Librairie Ollendorff (p. 165-170).


XII

PAGES NOUVELLES DES MÉMOIRES D’AURORE


Chez la marquise de Saint-Aignan, Mlle de Nevers avait plusieurs fois rencontré une jeune femme vive, alerte, et au surplus assez jolie, qui s’était prise pour elle d’une belle amitié.

La petite baronne Liane de Longpré passait, aux yeux de certains, pour être veuve et les mêmes personnes étaient d’avis que son veuvage ne lui pesait guère.

Mutine, coquette, les lèvres en arc, le nez au vent, la rose de la jeunesse aux joues et haute à peine comme une botte de mousquetaire, on eût dit un de ces fragiles bibelots de Saxe que le moindre choc émiette. Ce qui n’empêchait pas ce léger paquet de chair tendre, blonde, diaphane, de n’être qu’un paquet de nerfs ; cette tête de linotte d’avoir des volontés et des caprices comme une vraie femme d’autant plus dangereuse qu’on ne la prenait pas au sérieux.

En cela, on avait tort, car ce que voulait la baronne, elle le voulait bien et, quoique paraissant virer comme une girouette à tous les vents, elle en arrivait à faire tourner tous ceux qu’elle voulait, et comme elle voulait, du bout de son petit doigt.

La Révolution faucha pas mal de ces petites têtes qui riaient encore une fois qu’elles étaient décollées et dont le plus grand tort avait été de naître charmantes, spirituelles et fines. En les coupant, on crut abattre l’orgueil. Les Immortels principes ont eu ce principal défaut d’enlever à quelques-uns leur laideur morale pour en inoculer le virus à un plus grand nombre. À l’heure actuelle l’orgueil niche dans d’autres têtes et rien n’est changé, ce qui ne veut pas dire qu’il faille recommencer la Révolution.

La baronne de Longpré s’était mariée à seize ans, ou pour mieux dire on l’avait mariée. Comme elle paraissait incapable de toute réflexion en vue d’un événement aussi grave, on y avait pourvu. M. de Ravolles, son très honorable père, dont l’escarcelle était beaucoup moins bien fournie que l’arbre généalogique, lui avait dit par un beau soir :

— Perle !… je ne puis te donner un prince pour époux. Rien ne s’oppose toutefois à ce que tu sois la femme d’un cadet de Guyenne, aussi pauvre que moi. Il s’agit de M. de Longpré.

— M. de Longpré peut aller se faire lanlaire, avait répondu la gente personne. Ce n’est pas un cadet que je veux, c’est un prince.

— D’accord, toute belle, mais que dirais-tu des deux ?

Le bijou s’était mis à réfléchir, chose qu’on croyait au-dessus de ses forces, et fort heureusement il lui était venu en mémoire que sa tante s’était « bigamée » de la sorte, sans crime, puisqu’elle n’avait convolé avec le second tenant, qu’après le décès du premier :

— Soit ! avait-elle répondu en toussotant.

Et pour prouver qu’elle n’était pas dupe du petit manège, elle s’était permis d’ajouter :

— Combien cela te rapporte-t-il, mon père ?

— Peuh ?… de quoi me faire enterrer décemment…

— Et à M. de Longpré ?

— Un équipement complet, plus quelque monnaie de poche pour aller dans les Flandres… Pourquoi ces questions, trésor ?

— Trésor !… c’est dire vrai… Tout simplement pour savoir combien il me faut m’estimer moi-même… Va dire au cadet que je l’agrée… Dès le lendemain des noces, je ferai courir après lui pour qu’on lui remette mon corset qu’un prince aura délacé…

On se plaint de nos jours qu’il n’y ait plus d’enfants. N’en fut-il pas toujours ainsi ?… L’enfant mignon, menu, pimpant, coquet, qu’était Mlle Liane de Ravolle, fut paré, choyé, admiré, caressé tout un jour, et se maria au cloître Saint-Séverin. M. de Longpré ramena sa femme jusque chez son père, la baisa au front, poussa un grand soupir et, dès que le jour eut commencé à baisser, il enfourcha son cheval tout sellé qui l’attendait dans la cour. Jamais on ne le revit.

Le lendemain, la pauvrette pleura beaucoup devant ses amies ; on maudit fort monseigneur le Régent pour l’ordre cruel qu’il avait donné à M. de Longpré de rejoindre son régiment le soir même de ses noces et l’on s’habitua a ne pas le voir revenir.

