’il a écrit à l’auteur pour l’instruire des désirs de la commission. Le nom restera secret et toutes les conditions prescrites par l’Académie seront scrupuleusement observées.

M. Gay-Lussac demande qu’afin de prémunir le public contre une multitude de promesses illusoires, la commission qui a été chargée de l’examen des papiers de sûreté, fasse promptement son rapport.

M. le président invite toutes les commissions à l’examen desquelles ont été renvoyées les pièces de concours pour les divers prix, à présenter leurs conclusions sans délai, afin qu’on puisse fixer l’époque de la prochaine séance publique.

Animaux fossiles.Note de M. de la Pylaie sur des os de crocodile et de tortue, trouvés aux environs de Sablé (Sarthe.)

« J’ai l’honneur de présenter à l’Académie des os de crocodile antédiluviens et de tortue, que je rapporte des environs de Sablé, département de la Sarthe : ils s’y trouvent à 40 pieds au-dessous du sol, dans la carrière de l’Hommeau près de Solesmes. Cette localité offre ceci de particulier qu’ils sont entourés par un terrain de transition et recouverts de blocs de marbre compact, appartenant à cette formation, entourés d’argile graveleuse ou plus ou moins caractérisée comme provenant d’une alluvion impétueuse. C’est sous ce terrain de remanîment qu’ils existent, enveloppés dans un dépôt de marne siliceuse blanchâtre. Outre le fémur gauche de crocodile, et une vertèbre appartenant au même animal, j’ai vu des fémurs de tortue d’assez grandes dimensions, trouvés dans la même localité, outre divers morceaux plus ou moins grands des plaques ventrales de ces animaux. En les comparant à celles de la tortue du Gange (trionyx gangeticus), nos ossemens en diffèrent par leurs tubercules tous isolés et non liés entre eux comme en réseau par de petites saillies osseuses. Le fragment que j’ai l’honneur de soumettre à l’Académie, peut appartenir à la partie supérieure interne de la plaque ventrale du côté droit.

» Les os du crocodile appartiendraient plutôt au crocodile ordinaire qu’à celui du Gange, ou le gavial, mais dans ce fémur, la forme des condyles, et surtout la grande saillie un peu crochue de l’apophyse trochantérienne, distinguent l’espèce fossile de ces deux animaux dont les squelettes existent dans les galeries du Muséum d’Histoire Naturelle. Il semblerait que celui-ci formerait alors une espèce bien distincte. Je ne sache pas qu’on ait encore trouvé de têtes ni de dents de ces animaux. »

Chimie.Note sur la paranaphtalèse, communiquée par M. A. Laurent.

« Nous avons fait connaître, M. Dumas et moi, un nouvel hydrogène carboné, auquel nous avons donné le nom de paranaphtaline. Depuis, quelques chimistes allemands ont prétendu que ce n’était qu’un mélange de naphtaline et d’huile, comme si la naphtaline fusible à 79° pouvait en se mêlant avec une huile, donner un corps fusible à 180°. Au reste, comme on n’a fait aucune expérience pour le prouver, l’objection tomberait d’elle-même, si l’action que l’acide nitrique exerce sur la paranaphtaline ne venait éloigner toute espèce de rapprochement entre elle et la naphtaline.

» L’acide nitrique concentré et bouillant, mis en contact avec elle, la décompose et la convertit en un nouveau corps qui reste en partie dissous dans l’acide ; on le précipite par l’eau, on le sèche, puis on le sublime.

» Ce corps, que je nomme paranaphtalèse, se présente sous la forme d’aiguilles blanches entrelacées et excessivement fines. Il est neutre, insoluble dans l’eau et presque insoluble dans l’alcool et l’éther bouillans ; l’huile de naphte en dissout un peu. Il est très soluble dans l’acide sulfurique chaud et concentré.

» Sa composition est assez remarquable et vient encore confirmer la théorie des substitutions et celle des radicaux dérivés, dont j’ai déjà donné un aperçu.

» Si par analogie avec les autres hydrogènes carbonés, on prend 4 volumes de paranaphtaline, ou , on aura la paranaphtalèse, en enlevant 4 équivalens d’hydrogène ou 8 atomes, et en les remplaçant par 4 équivalens d’oxigène ou 4 atomes ; il se formera en même temps 8 volumes de vapeur d’eau.


ou pour un volume .

» La paranaphtalèse est donc encore un radical dérivé, renfermant autant d’équivalens que le radical fondamental qui lui a donné naissance.

» En comparant les résultats de l’action du brôme, du chlore, de l’oxigène et de l’acide nitrique sur les divers hydrogènes carbonés, on arrive à cette conclusion, dont la première partie appartient à M. Dumas.

» 1o. Toutes les fois que le chlore, ou le brôme, ou l’oxigène ou l’acide nitrique, exercent une action déshydrogénante sur un hydrogène carboné, l’hydrogène enlevé est remplacé par un équivalent de chlore, de brôme ou d’oxigène.

» 2o. Il se forme en même temps de l’acide hydrochlorique, hydrobromique, de l’eau, ou de l’acide nitreux, qui, tantôt se dégagent, tantôt restent combinés avec le nouveau radical formé.

» En voici divers exemples.


qui se dégage,
idem,
idem,
idem,
idem,


idem,
Chimie.Note sur l’acide arséno-vinique, communiquée par M. Félix d’Arcet.

« En faisant réagir l’acide arsénique sur l’alcool, on peut donner naissance à un acide nouveau, analogue aux acides sulfo-vinique et phospho-vinique.

» L’arséno-vinate de baryte est composé ainsi :

Barium
27,20
Carbone
19,21
Hydrogène
3,33
Arsenic
15,31
Oxigène
34,95
100,00

d’où sa formule :

Ba
856,9
25,6
C16
612,0
18,3
H20
125,0
3,7
As2
940,7
15,3
O8[sic]
800,0
37,1
3334,6 100,0

d’où l’acide arséno-vinique :

Calculée. Trouvée.
C16
612
25,6
24,93
H20
125
5,6
4,47
As2
940,7
39,4
38,91
O7
700
29,4
31,69
2377,7 100,0 100,00
Éther
39,7
Acide
60,3
100,0

» L’arséno-vinate de baryte calciné a laissé pour résidu 54,60 d’arséniate de baryte : le calcul avait indiqué 54,62. »

Physiologie animale.Lettre de M. Audouin concernant des calculs trouvés dans les canaux biliaires d’un Cerf-Volant femelle (Lucanus capreolus.)

« Permettez-moi d’attirer quelques momens l’attention de l’Académie sur un fait qui me semble important pour la physiologie des animaux articulés. On sait que les insectes dont on a fait jusqu’ici l’anatomie ont tous présenté sur le trajet du tube digestif des vaisseaux grêles plusieurs fois contournés sur eux-mêmes. Les auteurs anciens les avaient appelés petits-cœcums, intestins grêles, vasa varicosa ; mais les anatomistes modernes ayant supposé que ces organes sécrétaient de la bile, ont changé ces dénominations en celles de vaisseaux hépatiques, de canaux ou de vaisseaux biliaires.

» En effet, dans plusieurs insectes les vaisseaux biliaires se voient en arrière de l’estomac, sur lequel ils sont fixés soit par un bout, l’autre bout restant libre, soit par les deux extrémités, c’est-à-dire en formant une espèce d’anse ou d’arc singulièrement replié. Si cette insertion poststomacale était constante, on ne pourrait guère élever de doutes sur les fonctions qu’on leur attribue, bien que l’expérience n’ait pas encore prouvé que le liquide qu’ils contiennent soit de la bile et que cette bile serve à la digestion ; mais il arrive que dans beaucoup d’insectes les vaisseaux biliaires ont une terminaison très différente : tandis que par un bout ils s’ouvrent entre les valvules pyloriques de l’estomac, ils aboutissent par l’autre au cœcum, non loin de l’extrémité anale. Il est difficile d’admettre que le liquide qui est sécrété par cette portion inférieure des vaisseaux et qui se mélange dans l’intestin avec les matières excrémentitielles soit analogue, quant aux usages qu’on lui attribue, avec celui qui est versé dans l’estomac.

