Chapitre XXIV

L’ÉDUCATION


Les instituteurs, dont les groupements participaient depuis longtemps à la vie syndicale, qui, des premiers, avaient proclamé la nécessité de libérer l’enseignement de la tutelle étatiste, de le réorganiser sur des bases corporatives, avec entière autonomie, furent parmi les plus chauds partisans de la révolution. Seulement, tout en participant individuellement et selon leur tempérament à l’insurrection, ils ne prirent pas prétexte de la grève générale pour suspendre leurs classes. Ils se dirent que la grève des écoles gênerait plus les parents que le gouvernement et ils restèrent en fonctions, pensant être plus utiles à la cause du peuple en veillant sur ses enfants. Les élèves purent donc continuer à fréquenter l’école… jusqu’au moment où, gagnés par l’exemple de l’entourage, ils firent à leur tour la grève générale, — l’école buissonnière.

La phase de bataille terminée, quand vint la période triomphante, la fédération des syndicats d’instituteurs convoqua un congrès pour discuter des méthodes d’éducation et jeter les bases d’un enseignement rationnel, en concordance avec la transformation sociale accomplie.

L’ancienne classification en enseignement primaire, secondaire, supérieur, qui parquait les fils du peuple dans la « laïque » et réservait les lycées et les collèges pour les fils de la bourgeoisie n’était plus admissible. Le système des bourses qui, dans la société capitaliste, tempérait l’arbitraire de cette classification, rendait un hypocrite hommage à l’égalité, et permettait à quelques fils du peuple de sauter dans l’école bourgeoise, ne faisait que souligner mieux l’odieux de cette démarcation. Cet enseignement cloisonné, conforme à une société d’exploitation, puisqu’il distribuait le savoir à des doses différentes, suivant que les enfants étaient destinés à commander ou à obéir, à faire travailler les autres ou à trimer eux-mêmes, n’avait plus raison d’exister dans un milieu de liberté et d’égalité.


Le travail du Congrès fut double : procéder à la refonte corporative du corps enseignant, et élucider et définir ce que devait être l’enseignement nouveau.

Sur ce second point, le Congrès, auquel participèrent. non seulement les délégués des syndicats d’instituteurs, mais aussi de toutes les associations de l’enseignement, tant des écoles normales, que de l’enseignement secondaire et supérieur, eut davantage le caractère d’une enquête approfondie sur l’éducation, que celui d’un congrès proprement dit. Tous ceux qui eurent sur la question une idée à soumettre ou un projet à exposer, purent s’y faire entendre, — donner leur avis, apporter leurs lumières.

On se préoccupa d’abord de la refonte corporative, pour en modifier les rouages et le mécanisme ; on élimina les inutilités et les superfétations, et, ici comme partout, on substitua la vivifiante autonomie à l’autoritarisme étouffant.

Après ce préliminaire remaniement professionnel, — qui était d’ailleurs intimement lié à celui de l’enseignement, — les grandes lignes de celui-ci furent définies :

Les deux enseignements, primaire et secondaire, seraient fondus en un seul, — rationnel et intégral. Tous les enfants, quelles que soient leurs aptitudes ou leurs capacités, puiseraient à la source commune du savoir, — leur développement ultérieur, pour divergent qu’il fût, ne pouvant être que le résultat d’une plus ou moins grande aptitude à apprendre, à s’assimiler les connaissances humaines.

Le corollaire de ces prémisses fut le respect absolu des droits de l’enfant, — de l’homme de demain. L’enfant fut considéré comme un être foncièrement libre et indépendant, — mais en voie de développement, — et il ne fut reconnu à personne, ni à un individu, ni à un groupe, le droit de pétrir son cerveau, de lui inculquer telles manières de voir et de penser, plutôt que telles autres.

Les droits des parents sur le cerveau de l’enfant furent niés, proclamés tyranniques et arbitraires. On ne voulut pas plus leur reconnaître le droit de lui pétrir le cerveau à leur guise, que celui de lui dévier la colonne vertébrale. Les prétentions de même ordre que pourraient vouloir s’arroger sur l’enfant ses éducateurs, furent condamnées aussi catégoriquement.

Cette notion, qui posait à la base la souveraineté de l’être humain, et déclarait qu’on devait le respecter, dans son germe et dans sa fleur, allait être la pierre angulaire de l’éducation distribuée à tous avec une égale largesse.

Faire des hommes ! harmoniquement développés, — physiquement, intellectuellement et moralement, — et, par cela même, aptes à porter leur activité au maximum, dans la direction de leur choix. Tel fut le but !