Liane, qui pleurait au dehors, riait très fort au dedans. Elle n’en avait pas moins été femme au moment voulu, et rien ne l’empêcherait de mettre au monde quelques petits princes. Philippe de Mantoue, à son réveil, lui en avait promis au moins un.

Il ne tint pas sa promesse, mais tint au moins sa langue. On ne connut pas ses amours avec Mme de Longpré et celle-ci les rompit la première. Elle y avait rempli son escarcelle sans y trouver d’autre plaisir et ne tarda pas à souhaiter que son mari revint. Par malheur, il était mort d’une arquebusade et, ne l’ayant pas connu, elle n’eût guère à le pleurer.

Sous prétexte de la consoler d’un chagrin qu’elle ne ressentait pas, — et comme on ignorait ses petits péchés, — on l’accueillit partout. Force lui fut de retrouver son rire. Pendant ce temps, elle avait appris à réfléchir, à songer et même à envier. Il se passait de singulières choses dans sa tête d’oiselet mignon et la baronne de Longpré à l’école de Gonzague ou ailleurs, avant d’avoir vingt ans, était devenue la plus dangereuse petite rouée qu’on pût rêver.

Elle que, pendant un temps et de toutes parts, on s’était efforcé de consoler s’était mis dans la cervelle d’atténuer le chagrin d’Aurore, usant à son égard des cajoleries dont on l’avait bercée naguère.

La cérémonie du mariage mise à part, elle prétendait que leur situation présentait une analogie frappante. Le fiancé de Mlle de Nevers était éloigné, de même qu’on avait éloigné son mari à elle ; or, avec beaucoup de bonne volonté, on pouvait rapprocher ces circonstances.

Là s’arrêtait la similitude. La petite baronne ne songeait point que le départ précipité de Lagardère eût eu les mêmes raisons, ni les mêmes conséquences pour Aurore que pour elle ; elle n’admettait pas davantage que le comte dût mourir d’une arquebusade ; mais elle s’entêtait quand même, en entendant soupirer Aurore pour son fiancé, à croire que pareille chose lui était arrivée et qu’elle avait soupiré pour M. de Longpré.

Si c’eût été simplement chez elle de l’illusion, le mal n’eût pas été bien grand. Au fond d’elle-même, elle s’avouait que c’était autre chose. Par un sentiment plus fréquent qu’on ne pense chez les femmes, elle enviait Mlle de Nevers pour la réalité de ses peines, alors que les siennes propres n’avaient été qu’un trompe-l’œil.

En résumé, elle l’aimait et la haïssait en même temps. Pas assez cruelle pour oser elle-même lui faire du mal, elle était quand même tourmentée du désir pervers de la voir souffrir. Si elle l’accablait de caresses et de marques d’affection, c’était en faisant patte de velours, comme les chats, et en réfrénant une envie folle de lui labourer le visage avec ses-ongles.

Aurore parut d’abord indifférente à son égard ; la pauvre fleur repliée sur elle-même qu’elle était, s’accommodait mal de ce caquet et de cette exubérance. Mais il semblait que tout le monde s’entendît pour la lui jeter à la tête.

Le marquis de Chaverny et Mme de Saint-Aignan, croyant sincèrement que cette écervelée était seule capable d’apporter un dérivatif à la mélancolie de la jeune fille, ménageaient entre elles de fréquentes entrevues. Flor elle-même s’était avisée que cette gaieté bruyante, en tiers dans leurs éternels tête-à-tête, serait d’un heureux effet sur l’esprit de son amie. Mme de Nevers, la sagesse même, n’avait pas tardé à se ranger, elle aussi, à l’opinion de tous.

Une sorte de lien s’était donc établi entre ces trois enfants de même âge, dont la grande préoccupation était un amour contrarié. Car Mme Liane de Longpré avait pour celui qui n’avait été son mari que de nom, une sorte de tendresse posthume, elle le croyait du moins, et c’était encore une cause de jalousie pour elle que de voir le culte d’Aurore voué à un objet réel, quand le sien n’était qu’illusoire.

L’envie ne lui manquait pas non plus de se fiancer pour de bon et d’aimer de tout son cœur. Mais ce qui attirait vers elle la foule des soupirants, c’était encore moins sa beauté que sa réputation d’épouse vierge dont s’auréolait sa mutinerie.

Au fond de sa conscience, Liane savait parfaitement ce que valait cette auréole ! L’ancienne maîtresse de Gonzague ne pouvait épouser qu’un niais, or ce n’était pas cela qu’elle voulait.