» La difficulté d’expliquer la fonction de ces canaux, en tant qu’on les considère comme des organes biliaires fournissant un liquide propre à activer la digestion, augmente encore, si l’on poursuit l’examen de leur insertion dans la série des insectes ; en effet, dans un ordre tout entier, celui des hémiptères et particulièrement dans les espèces auxquelles on donne le nom de punaises, les vaisseaux dits hépatiques sont fixés par leurs deux bouts sur la partie la plus reculée du tube digestif, sur le sac stercoral, à un ou deux millimètres de l’ouverture anale, et ils présentent même là une sorte de vessie ou réservoir dans lequel s’accumule la matière qu’ils sécrètent. Est-il possible, dans ce cas, qu’ils servent en quelque chose à l’acte digestif lorsque bien évidemment cet acte est consommé ?

» Il faut donc reconnaître qu’il existe une contradiction manifeste entre les théories physiologiques universellement admises et les faits anatomiques les mieux constatés ; aussi deux auteurs modernes Gaede et Meckel ont-ils été conduits à refuser aux vaisseaux biliaires l’usage qu’on leur accorde généralement.

» Dès l’année 1819 Gaede, professeur à l’université de Liége, a soutenu que les vaisseaux biliaires n’étaient pas des organes sécréteurs, mais bien des organes absorbans qui puisaient dans le canal intestinal le fluide nourricier pour le verser dans le corps de l’insecte. C’était évidemment remplacer une hypothèse par une supposition moins admissible ; car si l’auteur leur refusait, à cause de leur insertion anale, toute participation à l’acte digestif, on conçoit que leur abouchement avec le sac stercoral était plus défavorable encore lorsqu’il s’agissait de puiser des molécules nutritives.

» Meckel, se fondant sur des considérations d’un autre genre, a combattu en 1826 la manière de voir de Gaede ; suivant lui les vaisseaux hépatiques seraient sécréteurs ; mais ils ne sécréteraient pas uniquement de la bile ; ils produiraient en même temps un liquide urinaire, ou bien encore il pourrait se faire qu’ils soient des organes exclusivement urinaires.

» Cette théorie n’était appuyée sur aucun fait, elle ne reposait sur aucune expérience, et cependant elle était étayée, quoique médiatement par une observation importante dont on est redevable à la chimie.

» Depuis assez long-temps on a constaté la présence de l’acide urique chez les insectes, soit en les analysant en entier, ainsi que l’a fait, en 1810, M. Robiquet dans son beau travail sur les cantharides, soit en examinant la matière qu’ils rejettent par l’anus peu de temps après leur dernière métamorphose comme l’ont observé Brugnatelli et M. John. C’était un avis important donné aux anatomistes et qui leur apprenait qu’il y avait un organe à découvrir sécrétant cet acide urique. Étaient-ce les vaisseaux biliaires qui remplissaient cette fonction, ou bien les parois des intestins, surtout celles du cœcum, ou bien encore certains appareils de sécrétion situés dans le voisinage de l’anus et analogues à ceux qui, suivant les espèces, produisent un liquide vénéneux, irritant ou vaporisable ? L’examen des matières prises directement dans ces divers organes aurait pu résoudre la question. J’avais tâché, dans mes diverses dissections, d’en réunir une quantité suffisante pour l’analyse ; mais j’étais encore loin du but, lorsqu’un hasard heureux est venu me servir.

» Tout récemment mon collègue à la Société Entomologique, M. le docteur Aubé, a bien voulu me remettre deux petits corps irrégulièrement arrondis, rugueux à leur surface, d’un jaune grisâtre et d’un aspect un peu cristallin, qu’il avait trouvé en disséquant un cerf-volant femelle (lucanus capreolus).

» C’était deux calculs qui s’étaient formés dans la portion des canaux biliaires qui rampent à la surface des intestins ; ils obstruaient entièrement ces canaux de chaque côté et ils en avaient singulièrement distendu les parois, ce que l’on concevra facilement lorsqu’on saura que l’un de ces calculs, le plus gros, n’avait pas moins de deux millimètres en tous sens, tandis que le vaisseau qui le contenait n’atteint pas ordinairement en largeur le quart de cette dimension.

» Les deux calculs furent retirés de la cavité des vaisseaux biliaires. On ne saurait donc avoir aucun doute sur leur origine.

» Mais quelle était leur nature ? Dans les grands animaux on trouve souvent dans les canaux biliaires, aussi bien que dans les conduits urinaires, des concrétions pierreuses ; leur composition est très différente : dans le premier cas ils sont formés essentiellement de cholestérine et dans le second d’acide urique. L’analyse seule pouvait lever ici le doute et décider cette question importante de physiologie.

» Je ne désespérai pas, malgré la petitesse des calculs, de constater la présence de l’acide urique, s’ils en contenaient ; car personne n’ignore que la chimie possède le moyen d’en reconnaître les moindres parties.

» Un des calculs, le plus petit (il était gros comme un très petit grain de millet), fut facilement pulvérisé et placé dans une capsule de porcelaine, où l’on versa quelques gouttes d’acide nitrique étendu d’eau, et que l’on chauffa légèrement à la flamme d’une lampe. La matière fut dissoute par l’acide, et celui-ci ne tarda pas à s’évaporer. Bientôt l’évaporation fut complète, et l’on obtint sur les parois de la capsule un résidu d’un beau rouge, absolument semblable à celui qui se forme lorsqu’on traite de la même manière une petite portion d’un calcul humain d’acide urique. L’expérience fut même faite comparativement sur un fragment de cette espèce, et les deux résultats, mis à côté l’un de l’autre, n’offraient aucune différence.

» La présence d’un calcul d’acide urique à l’intérieur des vaisseaux biliaires des insectes, me semble établir, d’une manière péremptoire, que ces vaisseaux sont des organes de sécrétion urinaire.

» Je crois ensuite pouvoir en conclure, que si ce fait est mis hors de doute pour les insectes ayant comme les lucanes des vaisseaux biliaires insérés à l’estomac, il est à plus forte raison admissible, en raisonnant d’après les idées reçues sur les usages de la bile, pour ceux qui ont les vaisseaux biliaires insérés sur le sac stercoral, tout près de l’anus, et par conséquent dans un lieu où il faut bien refuser au liquide qu’ils sécrètent des fonctions digestives.

» Cependant je ne me refuse pas à admettre, comme l’a supposé Meckel, que les vaisseaux dits hépatiques des insectes sont à la fois urinaires et biliaires ; mais, en reconnaissant avec quelques physiologistes, qui ont prouvé le fait par une suite d’expériences et des rapprochemens ingénieux, que la bile n’est pas un liquide indispensable ou même utile à l’acte digestif. On conçoit que, ce point étant convenu, il importera peu que les vaisseaux sécréteurs s’ouvrent en arrière de l’estomac, sur le trajet des intestins, ou directement à l’anus.

» J’ai l’honneur d’être, etc.

» P. S. Je joins à cette lettre un des calculs du lucane conservé intact, et de plus, trois capsules de porcelaine renfermant trois des résultats obtenus.

» Le no 1, provenant de l’action de l’acide nitrique sur le calcul trouvé dans les vaisseaux biliaires des insectes ;

» Le no 2, contenant le résidu obtenu avec un calcul d’acide urique humain ;

» Le no 3, offrant un résidu analogue, que j’ai obtenu hier en traitant par le même procédé la matière qu’ont rejetée par l’anus des guêpes (polistes gallica) au moment de leur dernière métamorphose.

» Les expériences nos 1 et 2 datent de mercredi dernier ; les couleurs ont perdu un peu de leur vivacité. »

Physique du globe.Recherches à entreprendre pour découvrir la cause de la chaleur des sources thermales de Sextius, à Aix en Provence.

