Code des gens honnêtes
ou l’art de ne pas être dupe des fripons
J.-N. Barba (p. 170-176).
RÉSUMÉ DU LIVRE SECOND.


La mode étant venue de tout résumer, nous prenons le parti de résumer nous-même chacun de nos livres, de peur que quelque industriel littéraire ne vienne nous enlever le fruit de nos labeurs.

Or, vous voyez, honnêtes gens de toute sorte, qu’il ne suffit pas de boire frais et de se tenir en joie, il faut encore avoir une certaine finesse pour bien vivre.

Avec ce livre en poche, vous pouvez éviter tous les impôts que nous avons signalés dans cette soixantaine de paragraphes.

Nous avons calculé la somme totale de ces contributions perçues annuellement sur beaucoup de riches imprudents ; elle s’élève à douze mille francs par tête.

Vous remarquerez qu’il faut grande prudence pour sauver ces douze mille liv. de rente, qui, bien employées, peuvent donner tant de véritables jouissances.

Mais il y a un écueil, une pierre d’achoppement. Nous vous voyons d’ici, la mine sévère, le front rude, l’œil perçant, le parler sauvage, l’abord disgracieux, vous défiant de M. Pierre, de M. Paul, prenant en haine les humains et veillant en avare à votre argent.

Fi !… Fi ! vous dis-je, vous cinglez à pleines voiles vers l’écueil, et vous courez risque de conquérir la réputation d’avare, de dur ; ceci est épouvantable pour un homme comme il faut, dans le siècle aux soupes économiques, aux bureaux de charité, de maternité, de paternité, et dans le moment où le nom de philanthrope est un titre que l’on décerne au premier sot qui donne 15 sous pour un potage fraternel.

Cependant nous avouerons qu’il y a plusieurs personnes de distinction, titrées, et de grand savoir, qui préfèrent encore passer pour ladres, avaricieuses, et se procurer le doux bonheur de faire le bien en secret. Elles ont même remarqué que, quoiqu’on les taxât d’avarice, on ne faisait que plaindre leur ridicule : car une idée prédomine toutes les autres, c’est qu’elles sont riches : alors on a pour elles un certain respect, on vient avec plaisir à leur table, on leur décerne le titre d’honorables ; et, comme on ne parle jamais de vous qu’en votre absence, elles ont eu le courage de se mettre au-dessus de ce qui maîtrise le Parisien, et qu’on nomme le Qu’en dira-t-on ?

Qu’en dira-t-on ? étant une puissance dans la capitale, et le combattre étant très-difficile, nous avons réservé pour ce résumé la recette la plus remarquable : ne faut-il pas au moins une pensée ou deux pour faire un résumé ?

Aussitôt que vous vous serez déterminé à défendre votre bourse unguibus et rostro, étudiez la politesse française, acquérez cette grâce dans les manières, ce charme dans les paroles, cette galanterie des regards qui jettent un vernis séducteur sur un refus. Apprenez ces phrases pleines d’onction qui, saturées de l’honneur d’être, de je suis flatté, font dire de vous : « C’est un homme charmant ! »

Si l’on dit cela de vous, à Paris, ne craignez jamais rien. Un homme aimable est devenu de nos jours ce que nos ancêtres nommaient la fleur des pois. Il ne fait rien que de bien, que de juste, que d’honnête.

Il est vrai qu’il est difficile d’arriver à cette hauteur, et de tout concilier : cependant on a vu plusieurs personnes à Paris qui, mangeant à elles toutes seules leur revenu, passaient encore pour charmantes. Lorsque vous les rencontrerez, étudiez-les comme un peintre étudie son modèle.

En achevant ce livre, une douleur nous a saisi ! N’avons-nous pas à vous annoncer qu’il existe cependant des impôts inévitables, des demandes justes qu’on ne saurait repousser, à moins d’être un brutal ou un harpagon. Nous avons sanctionné et légalisé, plus d’une fois, des sollicitations légitimes, comme :

Le sou du savoyard, qui vous balaie un passage des boulevards ;

Le sou du commissionnaire, qui vous tend, un jour d’averse, une planche obligeante et lucrative ; cet honnête commissaire, il abhorre les rhumes, il vous aime et soigne votre santé.

L’avare Chapelain, l’auteur de la Pucelle, préféra se mouiller les pieds un jour qu’il allait à l’Académie : il en mourut.

Il y a encore le salaire des artistes, qui exécutent de grands concerts en plein air, après avoir étendu un mouchoir orné de quatre chandelles ; si vous pouvez écouter, payez, mais veillez à votre montre.

Menez-vous une dame au spectacle, l’ouvreuse, cette ouvreuse si bonne, si intelligente, qui, moyennant une rétribution, vous a ouvert une loge louée, vous apporte un petit banc ; elle veut que madame ait les pieds secs, et soit commodément.

Un homme ouvrira votre voiture, ou dira d’une voix de stentor : « Monsieur, demandez vos gens !… » Comment ne pas payer ce mot, vos gens !…

Si vous dînez chez un restaurateur, des bardes en guenilles viendront chanter devant la porte : souvenez-vous d’Homère !

Il y a, comme cela, mille petits services qu’on vous rend malgré vous.

On n’évite jamais le pour-boire des cochers, des garçons de café, de restaurans, l’almanach du facteur, quelques étrennes légitimes, les garçons baigneurs, la pièce d’adieu aux domestiques des maisons de campagne, le pourboire des gens qui vous apportent des présents, etc., etc.

Nous connaissons cependant des hommes honorables qui s’affranchissent de ces usages dispendieux (voyez l’anecdote du paragraphe 10), mais ces petites contributions sont légales ; il est convenable de s’y soumettre de bonne grâce. En effet, ne payez pas les domestiques des autres, et au bal, vous verrez si vous pouvez être servi, boire le bon vin et savourer une glace, surtout chez les ministres ; songez donc qu’en définitive, si la prodigalité est une duperie, l’avarice est un ridicule.