Colloque Sentimental entre Émile Zola et Fagus/CXVIII

Société libre d’édition des gens de lettres (p. 122-123).


CXVIII

PROVISOIRE ÉPILOGUE



J’ai l’air de répéter toujours la même chose…
C’est vrai : que voulez-vous ? je n’aime qu’une chose
Au monde : la Langue française ; en ça, je suis
Un patriote irréductible, je ne puis
Concevoir trahison plus grande envers la France
Que d’écrire un vilain français ! est-ce un maintien
Où je m’incruste par pose ? Oh, du tout ! ça vient
D’une très réelle et très cuisante souffrance :
Ah ! moi, — comme de bon cœur je vous donnerais
L’Alsace et la Lorraine pour un bon poète !
Et, je le jure, avec l’assurance complète,
Qu’à l’échange, c’est la France qui gagnerait !
Ce qui fait la force et la grandeur d’une race,
Ce n’a jamais été l’épée de ses bouchers
Mais sa Pensée, une phosphorescente trace
Dont elle imprégnera tout ce qu’elle a touché :
La Littérature est une chose sacrée ;
Le Verbe est Dieu ; le Verbe est la pensée ailée
Et le reste n’est rien que prostitution :
L’Artiste a pour irrésistible mission
D’incorporer dans leur embrassement superbe
La splendeur de l’Idée à la splendeur du Verbe

Et de faire jaillir de ce sublime hymène
La flamme où rallumer la mourante âme humaine.

Et si j’ai pour Zola tant de dilection,
C’est qu’il s’est, de par son héroïque action
Manifesté plus grand artiste et grand poète
Que dans toutes les œuvres grandes qu’il a faites,
Celles-ci fussent-elles plus grandes encor,
Je parle au nom, je sais, de ma génération,
Cette génération au cœur si haut, si fort,
Et que blasphème en vain l’incompréhension
De morts vivants plus desséchés que des vrais morts !

19 juin 98.

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