M. Arago venant d’être informé que M. de Freycinet allait se rendre à Aix, en Provence, lui a parlé d’une recherche scientifique qu’on pourrait entreprendre dans cette ville et dont les résultats, suivant toute probabilité, offriraient un grand intérêt. M. de Freycinet s’est à l’instant associé aux vues de son confrère, mais il a pensé que sans le concours des autorités locales, il lui serait bien difficile de se livrer avec succès au travail qu’on lui proposait.

Ce concours ne pouvant guère être sollicité que par l’Académie, M. Arago s’est décidé à la prier d’écrire à MM. les ministres de l’Intérieur et de l’Instruction publique, et pour justifier sa demande, il a expliqué l’objet des expériences auxquelles M. de Freycinet a bien voulu promettre de se livrer. Voici un aperçu de cette communication verbale :

La ville d’Aix, en Provence, renferme des bains d’eau thermale, connus sous le nom de bains de Sextius. Ils sont entourés d’un édifice dont la construction fut terminée en 1705. La source était jadis si abondante que dans les deux derniers mois de cette même année 1705, elle pourvut amplement aux besoins de plus de 1000 baigneurs. Les eaux coulaient à plein jet par neuf tuyaux d’une fontaine et par neuf robinets de bains. Dès l’année 1707, une diminution commença à se manifester ; en peu de mois elle fit de tels progrès que l’établissement fut totalement abandonné.

D’autres sources chaudes existaient dans la ville, au Cours, au jardin des Jacobins, au monastère de Saint-Barthélémy, à la Triperie, au Grioulet, à l’hôtel de la Selle d’or (hôtel des Princes), etc. ; au fond de certains puits tels que celui du sieur Boufillon (au coin de la rue des Marchands) et les puits des tanneurs. Ces diverses sources diminuèrent comme celle de Sextius et même plus rapidement. Plusieurs, et dans le nombre les sources des Jacobins, de Saint-Barthélémy, de la Triperie, du Grioulet, tarirent complétement.

Pendant que s’opérait l’appauvrissement et même la perte complète de plusieurs fontaines d’Aix, quelques individus mettaient à profit, pour leur usage particulier, des sources extrêmement abondantes qu’ils avaient découvertes en creusant à une petite profondeur dans des propriétés situées à peu de distance de la ville, au territoire du grand et du petit Barret. L’idée que ces nouvelles eaux étaient précisément les anciennes eaux de la ville, se présenta de bonne heure à l’esprit de plusieurs personnes ; mais l’impossibilité de prouver catégoriquement le fait, arrêta long-temps l’administration. Enfin, en 1721, pendant la terrible peste de Provence, le docteur Chicoineau de Montpellier ayant jugé convenable d’ordonner des bains aux quarantenaires, Vauvenargues, commandant d’Aix, prit l’arrêté suivant :

« Les bains des eaux chaudes de la ville d’Aix nous ayant paru nécessaires pour laver et purifier les convalescens quarantenaires ; et comme lesdits bains n’ont pas l’eau suffisante pour cet effet à cause de la dérivation qui en a été faite par divers propriétaires voisins de la source, nous ordonnons, pour le bien du service, qu’il sera incessamment travaillé à réduire, etc., etc. »

En vertu de cet ordre, les consuls firent boucher les trous creusés sur le territoire du Barret, et vingt-deux jours après l’opération, les eaux des bains de Sextius augmentèrent des trois quarts, et plusieurs sources entièrement taries, celle de Grioulet, par exemple, recommencèrent à couler.

En mai 1722, Vauvenargues ayant été remplacé, les propriétaires dépossédés percèrent souterrainement l’ouvrage qui avait été construit l’année précédente, et aussitôt on vit les sources chaudes de la ville diminuer ou même tarir entièrement.

En juillet 1822[sic], les brèches furent réparées à la diligence du procureur-général, et les habitans d’Aix virent reparaître leurs eaux. Les choses restèrent dans cet état pendant cinq ans ; mais en 1827[sic], les habitans des moulins du Barret pratiquèrent clandestinement une nouvelle ouverture au batardeau construit en 1822[sic]. On n’eut encore connaissance de ce méfait que par la diminution des eaux. Pour faire acte définitif de propriété, la ville fit ériger en 1729, sur le terrain où l’intérêt privé livrait un combat si persévérant à l’intérêt général, une pyramide en pierre de taille.

Aux détails que nous avons donnés pour établir que les eaux de la pyramide du Barret alimentent les sources chaudes de la ville d’Aix, nous ajouterons que M. Dauphin, serrurier, assurait, en 1812, à M. Robert, médecin de Marseille, avoir été témoin d’une expérience qui établissait le fait d’une manière incontestable : on délaya, disait-il, de la chaux dans le bassin de la pyramide, et les eaux du Cours et de Mennes devinrent laiteuses !

Sous la pyramide du Barret, le liquide occupe un bassin construit également en pierre, de 16 pans de long sur 9 de large.

En juin 1812, M. Robert y fit descendre deux hommes pour prendre la température de l’eau : ils trouvèrent +17°. À la même époque, les bains de Sextius étaient à +29°.

Il paraît donc constaté que les eaux froides de Barret deviennent, du moins en majeure partie, les eaux chaudes d’Aix, en traversant le court espace qui sépare ces deux points, c’est-à-dire une distance horizontale qui, dans les mémoires judiciaires dont nous avons donné l’extrait, est évaluée à environ mille pas géométriques.

On aura sans doute remarqué les mots en majeure partie dont nous venons de nous servir ; ils signalent, en effet, nettement la question qui reste à résoudre. Si l’on parvenait à prouver que toute l’eau chaude des bains de Sextius, provient de l’eau froide du bassin de Barret ; que le phénomène ne consiste pas seulement dans un mélange qui pourrait s’opérer près de la surface, entre l’eau de Barret et celle d’une source thermale ordinaire plus voisine d’Aix ; que dans le trajet, le liquide ne se charge chimiquement d’aucune substance étrangère ; la théorie des sources thermales aurait fait un pas définitif ; tout le monde consentirait alors à les assimiler aux sources artésiennes, dont la haute température est évidemment due à la grande profondeur d’où elles proviennent.

Sans prétendre deviner les meilleurs moyens d’investigation que l’aspect des lieux suggérera à M. de Freycinet, M. Arago imagine que si l’on obtient la permission de dériver les eaux de Barret, pendant quelques jours seulement, la principale question sera résolue. Dès que la source thermale intermédiaire entre Barret et Aix arriverait seule à Sextius, il y aurait en effet et simultanément, diminution considérable dans la quantité de liquide, et augmentation considérable dans la température des bains. Une analyse chimique comparative des eaux de Barret et de celle de Sextius, si elle était faite avec la scrupuleuse exactitude dont la science possède plusieurs exemples, serait très intéressante. Il ne semble guère qu’on puisse se dispenser de répéter l’expérience citée par le serrurier Dauphin, soit en se servant de chaux, soit en employant du son farineux ou quelque matière tinctoriale, ne fût-ce que pour déterminer la vitesse du liquide dans les canaux souterrains qu’elle parcourt en allant du Barret à Sextius.

La dérivation momentanée des eaux du Barret, est le moyen le plus décisif d’arriver à la solution du très ancien problème de géographie physique que les sources thermales ont fait naître ; mais cette dérivation serait inexécutable, qu’il semblerait encore possible d’arriver au but. Les eaux de Sextius, dit-on, diminuent avec la sécheresse et augmentent beaucoup dans la saison des pluies. Eh bien ! il serait peu probable que l’augmentation et la diminution suivissent exactement et simultanément les mêmes rapports, dans l’eau froide, presque superficielle du Barret, et dans l’eau thermale de la source plus voisine d’Aix. S’il y a mélange de ces deux eaux, il faut donc s’attendre qu’à Sextius on observera de grandes variations de température.

