Code des gens honnêtes
ou l’art de ne pas être dupe des fripons
J.-N. Barba (p. 42-74).


TITRE II.


ESCROQUERIES.


L’escroquerie emporte avec elle l’idée d’une certaine finesse, d’un esprit subtil, d’un caractère adroit. Là, il faut inventer un plan, des ressorts. Elle intéresse presque.

Les escrocs sont les gens comme il faut de la petite volerie ; ils ne sont pas repoussans à voir ; ils revêtent le costume de l’honnête homme, ont des mœurs, un langage épuré ; ils s’introduisent dans les maisons sous toutes les formes, hantent les cafés, ont un appartement et se servent rarement de leurs dix doigts autrement que pour signer. Il y en a qui se retirent et deviennent honnêtes gens quand ils sont riches.

Un homme de bon sens frémira des dangers qu’il court à Paris. On a calculé qu’il existait sur le pavé du roi vingt mille individus environ qui, le matin, en se levant, ignorent où et comment ils dîneront. Cela n’est rien : il faut songer qu’ils dînent et dînent bien.

La classe des escrocs est nombreuse comme on voit, et présente des singularités curieuses.

À proprement parler, cet homme comme il faut de la petite volerie naît et meurt toutes les vingt-quatre heures. Il ressemble à ces insectes du fleuve Hypanis dont parle Aristote. Le problème est résolu pour lui s’il a mangé quand le soleil se couche.

La garnison de Paris est ordinairement de vingt mille hommes : c’est un rapprochement original que ces vingt mille industriels dressant tous les matins vingt mille pièges contre leurs compatriotes qui n’ont que vingt mille soldats pour s’en garantir.

On a prétendu qu’il y avait, par le fait du suicide, une espèce de caisse d’amortissement de ces vingt mille industriels, et que la Seine absorbait annuellement, selon son cours plus ou moins favorable, une certaine quantité de ces vingt mille hommes comme il faut, formant la masse flottante d’une véritable dette sociale.

Il est vrai que le nombre des suicides s’élève à deux cent soixante ou trois cents, bon an, mal an ; mais il est de notre devoir de prévenir les honnêtes gens et les administrateurs qui dormiraient sur un pareil calcul, de la fausseté de cette assertion.

Il est de principe qu’un industriel ne meurt jamais dans l’eau ; et quand cela serait, le nombre des surnuméraires qui attendent est plus considérable que celui des industriels qui prennent ainsi leur retraite : d’ailleurs on a reconnu à quelles classes appartenaient les suicides, et la statistique de leur malheur a été dressée : ainsi les vingt mille piéges n’en subsistent pas moins tous les matins.

Un homme comme il faut de la petite volerie a toujours une quarantaine d’années, parce que ce Figaro des voleurs a dû nécessairement passer par bien des filières avant d’arriver à cette profession dangereuse.

Il a une certaine connaissance des usages du monde, doit bien parler, avoir de bonnes manières et de la conscience.

La chaussure est de sa toilette ce qui se fatigue le plus ; et un homme observateur remarquera toujours l’état de la chaussure de ceux avec lesquels il se trouve. Cet indice est sûr. Un fripon n’est jamais bien chaussé, il court trop. Il y en a qui, semblables à Charles XII, restent cinquante jours bottés.

Pour bien examiner ce Gilblas, saisissons-le dans son jour le plus brillant. Voyez-vous, dans ce salon, un homme à moustaches, à favoris épais, bien habillé ? On conjecture qu’il pourrait donner, à 20 fr. le cachet, des leçons de mise de cravate, tant la sienne est lisse et blanche et bien nouée. Il porte des éperons : n’est-il pas chevalier ?

Il reste à poste fixe à table d’écarté : il parie, en attendant son tour d’entrée. Rien sur sa physionomie n’indique l’amour de l’or et la pénurie de sa bourse. Il parle avec aisance, plaisante, sourit à ces dames ; mais s’il vient un coup à décider, l’homme de paix, comme dit Sir W. Scott, est intraitable ; il applique la règle de l’académie avec rigueur. Saisissez-le bien sous toutes ses faces ? il a un œil perçant, les mains lourdes en apparence, il est bien tourné, prend des attitudes, se penche et parle même de Rossini, de la tragédie nouvelle, etc.

