Colonie française de Guazacoalco

MEXIQUEColonie française du Guazacoalco. — Les renseignemens suivans sur la colonie française, qui va se former sur les bords du Guazacoalco, au Mexique, dans les concessions faites par cette république à M. Laisné de Villevêque, sont extraits d’une lettre adressée à ce député par M. l’abbé Baradère, qui est arrivé récemment de ce pays, où il a séjourné quelque temps.

« Avant d’indiquer les terres destinées aux cultures, divers commissaires furent envoyés dans toutes les directions afin d’examiner cette vaste contrée. Tous les rapports ont désigné le Guazacoalco comme le point le plus fertile, le plus sain et le plus heureusement situé pour l’avantage commercial. Le fleuve réunira un jour les deux Océans, et ses nombreux affluens peuvent recevoir les produits de Guatimala et des plus riches états du Mexique. Fernand Cortès avait connu toute l’importance du Guazacoalco, en fondant la ville de Spiritu-Santo, à quatre lieues de la barre, et en se faisant accorder pour son compte particulier, des terres considérables sur l’autre versant des Cordillières, au milieu de l’isthme.

« Le gouvernement mexicain a voulu donner une récompense nationale à plusieurs de ses généraux. Deux, trois et quatre lieues de terres ont été accordées à chacun d’eux ; Guerrero, Victoria, Santa-Anna, Barraga et Bravo sont en tête de la liste, et tous ont obtenu leurs terres en face de la concession française, dont ils ne sont séparés que par le fleuve. C’est la prospérité de la colonie française qui doit leur donner de la valeur.

« La lecture de divers rapports sur le Guazacoalco, continue M. Baradère, et ceux que me donna verbalement M. Llabe, sénateur et naturaliste distingué, me firent concevoir le projet de visiter moi-même une contrée qui devait recevoir mes compatriotes. Après avoir parcouru la province de la Puebla et l’état de la Véra-Cruz, j’arrivai par terre à Minotitlan, village bâti sur le fleuve en l’honneur du fameux Mina ; le lieu est bien choisi, puisqu’il sert de communication avec Acayucan, chef-lieu de département, et avec tout le pays jusqu’à la Véra-Cruz. Ce village peut être regardé comme l’entrepôt du Guazacoalco : déjà plusieurs négocians américains y sont établis. M. Waldevin y possède une scierie, où il emploie une dixaine d’ouvriers de sa nation, et envoie ses planches d’acajou et autres bois précieux à la Nouvelle-Orléans, où elles se vendent très-bien, et qu’un brick vient prendre au chantier. Il s’occupe en outre de la culture des terres qu’il a achetées à un de ses voisins. La population de Minotitlan est d’environ 300 personnes ; le gouvernement mexicain y a fait bâtir une chapelle et trois maisons pour servir de logement aux colons nouvellement arrivés. Quatre autres villages sont échelonnés sur le fleuve, à une journée de distance les uns des autres, afin d’offrir au voyageur les moyens de transport nécessaires pour descendre ou remonter le fleuve. On trouve dans ces villages de la volaille, des œufs, du pain de maïs, des bananes et du gibier en abondance.

« Minotitlan est à six lieues de la mer, en ligne directe, et à dix lieues en descendant le fleuve. Non loin de là se trouvent les ruines de la ville de Spiritu-Santo fondée à l’embouchure de l’Uspanapa, par Fernand Cortès, et détruite plus tard par les Anglais. Elle était destinée jadis à devenir l’entrepôt du commerce des deux mondes. Le Guazacoalco est en général bien encaissé ; à son embouchure il paraît encore plus resserré : aussi la barre est très-bonne et le canal ne change jamais de place. On n’a pas besoin de pilote pour entrer ni sortir ; les brisans des deux côtés indiquent la route à suivre. Le commodore Porter, commandant l’escadre mexicaine, a reconnu une partie de la côte, et sondé la barre. Son travail, envoyé à Mexico, nous fut communiqué par M. Pedraza, alors ministre de la guerre ; d’après M. Porter, la barre dans les plus basses eaux, a seize pieds ; les hautes marées lui donnent quatre pieds en sus. Les bâtimens calant dix pieds peuvent remonter à Minotitlan : de Minotitlan à la concession, on trouve généralement six pieds d’eau : la marée remonte quinze lieues environ.

« Le Guazacoalco est un fleuve dont le cours, sans être trop rapide, l’est cependant assez pour la fertilité des terres qui sont en général fort hautes. Celles qui sont sujettes aux inondations, s’élèvent insensiblement sur les deux rives, de sorte que les eaux ne s’étendent jamais à de grandes distances, et rentrent dans leur lit dès que le fleuve baisse. Les accidens du terrain forment, dans quelques endroits, des mares dont le voisinage serait malsain ; mais cela a lieu dans tous les pays du monde ; encore ces inconvéniens n’arrivent qu’au bas du fleuve grossi par l’Uspanapa très-fort lui-même.