On voit, par ce seul exemple, dit M. Arago, en terminant sa communication, combien se trompaient les administrateurs qui supprimaient l’inspecteur des eaux thermales d’après l’idée que sur cette matière il ne restait plus rien à découvrir aujourd’hui. M. Arago ajoute qu’il a puisé les données sur lesquelles ses projets d’expériences se fondent, dans un mémoire manuscrit présenté à l’Académie, il y a une quinzaine d’années, par M. Robert, et qui n’a pas attiré, suivant lui, toute l’attention dont il était digne.

L’Académie décide qu’il sera écrit, en son nom, à MM. les Ministres de l’Intérieur et de l’Instruction publique, pour leur recommander le travail que M. de Freycinet se propose d’entreprendre.

MÉMOIRES PRÉSENTÉS.
Observations générales sur le genre Bélemnite, par M. Deshayes.
(Commissaires, MM. Duméril, de Blainville, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire.)

M. Deshayes se propose de déterminer ce que pouvait être, à peu près, l’animal des bélemnites, genre aujourd’hui anéanti à la surface de la terre. Il adopte, avec M. de Blainville, l’opinion que les bélemnites étaient des coquilles intérieures. Il croit, de plus, que l’animal avait le dos élargi, le corps terminé en pointe et garni de nageoires sur toute la circonférence, comme dans les seiches. La coquille aurait offert la combinaison de la coquille des seiches et de celle des nautiles. Le principal argument de l’auteur est contenu dans le passage suivant.

« Dans plusieurs ouvrages qui traitent des pétrifications, et principalement dans celui de M. Zieten, ont été décrits et figurés des restes singuliers de corps organisés, comparables à l’os des calmars, et que l’auteur dont nous venons de parler, attribue à ce genre. M. Agassiz, auquel de grands et précieux travaux sur les poissons fossiles ont mérité la reconnaissance des naturalistes de l’Europe, trouva dans une collection d’Angleterre une plaque provenant des lias de lime-regis, sur laquelle une bélemnite, dont l’espèce n’est pas déterminée, est en continuation non interrompue avec un corps semblable à ceux figurés par Zieten. Il est donc actuellement certain que les bélemnites, si ce n’est toutes les espèces, du moins un grand nombre, se continuent par une expansion dorsale très mince et très fragile, ayant à peu près la forme de la seiche. Cette observation est très importante en ce qu’elle rend plus probable nos conjectures sur la continuation des bélemnites par des appendices cornés. »

Médecine.Sur le traitement de la gale, par M. Leymerie.
(Commissaires, MM. Double, Roux, Breschet.)
Conchyliologie.Histoire générale des coquilles univalves marines, par M. Duclos. (Ouvrage imprimé, mais non publié.)
(Commissaires, MM. Duméril, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire.)
Mécanique.Description d’un mécanisme pour enrayer les voitures, par M. Fusz.
(Commissaires, MM. Girard, Navier, Séguier.)
Météorologie.Sur la cause des aurores boréales.
(Ce mémoire étant anonyme, on ne nomme pas de commissaires.)

M. Geoffroy Saint-Hilaire présente, pour être déposé aux archives de l’Académie, un paquet portant cette suscription : Manuscrit de philosophie naturelle, déposé à l’Académie des Sciences par l’un de ses membres.

RAPPORTS.
Hydrodynamique.Du fleuve du Rhin et des travaux que M. Defontaine y a exécutés.

M. de Prony a rendu aujourd’hui un compte très favorable du bel ouvrage publié par l’ingénieur en chef Defontaine, concernant le Rhin. Ce rapport devant paraître en entier dans les Annales des ponts et chaussées, nous pourrons nous contenter de consigner ici les résultats puisés dans le rapport ou dans l’ouvrage même, et dont l’importance scientifique sera le plus généralement sentie.

Les hauteurs des basses eaux du Rhin au-dessus de la mer, sont :

À Reichenau, à la réunion de trois affluens principaux du fleuve, de
1194m0
Au lac de Constance
405,0
Au pont de Bâle
252,3
Au pont de Kehl
139,0
Au confluent de la Lauter (limite de la France et de la Bavière)
107,0
Au pont de Manheim
93,0
À l’entrée des gorges de Bingen
67,0

Avant d’atteindre Bâle, la déclivité moyenne du Rhin est d’environ un mètre sur 1000.

Le long de la frontière de France, sur un développement de 222460 mètres, cette déclivité n’est déjà plus que de 0m,65 sur 1000 mètres.

Enfin, de notre frontière septentrionale à la mer, on a 0m,40 sur 1000.

Les volumes d’eau débités ont été trouvés à Lauterbourg, sur notre frontière septentrionale,

dans les basses eaux
467 mètres cubes par seconde ;
dans les eaux moyennes
1106[1]
dans les hautes eaux
5010.

Dans la partie française, les vitesses du Rhin varient considérablement, non-seulement suivant l’état des crues et à raison des différences que les pentes présentent, mais encore suivant la forme et la direction du lit dans lequel l’écoulement s’opère ;

dans les basses eaux
plus grande vitesse par seconde
2m67
plus petite
0,97
dans les eaux moyennes
plus grande vitesse
2,87
plus petite
1,56
dans les grandes crues
plus grande vitesse
4,16
plus petite
2,30

En cherchant, à l’aide du stromm-messer de Woltmann, à déterminer la loi de la variation de la vitesse de l’eau depuis la superficie jusqu’au fond, M. Defontaine a trouvé :

Que la plus grande vitesse a lieu à la surface ;

Que les vitesses moyennes sont plus grandes que celles qui se déduisent de la vitesse de la superficie au moyen des formules adoptées pour le jaugeage des eaux courantes ;

Que le filet doué d’une vitesse moyenne, est plus rapproché du fond que de la surface ; mais que ce filet moyen remonte vers la surface à mesure que le fond du lit présente moins d’obstacles à l’écoulement.

La ligne qui termine à la surface supérieure d’un large courant d’eau, tel que le Rhin, une section transversale de ce courant, n’est pas toujours, comme on est tenté de le croire, rectiligne et horizontale. Cette forme ne s’observe que dans le cas de l’étale ou état permanent d’eau ; la ligne est curviligne convexe lorsque le fleuve est en crue, et curviligne concave lorsque le fleuve est en baisse.

Sur le Rhin, les époques des plus basses eaux annuelles sont les mois de janvier, février et mars ; les plus grandes eaux ont lieu en novembre et décembre. La différence entre les hautes et les basses eaux moyennes est,

Pour la partie comprise entre Huningue et le Vieux-Brisack
6m,57
Entre le Vieux-Brisack et Rhinau
4,39
Entre Rhinau et Kehl
3,72
Entre Kehl et Lauterbourg
5,62.

Le littoral des anses actuelles présente jusqu’à des profondeurs d’eau de 15m,4 (47 pieds).

Il résulte d’un forage exécuté à Strasbourg, qu’à Kehl, dans les basses eaux, la surface du fleuve est au moins à 50 mètres au-dessus du fond de la couche d’alluvion dans laquelle le lit est creusé.

Pour donner maintenant une idée des travaux d’art exécutés par M. Defontaine, nous allons laisser parler M. de Prony.

« À propos des levées en terre formant digues de bordage, et destinées à protéger les terrains cultivés en limitant l’étendue des inondations, M. Defontaine émet une opinion qui pourrait sembler systématique, s’il n’avait pas l’expérience en sa faveur. Lorsqu’on a arrêté l’emplacement général d’une levée supposée curviligne, il est naturel de penser que sa courbure doit être continue ou sans ressauts dans toute son étendue ; cette continuité paraît offrir à M. Defontaine des inconvéniens graves ; il y substitue une direction polygonale, les côtés du polygone ou élémens curvilignes, étant des arcs de courbe concaves du côté du courant, unis par des arcs convexes, d’un petit développement. Il a reconnu que par ces dispositions le colmatage des terrains bas s’opère avec plus de succès et on n’a à s’occuper que de la défense des saillies formées par les petits arcs de raccordement, défense qui ne comporte pas de grandes difficultés.

