Colloque Sentimental entre Émile Zola et Fagus/CXVI

Société libre d’édition des gens de lettres (p. 119-120).


CXVI

SUR CLÉMENCEAU


 
Vous est-il arrivé de lire les Annales
Des Assemblées de la Troisième République ?
Je veux dire : Avez-vous essayé ? — Essayez ;
Allez à la Bibliothèque Nationale
Salle des Imprimés, faites-vous convoyer
Les Recueils des débats de nos Chambres publiques :
Je vous défie, entendez-vous, d’aller plus loin
Que la dixième page… ah ! que dis-je ? bien moins :
Dès le début on est suffoqué : la bassesse,
La nullité, mais nulle, nulle à vous donner
Le plus gros mal de cœur ! s’en dégorge à plein nez !
Rien auprès que les polémiques de la presse !
Et je n’évoquerai pas la comparaison
Avec la concierge ou l’épicier, car je jure
Que la concierge tout au moins de ma maison,
S’exprime — ah, certe ! — Avec plus de littérature
Que Monsieur Deschanel par exemple, tenez…
Ah, oui ! J’entends causer le soir dans sa boutique
Vergonjeanne, mon charbonnier à ses pratiques,
Dont un sergent de ville… eh bien, j’ose prôner
Qu’ils voient les choses d’une façon plus pratique
Et plus élevée à la fois que les trois quarts
Des acrobates fameux de la politique !

 
Exorbitait Clemenceau comme un monstre à part !
Il suggérait Bidel ; mais Bidel sans ses fauves,
Un Bidel exilé dans une basse-cour
Il détonait en tout et pour toutes les causes :
Il n’a jamais parlé pour faire des discours,
Quand il parlait, c’était pour dire quelque chose…
Enfin, c’était le seul de nos hommes d’État
Qui parlât en français : entends-tu, Gambetta ?
Surtout, c’est un homme de cœur et de courage :
Qu’allait-il faire là ? Compatissant et sage,
Peuple Souverain, et Presse libre ont vomi
Par dévouement patriote, cet Ennemi
Du Peuple dans la Littérature : — Il rend grâces
À eux tous, s’y sentant enfin à sa vraie place.


17 juin 1898.