Commentaire sur la grammaire Esperanto 1903/Ch3

Règle 3. — LES ADJECTIFS

Les participes-adjectifs, les pronoms-adjectifs, les indéfinis.


L’adjectif, en Esperanto, est invariablement caractérisé par la lettre finale a.

Exemples. — Bon, bona ; mauvais, malbona.

Son pluriel se marque invariablement par j ajouté à l’a du singulier.

Exemples. — Bons, bonaj ; petits, malgrandaj.

Complément direct, il prend, comme le nom, l’n accusatif.

Exemples. — Prenez le bon ; laissez-moi le mauvais. Prenu la bonan ; lasu al mi la malbonan.

Il ne peut s’accorder qu’en nombre avec le substantif ou le pronom auquel il se rapporte, puisque le genre grammatical n’existe pas en Esperanlo.

Exemples. — Les bons enfants. La bonaj infanoj. — Les jeunes demoiselles. La junaj fraŭlinoj. — Nous sommes grands, mais vous êtes petites. Ni estas grandaj, sed vi estas malgrandaj.

Quand le nom ou le pronom auquel se rapporte l’adjectif prend l’n accusatif, l’adjectif le prend aussi.

Exemples. — J’ai trouvé une belle rose. Mi trovis belan rozon. — Il a planté de grands arbres. Li plantis grandajn arbojn. — Je le trouvai très en colère. Mi trovis lin tre koleran. — Il les conduisit tout heureuses à leur père. Li kondukis ilin tute feliĉajn al ilia patro.

3) Les participes employés comme qualificatifs ou comme attributs soit d’un nom, soit d’un pronom, ce qui arrive notamment dans toute la voix passive de l’Esperanto et dans les temps composés de sa voix active, sont en réalité de véritables adjectifs ; ils en suivent donc logiquement toutes les règles. Nous les appelons participes-adjectifs pour les distinguer d’autres participes dont nous parlerons ci-après.

Exemples. — Ils étaient perdus. Ili estis perditaj. — Nous les retrouvâmes mourants. Ni retrovis ilin mortantajn. — Nous avions fini, quand vous êtes arrivé. Ni estis finintaj, kiam vi alvenis.

Les pronoms-adjectifs, c’est-à-dire ia, kia, tia, ĉia, nenia, — iu, kiu, tiu, ĉiu, neniu, ainsi nommés de leur double rôle, suivent logiquement, eux aussi, toutes les règles des adjectifs.

Exemples. — Kiun vi serĉas ? Qui cherchez-vous ? — Kiun vi prenos, tiun ĉi aŭ tiun ? Lequel prendrez-vous, celui-ci ou celui-là ? — Ĉiuj personoj, kiuj volas. Toutes (les) personnes qui veulent. — Mi nenian havas. Je n’en ai aucun. — Kiaj estas la kondiĉoj ? Quelles sont les conditions ? — Ni pagis ĉiun el tiuj objektoj aparte. Nous avons payé à part chacun de ces objets. — Ili neniun trovis. Ils (n’) ont trouvé personne.

En aucun cas tia ne peut remplacer tiu, le sens de ces mots étant tout différent.

Ainsi tia homo veut dire un tel homme, tandis que tiu homo veut dire cet homme ou cet homme-.

Ĉia signifie chaque et ĉiu signifie tout, quand il est employé comme adjectif.

Exemples. — Ĉia homo, chaque : homme. — Ĉiu homo, tout homme.

Comme pronom ĉiu signifie chacun au singulier et tous au pluriel.

Exemples. — Ĉiu scias, chacun sait. — Ĉiuj scias, tous savent.,

Les formes tiela et kiela, sans être absolument irrégulières, doivent être évitées en prose comme plus longues que tia et kia, avec lesquelles elles feraient double emploi.

Kia et kiu.

Kia signifie quel au point de vue de la qualité. Avec lui on indique ou on demande la qualité de l’objet ; aussi son corrélatif est-il tia tel. Il ne faut donc employer kia que : 1° lorsqu’on le met en parallèle avec tia ; 2° quand on veut dire quelle sorte de ? 3° dans les exclamations, où, par le fait, c’est bien la qualité qu’on envisage en employant quel.

Exemples. — 1° Kia patro, tia filo. Tel père, tel fils. — Mi ĝin prenas tian, kia ĝi estas. Je le prends tel qu’il est. — 2° Kia homo li estas ? Quel homme est-ce ? (Quelle espèce d’homme ?) — Kiajn plumojn vi volas ? Quelles plumes voulez-vous ? (Quelle espèce de plumes ?) — Kiaj estas la kondiĉoj ? Quelles sont les conditions ? (Quelle en est l’espèce, la nature, la qualité ?) — 3° Kia bela infano ! Quel bel enfant ! — Kia brulado ! Quel incendie !

Kiu signifie qui, quel, lequel, mais sans idée de qualité aucune. C’est le pronom-adjectif à la fois relatif et interrogatif de l’Esperanto. Avec lui on établit une distinction entre plusieurs individus ou plusieurs choses. L’idée porte donc sur l’individualité et non sur la qualité.

Exemples. — La homo, kiun mi vidas. L’homme que je vois. — Kiuj infanoj venas tie ? Quels enfants viennent là-bas ? — Kiu estas apud mi ? Qui est près de moi ? — Jen estas du libroj : kiun vi volas, tiun ĉi aŭ tiun ? Voici deux livres : lequel voulez-vous, celui-ci ou celui-là ?

Mais je dirais avec kia : Vi volas plumojn, sed kiajn ? Vous voulez des plumes, mais quelle sorte de plumes ? Ici, en effet, l’idée porte bien sur l’espèce, sur la qualité des plumes.