» L’expérience lui a prouvé que les digues en gravier étaient les plus durables, et c’est aussi d’après des données expérimentales qu’il a établi les profils transversaux de ces digues.

» Passant ensuite aux barrages transversaux, destinés à fermer les bras tant secondaires que principaux des fleuves, l’auteur entre dans les plus grands détails sur ce qui concerne les barrages en général, sur les moyens de leur conservation, et sur les heureux effets d’un nouveau système qu’il a employé et auquel il a été conduit par l’expérience.

» Anciennement, lorsqu’il s’agissait de construire un barrage pour la fermeture d’un bras secondaire, car on n’attaquait jamais le bras principal, on partait de chaque rive, et au moyen de digues en fascinages, on s’avançait dans le lit de manière que les deux lignes ayant leurs origines sur les rives opposées, vinssent se rejoindre à peu près au milieu de la largeur du courant ; mais, comme ce mode de travail rétrécissait graduellement la section transversale, le volume d’eau à débiter qui restait le même, tendait puissamment à regagner dans le sens vertical ce qu’il perdait horizontalement, c’est-à-dire à rétablir l’aire de la section primitive en opérant de profonds affouillemens, dans lesquels l’ouvrage était souvent englouti, et cette méthode, très chanceuse pour les bras secondaires, était impraticable pour le bras principal.

» L’expédient qui se présente naturellement pour éviter ces graves inconvéniens, est de couvrir immédiatement le fond du lit sur toute sa largeur, et de continuer le travail de fermeture, de manière que l’action érosive soit toujours distribuée sur la ligne transversale entière, avec le moins d’inégalité possible, et ses effets transportés à l’aval de manière à n’être pas nuisibles sur la ligne du travail. Un massif de blocs de pierres, formant radier général d’une berge à l’autre, serait très propre à servir de base au barrage général ; mais cet expédient ne peut pas être applicable aux localités du Rhin, dépourvues de carrières, vu les embarras, les pertes de temps et les dépenses considérables que son emploi nécessiterait. Le problème résolu par M. Defontaine, est le remplacement de ce massif par une plate-forme composée des matières fournies par les localités : il a imaginé de composer son radier général d’un système de paniers de diverses formes, tressés avec les osiers des grèves et remplis avec le gravier du lit du fleuve. Par cet ingénieux procédé, des masses d’une pesanteur spécifique plus que double de celle de l’eau, et d’un poids absolu de 20 quintaux métriques, ont pu être échoués dans des positions convenables, et réunir à la condition de la stabilité, celle de pouvoir opérer à peu de frais la fermeture complète de tout le cours du Rhin. Les paniers étaient portés vides sur l’équipage ordinaire, qui se trouvait placé au large ; les graviers destinés à leur remplissage y arrivaient conduits par des batelets ; ces paniers, fermés après leur remplissage, étaient immergés à la place qu’ils devaient occuper, sans aucune difficulté, et presque sans emploi de force.

» Ce mode d’enrochement a, indépendamment de l’avantage de l’économie, celui de rendre très facile, par la divisibilité des élémens de la masse définitive, la conformation de cette masse la mieux appropriée à l’objet qu’on se propose.

»… Une partie importante de l’exposé de M. Defontaine concerne les documens relatifs aux dépenses ; il résulte de ses bases d’évaluation, qu’avec l’emploi d’un capital qui ne dépasserait pas 160000 fr., on pourrait fermer le cours entier d’un fleuve comme le Rhin, et changer complétement sa direction.

» Les travaux relatifs à ces changemens de direction occupent un chapitre de l’ouvrage ; à la condition indispensable de la fermeture complète des anciens lits, se réunit celle de la combinaison bien entendue de la pente et de la profondeur des nouveaux lits. L’auteur indique la forme et la direction qu’il faut donner aux coupures, les précautions à prendre avant et après l’introduction des eaux. Il décrit un procédé dont il s’est servi avec avantage, pour l’approfondissement d’une de ses principales coupures : il a placé, entre des batelets, des vannages qui ne laissaient qu’un écoulement de fond tel, que le fluide formant remous en amont, s’écoulait par l’orifice inférieur avec une vitesse capable d’entraîner les matières du lit et de les transporter en aval. Ce procédé a été, postérieurement à son premier emploi sur le Rhin, appliqué avec beaucoup de succès au désensablement du canal de Saint-Valery. On obtient, par son usage, des économies considérables.

» J’ai mentionné, ci-dessus, les travaux qui s’exécutent sur les rives, pour garantir les terrains cultivés et limiter l’étendue des inondations, mais on doit encore, même quand on n’a point en vue cet objet spécial d’utilité, assurer la conservation des berges en les défendant de l’érosion que le courant tend à leur faire subir. Ici se présente le problème de la direction des épis, qui a été un objet de controverse parmi les ingénieurs, et que M. Defontaine pense avec raison, suivant moi, devoir être perpendiculaire à la berge. Il faut voir, dans son ouvrage, les détails circonstanciés qu’il donne sur ces travaux et sur leurs applications, qui présentent généralement, trois cas, dont chacun comporte un mode particulier d’exécution ; ainsi, lorsqu’il sera nécessaire d’éloigner le Thalweg à une grande distance de la berge, on emploiera les jetées ou épis ; quand il ne s’agira d’éloigner le courant que d’une cinquantaine de mètres, on se servira de ce qu’il appelle tapis enrochés, qui sont des nappes en fascinages, immergées à grand talus et dont la surface est ensuite recouverte en moellons. Enfin, lorsqu’il faudra changer complétement le cours du fleuve pour l’introduire dans des coupures, on aura recours au système de barrage ci-dessus mentionné, et l’on défendra les rives des coupures par les enrochemens mixtes dont il donne la description.

» J’ai parlé précédemment de l’assemblage d’arcs de courbe, concaves du côté du fleuve, qui composent les digues projetées par M. Defontaine ; mais il restait à mentionner une question importante, celle de la direction générale que doivent avoir les points de raccordement de ces arcs partiels, direction qui est celle de la digue prise dans son ensemble, et dont les arcs partiels peuvent être considérés comme les élémens. M. Defontaine pensant que la force centrifuge développée dans le mouvement curviligne des eaux, et la tendance des fleuves à affecter et à conserver de préférence les directions courbes sur les directions rectilignes, est une garantie principale de fixité, en conclut que les régularisations doivent être faites suivant certaines courbures de rayons variables entre des limites de maxima et minima ; il assigne les conditions de ces limites et fait valoir, en faveur de son système, l’avantage de n’avoir qu’une berge à protéger au lieu de deux dont les directions rectilignes exigent la défense, au moyen de quoi l’économie se trouve réunie à la stabilité des constructions. Il donne les résultats numériques de l’application de son système au fleuve du Rhin, et consigne dans un tableau toutes les circonstances du mouvement des eaux déduites de l’observation. »

LECTURES.
Physique.Appareil électro-chimique destiné à opérer des décompositions, comme la pile de Volta ; par M. Becquerel.

« Volta, en multipliant le nombre des couples métalliques dans la pile, pour accroître l’intensité de l’électricité libre aux deux extrémités, y a introduit deux causes qui tendent à affaiblir les effets électro-chimiques produits, quand le circuit est fermé. Ces deux causes sont les intervalles liquides qui séparent chaque couple, et cette espèce de polarisation que chacun de ses élémens acquiert peu à peu, et d’où résulte un courant dirigé en sens inverse du premier, lequel tend par conséquent à diminuer son action. Si donc, d’une part, les intervalles détruisent une partie des effets que l’on a en vue en plaçant les couples à côté les uns des autres, de l’autre l’appareil engendre à chaque instant des effets qui affaiblissent son action.