Il a pendant quinze jours son cabriolet ; il le quitte, le reprend, selon les caprices de la fortune. Il est le protecteur de l’honneur des dames : il n’y a plus que ces descendants des anciens preux qui prennent la défense des belles, et soient prêts à tirer l’épée si quelqu’un ne rend pas justice à leurs attraits.

S’il joue, il relève ses manches et bat les cartes avec un fini, une prescience qui séduisent ; il regarde son associé qui, perdu dans la foule des adversaires, parie contre lui, et d’un signe lui dévoile le jeu de l’ennemi.

Il existe à Paris un modèle de ces Philibert cadets. Il est trop connu pour que nous le dépeignions. C’est le grand homme, le Catilina du genre.

On sait qu’il dépense cent mille francs par an, et n’a pas un sou de rente. Il a maintenant cinquante ans ; il reste vigoureux et frais comme un jeune homme. Il donne le ton encore pour les modes. Personne ne mène plus lestement un cabriolet, ne monte aussi bien à cheval, ne sait mieux prendre le ton crapuleux d’une orgie pleine d’esprit, ou les grâces françaises de l’ancienne cour.

Soutenu par un fameux diplomate, soutenu par le jeu, soutenu par l’amour et reçu incognito dans le monde, on pense que cet Alcibiade des fripons doit son illustration aux services tacites de tous les genres qu’il a rendus à un homme d’état célèbre. Aussi les coquins de la capitale le citent-ils avec orgueil ! C’est un de leurs grands hommes. Comment finira-t-il ? Voilà la question car on n’a pas encore eu l’esprit de faire des fonds de retraite pour ces messieurs.

§ 1.

César est le premier qui ait escroqué son existence.

§ 2.

Nous n’hésiterons pas à ranger la mendicité parmi les divers moyens d’escroquer l’argent d’autrui,

1o Parce que la plupart des mendiants se sont fait un art de mendier, et ne nous offrent que des maux figurés ;

2o Parce qu’ils font ainsi venir notre argent dans leur poche, d’une manière illégitime : ils imposent la crédulité, la pitié, la charité par des manœuvres et des mensonges punissables.

§ 3.

Défiez-vous des mendians. L’indigent véritable n’est pas dans la rue.

L’homme qui n’a pas de jambes court, l’aveugle y voit clair ; quelquefois même ils sont complices de diverses escroqueries.

Un monsieur donnait à un cul-de-jatte un petit écu ; un honnête homme passe et s’écrie : « Comment pouvez-vous faire l’aumône à ce fripon ? Prêtez-moi votre canne, vous allez le voir courir. »

Le monsieur laisse prendre son jonc à pommeau d’or, et le redresseur de torts commence à battre le mendiant, qui ramasse sa jatte, et, retrouvant ses jambes, se met à courir : le vengeur des mœurs courait aussi.

« Il l’attrapera ! il l’attrapera ! » disait le monsieur ; il les perdit bientôt de vue, et fut le seul attrapé.

Cette vieille histoire prouve qu’il faut se méfier des mendians dont les plaies sont quelquefois hideuses ; et, sous plus d’un rapport, on devrait leur interdire la rue. Il n’est pas naturel qu’un malade se promène ou gise sur quelques brins de paille. Il y a les hôpitaux.

Enfin il y a des mendians riches, très-riches même.
§ 4.

Il vaut mieux secourir des familles dont on connaît la pauvreté ou les malheurs ; servir de guide à des orphelins sans fortune, que de semer cent francs par an en pièces de deux sous parmi des mains inconnues.

§ 5.

Ne jouez jamais au billard dans les cafés qu’avec des personnes de connaissance.

§ 6.

Quand vous flânez dans Paris, vous êtes quelquefois accosté par un homme assez bien mis, âgé, qui vous dit tout bas : « Monsieur, je suis un employé réformé ; je n’ai pas de pain ; il faut que je me jette à l’eau… » Passez vite. Vous verrez par la suite par combien de raisons il faut doubler le pas.

§ 7.

Au jeu, dans quelque compagnie que vous puissiez vous trouver, lorsqu’on vous donne à couper, ayez bien soin d’abattre le pont.

Le pont est cette légère solution de continuité que vous remarquerez dans un jeu de cartes, lorsqu’après l’avoir mêlé, on l’a séparé en deux parties bien distinctes qui se touchent aux extrémités ; si vous ne réunissez pas ces deux tomes de cartes en un seul volume, vous couperez infailliblement dans cette solution de continuité qui est subtilement préparée ; et à l’écarté vous n’aurez pas le roi.

