Collection complète des œuvres de M. de Florian/Fables/2/La Jeune Poule et le Vieux Renard

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FABLE XVII

La Jeune Poule & le Vieux Renard



Une poulette jeune & sans expérience,
En trottant, cloquetant, grattant,
Se trouva, je ne sais comment,
Fort loin du poulailler, berceau de son enfance.
Elle s’en aperçut qu’il étoit déjà tard.
Comme elle y retournoit, voici qu’un vieux renard
A ses yeux troublés se présente.
La pauvre poulette tremblante
Recommanda son âme à Dieu.
Mais le renard, s’approchant d’elle,
Lui dit : hélas ! Mademoiselle,
Votre frayeur m’étonne peu ;
C’est la faute de mes confrères,
Gens de sac & de corde, infâmes ravisseurs,
Dont les appétits sanguinaires
Ont rempli la terre d’horreurs.
Je ne puis les changer, mais du moins je travaille
A préserver par mes conseils
L’innocente & foible volaille
Des attentats de mes pareils.

Je ne me trouve heureux qu’en me rendant utile ;
Et j’allai de ce pas jusques dans votre asile
Pour avertir vos sœurs qu’il court un mauvais bruit,
C’est qu’un certain renard méchant autant qu’habile
Doit vous attaquer cette nuit.
Je viens veiller pour vous. La crédule innocente
Vers le poulailler le conduit :
A peine est-il dans ce réduit,
Qu’il tue, étrangle, égorge, & sa griffe sanglante
Entasse les mourants sur la terre étendus,
Comme fit Diomède au quartier de Rhésus.
Il croqua tout, grandes, petites,
Coqs, poulets & chapons ; tout périt sous ses dents.
La pire espèce de méchants
Est celle des vieux hypocrites.