Commerce de l’île de Cuba

COMMERCE DE L’ÎLE DE CUBA.

Un économiste distingué, M. Ramond de la Sagra, auteur d’une histoire de l’île de Cuba, vient de livrer à la publicité de nouveaux documens statistiques sur cette île[1], dont il a le premier fait connaître toute l’importance. Nous lui empruntons les résultats suivans, qui démontreront mieux que tous les raisonnemens l’intérêt qu’ont les métropoles elles-mêmes aux développemens industriels et commerciaux de leurs colonies.

La prospérité croissante du commerce de l’île de Cuba n’est pas due seulement au développement de son industrie agricole, mais bien plus encore à l’ensemble des mesures protectrices et des réformes introduites dans l’administration de la douane.

Une révision des tarifs était le premier besoin du commerce. Le gouvernement local, loin d’y chercher le moyen d’augmenter les recettes du fisc, se montra uniquement préoccupé du désir d’accroître l’activité commerciale, et, par suite, la prospérité du pays.

C’est en partant de cette base qu’il s’efforça d’appeler dans les ports de l’île la concurrence des divers pavillons étrangers, qui assuraient un débouché aux récoltes, tout en conservant, d’ailleurs, au pavillon espagnol les facilités d’écouler ses approvisionnemens particuliers.

Dans les premières années de l’époque que j’examine, dit l’auteur, le nombre et l’activité des corsaires, sous le pavillon des nouveaux états indépendans de l’ancienne Amérique espagnole, avaient tellement paralysé les communications maritimes entre la métropole et l’île de Cuba, que le gouvernement de Madrid se vit forcé d’accorder des licences pour l’introduction des produits espagnols sous pavillon étranger. Cette mesure eût été un véritable arrêt de mort pour le pavillon espagnol, si le gouvernement local de l’île de Cuba n’eût mis en œuvre toutes ses ressources pour en atténuer les inconvéniens, soit au moyen d’escortes respectables qui, pendant les années 1827, 1828 et 1829, protégèrent les bâtimens espagnols, soit en réduisant à 3 pour 100 pour le pavillon espagnol le droit d’entrée, que le pavillon étranger acquittait sur le pied de 24 et de 30 pour 100, et même de 60 pour 100 lorsqu’il s’agissait de protéger le placement des farines espagnoles.

L’impulsion donnée à la navigation nationale par ces mesures fut telle, qu’elle commença par affecter les ressources du trésor.


En 1826, les importations nationales directes étaient descendues à la somme de 
409,353 pesos.
Et les exportations ne dépassaient pas 
500,000
Dans la même année, l’importation générale n’excédait pas 
2,858,793 p. f.
En 1828, cette importation s’éleva à 
4,523,302
En 1829, elle fut d’environ 
5,000,000
Le pavillon national, si rare en 1826, introduisit en 1830, en produits espagnols de la Péninsule, une valeur de 
3,224,268 p. f.
Et exporta pour l’Espagne une valeur à peu près égale. 
Le pavillon étranger, à la même époque, n’introduisit plus, en produits de la Péninsule, que pour environ 
1,500,000 p. f.
en opérant un retour d’un peu plus de 
750,000
Les progrès de l’industrie nationale continuèrent. En 1833, le commerce espagnol, sous pavillon espagnol, introduisit pour une valeur de 
3,134,071 p. f.
La navigation étrangère, en produits nationaux, se trouva réduite à une introduction de 
51,710
et à une exportation de 
10,561
En 1834, l’importation sous pavillon espagnol fut de 
3,407,094 p. f.
Celle provenant de la métropole, sous pavillon étranger, de 
5,393


Il faut avouer que, parmi les mesures citées par l’auteur comme ayant contribué à la prospérité récente de la Havane, il en est qui témoignent encore bien plus de l’ignorance profonde de l’ancienne administration que des progrès de la nouvelle, telles que l’existence d’anciens droits de 83 1/2 pour 100 pour l’importation et de 17 pour 100 sur l’extraction des sucres ; telles encore les entraves fiscales mises aux transactions du commerce intérieur de l’île ou à la fréquentation des ports, autres que ceux de la Havane et de Saint-Yago, fermés au commerce extérieur jusqu’en 1826.