§ 8.

Fuyez à tire-d’ailes les femmes qui aiment les cadeaux, votre sentiment ! ce cœur ! ce précieux cœur ! votre personne !… qu’y a-t-il au-delà ?

Fuyez aussi les femmes qui ont la rage de vous combler de présents : sur dix qu’elles vous feront, ne faut-il pas, par décence, en rendre un ? Et c’est quelquefois trop que d’un à donner pour dix reçus.
§ 9.

Il y a des hommes qui peuvent vous prendre vos bonnes idées, vos plus heureuses inventions, vos découvertes : c’est une des escroqueries que l’on se permet le plus souvent.

Lorsque vous trouvez une mine féconde, retenez cette rage d’amour-propre qui pousse à publier le succès.

Entre auteurs surtout !… eux qui escomptent leurs idées.

Entre fabricans, encore plus de discrétion.

§ 10.

Voyez-vous au café de Foi ce brave militaire qui a une balafre ? Il est décoré.

C’est le plus intrépide des Français ; il a été de toutes les guerres ; il a de bonnes mœurs, parle avec chaleur, caresse ses moustaches, dit « garçon ! » en faisant entendre un son de poitrine qui annonce cent ans de vie ; examinez-le bien ? Ses mains sont blanches comme ses dents, sur chaque doigt est un petit bouquet de poils, son teint est basané, ses cheveux noirs comme l’ébène ; il est bien botté, bien habillé de drap bleu.

Vous le retrouverez une heure après au Théâtre-Français avec une dame de quarante à cinquante ans, veuve, sans enfants, et riche de sept, huit, dix, douze, quelquefois vingt mille livres de rente : il lui fait la cour, risque des présents et finira par l’épouser.

MORALITÉ

Les savans médecins qui ont écrit de ætate criticâ mulierum, ont oublié une maladie dont voici les symptômes :

Un officier à moustaches, en retraite, aimant les femmes, l’argent, le jeu et dont les habitudes contrastent si fort avec celles du sujet, qu’il finit par succomber lui et sa fortune.
§ 11.
Le Jeune Homme honnête et spirituel, ou les inconvéniens du mariage, mélodrame en trois actes, dans lequel figurent des pères et mères.


ACTE PREMIER.


Vous voyez d’abord un jeune homme : il va tous les jours à son administration, il est joli garçon, très-élégant.

Ses père et mère sont d’honorables bourgeois, retirés du commerce ; ils ont pignon sur rue, logent dans une de leurs maisons, se complaisent à voir leur fils mener une conduite rangée. Il a une place de mille écus ; on lui donne mille autres écus, et ce jeune homme a un cabriolet ; si bien qu’il mène sa mère ou son vénérable père au bois de Boulogne, au spectacle.

Ils sont sûrs, ces bons parents, que leur fils ne joue pas ; leur fils est toute leur gloire, ils s’y mirent : il ressemble autant à M. Crevet qu’à Madame.

On songe à marier ce fils : la scène change : alors vous voyez des anciens amis de M. Crevet qui amènent leur fille, mademoiselle Joséphine : ce sont de bons et honorables bourgeois qui donnent cent mille écus à leur fille, et cela comptant.

Le jeune homme avec ses père et mère chez les père et mère de sa prétendue ; là il y aura un ballet si vous voulez.


ACTE II.


Changement de décoration. Vous voyez un appartement qui n’est pas dans la maison du père Crevet, ni chez les pères et mère de la prétendue : l’appartement est brillant, le couvert est mis ; une jeune femme habillée avec élégance, attend ; elle est jolie, peau blanche, yeux vifs, lèvres vermeilles ; elle regarde par la fenêtre.

Notre jeune homme entre, il est content, bien content, il va au spectacle avec elle, enfin ils sont heureux.

(Ceci n’est connu que du spectateur.)

Par un événement qui reste à inventer, cette jeune femme vient à apprendre que son amant se marie. Terreur ! effets dramatiques ; reproches, scènes attendrissantes, déchirantes. « Tu vas m’abandonner mon cher cœur, toi que j’aime. »

— « Non, jamais ! »

— « Serait-il vrai ? »

— « Oui ! »

Mais de l’argent, où en prendre ?