» J’ai cherché s’il n’était pas possible d’éviter en partie ces deux inconvéniens, en construisant un appareil électro-chimique, qui réunît quelques-uns des autres avantages de la pile. Or, un grand nombre de faits tendent à prouver que, s’il était possible de transformer en courant toute l’électricité qui se dégage dans la combinaison de deux corps, ce courant serait capable de décomposer cette combinaison elle-même ; si donc, dans la réaction d’un acide liquide sur une solution alcaline, on parvient à saisir une grande partie des deux électricités dégagées, on aura un appareil décomposant qui pourra quelquefois remplacer la pile, sans qu’on ait à craindre les effets des alternatives et de la polarisation. Pour réaliser cette idée, on prend un tube de verre de 5 ou 6 millimètres d’ouverture, contenant dans la partie inférieure de l’argile très fine, humectée avec une solution concentrée de potasse à l’alcool, dans laquelle on a fait dissoudre une certaine quantité de sel marin ; la partie supérieure du tube est remplie du même liquide. On le plonge ensuite par le bout préparé dans un flacon contenant de l’acide nitrique concentré, et l’on établit la communication entre l’acide et la solution alcaline, au moyen de deux lames de platine unies ensemble avec un fil de même métal. À l’instant même il y a un dégagement de gaz assez abondant sur la lame plongée dans la solution alcaline, et aucun sur l’autre lame. Le gaz recueilli est de l’oxigène pur. Le courant électrique, qui produit cette décomposition, provient de la réaction de l’acide sur l’alcali, par suite de laquelle le premier prend l’électricité positive, et le second l’électricité négative ; son intensité est suffisante pour décomposer l’eau ; mais ce n’est pas là où s’arrête l’action. Que devient l’hydrogène ? Si l’on examine avec attention ce qui se passe dans l’acide, on reconnaît que sa couleur change peu à peu et qu’il se forme de l’acide nitreux ; dès lors l’hydrogène provenant de la décomposition de l’eau, en se transportant sur la lame négative, réagit sur les parties constituantes de l’acide nitrique, le désoxide et rend libre l’acide nitreux, qui se dissout dans l’acide nitrique ; aussi trouve-t-on, en substituant une lame d’or, à la lame de platine plongée dans l’acide, qu’elle se dissout, en raison de l’action qu’exerce sur elle l’acide nitreux.

» Si l’on plonge dans l’alcali un tube de verre préparé, comme le premier, avec de l’argile humectée, non pas avec une solution de sel marin et de potasse, mais avec une solution de sel marin seulement, et rempli, dans sa partie supérieure, d’une solution de sel marin, afin de mettre obstacle au mélange des deux liquides, et que l’on reporte dans celui-ci la lame qui se trouvait primitivement dans l’alcali, on remarque non-seulement que le sel marin est décomposé, mais encore le nitrate de potasse produit dans la réaction de l’acide nitrique sur la potasse ; la lame de platine, qui se trouve dans la solution de sel marin, est elle-même attaquée par l’acide hydro-chloro-nitrique formé ; mais cet effet n’a lieu qu’autant que l’appareil est préparé de manière à donner le maximum d’action, ce qui est difficile à obtenir. On voit donc que dans cet appareil, d’une construction excessivement simple, tous les corps employés, peuvent être ou décomposés ou attaqués, comme s’ils étaient soumis à l’action d’une pile d’un certain nombre d’élémens. Dans une expérience où les lames avaient chacune un centimètre de long sur cinq millimètres de large, j’ai recueilli trois centimètres cubiques de gaz oxigène dans l’espace de douze heures. En substituant aux lames de platine deux petits fragmens d’anthracite, corps très réfractaire, comme on sait, à l’action du feu, des acides et des alcalis, ces fragmens sont attaqués ; on s’était assuré préalablement que l’anthracite traité à chaud par la potasse caustique, ne subissait aucune altération apparente. Rien ne semble donc résister à l’action de cet appareil électro-chimique, qui, lorsqu’il a été préparé convenablement, a l’avantage sur la pile de pouvoir fonctionner quelquefois pendant plusieurs jours sans interruption et sans que l’intensité du courant produit dans la réaction de l’acide sur l’alcali, soit modifiée d’une quantité appréciable aux instrumens les plus délicats.

» Voilà donc un appareil qui fonctionne avec une certaine énergie comme la pile, et dans lequel il ne se trouve aucun métal. On conçoit sur-le-champ les applications qu’on peut en faire à la formation des secrétions dans les corps organisés. C’est en étudiant cette question que je suis parvenu à former l’appareil dont je viens de donner la description, et dont je ferai connaître ultérieurement les applications. »

Chimie moléculaire.Sur les propriétés moléculaires de l’acide tartrique, par M. Biot.

M. Biot avait déposé aux archives de l’Académie, le 26 août dernier, un paquet qui ne devait être ouvert que dans la première séance de décembre 1835. Le cachet ayant été brisé aujourd’hui en séance publique, le secrétaire a extrait de l’enveloppe la note ci-après, dont il a donné lecture :

« Lorsqu’un même poids d’acide tartrique, pur et cristallisé, est dissous dans diverses proportions d’eau distillée, à des températures comprises entre 22° et 26° centésimaux (telles que l’ont été dernièrement les températures ordinaires), si l’on fait traverser ces diverses solutions par un rayon polarisé d’une réfrangibilité fixe, tel que le donne par exemple un verre rouge coloré par le protoxide de cuivre, on observe les phénomènes suivans :

» 1o. Pour chaque dissolution, observée à diverses épaisseurs, le plan primitif de polarisation est dévié vers la droite, d’une quantité angulaire exactement proportionnelle au poids d’acide que le rayon a traversé.

» 2o. Mais l’étendue absolue de cette déviation, pour le même poids d’acide, varie selon les proportions d’eau que la solution contient. Depuis la limite de jusqu’à d’acide dans l’unité de poids de la dissolution, la déviation du rayon, pour un poids égal d’acide traversé, croît avec la proportion d’eau, et dans un rapport qui lui est sensiblement proportionnel.

» Le premier de ces phénomènes montre que, dans chacune des solutions dont il s’agit, la déviation totale du rayon est la somme des déviations élémentaires successivement opérées par les groupes atomiques d’acide aqueux que le rayon a traversés.

» Le second phénomène, c’est-à-dire la variation de la rotation à poids égal d’acide traversé, quand la proportion d’eau est différente, montre que le pouvoir de rotation moléculaire de l’acide croît avec la quantité d’eau dans laquelle il est dissous ; et par conséquent cette eau influe sur la constitution des groupes atomiques qui produisent la rotation.

» Il n’y a donc pas ici un simple mélange, mais une combinaison véritable, puisque les propriétés individuelles des groupes atomiques se trouvent modifiées par leur présence simultanée en telle ou telle proportion.

» Le temps ne m’a pas permis de suivre ces expériences pour des proportions d’acide moindres que  ; et ainsi je n’ai pas encore pu constater si le pouvoir de rotation moléculaire de l’acide continue de croître proportionnellement à la proportion d’eau mêlée avec lui, ou si cet accroissement se ralentit à de grands degrés de dilution de manière à dégénérer en un pouvoir de rotation constant. Cette dernière supposition me paraît la plus vraisemblable ; mais je saurai si elle est vraie avant que ce paquet soit ouvert.

» Les combinaisons de l’acide tartrique avec des bases solides, même avec l’acide borique, donnent des produits doués de rotation vers la droite ; mais l’intensité relative de ces rotations pour les différens rayons simples, rentre dans la loi générale de ce phénomène à laquelle l’acide tartrique fait seul une exception marquée, du moins parmi tous les corps que j’ai pu étudier jusqu’ici. Ainsi, dans ces circonstances le groupe atomique qui constitue l’acide, et celui qui constitue la base, forment en s’unissant un groupe nouveau, où l’on ne retrouve plus les propriétés optiques particulières aux groupes composans.