De même qu’elle avait préféré un prince à un cadet de Guyenne, elle tenait pour indignes de sa main tous ceux qui n’étaient pas à la hauteur d’un Lagardère ou d’un Chaverny.

Il n’y avait qu’un Lagardère, et c’était pour Aurore ; qu’un Chaverny, destiné à doña Cruz. La petite baronne avait beau chercher autour d’elle, parmi les pourpoints de soie et les perruques poudrées : elle y trouvait beaucoup de petits maîtres et pas l’ombre d’un héros.

Pour en bien connaître le modèle, elle s’était fait raconter par Flor, par Chaverny et par la marquise de Saint-Aignan, les moindres phases de la vie d’Henri. La même tentative avait échoué auprès d’Aurore, pour qui l’existence de son fiancé était un livre d’or enfoui dans son cœur, fait d’admiration, de reconnaissance et de tendresse, et qui se résumait en deux mots : Je l’aime !

Mlle de Nevers aimait à entendre dire des louanges de Lagardère, exalter son courage, vanter sa bonté. Elle n’en parlait jamais, sinon quand elle était seule avec Flor.

Liane de Longpré apprit ainsi le rôle infernal joué par Gonzague dans toute cette histoire, depuis l’assassinat de Philippe de Lorraine, duc de Nevers, jusqu’aux événements les plus récents dont on avait connaissance.

Il semblerait qu’elle eût dû partager à son égard la haine de ses nouvelles amies, flétrir le meurtrier et qu’à son mépris pour cet homme eût dû se joindre la colère d’avoir été souillé de ses caresses.

Ce fut chez elle le premier mouvement : le second fut tout autre.

Elle était très forte en déductions maintenant, la petite baronne !… Aussi, un soir, dans la solitude de son grand lit, parmi les dentelles à peine froissées par la menue joliesse de son petit corps, à qui l’amour ne venait point, non pas sous la forme d’un homme, mais d’un être supérieur, d’un demi-dieu, elle réfléchit longtemps, longuement.

Et quand dans sa tête d’oiselle se furent heurtées la passion, l’envie, l’espoir, la jalousie, un peu de honte et beaucoup d’orgueil, Mme de Longpré planta son bras nu et fluet, coude en avant, dans le linon de ses oreillers, regarda dans le vide, vers le passé, vers le présent, vers l’avenir.

De sa main blanche, aux doigts fuselés, à travers les malines de sa toilette de nuit, elle chercha la place délicieusement arrondie sous laquelle battait son cœur, pour en comprimer les pulsations, et s’écria, comme jetant un défi à son destin :

— Mon héros !… je l’ai eu avant elles et je n’ai pas su le garder !… Il n’y en a que trois au monde : Lagardère, Chaverny et Gonzague ! De cette minute, elle n’eut plus qu’une volonté : retrouver Philippe de Mantoue et le reprendre.

— Ce n’est pas tout, songeait-elle, mon rôle ne devra pas s’arrêter à celui d’amante ; je ne me bornerai pas à donner mon cœur, mon corps… j’offrirai aussi ma vie, s’il le faut, pour sauver Gonzague de l’épée de Lagardère !…

Chez de telles natures la résolution une fois prise est irrévocable. Liane savait Aurore et doña Cruz capables de donner jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour leurs fiancés : c’était une raison pour qu’elle voulût être leur égale, puisqu’il serait, sinon le fiancé, du moins le maître.

Alors elle envisagea les conséquences de sa décision. Devenant l’alliée de Philippe de Mantoue, les ennemis de celui-ci seraient les siens. Et ces ennemis s’appelaient non seulement le comte de Lagardère et marquis de Chaverny, mais encore Aurore de Nevers et doña Cruz.

Sa conscience ne s’en émut point. Au contraire, sa duplicité triomphant la fit sourire, parce qu’elle pensait :

— N’aurai-je pas des intelligences dans la place ? Je serai à la fois le trait d’union et le trait qui sépare ; je pourrai à mon gré diriger les coups ou les écarter, exhausser ceux qui seront avec moi, briser ceux qui seront contre moi !…

Sa dernière réflexion fut celle-ci :

— Mais où sont Lagardère et Gonzague !

Du jour où Henri était retourné en Espagne, Aurore avait exhumé ses Mémoires, écrits jadis pour sa mère bien-aimée, et reprenant sa plume qui devait grincer et crier aux jours de tristesse, glisser rapide aux heures de joie, elle avait commencé par ces mots : « Henri !… ma vie t’appartient !… Si, pour un temps qui sera court, je l’espère, tu ne peux la suivre des yeux, la guider et la soutenir, la faire joyeuse et douce, comme aux heures de bonheur où je vivais dans ton ombre, je veux du moins que rien de mes actions ne reste inconnu pour toi.