ACTE III.
La scène est chez la mère de la prétendue.


On marie le jeune homme avec mademoiselle Joséphine. On danse (deuxième ballet), on joue, on rit. À minuit on cherche le marié : il a emporté les cent mille écus, fuit avec la petite femme du second acte et laisse sa prétendue. On se tait ; mais la vengeance atteindra les coupables ; ils mangeront les cent mille écus et seront damnés.

Que faire, pères et mères, contre une semblable escroquerie ! comment s’en garantir ! c’est un coup de Jarnac. Ils sont rares mais cela tombe sur une famille comme une grêle.
§ 12.

Quand vous présentez un effet de commerce pour en obtenir le paiement, ne lâchez pas l’effet : c’est une maxime générale.

En 18…, un négociant prit un billet, se retourna vers sa caisse, et, après avoir avalé l’effet, nia qu’on le lui eût présenté. Cette scène se passa en Angleterre. La somme était considérable. Le négociant dirigeait la maison Saint-Hubert et Will. Le jeune homme qui présentait le billet, venait pour la maison Mac-Fin. Ces deux banquiers étaient riches, honorables et jouissaient d’une grande réputation de loyauté.

L’affaire fut portée en référé, attendu l’urgence.

Le tribunal ordonna sur-le-champ qu’un apothicaire serait tenu de prêter serment et de diriger une colonne d’eau vers le billet, par les voies ordinaires.

L’inculpé s’opposa au jugement ; et ses conclusions établissaient : que le tribunal n’avait appuyé sa décision sur aucune partie de la législation ; que l’introduction d’un objet quelconque par les voies ordinaires était un supplice ; que lui, Saint-Hubert, se portait fort d’établir que l’usage du pal n’avait jamais été adopté en Angleterre ; que d’ailleurs il était affligé d’une maladie hémorroïdale, et que c’était risquer d’attenter à ses jours et de lui causer une affection fistuline, que le tribunal enfin n’avait pas un tel droit sur les sujets de Sa Majesté Britannique.

On en référa d’urgence à un autre tribunal, qui, faisant droit aux plaintes du prévenu, ordonna que l’apothicaire ne remplirait pas sa charge, mais que M. Saint-Hubert serait enfermé, nourri jusqu’à ce que l’évacuation du billet eût eu lieu.

La maison Mac-Fin fournit aussitôt une consultation de médecins qui prouvaient que le papier, ne se digérant pas, restait en nature comme quelques autres substances, et pouvait demeurer long-temps dans le corps.

L’inculpé, de son côté, s’opposa au jugement, prétendant qu’on n’avait aucune qualité pour le détenir ; que cette détention causerait du tort à son commerce ; que, d’ailleurs, il était très constipé, et qu’il était possible qu’on le détînt quinze ou seize jours, et que ce ne fût qu’au bout d’un mois qu’on acquît la preuve de son innocence. Il demandait des dommages-intérêts en cas de détention.

Le tribunal maintint son jugement.

Autre opposition au jugement de la part de Saint-Hubert et Will, demandant qu’on fixât le temps de la détention.

La maison Mac-Fin présenta requête pour demander trois selles au moins.

Jugement qui octroya deux selles.

On ne s’accorda pas sur les experts ; il y eut deux jugemens, l’un pour admettre deux chimistes pour décomposer les matières, deux médecins pour apprécier l’état des intestins ; et l’autre qui admit deux écrivains experts afin de vérifier les signatures.

L’inculpé demanda qu’on lui laissât voir sa femme.

Lady Saint-Hubert forma en même temps une demande tendant à ce qu’on ne lui ravît pas la société de son mari.

La partie adverse s’y opposa. Un jugement fut rendu conforme aux conclusions de la maison Mac-Fin.

Lady Saint-Hubert attaqua les juges devant une cour souveraine, attendu qu’aucune loi ne lui conférait le droit de dissoudre un mariage. Arrêt souverain qui donna gain de cause, mais sur la cohabitation seulement à l’inculpé et à sa femme.

Là, il y avait pour 300 livres sterling de frais de part et d’autre.

Les adversaires formèrent une demande pour qu’on administrât un vomitif.

L’inculpé prétendit qu’on détruirait sa santé ; que le vomitif serait de nul effet parce que depuis longtemps ses digestions étaient faites.