« Depuis la barre jusqu’aux Cordillières, le pays s’élève insensiblement, de sorte que la température de Minotitlan diffère de quatre degrés de celle de la barre, et progressivement jusqu’aux Cordillières Je ne crois pas me tromper en disant qu’il y a de douze à quinze degrés de différence de la température de la barre à celle de la concession. La même disparité a lieu entre Véra-Cruz et Jalappa, qui n’est qu’à quinze lieues de cette dernière ville, et qui jouit d’une température délicieuse et constante.

« Le Guazacoalco est un fleuve très-poissonneux et ses bords sont remplis de tortues dont les œufs sont bons à manger. Une quantité prodigieuse de canards sauvages de diverses espèces, des oies, des poules d’eau et autres oiseaux aquatiques le parcourent dans tous les sens, et offrent au voyageur une ressource assurée et abondante. Le Guazacoalco renferme aussi des crocodiles ; l’espèce en est plus petite que celle qu’on trouve au Sénégal et dans la Gambie. L’enveloppe des crocodile du Guazacoalco ne résiste point aux balles ; aussi sont-ils plus timides ; ils n’attaquent point l’homme, et on n’a point à craindre, comme en Afrique, l’amputation d’un bras qu’on laisse pendre en dehors de la pirogue. Il nous est plusieurs fois arrivé d’en trouver sur le bord du fleuve, blottis dans l’herbe, et se roulant à notre aspect, dans l’eau, sans faire mine d’attaque.

« À droite et à gauche du fleuve, le terrain est tour à tour boisé et découvert, si l’on peut appeler découvertes des plaines où l’herbe est à la hauteur de dix pieds.

« Ces plaines n’ont jamais plus d’une lieue carrée, et se succèdent à droite et à gauche du Guazacoalco. Le reste du pays n’est qu’une vaste forêt de cèdres, acajous, de bois de teinture, de poivriers, d’ébéniers, et d’autres bois précieux. Les orangers, limoniers, bananiers, citroniers, palmiers, cacaotiers, etc., etc., se trouvent aussi mêlés et confondus dans les forêts. Le cèdre, l’acajou, le chêne et le sapin qui est très-commun à l’extrémité de la concession, sont de grandeur colossale. Ils servaient jadis, dans les chantiers de la Havane, à la construction des vaisseaux de haut bord, et aujourd’hui les Indiens construisent sur le Guazacoalco des pirogues en acajou, et d’une seule pièce, de cinq pieds de largeur sur cinquante de longueur. Ces forêts vierges contiennent des milliers de sangliers, de cochons marons, de cerfs, gazelles, lièvres, faisans, poules sauvages et quantité d’oiseaux charmans. Mais à côté de ces animaux inoffensifs, se trouvent aussi quelques animaux destructeurs, tel que le tigre ; du reste, jusqu’ici l’homme n’a pas eu à se plaindre de sa griffe ; tout ce qu’on a à lui reprocher c’est l’enlèvement de quelques poules qui allaient fourrager dans les bois, et se perchaient la nuit sur des arbres. Cependant depuis qu’on y emploie des chiens, et que le mouvement et le bruit ont troublé le silence des forêts, cet animal a disparu. »

M. Baradère ne pense pas que les serpens ou les moustiques puissent être un obstacle à la prospérité de la colonie, ainsi que des personnes ont paru le croire. Pendant les quatre mois que ce voyageur a passés dans le pays, il n’a jamais vu un seul serpent ni entendu dire aux européens qui l’habitaient depuis plusieurs années qu’ils en eussent jamais rencontré. Quant aux moustiques, il assure que la concession, étant fort élevée au dessus du niveau de la mer et sans cesse exposée à un air vif et raréfié, n’en est point incommodée, et que d’ailleurs les insectes disparaîtront à mesure que le terrain sera dégarni de bois et livré à la culture.

« Le sol de la concession est formé du détritus de mille générations d’arbres : la terre végétale y a une épaisseur de près de vingt pieds. Elle est noire comme du terreau et favorable à toutes sortes de productions tant indigènes qu’exotiques. Le maïs peut produire jusqu’à quatre récoltes par an ; le riz, on le recueille deux fois. Dans quarante-cinq jours on peut avoir des haricots, la canne à sucre y est en végétation constante ; le café croît promptement et magnifique ; le cacao n’a besoin que d’être recueilli dans les bois, comme la vanille et le poivre ; le coton est très-abondant dans les villages qui le cultivent, et d’une finesse extrême. Le tabac, qui est une des plantes les plus productives, y prospère volontiers ; l’indigo de même ; les oranges, les cédras, les bananes, les patates, les ananas, n’exigent aucun soin pour s’y multiplier : la vigne et l’olivier y réussiront aussi, etc. Ajoutez à ces riches productions un ciel toujours enchanteur et un printemps continuel : dans cet heureux climat jamais l’arbre n’est dépouillé ; il reste toujours couvert de feuilles. Les pluies, fort rares dans certaines provinces du Mexique, ne manquent jamais au Guazacoalco ; le pic Saint-Martin attire les nuages, et, tous les quinze jours à peu près, on a de l’eau. Les Européens et les individus établis dans ce pays n’ont jamais connu les maladies des Antilles : l’élévation des terres, l’absence des grandes chaleurs et l’air pur qu’on y respire, en font une région aussi saine que Jalappa qui est à la même hauteur, et où jamais maladie endémique n’a existé, etc.… »

Baradère…