Parmi les améliorations qu’il signale se trouve comprise la réduction du droit sur les sucres à la sortie, qui, de 17 pour 100, sur une évaluation de 16 réaux l’arrobe, n’est plus que de 3 réaux (à titre d’impôt municipal) sous pavillon espagnol, et de 4 réaux sous pavillon étranger. La valeur officielle, servant à la perception de cet impôt, a été réduite de 16 réaux successivement à 12, à 8 et à 7, alors que le prix vénal est monté de 8 réaux l’arrobe à 16 réaux[2] et au-delà. On a également exempté de tout droit de tonnage les bâtimens entrant et sortant sur lest ; la réduction au droit de tonnage est de 20 réaux à 12 réaux par tonneau de marchandises, en faveur du pavillon étranger. Une prime de 2 pesos est accordée par sortie d’un tonneau de mélasse sous pavillon étranger.

D’heureuses réformes opérées dans les différentes branches de l’administration concoururent, avec les modifications apportées au système des douanes, à produire une augmentation de recettes, telle que, de 1825 à 1826, le principal revenu public s’éleva de 3,326,552 p. f. à 
4,224,328 p. f.
En 1827, il était de 
5,255,860
Ainsi, en deux années seulement, il y avait une augmentation de 
1,929,308
D’autres branches de revenu donnèrent également de notables augmentations, en sorte qu’en trois années, de 1826 à 1828, l’augmentation totale des recettes sur celles de 1825 fut de 
6,957,832 p. f.

La progression ne s’est point arrêtée là.

Le mouvement général du commerce maritime fut,

En 1826, de 
28,735,592 p. f.
En 1827, de 
31,639,047
En 1828, de 
32,649,285

Les années 1829 et 1830 se tinrent à peu près à ce niveau ; 1831 et 1832 éprouvèrent quelques réductions ; 1833 remonta au niveau de 1830.

En 1834, le mouvement commercial s’est élevé à 
33,051,255 p. f.
Dans ces dernières années, dit l’auteur, le commerce maritime de l’île doit être estimé sur le pied d’une importation de 
19,000,000 p. f.
et d’une exportation de 
14,000,000
dont la valeur réelle est de plus de 20 millions, ainsi qu’il l’observe, puisque cette évaluation est celle du tarif officiel, inférieur aujourd’hui pour le sucre de beaucoup plus de moitié à la valeur vénale de cette denrée.

Son résumé des exportations de 1834 entre dans le détail ci-après :

Sucre, 8,408,231 arrobes.
Café, 1,817,315 (en 1833, 2,500,000 arrobes).
Miel, 104,213 boucants,


sans parler des autres produits dont l’exportation croissante est prouvée par l’exemple ci-après :

Tabac en feuilles exporté en 1828 
70,000 arrobes ;
Tabac en feuilles exporté en 1830 
160,000

Quant au tabac travaillé (cigares et râpé), l’exportation s’est accrue, de 1828 à 1834, de 210,000 livres à 616,020 livres ; ce qui prouve qu’abstraction faite de l’énorme consommation locale de ce produit, la culture en a triplé dans l’espace de six années.

Sous le régime de la ferme, et à l’époque la plus florissante de ce régime, la fabrique de la Havane n’exporta jamais plus de 110,000 arrobes par an de tabac en poudre ou en feuilles.

Cette riche culture est susceptible d’un accroissement incalculable (le septième seulement de l’île de Cuba est en culture), en l’associant à un sage système de colonisation blanche, si nécessaire aujourd’hui à l’île de Cuba pour sa sécurité présente et sa prospérité future. C’est au gouvernement de couvrir ce système de sa protection directe et d’une coopération efficace. Il en résultera de grandes améliorations dans l’état de l’agriculture, et ce résultat peut seul résoudre les questions aussi controversées que mal posées de la culture confiée à une population libre.

REVENUS ET DÉPENSES PUBLIQUES.
En 1825, le revenu de l’île s’élevait à la somme de 
5,722,198 p. f.
En 1826, après les réformes de son tarif et de ses autres impôts, à celle de 
7,097,936
En 1827, ce revenu s’éleva à 
8,469,974
En 1828, — à 
9,086,407
En 1829, — à 
9,142,612
Le revenu des années suivantes s’est toujours maintenu à peu près sur le pied de 
9,000,000
L’intendance de la Havane proprement dite et la sub-délégation de Matanzas entrent dans cette somme pour 
7,000,000 p. f.