La culture physique fut le point initial de la méthode d’instruction préconisée, — car il fut admis que le développement intellectuel est en rapport avec l’activité physique. Pour les notions élémentaires, et aussi pour l’arithmétique, la géométrie, les sciences naturelles, l’enseignement fut rendu aussi concret, aussi pratique que possible. Pour ces diverses branches du savoir, nulle fausse orientation n’était à redouter. La difficulté commençait avec l’étude de l’histoire : il fut recommandé aux éducateurs d’exposer les faits historiques avec la préoccupation, non de faire partager leur conception à leurs élèves, mais avec celle de les mettre en mesure d’apprécier et de juger, — de se former une opinion qui émane bien d’eux et qui ne soit pas un reflet de la personnalité du maître. Celui-ci devait donc viser à provoquer l’éveil des jeunes intelligences, non en fatiguant leur mémoire, mais grâce à une gymnastique pédagogique, basée sur l ’expérience, sur les faits et leur explication.

La meilleure des instructions allait consister à donner à l’enfant des notions solides, exactes, et surtout, à lui inculquer si fortement le goût du savoir que cette passion l’étreigne toute sa vie.


Au jeune homme, dont le développement individuel aurait été préparé par cette éducation qu’on pourrait qualifier de « primaire » serait laissé le choix de l’enseignement « secondaire » qu’il lui agréerait de recevoir. Cet enseignement théorique, large, profond, ne rappellerait que très vaguement l’enseignement des anciens lycées. Loin d’être un enseignement « mort », il serait, au contraire, très vivant : les sciences y tiendraient le premier rang et, à l’enseignement général serait jointe une instruction professionnelle, — pratique, technique, mais non spécialisée. Les besoins sociaux n’étant plus les mêmes qu’en période capitaliste, on ne se préoccuperait pas, dans ces écoles, de faire éclore des magistrats, des notaires, — et autres spécimens des espèces malfaisantes disparues, — mais de faire des hommes industrieux, à l’intelligence ouverte, au savoir judicieux, et capables d’être utiles à eux-mêmes et à leurs semblables.


De là, le jeune homme pourrait, à son gré, aller faire un stage dans les écoles d’enseignement technique, d’industrie, de métiers, d’agriculture, — qui, déjà, existaient à l’état embryonnaire dans la société bourgeoise.

Ces collèges techniques sortaient du cadre de l’enseignement proprement dit. Là, s’achèverait ce qu’autrefois on appelait l’apprentissage. Ces collèges allaient être le trait d’union entre les écoles et la vie de production. En continuant la comparaison avec la vieille classification, ils se pourraient comparer aux écoles d’enseignement supérieur. Pour l’industrie, l’agriculture, les sciences, ils équivaudraient à ce qu’étaient anciennement les facultés de droit, de sciences et de lettres pour les professions libérales ; ils équivaudraient aussi aux nouvelles écoles de médecine, de chirurgie, de pharmacie.

Ces collèges techniques allaient être une émanation des fédérations corporatives ; les collèges de médecine, de pharmacie, relevant du corps médical ou pharmaceutique ; ceux d’agriculture, relevant de la fédération terrienne ; ceux du tissage, de la fédération du textile, — et ainsi des autres.


Il ne fut pas établi de distinction entre les garçons et les filles ; les deux sexes seraient élevés ensemble, dans les mêmes écoles, sur pied d’égalité. Non pas qu’on prétendit astreindre la femme aux mêmes travaux que l’homme, mais parce que la co-éducation était tenue pour la meilleure des préparations à la fusion morale des sexes.

Quand les fillettes deviendraient jeunes filles, elles feraient un stage dans les collèges spéciaux où seraient enseignés les métiers féminins, et où elles se prépareraient aux fonctions sociales, adéquates à leurs goûts.


L’enseignement intégral, dont nous venons d’esquisser les grandes lignes, fut l’œuvre du Congrès des syndicats d’instituteurs et de professeurs et sa coordination relevait de ces groupements, désormais fondus entre eux, unifiés. Cependant, à côté, sans qu’il soit porté atteinte à l’autonomie du corps enseignant, des associations de scolarité se formèrent, auxquelles s’affiliaient les parents qui s’intéressaient aux questions d’éducation. De concert avec les éducateurs, ces associations s’ingéniaient à embellir les écoles, à perfectionner les méthodes d’éducation.

Tandis que se mettait en œuvre, avec la collaboration de tous, cet enseignement profondément humain, autour des chaires des professeurs s’empressait la génération nouvelle, heureuse de vivre, avide de savoir. Elle n’avait pas les tares qui glaçaient autrefois les jeunes hommes : la sécheresse de cœur, les âpres envies de parvenir, de jouer des coudes au détriment des camarades, qui dans la vieille société étouffaient les sentiments généreux.

Cette jeune génération, ignorant les appréhensions du lendemain, n’étant pas étreinte par les angoisses de l’avenir, n’apercevant nul point noir à l’horizon, était toute vibrante et aimante, — saine et forte !