Je dirais de même : Mi ne scias kian prepozicion preni. Je ne sais quelle préposition prendre (c’est-à-dire quelle sorte, quelle espèce de préposition).

Par contre j’emploierais kiu dans : El tiuj du prepozicioj, mi ne scias kiun elekti. De ces deux prépositions, je ne sais laquelle prendre (car ici on vise non pas l’espèce ou la qualité, mais l’individualité).

(Voir à la page 76 dans la liste des conjonctions la remarque sur ke.)

Les indéfinis io, kio, lio, ĉio, nenio ne peuvent, en vertu de leur sens, prendre le signe du pluriel. Ils ne reçoivent que l’n accusatif, s’il y a lieu.

Exemples. — Mi volas ion diri al vi. Je veux vous dire quelque chose. — Tio, kion vi faras, estas mallaŭdinda. Ce que vous faites est blâmable. — Donu al mi ĉion. Donnez-moi tout. — Per kio tio ĉi vin interesas ? En quoi ceci vous intéresse-t-il ? — Nenion pli belan mi vidis. Je (n’)ai rien vu (de) plus beau.

Les mots ies (à une personne quelconque), kies (de qui, dont), nenies (à personne) sont par nature invariables.

Exemples. — Ĉu estas ies tiu ĉi ĉapelo ? Ce chapeau est-il à quelqu’un ? — Kies estas tiu ĉi papero ? À qui est ce papier ? Nenies. À personne. — La persono, kies portreton vi rigardas. La personne dont vous regardez le portrait. — La infanoj kies vestoj estas makulitaj. Les enfants dont les vêtements sont tachés. — Mia frato, per kies helpo ni... Mon frère, par l’aide de qui (ou duquel) nous…

On ne met pas l’article après kies parce que ce mot le contient implicitement et veut dire par lui-même dont le, dont la, dont les ; c’est le whose anglais.

En résumé, grâce à l’absence du genre, l’Esperanto a supprimé de sa grammaire les innombrables règles de beaucoup de langues pour la formation du féminin dans les adjectifs. Tout le changement qu’il leur fait subir est calqué sur celui des noms : j pour le pluriel, n pour l’accusatif, quand il y a lieu. Ce double principe étant applicable aux participes-adjectifs, comme nous l’avons vu, il en résulte que l’Esperanto ignore totalement les complications et les subtilités si nombreuses et si gênantes de nos bienheureux participes français. S’il ne laisse pas son adjectif tout à fait invariable comme l’anglais, c’est qu’il lui eût fallu pour cela établir deux règles où une seule suffisait : une pour l’adjectif seul, une autre pour l’adjectif accompagnant un nom ou un pronom. Mieux valait un seul principe invariable.

N.B. — On verra au paragraphe des adverbes le cas où l’adjectif français doit être rendu par l’adverbe en Esperanto.


DEGRÉS DE COMPARAISON

Le comparatif de supériorité se forme à l’aide des mots pli (plus), et ol (que).

Exemples. — Pli blanka ol la neĝo. Plus blanc que la neige. — Li estas pli forta ol mi. Il est plus fort que moi.

Pour savoir si le nom ou le pronom qui suivent ol doivent rester au nominatif ou prendre l’n accusatif, il faut compléter la phrase. Ainsi, dans les deux précédentes, neĝo et mi doivent sûrement rester au nominatif, car si je complète, j’obtiens : plus blanc que la neige n’est blanche — plus fort que je ne suis fort, phrases dans lesquelles neige et je (moi) sont évidemment sujets. Mais il est des cas où, en complétant la phrase, on trouverait que le nom ou le pronom qui suivent ol sont compléments directs. Alors, naturellement, on les mettrait à l’accusatif.

Le comparatif d’infériorité se forme à l’aide des mots malpli (moins) et ol (que).

Exemple. — Li eslas malpli riĉa ol sia amiko. Il est moins riche que son ami. Avec ce comparatif il peut arriver aussi que le nom ou le pronom qui suivent ol doivent se mettre à l’accusatif. Il faut donc s’assurer du cas à employer, en complétant la phrase.

Le comparatif d’égalité se forme à l’aide des mots tiel (tellement, ainsi) et kiel (comme).

Exemples. — Li estas tiel bona kiel vi. Il est aussi bon que vous. — Eble mi estas trompata, sed mi vidas lin tiel ruĝan kiel vin. Peut-être me trompé-je, mais je le vois aussi rouge que vous (que je vous vois rouge). — Eble mi estas trompata, sed mi vidas lin tiel ruĝan kiel vi. Peut-être me trompé-je, mais je le vois aussi rouge que vous (le voyez rouge). Ces deux dernières phrases montrent bien la nécessité de chercher soigneusement, selon l’idée à rendre, si le nom ou le pronom qui suivent le que du français doivent être mis au nominatif ou à l’accusatif. Elles sont de plus un nouvel exemple de l’utilité de l’accusatif en Esperanto.

Le superlatif de supériorité se forme à l’aide des mots plej (le plus) et el (d’entre).

Exemples. — Mi havas la plej belan libron el ĉiuj. J’ai le plus beau livre de tous. — Li estas la plej bona homo el la mondo. C’est le meilleur homme du monde.

Le superlatif d’infériorité se forme à l’aide des mots malplej (le moins) et el (d’entre).

Exemples. — La malplej granda el ni. Le moins grand de nous. — Li havas la malplej dikan. Il a la moins grosse.

Le superlatif absolu se rend par tre (très).

Exemple. — Ili estas tre malriĉoj. Ils sont très pauvres.