Sir Saint-Hubert appela enfin sur tous les chefs de la procédure. Alors, attendu l’irrégularité, la cour rendit un jugement conforme à ses conclusions ; c’est-à-dire, lui donna deux gardes pendant un mois, lesquels devaient le suivre partout et examiner l’état de ses vêtemens.

Cet arrêt prévoyait tous les cas ; il formait trente-huit pages de minutes seulement. On ne parlait que de cela dans Londres.

La maison de banque Mac-Fin et compagnie souhaitait une diarrhée : mais M. Saint-Hubert resta constipé.

Après dix-sept jours de plaidoiries et de garde auprès de la personne du banquier, il eut une selle abondante. Analyse faite des matières ; le billet ne s’y trouva pas.

Londres attendit avec impatience la seconde : le billet n’y fut pas davantage.

La maison Mac-Fin et compagnie demanda l’apport des registres et produisit les siens. Le billet était porté comme échéant tel jour et négocié tel autre. M. Saint-Hubert, tenu de représenter ses livres, montra que le billet devait venir le jour indiqué ; mais qu’il avait été payé.

On lui demanda de le représenter ; il allégua que l’usage de sa maison était de brûler les effets acquittés.

Cette affaire occupa Londres pendant deux mois ; si bien que les liseurs de gazettes affirmèrent que c’était un tour de M. Pitt, qui détournait ainsi l’attention publique de certaine opération financière qui lui valut dix millions. La maison Mac-Fin perdit le billet, qui était de deux mille livres sterling, et les frais qui s’élevèrent à trente mille francs.

La maison Mac-Fin prétendit que Lady Saint-Hubert avait, par dévouement, dérobé une selle aux yeux des gardes ; et le public de Londres s’amusa quinze jours des moyens présumés employés par Lady Saint-Hubert.

Y avait-il simple ou double escroquerie ?

§ 13.

Une jolie escroquerie est celle dont fut victime l’intéressante mademoiselle A…, jeune artiste d’un théâtre chantant. Un matin, elle se réveillait, recevant les adieux d’un jeune écervelé, comme il y en a tant, lequel, à prix d’or, avait aidé mademoiselle A… à dormir. Il se lève cet enfant prodigue, et dépose sur un meuble précieux à l’amour deux billets de banque.

Il sort ; elle le regrette ; et reportant sa vue sur les billets, elle craint de l’avoir volé. Il était loin lorsqu’elle s’aperçut de l’erreur du jeune inconnu.

Il avait laissé deux billets du dentiste Désirabode.

Ceci a sa moralité.

§ 14.

Vous mariez votre fille à un honnête homme.

Il vous a juré n’avoir pas un sou de dette.

Quinze jours après la dot est mangée.

D’où cet aphorisme ? « Mères, ne soyez pas trop pressées de marier vos filles. » Un jour nous publierons l’art de prendre des renseignemens.
§ 15.

Ne donnez jamais, n’envoyez jamais, ne laissez jamais traîner un billet quittancé.

Méditez l’affaire Roumage.

§ 16.

Une escroquerie permanente, affreuse, et tombant malheureusement sur la basse classe, qui ne lira pas ce livre, c’est celle-ci :

Avez-vous vu, sur les murs de Paris, ces petits carrés de papier blanc, entourés de noir, qui se trouvent placardés on ne sait comment.

Ces affiches annoncent toujours que, rue de la Huchette, rue de la Tixéranderie, rue de la Haumerie, rue du Cadran, est une maison de confiance qui place les ouvriers, les domestiques, les portiers, dégage les reconnaissances du Mont-de-Piété, etc.

Envieux de signaler les brigandages de ces négocians de crédit, qui vendent si cher la fumée, nous avons été voir un de ces honorables établissemens.

Qu’on se figure une allée obscure, un escalier dont les marches sont si chargées de terre durcie, qu’en la retirant, on ferait un terrassement de six pieds de hauteur sur trois de largeur à un canal de première classe.

On ouvre une porte à loquet, et là on voit un monsieur, les cheveux ébouriffés, les mains noires, assis devant un bureau qui ressemble assez à ceux des écrivains publics de la salle des Pas-perdus.