» Nota. J’ai fixé ici les limites de température entre lesquelles j’ai opéré, parce que je ne sais pas encore si des températures très différentes, ne changeraient pas la loi de variation du pouvoir moléculaire que j’ai énoncée ici. »

Addition à la note précédente, présentée et lue dans la séance d’aujourd’hui.

« L’expérience a confirmé la prévision que j’exprimais dans cette note sur la tendance du pouvoir rotatoire de l’acide tartrique vers un état constant, dans les solutions aqueuses très étendues. Mais l’influence si remarquablement simple de la proportion d’eau n’en subsiste pas moins continûment jusqu’aux derniers degrés de dilution ; et même je l’ai retrouvée constamment égale aux diverses températures où j’ai pu l’étudier. C’était par une interprétation inexacte de mes propres formules déjà publiées, que la constance du pouvoir rotatoire m’avait paru devoir succéder à cette loi si simple. Ces deux propriétés sont, au contraire, concordantes. Car la proportion pondérale de l’eau dans une solution, est égale au poids de l’eau, divisé par la somme des poids de l’eau et de l’acide. C’est donc une fraction qui tend toujours vers l’unité sans pouvoir l’atteindre, excepté quand la quantité d’eau devient infinie comparativement à l’acide. Mais, bien avant cette limite mathématique, les dernières particules d’eau qui s’ajoutent à la solution, ne produisent plus que des modifications physiquement inappréciables dans la combinaison déjà formée ; et dès lors le pouvoir rotatoire de l’acide, ainsi modifié, paraît sensiblement constant, comme dans le cas d’un simple mélange.

» À l’époque où la note fut écrite, je n’avais pas encore observé de tartrate terreux. J’ai trouvé depuis que, par une exception jusqu’ici spéciale, le tartrate d’alumine très concentré exerce la rotation vers la gauche, tandis que les combinaisons de l’acide tartrique avec les bases alcalines l’exercent généralement vers la droite ; du moins toutes celles que j’ai pu observer agissent ainsi. L’étude du tartrate de glucine pourra nous indiquer si cette inversion est un caractère propre des tartrates terreux ; et notre confrère M. Berthier a bien voulu me promettre d’en faire préparer pour ce but dans son laboratoire. Mais, comme le tartrate d’alumine adhère à l’eau jusqu’au point de prendre avec elle l’état gommeux, il se pourrait qu’il eût, ou n’eût pas, cette spécialité de rotation, selon la proportion d’eau à laquelle il serait uni. Car, d’après mes expériences actuelles, l’eau, l’esprit de bois, l’alcool, qui n’ont par eux-mêmes aucune faculté rotatoire, peuvent contracter avec certaines substances qu’on y dissout, une union assez intime, quoique passagère, pour que les groupes moléculaires résultant de la combinaison, acquièrent des pouvoirs rotatoires inverses de ceux que possédaient les groupes primitifs ; pouvoirs que ceux-ci reprennent quand on les sépare. C’est vraisemblablement une union de ce genre, mais rendue permanente, qui produit l’inversion qu’on observe dans l’action rotatoire du sucre de raisin avant et après sa solidification.

» Si l’Académie veut bien m’accorder quelques instans dans sa séance prochaine, je lui présenterai un court extrait de ce travail, qui m’a occupé constamment depuis plusieurs mois. D’après l’extrême simplicité des lois sous lesquelles ces nouveaux effets des combinaisons se présentent, on aurait lieu de croire que la réduction des phénomènes de la chimie au calcul mécanique, ne sera peut-être pas aussi difficile qu’on avait dû le craindre jusqu’à présent. »

Géologie.Sur le mode de formation des cônes volcaniques, et sur celui des chaînes de montagnes ; par M. C. Prevost.
(Commissaires, les membres de la section de minéralogie et de géologie.)

M. Prevost a développé aujourd’hui les deux propositions dont on a pu lire l’énoncé dans le précédent numéro de nos Comptes rendus, p. 432.

L’auteur cite un grand nombre de protubérances coniques qui ont été évidemment le résultat de l’entassement de matières projetées par une cavité centrale, et, d’abord celles qui, à chaque éruption de l’Etna ou du Vésuve, naissent, soit au sein du cratère, soit sur les flancs ou au pied de ces volcans. Il insiste particulièrement sur le Monte Nuovo, formé dans la nuit du 19 au 20 septembre 1538, et dans lequel, appuyé des témoignages contemporains, l’auteur voit simplement le produit de l’accumulation des pierres et du sable lancés par le gouffre enflammé, quoiqu’on cite encore aujourd’hui cette montagne comme un exemple de redressement en forme de cône, de couches d’abord horizontales.

« En comparant, sous le rapport de leur structure et de leur forme, le cône qui s’était élevé dans l’intérieur du cratère du Vésuve, en 1832, au Vésuve lui-même, et celui-ci à la Somma, il m’a semblé, dit M. Prevost, qu’on ne pouvait trouver de différence essentielle entre eux et que l’on devait y voir trois effets d’une cause évidemment analogue, etc. »

Les matières rejetées pendant les éruptions ne viennent pas toujours et toutes d’une grande profondeur.

Souvent ce sont les débris du sol traversé, produit lui-même des parois des cheminées.

Ces parties peuvent être lancées, même avec des matières volcaniques, sans porter de marques d’altération.

Tels sont, et à très peu près dans les propres termes du mémoire, les titres des chapitres dont M. Prevost fait suivre celui qu’il vient de consacrer à la forme conique des volcans.

Les anciens cratères du Pal en Vivarais, de Denise, près du Puy, de l’Eifel ; les relations de l’éruption du Vésuve de 1631, publiées par Bracchini et par le frère Ignatio, l’île Julia enfin, fournissent divers argumens à l’appui de la théorie de l’auteur.

Voici la troisième proposition de M. Prevost :

« Les substances minérales fondues, qui sortent à l’état de lave des foyers volcaniques, s’élèvent avec lenteur dans les canaux qui leur donnent issue, se déversent avec calme par-dessus leurs bords, s’élèvent et s’accumulent avec lenteur sur des pentes très inclinées, et elles peuvent acquérir une grande épaisseur, une grande solidité et homogénéité enfin, en se figeant et s’arrêtant non-seulement sur des plans plus ou moins inclinés, mais même sur des surfaces verticales. »

La marche de la coulée qui, en 1669, détruisit Catane et combla son port, est le principal argument cité à l’appui de cette troisième proposition.

M. Prevost présente enfin, comme résultat invariable de ses nombreuses observations, « que le sol qui supporte les volcans n’a pas été dérangé par eux. »

Après avoir combattu ainsi, dans toutes ses parties, la théorie des cratères de soulèvement, l’auteur du mémoire arrive à la question plus générale de la formation de toutes les natures de montagnes, et se prononce pour l’hypothèse de Deluc, lequel, comme on sait, les engendrait en faisant affaisser les plaines environnantes. Nous allons rapporter textuellement cette partie du travail de M. Prevost :

« Que dans le moment actuel une cause semblable à celle qui aurait soulevé les Andes, vienne à élever le fond de la mer du Sud, en faisant saillir au-dessus de son niveau un continent comme la Nouvelle-Hollande, par exemple : quelle influence cet événement aurait-il sur les terres aujourd’hui découvertes, dont la position ne serait pas dérangée ?

» Il est évident qu’une quantité d’eau égale au volume de la base submergée du nouveau continent, serait refoulée sur les plages de l’Amérique, de l’Asie, et de l’Europe même, qui se couvriraient d’une quantité proportionnelle à la surface des mers ; mais dans tous les cas, aucune de ces plages ne serait émergée par ce fait. Il en résulte clairement cette conséquence 1o  qu’aucun fond de mer ne saurait être mis à sec qu’autant qu’il serait soulevé ; 2o  que le soulèvement ne pourrait s’effectuer sans que les couches fussent brisées et redressées plus ou moins ; 3o  enfin que tout soulèvement d’un point aurait pour effet d’inonder d’autres points restés fixes.

