Comment nous ferons la Révolution/Préface

AUX LECTEURS

Au baptême, notre volume a changé de nom. La faute en est à notre éditeur qui, en présentant sa couverture aux encres d’imprimerie, — qui sont les fonts baptismaux du Livre, — l’a saboté sans vergogne.

N’étant pas d’humeur acariâtre, nous ne lui en avons pas tenu rancune… et nous plaidons sa cause près de vous ; comme nous, vous amnistierez notre éditeur.

Et pourtant, le sabotage est patent !

Aux lieu et place du titre anachronique qui s’étale sur la couverture devait, en trois lignes, flamboyer :

COMMENT
NOUS AVONS FAIT
LA RÉVOLUTION

Tel est l’intitulé que devait arborer notre bouquin.

Car, vous le savez tous, la Révolution est accomplie !… Le capitalisme est mort.

Longtemps, la Camarde guetta la vieille société. L’agonie fut dure. La bête ne voulait pas mourir. Et cependant, le diable sait combien elle était malade !… Enfin, sa dernière heure sonna.

L’événement était escompté depuis tant et tant que la classe ouvrière, qui attendait l’héritage, n’a pas été prise au dépourvu. C’est que, au préalable, il s’était opéré en elle un travail de gestation et de réflexion qui, le moment psychologique venu, lui a permis de triompher des difficultés : petit à petit, elle avait acquis la capacité sociale, s’était rendue apte à gérer ses affaires, sans intermédiaires, ni prête-noms.

La classe ouvrière avait fait sien le mot que Sieyès appliquait, à la fin du dix-huitième siècle, au Tiers-État, et, lasse de n’être rien, elle voulait être tout !

Se dressant en opposition à la classe bourgeoise, elle se proclamait en insurrection permanente contre elle et se préparait à lui succéder. Dans les lézardes des institutions capitalistes, elle déposait les germes des institutions nouvelles et, vivifiée par le concept de grève générale, elle se familiarisait avec l’œuvre d’expropriation qu’elle affirmait nécessaire et fatale.

Déjà, dès 1902, la Confédération générale du Travail avait procédé à une enquête qui disait les intentions du Prolétariat:

Elle avait appelé l’attention des syndicats sur ce qu’ils auraient à faire, au cas de grève générale triomphante. Elle leur demandait d’examiner comment ils procéderaient pour se transformer de groupements de lutte en groupements de production ? Comment ils effectueraient la prise de possession de l’outillage et quelle conception ils avaient de la réorganisation des usines et des ateliers ? Quels rôles ils pensaient que joueraient, dans la société réorganisée, les fédérations corporatives et les Bourses du travail ? Sur quelles bases ils prévoyaient que s’opérerait la répartition des produits ?

C’était tout le problème social posé en points d’interrogations.

Cette enquête ne fut d’ailleurs pas l’unique symptôme des préoccupations qui, de plus en plus, absorbaient la classe ouvrière. Le « Que faire au lendemain de la Grève Générale ? » tournait à l’obsession, s’incrustait dans les cerveaux, s’y condensait et s’y clarifiait.

Et c’est pourquoi, lorsqu’éclata la grande tourmente révolutionnaire, les masses populaires ne furent pas ignorantes et désemparées. C’est pourquoi, après avoir combattu, après avoir démoli, elles surent réédifier !

Ce fut une période d’enthousiasme magnifique. Les plus froids, les plus inconscients étaient secoués, réchauffés.

Ah ! les grandes et belles journées de tumulte et de fièvre ! Tragiques elles furent à vivre… douces elles sont au souvenir.

Ce qu’a été cette Révolution, — la plus grande et la plus profonde qui se soit encore accomplie, — nous allons le dire.

Nous allons évoquer et revivre cette période formidable et sublime. Nous allons assister à l’enfantement d’un monde.


ÉMILE PATAUD.
ÉMILE POUGET.