Lorsqu’un malheureux arrive à Paris, pour se placer, il débarque là, séduit par ces affiches qui déshonorent nos monumens publics. On ouvre un registre, on prend ses nom, prénoms, son adresse, quelques menus renseignemens ; et la matière plaçable donne un écu par mois, trente-six francs par an.

Ces hommes-là vivent : dupant les maîtres et les valets, aux uns ils promettent la perle des domestiques, et aux autres monts et merveilles ; tirent deux montures d’un sac, et amènent à Paris, par leurs annonces, de pauvres malheureux qui quittent leur pays et d’honorables travaux pour devenir criminels quand ils se trouvent sans un sou, sur le pavé de Paris, pendant des mois entiers.

Si ces établissemens étaient dirigés dans un but utile, ils seraient dignes d’être encouragés ; mais, sur trente bureaux pareils, il y en a un ou deux, tout au plus, qui sont presque irréprochables.

Lorsqu’il s’agit de dégager des reconnaissances du Mont-de-Piété, c’est un vol, un brigandage dont on ne saurait se faire une idée.

Le Mont-de-Piété prête à plus de douze pour cent. (Voyez l’article du Mont-de-Piété, aux industries privilégiées) Vous sentez que l’offre de dégager n’est qu’une manière de renchérir légalement l’usure.

Mais si l’on consulte les honorables directeurs de ces établissements, par combien de raisons ne justifient-ils pas leur négoce ! Quels orateurs !
§ 17.

Un jeune homme fort bien mis se fait annoncer chez mademoiselle B…, artiste du premier Théâtre-Français ; il débute auprès de l’intéressante dona, en mettant sur la cheminée trois billets de mille francs.

Il est parfaitement reçu : on le trouve charmant. Que de choses à dire !…

Après, le jeune homme, prenant un air sérieux, tire de sa poche une quittance sur papier timbré, et, la lui présentant, demande sa signature. « Et pourquoi voulez-vous que je vous donne un reçu ? » dit-elle en souriant.

« Mademoiselle, je vous apportais, de la part de Me P…, notaire, le quartier de la rente que vous a constituée M. le Comte de… »

Ces pauvres actrices !… Ces diables de clercs !…

§ 18.

Ceci est pour les niais ; car il faut que chacun ait sa part.

Dans les fêtes champêtres des environs de Paris, dans les rues de Paris même, vous apercevez des gens qui, sur la forme d’un chapeau ou sur une petite table posée sur un châssis en X, offrent aux passants des appâts : ce sont des jeux de hasard assez adroitement conçus, et il y a toujours des spectateurs qui jouent et gagnent. Telle chance qui puisse se présenter à votre imagination, ne risquez jamais un sou.

§ 19.

Si, par hasard, ce livre va en province, où il faudrait, par parenthèse, qu’il fût médité, que l’on se mette bien dans la tête qu’à Paris l’on ne croit pas qu’il y ait des gens assez bêtes pour acheter des remèdes aux empiriques et aux charlatans. Cependant les bols, les grains, les fioles, les médecines curatives, les gouttes, les élixirs, et cinquante compositions semblables, ne s’en débitent pas moins ; et il y a quelquefois même des jeunes gens, à Paris, qui se prennent, dans certains cas, aux promesses que leur font des affiches où le nom de Vénus est indignement compromis : car cette charmante déesse ne pouvait souffrir Apollon.

§ 20.

Quand un journaliste vend ses éloges, c’est une escroquerie flagrante ; car, quelque célèbre qu’il soit, cent lignes ne valent pas alors cent sous.

§ 21.

Il y a, sur les boulevards, deux hommes que tout le monde connaît. L’un se traîne sur deux béquilles, le pied gauche en écharpe ; il n’a pas plus mal au pied que vous. Il a marié dernièrement sa fille et lui a donné quatre-vingt mille francs de dot.

L’autre se promène lentement, il est assez bien vêtu et vous dit fièrement : « Je demande l’aumône ! » Il a acheté une terre en Provence. Le voilà éligible.

§ 22.

Un matin, un peintre et un menuisier avaient travaillé à l’envi l’un de l’autre, pour placer une énorme enseigne au-dessus d’une porte cochère dans un faubourg ; on lisait, en lettres d’un pied de hauteur sur six pouces de large : Dépôt des velours de Nerville.

Au premier étage, la maison Bonnet et compagnie avait un appartement superbe, des bureaux, une caisse, un magasin, puis le petit écriteau noir : Fermez la porte, s’il vous plaît.

