Compte rendu de la bataille de Camaret par Monsieur de Nointel


12. — Relation de Mr de Nointel[1].


Sa Majesté fut informée, par le courrier dépêché hier au soir, qu’une partie de la flotte ennemie avait paru à l’entrée du goulet, à 3 heures après-midi et qu’elle avait mouillé, sur les 7 heures du soir dans la rade de Bertheaume. Elle n’y a fait aucune manœuvre dont on se put apercevoir toute la nuit, ni aujourd’hui matin jusqu’à 11 heures, peut-être à cause d’un brouillard qui a duré tout ce temps-là. Mais, sur les 11 heures, ils ont fait lever l’ancre à huit de leurs vaisseaux qu’ils ont fait approcher le plus près qu’ils ont pu de Camaret, en sorte qu’il y en avait à demi-portée de mousquet, et ces vaisseaux étaient accompagnés d’un grand nombre de petits bateaux plats, massés comme des œufs et plus grands que des chaloupes ordinaires.

L’action a commencé par une grosse canonnade qui a duré près de deux heures[2] ; après quoi, tous ces petits bâtiments ont fait voile d’auprès de l’amiral, autour duquel ils étaient assemblés pour se rendre dans l’anse du Tremet. Le vent ne leur a pas permis d’abord d’entrer ; mais, ayant changé tout d’un coup, ils y sont entrés et les ennemis se sont mis en état de débarquer les troupes qu’ils avaient sur ces petits bâtiments. Ils ont mis à terre 600 à 700 hommes, avec plusieurs officiers à leur tête, contre lesquels on a d’abord fait un très grand feu de tous les retranchements, qui étaient garnis de milice du pays et de 8 compagnies franches de la marine qui défendaient ce poste-là, sous le commandement de Mr le marquis de Langeron. Le feu a duré longtemps, après quoi, Mr Benoise, capitaine d’une compagnie franche de la marine, voyant l’ennemi dans une grande confusion, a marché à eux l’épée à la main, suivi de 50 soldats de sa compagnie et soutenu par un détachement de pareil nombre ; il les a renversés et poussés jusque dans l’eau. Le sieur de la Gousse, capitaine d’une compagnie franche de marine, a été dangereusement blessé en cette occasion. Comme les ennemis avaient fait leur descente de jusant, sept de leurs petits bâtiments se sont trouvés échoués, et on a fait prisonniers, tué ou blessé tous les soldats et officiers qu’on y a trouvés ou qui voulaient s’y sauver. Mr  le comte de Servon, maréchal de camp, Mr  de la Vaisse, brigadier d’infanterie et Mr  du Plessis, brigadier de cavalerie, qui se sont rendus sur les retranchements avec le régiment de cavalerie Du Plessis, sur les avis qu’ils avaient eu par les signaux, de l’arrivée des vaisseaux ennemis, les ont fait paraître sur les hauteurs et ont même fait paraître un escadron sur la grève. Les autres bâtiments ennemis, qui n’avaient pas encore débarqué les soldats qui les montaient, n’ont plus songé qu’à se retirer à la faveur des gros vaisseaux qui continuaient toujours à tirer du canon et auxquels on répondait des retranchements de la Tour de Camaret.

On a fait près de 400 prisonniers[3] ; il y en a eu pour le moins 500 de noyés ou tués, dans le nombre desquels s’est trouvé Mr  Talmash, général de l’infanterie anglaise et hollandaise, au dire d’un des officiers, prisonniers, qui se dit son lieutenant et qui commandait le débarquement.

Un des vaisseaux de guerre ennemi, qui était Hollandais, et qui s’était approché le plus près de Camaret, ayant appareillé trop tard, s’est trouvé échoué. Mr  de la Gondinière, s’en étant aperçu, a mené des mousquetaires sur les roches voisines qui commandaient le vaisseau, et l’obligea ainsi de se rendre. On y a fait 64 prisonniers et on y a trouvé 40 hommes tués, parmi lesquels était le capitaine. Il est de 34 canons.

Il n’y a pas eu plus de 40 ou 50 hommes tués ou blessés de notre part, dont il n’y a même que deux officiers. Le sieur de la Gousse, qu’on a marqué ci dessus avoir été blessé dangereusement et le sieur de la Valette. Les officiers s’y sont distingués et ont eu beaucoup de part au succès de cette affaire.

  1. A.-G. — V. 1256, p. 114.

    Extrait d’une lettre de Vauban à Pontchartrain (18 juin soir) « J’espère que ce qui s’est passé aujourd’hui à la descente de Camaret vous fera plaisir… La relation que Mr de Nointel a dressée sur les lettres de Langeron et de Saint-Pierre vous apprendra ingénument comment la chose s’est passée… »

  2. L’Indépendance Bretonne a publié à ce sujet l’entrefilet suivant le 14 décembre 1910 :
    Le Tzar des Bulgares et les pêcheurs de Camaret

    S. M. Ferdinand Ier, tzar des Bulgares, vient de signifier, de la manière la plus poétique, sa tendresse pour les gens de mer et son culte pour nos souvenirs de gloire.

    Ayant appris l’incendie de la chapelle ancienne de Notre-Dame de Rocamadour à Camaret, petit port de pêche tant apprécié des artistes, Ferdinand Ier, « heureux d’aider à la réfection de l’historique et charmant sanctuaire des braves gens de Camaret », vient de faire parvenir la somme de mille francs au poète Saint-Pol-Roux, président du comité de restauration.

    Ce sanctuaire, particulièrement chéri des marins bretons, s’honore d’une digne blessure, ayant eu la pointe de son clocher emportée par le boulet d’une frégate anglaise lors de la célèbre bataille de Camaret qui garda la France de l’envahissement, selon l’exergue même de la médaille que Louis XIV fit frapper en l’honneur de l’héroïque cité.

    Par ce geste « à la française », le roi de Bulgarie semble nous marquer, avec son esprit coutumier, qu’il ne saurait oublier les plus belles pages de notre histoire — qui est aussi la sienne, étant celle de ses augustes aïeux. C’est pourquoi voulut-il rendre hommage aux pêcheurs de Camaret, descendants de ces héros qui, le 18 juin 1694, aidèrent à la victoire des troupes de Vauban sur celles, coalisées, d’Angleterre et de Hollande.

    Puisse un si haut exemple susciter des âmes ferventes, désireuses de collaborer à la restauration de la légendaire chapelle du Finistère !

    Et gloire à Camaret : custos oræ armoricæ !

  3. État des prisonniers qui ont été faits à la descente que les ennemis ont faite à Camaret le 18 juin 1694.
    (A.-G. — V. 1256, p. 128).
    Officiers  
    Capitaines 
      
    4 Dont 1 blessé.
    Lieutenants 
      
    7 » 3 »
    Aide-Major 
      
    1 » 1 »
    Enseignes 
      
    3 » 1 »
      15   6  
    Troupe.  
    Volontaires 
      
    3  
    Soldats 
      
    428 Dont 100 blessés.
    Matelots 
      
    20 » 2 »
        451   102  

    Ces prisonniers furent dirigés le 21 juin sur le château de Nantes escortés par 50 hommes du régiment du Plessis-Cavalerie. Louis XIV autorisa le 12 juillet leur échange contre un nombre égal de la marine française.