Comme la jeune vigne

Poèmes Premier et second carnets de poèmesmanuscrits autographes (p. 85-90).

XXVII


Comme la jeune vigne aux vieux frontons romains,
Mes brunes jeunes filles,
Sans soucis dans le cœur, entrelacez vos mains,
Dans les vertes charmilles ;

Bientôt, l’époux viendra, frêles roses d’un jour,
Au cœur facile et tendre,
Tout bas, il vous dira des mots secrets d’amour
Qu’il vous fera comprendre !

Comprendre ! — Il est très beau ! des enivrants exploits,
Son âme fut trempée ;
Il porte son pays, sa fortune et ses lois
Au bout de son épée !

La mort ! — ah ! si vraiment, vous redoutiez la mort

Mes brunes jeunes filles,
Dites, n’auriez-vous pas quelque secret remords
Sous les vertes charmilles ?

Lorsque tout reposait, et reposait sans bruit,
À l’ombre de la terre
Qu’on n’entendait plus rien dans cette douce nuit
Profonde et solitaire,

Et que vous soupiriez tendrement et bien bas
Aux regards de la lune,
On entendit bientôt un léger bruit de pas,
Et l’on vit de vous l’une,

L’une, dont les grands yeux sont noirs, et le sein blanc
Comme la blanche neige,
Aller, puis revenir, et reprendre en tremblant
Son amoureux manège,

Puis, elle disparut ! — Qui pourrait retenir
Mes brunes jeunes filles !
Mais pourquoi vous laisser seules, sans revenir
Sous les vertes charmilles ?


Pourquoi ? Vous ne savez ! — On vous vit doucement
Disparaître comme elle,
Et seul, on entendit appeler son amant
La triste Philomèle !

Le Silence revint à l’heure de minuit,
Aux regards de la lune,
Sous l’azur étoilé, bleu manteau de la nuit,
Il n’en resta pas une !

Pas une ! Où fûtes-vous ? Pour l’amoureux transport,
Il est un beau jeune homme,
On oublie en ses bras et la vie et la mort,
En tremblant, on le nomme !

Pas une ! — Où fûtes-vous ? Et la danse, et les ris
Et les vins de l’Espagne
Ne vous retiendraient pas, car vous avez compris,
Qu’auprès, sur la montagne,

À l’heure, où les amours volent en souriant,
Et de leurs chaudes ailes
Rasent l’âme qui va pleurant, hélas ! priant

Aux modestes chapelles,

À l’heure où pour l’ivresse, et ses nobles ardeurs
Le cœur s’apprête et s’ouvre
Et sous un voile aimé, fatigue, maux, douleur,
Les enferme et les couvre !

Il est un noble époux qui ne peut apaiser
Sa vive impatience,
Et qui veut, près de vous, dans un lascif baiser
Mourir de jouissance !

On dit, et je ne sais le mot de l’avenir
Qui pèse sur nos têtes,
Que notre dernière heure, hélas ! devra venir
Au milieu de nos fêtes,

Que nous devrons quitter, au sein de nos plaisirs
Nos joyeuses amies
Qu’il nous faudra changer en plaintes nos soupirs,
Voir pleurer nos orgies !

L’Océan infini couvre et recouvre tout

De ses ondes immenses
Et cache dans son sein large, écumeux à bout
De terribles démences !

Avec vous aux yeux noirs, vous mes brunes houris
Pour votre flanc qui ploie,
Le tendre enchaînement de vos jeux et vos ris
Où notre âme se noie,

Sans rien craindre du ciel, rien craindre de l’enfer.
Le blasphème à la bouche
Excite, déchirant dans mes transports de fer
Les draps blancs de ta couche,

Mon cœur contre ton cœur, mes bras entrelacés
Sur ton sein que je presse,
Ma lèvre sur ta lèvre, et n’ayant pas assez
D’ivresse dans l’ivresse,

Moquant, bafouant Dieu, ses indignes terreurs,
Bafouant Satan même
Entassant nos deux horreurs avec horreurs,
Toi que j’aime et qui m’aime,


Nous nous embarquerions sur ce qui couvre tout
De ses ondes immenses,
L’océan qui contient, large, écumeuse, à bout
Tant de folles demences !

Et nous ririons toujours, et nous ririons encor
Aux brunes jeunes filles.
Quand on rit quand un songe aux terreurs de la mort,
Sous les vertes charmilles

Comme on rit, quand pressé de folles voluptés,
Que l’on te déshabille,
Amie, et que l’on se plonge en ces demi-clartés,
Qui font que ton sein brille,

Et nous mesurerions la mer et ses horreurs
Et ses bruyantes plaines,
Ma belle, comme si de terribles fureurs
Elles n’étaient pas pleines,

Comme si les Zéphirs, propices à nos vœux
Tendaient la voile heureuse,
Comme si ses éclairs n’embrasaient pas de feux
Sa vague hauteur rieuse.