» Il est évident que pour que l’équilibre des eaux se maintînt après un soulèvement, il faudrait qu’il se produisît à la surface de la sphère terrestre, une ou plusieurs dépressions dans lesquelles la quantité d’eau refoulée pût se loger.

» Mais si les faits géologiques prouvent que sur presque toute la surface des terres aujourd’hui découvertes, on voit d’immenses plages et dépôts marins qui ont été mis à sec, en conservant leur position normale.

» Si sur tous les rivages, depuis la Nouvelle-Hollande jusqu’en Angleterre, autour de bassins méditerranéens, à la circonférence de toutes les îles, sur le trajet de tous les fleuves, on trouve des marques irrécusables du séjour des eaux à des élévations différentes et comme graduées et parallèles entre elles ; si en supposant submergées toutes les parties des continens actuels et des îles sur lesquelles on trouve des dépôts marins tertiaires qui ont conservé leur horizontalité ; si en plaçant nécessairement aussi, sous les eaux, tous les points où existent les chaînes de montagnes dont on fixe l’âge de soulèvement après le dépôt de ces mêmes terrains tertiaires, c’est-à-dire, d’après M. de Beaumont, mont Rotondo, mont d’Ore, mont Liban, monts Ourals, Alpes occidentales de Marseille à Zurich, Cordillières des Andes ; on voit qu’il ne resterait plus de terre pour l’habitation des animaux et des végétaux terrestres, et d’emplacement pour les lacs et les fleuves où vivaient les animaux lacustres et fluviatiles, les plantes aquatiques dont ces derniers terrains ont conservé quelques débris. N’est-on pas entraîné alors, malgré soi, à regarder comme indispensable : Qu’en même temps que des fonds de mer ont pu être mis à sec et élevés beaucoup au-dessus du niveau des eaux, par suite des dislocations du sol, de plus grandes surfaces terrestres ont dû être englouties, de manière à ce que les dépressions produites fussent plus considérables que les élévations ; condition sans laquelle, je le répète, les parties basses de nos continens actuels n’auraient pas été émergées ; conditions qui, pour être remplies, n’exigent pas le secours d’un agent supposé de soulèvement.

» Si à ces premières données on ajoute la remarque de la rupture évidente des terres vers les mers (sud de l’Europe, de l’Afrique, de l’Asie) ; l’existence d’anciens delta, dont il faudrait chercher le cours de fleuves dans la mer actuelle, les fossiles communs à des terres séparées, les îles évidemment détachées des continens ; faits que je ne puis développer aujourd’hui, mais dont les géologues apprécieront l’importance et l’exactitude ; on revient donc sur cette question au point où l’avait laissée un excellent observateur qui ne fut pas écouté, parce que sans doute, ses idées systématiques l’ont entraîné souvent au-delà des faits. Mais cependant une longue et minutieuse patience, avait conduit Deluc à dire que les terres aujourd’hui habitées par les hommes, n’étaient que l’ancien fond de la mer, mis à sec par suite de l’affaissement et de la destruction d’anciennes terres qui s’étaient abîmées ; et cette opinion fut aussi celle de Cuvier, qui, dans son beau Discours sur les Révolutions de la surface du globe, après s’être demandé où était donc alors le genre humain dont il ne trouvait pas de vestiges avec les animaux terrestres des derniers dépôts, dit : Les pays où il vivait ont-ils été engloutis, lorsque ceux qu’il habite maintenant ont été mis à sec ?

» Avec de pareils faits, avec de pareilles autorités, me sera-t-il permis d’inspirer quelques doutes aux personnes et aux géologues qui, sans avoir assez étudié ce sujet, regardent comme une chose positive et démontrée l’existence, sous l’écorce solide du globe, d’une force incommensurable, qui tend sans cesse à fracturer cette écorce et à en relever les lambeaux, tantôt pour former les montagnes volcaniques, tantôt en lignes parallèles, pour former des Andes, des Alpes, des Pyrénées, et jusqu’aux plus petites anfractuosités de la surface terrestre.

» Par l’exposé, le développement et la discussion des faits nombreux que j’ai réunis et sur lesquels j’ai longuement médité, je m’efforcerai de justifier les assertions contraires que j’émets avec confiance dans ce moment, parce que j’ai l’assurance que si je parviens à me faire écouter, je pourrai encore servir la science en provoquant de nouvelles recherches.

» Ces idées, au surplus, ne sont pas improvisées ; ce n’est pas une découverte que j’annonce : c’est l’ancienne opinion que je voudrais réhabiliter. En 1822, dans mes cours, pour expliquer d’une manière concise comment on pourrait se rendre compte du relief actuel du sol, j’ai mis sous les yeux de mes auditeurs la carte ci-jointe, comme exemple d’une hypothèse admissible. »

La séance est levée à 5 heures.

A.

Bulletin bibliographique.

L’Académie a reçu dans cette séance les ouvrages dont voici les titres :

Comptes rendus hebdomadaires des Séances de l’Académie des Sciences, no 18, 1835, in-4o.

Histoire des Sciences mathématiques en Italie, depuis la renaissance des lettres jusqu’à la fin du 17e siècle ; par M. G. Libri ; tome 1er, Paris, 1836 ; in-8o.

Traité des Arbres fruitiers, par Duhamel du Monceau ; nouvelle édition, par MM. Poiteau et Turpin ; 71e livraison, in-folio.

Administration des Douanes. — Tableau général du Commerce de la France avec ses colonies et les puissances étrangères pendant l’année 1834 ; un vol. in-4o, Paris, 1835.

Précis de la Géographie universelle, par Malte-Brun ; nouvelle édition, par M. Huot ; tome 9, Paris, 1835, in-8o, et la 9e livraison de l’atlas in-folo.

Histoire Naturelle générale et particulière de tous les genres de Coquilles univalves marines ; par M. Duclos ; 1re  et 2e  livraison, in-folio, Paris.

Voyage dans l’Amérique méridionale ; par M. d’Orbigny ; 8e  livraison ; in-folio.

Chemins de fer. — Courbes à très petit rayon (Système Laignel) ; brochure in-8o, Paris.

Notice biographique sur M. Buniva de Turin ; par M. Bredin ; in-4o.

Introduction à une Théorie générale de l’univers ; par M. Morin ; Saint-Brieuc, in-8o.

Recherches sur la présence de l’air dans l’oreille moyenne ; par M. Deleau ; in-8o.

Dictionnaire historique et iconographique de toutes les opérations et des instrumens, bandages et appareils de la chirurgie ancienne et moderne ; par M. Colombat de l’Isère ; 1re  et 2e  livraison, in-8o.

Cryptogamie tarbellienne, ou Description succincte des plantes cryptogames ; par M. Grateloup ; 1re  partie, Bordeaux, 1835, in-8o.

Astronomische Nachrichten ; no 293 ; in-4o.

Bibliothèque universelle des Sciences, Belles-Lettres et Arts, rédigée à Genève ; juillet 1835, in-8o.

Annales de la Société Royale d’Horticulture de Paris ; tome 17, 99e livraison.

Bulletin général de Thérapeutique médicale et chirurgicale par M. Miquel ; tome 9, 10e livraison, in-8o.

Journal hebdomadaire des Progrès des sciences médicales ; no 49, 3e  année, 6e  livraison, in-8o.

Journal des Connaissances médico-chirurgicales ; par MM. Lebaudy, Goureau et Trousseau ; 3e  année, 6e  livraison, in-8o.

Gazette médicale ; tome 3, no 48.

Gazette des Hôpitaux ; nos 144 et 145.

Mémorial encyclopédique et progressif des Connaissances humaines ; no 59, 5e  année, in-8o.


  1. Dans les eaux moyennes, il ne passe à Paris sous le pont Royal, que 255 mètres cubes d’eau par seconde.