Le caissier était entouré de livres et d’un grillage décoré d’un taffetas vert ; enfin tout était en règle, et le dépôt des velours de Nerville pouvait défier tous les banquiers de Paris sur les accessoires d’une maison de commerce.

À deux pas de la maison, un honorable épicier débitait tranquillement le sucre et le café qui se consommaient dans tout le quartier ; il était riche et beau-frère d’un célèbre tailleur du Palais-Royal.

L’épicier voyait aller et venir le chef du dépôt des velours dans un superbe cabriolet, et des garçons chaque matin apportaient ou emportaient des sacs d’argent.

Un jeune commis de la maison allait tous les matins déjeûner à un café qui se trouvait en face de l’épicier : ce dernier, excité par la curiosité, le questionna sur la maison de commerce. Le jeune homme résiste, et lui confie enfin que cette maison fait fabriquer des velours de soie à soixante-quinze pour cent au-dessous du cours ; et, qu’en les vendant moitié moins cher, elle gagne cent pour cent.

L’épicier accourt chez son beau-frère, lui raconte tout ce qu’il sait et tout ce qu’il ne sait pas sur la maison de commerce, et lui parle du velours.

Le tailleur arrive en cabriolet, et se heurte presque avec le cabriolet du chef des velours. Ils montent ensemble. Le tailleur explique l’objet de sa visite. On lui demande son nom parce que ces messieurs ne traitent qu’au comptant et avec des maisons en gros, etc., etc. On débat le prix des velours : bref, on refuse de lui en vendre. Le tailleur s’emporte, il en veut à toute force, fait voir son portefeuille garni de billets de banque. On se radoucit. Le chef dit négligemment : « Faites voir du velours à Monsieur. » Et le chef passe à la caisse.

Le tailleur trouve le velours superbe, en examine soigneusement une pièce entière, en prend pour dix mille francs, passe à la caisse, reçoit une facture acquittée, et l’on descend devant lui dans la cour les pièces de velours.

Il retourne chez lui, et sur-le-champ fait disposer une place dans son magasin.

Le velours ne se fit pas attendre ; les commissionnaires le portent au magasin et s’en vont.

Qui diable apercevrait là une escroquerie ? Qui, à l’aspect des bureaux, des commis, du vénérable caissier, du cabriolet, de l’épicier, du chef de maison, de cette bonne foi apparente, se douterait d’un piège ? Et où est-il ?

Que de circonstances habilement réunies ! Que de conjectures vraies ! Que de recherches ! C’est, ce qu’on peut appeler, la haute diplomatie du vol.

Sept ou huit jours après, le tailleur envoya l’un de ses garçons chercher une pièce de ce fameux velours ; car déjà sur les vitres on avait affiché : « Velours à quinze francs l’aune. » Bientôt le garçon vient lui demander où est le velours !… Il monte et voit qu’il n’a emmagasiné que des pièces de serge bordées de velours.

Qu’on vienne dire maintenant que l’industrie n’a pas fait de progrès depuis vingt ans.

§ 23.

Fuyez en général tous les bons marchés ; il faut se connaître beaucoup en marchandise pour n’être pas dupé. Les bougies à deux francs sont de suif ; le drap à quinze francs est reteint et bien peigné. Cependant Paris est tapissé d’annonces, et tous les jours on s’y prend.

Retenez qu’il y a une foule de niais, et que l’on fait la moitié des choses de ce bas monde pour eux. Or vous n’êtes pas niais, et la preuve, c’est que vous appréciez ce livre.
§ 24.

Un jour, en France, un Écossais, nommé Law, se trouva en train d’escroquer tout le royaume. Ce Law passe généralement pour le plus grand homme produit par la classe des coquins ; mais aujourd’hui les politiques avouent qu’il est le fondateur du système des banques et du crédit. Vous voyez qu’il y a des temps où une escroquerie est mieux reçue qu’en d’autres. Par le temps qui court, l’Écossais serait peut-être ministre inamovible.

§ 25.

Nous emprunterons au spirituel auteur de l’Art de faire des dettes cette maxime :

« Vous êtes autorisé à envoyer promener pendant deux ou trois ans les fournisseurs qui vous font payer trop cher leurs marchandises. » Au surplus, voyez l’article tailleur, au livre III.