Colloque Sentimental entre Émile Zola et Fagus/XVII

Société libre d’édition des gens de lettres (p. 24).


XVII

FRAGMENT


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Car, tresser dextrement la phrase cadencée,

N’est rien ! le Poète a l’âme plus loin fixée,
Lui ; sous quelle livrée on fût étiqueté
Et sous quel grade au Régiment Société,
C’est toute âme au-dessus d’elle-même haussée :
Poète, c’est celui qui pense avec beauté,
Qui vit avec beauté, qui vit par sa pensée,

Et fût-il le plus pauvre des pauvres d’esprit !
Ô vous tous ! c’est ainsi que doit être compris
Le discours de Celui que fit Dieu sa grande âme ;
Le reste, c’est la foule : un pêle-mêle infâme,
Petits, grands, la marchandise humaine à bas prix,
Et qui selon le vent, insulte ou bien acclame,
Indigne de l’aumône même d’un mépris !

Le Poète n’a qu’une haine, haine immense :
La Bassesse ! et quand la multitude en démence
Effondre Justice et Bonté sous ses fureurs,
Quand tout tremble, et que les plus généreux ont peur,
Le Poète paraît, impose le silence
Aux appétits, et dans son génie et son cœur,
Lui, pour l’Éternité prononce la sentence !

12 mars 1898.