Commentaire de la logique d’Aristote/6
Librairie Louis Vivès (5p. 199-202).
◄  5
7  ►

TRAITÉ VL De ubi.

Chapitre I : Du prédicament Ubi, ce que c’est formellement, et en quoi il se trouve subjectivement. modifier

Ubi est la circonscription d’un corps provenant de la circonscription de lieu. Pour comprendre cette définition et ce que c’est que ubi, il faut savoir que le lieu est la surface d’un corps contenant immobile; or une chose peut être dans un lieu de deux manières, à savoir, définitivement et descriptivement. Des choses sont définitivement dans un lieu quand, sans être douées de vastes dimensions, ni par elles- mêmes, ni par accident, elles ne se trouvent pas néanmoins partout, mais sont dans une partie du monde, de telle sorte qu’elles ne sont pas dans une autre, comme les anges et les âmes séparées, d’où l’on dit qu’elles sont dans un lieu définitivement, c’est-à-dire déterminativement, parce qu’elles ont une position tellement déterminée dans une partie du monde, qu’elles ne sont pas alors dans une autre partie, et par rapport à elles on ne peut pas dire proprement de ubi qu’il est in, parce que les choses qui sont en ubi sont contenues dans un lieu. Mais ces choses contiennent bien plutôt le lieu qu’elles ne sont conte nues dans le lieu, elles ne sont donc pas proprement dans ubi. On dit de toutes les choses qui ont une dimension qu’elles sont circonscriptivement dans un lieu. Ne disons rien pour le moment de la manière dont la dernière sphère est dans le lieu. Il résulte de là que la quantité qui rend formellement subjective la matière étendue, la constitue en un lieu comme cause efficiente; c’est pourquoi un corps localisé par sa surface touche la surface du corps qui contient, et comme la sur face du corps localisé est déterminée, il en est de même de la surfa du lieu contenant. Or on peut considérer sous deux rapports la sur face du corps qui renferme; premièrement, comme étant dans le corps contenant et le dénommant, telle la quantité; secondement, comme dénommant le corps localisé, et elle constitue, ainsi le prédicament ubi qui n’est réellement autre chose que le lieu en tant qu’affectant la chose localisée d’une dénomination extrinsèque, comme on dit citoyen de cité, Praguéen de Prague. Ou suivant la seconde opinion, le prédicament ubi est un rapport du lieu qui circonscrit la chose localisée. On voit par ce qui précède que le mouvement local n’est pas dans un lieu comme tel, mais il est dans le prédicament ubi; or le mouvement se trouve subjectivement dans ce qui est mù, c’est-à-dire dans ce qui est mobile. On dit que le mouvement est dans le genre de la forme qui s’acquiert par le mouvement, laquelle est le terme du mouvement; mais le lieu ne se meut pas, puisqu’il est le ferme du contenant immobile, tandis que la chose localisée se meut. Or le lieu comme tel n’est pas la forme qui s’acquiert dans la chose localisée, mais bien la forme du contenant. Rien ne s’acquiert donc dans la chose mobile, si ce n’est ubi, qui est le rapport du lieu à la chose localisée, comme la circonscrivant. Ou bien c’est la domination supposant le susdit rapport dans la première opinion. Or ce rapport se trouve terminativement dans la chose localisée, suivant l’extension du lieu dont il est le rapport, de même que le fondement s’acquiert dans la chose tendant vers des ubi successifs, jusqu’au terme du mouvement. On voit par là que dans les autres espèces du mouvement dans le mobile lui-même, il s’acquiert une forme intrinsèque. Car dans l’altération qui se fait du froid à la chaleur, la chaleur, qui est la forme intrinsèque inhérente à l’objet échauffé, se trouve acquise. Dans l’augmentation et la décroissance, il s’acquiert une certaine quantité qui est aussi la forme intrinsèque inhérente; mais dans le mouvement local, ce qui s’acquiert, c’est ubi qui dénomme extrinsèquement. Ou bien, suivant la seconde opinion, c’est un rapport extrinsèque fondé sur le contenant et terminé dans la chose localisée, comme il a été dit. On comprend donc la définition de ubi, c’est-à-dire que C’est la circonscription d’un corps, ou la dénomination d’un corps localisé circonscrit, provenant de la circonscription du lieu, c’est-à-dire du lieu qui circonscrit. Ou suivant la seconde opinion, c’est la circonscription d’un corps localisé, c’est-à-dire le rap port terminé dans un corps circonscrit, provenant de la circonscription du lieu, ou fondé dans le lieu, comme circonscrivant la chose localisée.

Chapitre II : Ubi ne reçoit ni le plus ni le moins, il n’a pas la contrariété, et se trouve dans le corps terminé par une surface. modifier

Ubi ne reçoit ni le plus, ni le moins, ni la contrariété. Car, ainsi que nous l’avons dit, ubi n’est autre chose que le lieu comme dénommant la chose localisée qu’il circonscrit. Ou bien, suivant la seconde opinion, c’est un rapport extrinsèque fondé dans le lieu qui circonscrit, et terminé dans la chose localisée. Ce rapport n’ajoute rien de réel au fondement, si ce n’est le terme ad quem, comme il a été dit plus haut au sujet de la relation. C’est pourquoi il ne signifie rien de différent du lieu. Mais le lieu ne reçoit ni le pins, ni le moins, et il n’y a rien de contraire au lieu, comme on l’a dit. Donc ubi ne reçoit ni le plus, ni le moins, ni la contrariété. Or le propre de ubi, c’est d’être dans tout corps terminé ou dénominativement, ou dans la 3econde opinion terminativement, bien qu’il y ait dans un corps cer tains autres accidents, comme la chaleur, la douceur, etc., et que cer tains rapports se terminent au corps, comme l’égalité et l’inégalité, néanmoins ils ne conviennent pas au corps aussi proprement qu’à ubi; car le corps est ce qui est limité par une surface- ou par des sur faces, et c’est là la nature du corps en tant que corps. Mais comme la nature a horreur du vide, il faut nécessairement qu’elle s’adjoigne immédiatement une autre superficie qui, comme immobile, est appelée lieu et le circonscrit, c’est ubi. C’est pourquoi ubi est propre ment dans le corps, parce qu’il suit immédiatement le corps comme tel. Je dis que le propre de ubi est d’être dans tout corps, ajoutez et non dans une autre chose, parce qu’il n’est pas dû de lieu à l’indivisible comme tel. Si, en effet, le lieu est une quantité continue, il doit être indivisible. Or la chose localisée et le lieu sont dans un rapport adéquat, d’où il résulte que si quelque indivisible était lieu, il s’en- suivrait que ce lieu serait indivisible. Remarquez qu’on peut prendre l’indivisible sous deux rapports. D’abord mathématiquement, et sous ce rapport le point seul est indivisible, et, comme il a été dit, il ne lui est pas proprement- dû de lieu. En second lieu, l’indivisible se prend naturellement, car on peut arriver à la plus petite parcelle de chair, laquelle étant divisée, il n’y aura plus de chair. Néanmoins cet indivisible est étendu, tandis que le point ne l’est pas, et rien n’empêche que cette sorte d’indivisible soit dans un lieu; il admet donc ubi. Je dis aussi que ubi est dans un corps terminé; si, en effet, il y avait un corps infini, comme les anciens philosophes supposaient qu’il y en avait un hors du ciel, ce corps ne serait pas dans ubi. Tel est ce qui concerne ubi.