Ce résultat fut obtenu par une simplification et une réduction des tarifs qui augmentèrent l’importance du mouvement commercial et de la consommation intérieure. On a déjà vu quel accroissement avait pris la production du tabac. Cet accroissement date de l’époque de la suppression des impôts qui grevaient spécialement cette culture.

Don Ramon de la Sagra rappelle ici les proportions des diverses sources de revenu public de Cuba, telles qu’il les avait déjà établies dans son grand ouvrage statistique :

67 2/3 p. 100 Fournis par le commerce maritime, c’est-à-dire les tarifs de douane et les droits de navigation ;
24 1/2 Contributions territoriales ;
2 2/3 Retenues sur le traitement des fonctionnaires ;
1 2/3 Retenues exercées sur les rentes et revenus ecclésiastiques ;
3 1/2 Droits divers.
Total 
100 1/2
En 1834, les droits d’entrée donnèrent 
 4,405,314 p. f.
En 1834, les droits de sortie 
 692,974 p. f.


En partant de la base des valeurs officielles, l’importation se trouve ainsi chargée, sur toutes provenances, d’un droit moyen d’environ, 
 24 p. 100
Et l’exportation d’un droit moyen de 
 4 7/10
Dans l’histoire statistique de l’île de Cuba, écrite en 1831, l’auteur estimait le produit net de l’agriculture et de l’industrie locale à la somme de 
22,808,622 p. f. ;
supportant un impôt de 5 p. 100.
Aujourd’hui que les produits annuels se sont accrus et que l’impôt a éprouvé des réductions, le fardeau fiscal ne peut être estimé au-dessus de 3 p. 100.
L’auteur avait également calculé en 1831 que la consommation de l’île de Cuba, tant en produits locaux qu’en produits étrangers à son sol, pouvait s’élever à une valeur de 
53,326,406 p. f.

L’auteur fait ici un calcul d’où il conclut que l’impôt général ne s’élève pas au-delà du sixième de la valeur des consommations ; mais, d’un autre côté, il paraît que dans ce calcul ne figurent, bien qu’étant à la charge de la colonie, ni les frais d’entretien du clergé, ni les frais de la correspondance maritime (celle-ci doit rapporter), ni les produits de la loterie, ni les taxes municipales, ni certaines charges attachées à certaines propriétés.

De 1825 à la moitié de 1828, les caisses de la Havane fournirent à l’entretien de l’escadre près de 4,000,000 p. f., et en outre remirent à la Péninsule plus de 2,500,000 p. f. : on se trouvait alors menacé d’une dépense annuelle de près de 10,000,000 p. f.

Pour y faire face sans recourir à de nouveaux impôts, on fit de grandes réformes administratives, et on réduisit les frais de perception à 305,053 p. f., c’est-à-dire à 3 3/4 pour 100 du total des contributions.

En 1829, l’entrée en caisse de la Havane fut de 
7,115,783 p. f.
Mais l’escadre absorba près de 
1,500,000
Les traites de la métropole plus de 
500,000
La solde des troupes 
2,136,714
Enfin les frais de la légation des États-Unis, habituellement défrayée par le trésor de Cuba, et les dépenses des autres intendances portèrent le total de la dépense à 
9,140,559 p. f.
Dont le service de terre absorba 
40 pour 100
68 1/2 pour 100
L’escadre 
17 1|4
L’administration civile et autres dépenses locales 
11 1/4
L’auteur ne spécifie pas l’emploi du surplus.
En 1830, les dépenses générales de l’île s’élevèrent à 
8,838,214 p. f.
Dont l’escadre et la garnison absorbèrent 
5,385,826

L’année 1830 termina la période quinquennale de la nouvelle administration, qui ne put réussir à faire face à ses dépenses extraordinaires, qu’en raison de l’augmentation de 14,444,180 p. f. que les impôts de cette période produisirent par comparaison avec la période de 1821 à 1825.

Dans les années suivantes, la réduction des forces navales et des troupes destinées auparavant à des expéditions en terre ferme permit d’appliquer une partie du revenu public à des dépenses locales commandées par les besoins du pays.

En 1831, le trésor de l’île remit à la métropole 
176,929 p. f.
En 1832 
339,450
En 1833 
823,270
Il existe en outre à la banque d’escompte une réserve de 
1,300,000 p. f.

L’intendance de la Havane n’a rien épargné pour développer l’industrie particulière, et son concours a été d’autant plus utile, que l’esprit d’association a fait peu de progrès dans l’île de Cuba ; l’autorité locale a cherché à l’encourager par des avances.

C’est en partant de ce principe que l’intendance de la Havane a favorisé l’établissement de paquebots correspondant avec la métropole, a secouru l’intendance de Porto-Rico, a fondé la banque d’escompte, et a fait beaucoup d’autres avances selon le besoin des temps.

Entre les dépenses publiques, l’auteur cite encore « la fondation d’un grand nombre d’écoles, la création d’un jardin botanique, les primes et secours pour la culture de l’indigo et pour l’extension de celle du cacao, l’élévation du ver à soie, l’introduction des meilleurs instrumens aratoires et machines industrielles connues en Europe, la création d’un journal destiné à la propagation des découvertes utiles, celle d’un amphithéâtre d’anatomie, d’un cours de clinique, celle d’une école navale, et beaucoup d’autres dépenses faites en faveur du cabinet d’histoire naturelle de la métropole ; la reconstruction de l’ancienne intendance, la construction des magasins de la douane, celle des casernes de Guanajay, de San Antonio, et Bayamo ; la vaste caserne de Matanzas et l’hôpital de la Charité du même lieu ; enfin des chemins et des ponts en grand nombre ; l’introduction des bateaux-dragues dans la baie de la Havane et le port de Matanzas ; une conduite d’eau en fer destinée à fournir aux besoins de la ville, et qui, à elle seule, mériterait à son auteur une renommée immortelle ; il faut encore ajouter le chemin de fer qui s’exécute en ce moment, du chef-lieu à la vallée de los Guines. »

Nous terminerons cette notice en donnant un tableau comparatif du commerce des ports dont l’entrée est permise.


COMMERCE DES PORTS DONT L’ENTRÉE EST PERMISE.


NOMS DES PORTS IMPORTATIONS EXPORTATIONS TOTAL
EN PESOS F.
Habana 
13,374,343 9,609,858 22,984,201
Matanzas 
1,151,851 1,997,852 3,149,703
Cuba 
1,278,597 1,412,358 2,690,955
Puerto Principe 
195,515 83,573 279,088
Trinidad 
702,255 627,313 1,329,568
Baracoa 
32,191 15,921 48,112
Manzanillo 
112,111 80,532 192,643
Gibrara 
42,845 81,838 124,683
Jagua 
67,805 35,186 102,991


IMPORTANCE DU COMMERCE DE CHAQUE NATION
COMMERÇANT AVEC L’ÎLE DE CUBA.


PAVILLONS RAPPORT
avec
LE COMMERCE TOTAL
RAPPORT
avec
L’EXPORTATION
GÉNÉRALE
National 
1/5 1/6
États-Unis 
1/3 1/3
France 
1/15 1/18
Angleterre 
1/9 1/7
Allemagne 
1/14 1/6
Pays-Bas 
1/24 1/10


Chaque individu de la population de l’île exporte des produits de l’île pour une valeur de 
15 pesos 0 réales.
Il reçoit des produits étrangers pour une valeur de 
22 3
Il consomme de ceux-ci pour 
19 0
Il en réexporte pour 
3 3
Et il consomme des deux espèces de produits pour 
73 0

Ainsi, chez une population qui ne dépasse pas de beaucoup sept cent mille ames, parmi lesquelles on compte trois cent mille esclaves, le chiffre de la consommation individuelle doit se calculer sur le pied de près de 400 francs ; on peut juger par là combien la consommation des classes aisées, dans les diverses colonies, doit être supérieure à celle des classes analogues en Europe.

  1. Breve idea de la administracion del commercio y de las rentas y gastos de la isla de Cuba, durante los annos de 1826 a 1834, par D. Ramon de la Sagra. Paris, 1836.
  2. En 1835, le sucre de la Havane s’est élevé jusqu’au prix de 2 douros (soit 10 francs l’arrobe) en sucre dit quelrado, c’est à-dire moitié terré et moitié brut. Il faut en chercher la raison dans les craintes que le bill d’émancipation a fait naître sur les produits ultérieurs des plantations britanniques.