« Quand tu reviendras, tu liras ces pages, notées jour par jour, presque heure par heure. Tu verras que ma pensée te suivait dans l’inconnu, le mystère de ton absence. Au tremblement des caractères, tu devineras les minutes d’angoisse ; à leur envolée, les lueurs d’espoir. Sous les phrases les plus banales, tu sauras découvrir les joies et les tortures de mon cœur, ma confiance et mon infinie tendresse.

« Je reprends mes Mémoires pour toi, pour toi seul, avec le secret espoir qu’ils s’arrêteront au bout de quelques pages et que bientôt tu reviendras me dire : « Ferme ce cahier, ma chère Aurore ; notre amour est écrit dans notre cœur, il n’est pas besoin de l’écrire ailleurs. Aimons-nous et vivons notre vie. »

Hélas ! les feuillets s’étaient couverts les uns après les autres de plaintes, de gémissements et de sanglots. Mlle de Nevers voyait avec terreur qu’il lui faudrait peut-être en ajouter d’autres, et pourtant sa main ne se fatiguait pas, son cœur n’était pas las de saigner.

Les heures qu’elle consacrait à cette pieuse tâche de mettre à nu son âme, de dire ses sensations et ses actes dans la sincérité de sa conscience, la brisaient et la relevaient en même temps. Quand sa tristesse avait fondu en douloureux accents, elle évoquait la vaillance de son fiancé et se sentait plus vaillante elle-même. Mais toujours le cri revenait : « Hâte-toi, mon bien-aimé !… mes forces s’usent à t’attendre… Quand nous étions l’un près de l’autre pourquoi es-tu parti ? »

Rien de ce qui la touchait de près ou de loin n’était omis dans ce journal intime. Dès le début de sa liaison avec Mme de Longpré, elle commença d’en parler, assez brièvement d’abord, puis s’étendant plus longuement, à mesure que leur intimité croissait :

« On veut, disait-elle, qu’elle m’apporte la gaieté, comme si je pouvais être gaie. Je m’efforce de rire quand elle rit : elle ne voit pas que cela me fait mal.

« Pourtant dois-je lui être reconnaissante de ses efforts, bien qu’ils me paraissent exagérés. Pourquoi ne me laisse-t-on pas songer, prier, pleurer à mon aise ? Il m’est aussi pénible à moi de paraître joyeuse qu’il lui serait difficile à elle de verser des larmes. »

Plus loin elle écrivait :

« Mme de Longpré sort encore d’ici. N’a-t-elle donc rien de mieux à faire que de m’apporter chaque jour le bourdonnement de ses paroles et ses gestes bruyants ? On croirait toujours qu’elle va danser une gavotte et les seuls moments agréables que je passe avec elle sont ceux où elle me parle de toi avec Flor… J’écoute et je me tais… Ai-je besoin de prononcer ton nom pour qu’il soit toujours sur mes lèvres ?… Et quand c’est des siennes qu’il s’échappe, il me semble qu’elle n’a pas le droit de le crier ainsi, qu’il est à moi, qu’il m’appartient et que seule je puis le murmurer avec respect, avec amour.

« Tu sais que je n’ai pas de fiel au cœur et pas de haine, sinon pour le meurtrier de mon père. Eh bien !… cette femme me déplaît, comme si en elle, il y avait quelque chose de lui. C’est là sans doute une chose insensée : pourtant c’est ainsi. Quand Flor vient m’embrasser, quand nous nous pressons poitrine contre poitrine je sens qu’entre mon cœur et le sien il n’y a qu’une imperceptible enveloppe et qu’ils se touchent, qu’ils se parlent, qu’ils se comprennent. Quand Jacinta même s’approche de moi, me prodigue des soins, j’ai l’intuition que son dévouement est entier, que d’elle à moi il y a un lien d’attachement absolu, de moi à elle un autre lien de confiance et d’affection.

« Je ne ressens rien de cela pour Liane — c’est le petit nom de Mme Longpré. — Elle m’embrasse tantôt avec emportement, tantôt avec froideur ; sa voix me fatigue et le son m’en parvient comme si l’on faisait parler un mannequin. Quand ma pensée m’emporte vers toi, vers ce que tu fais, que je cherche le lieu où tu peux être en me remémorant nos longues et douloureuses pérégrinations en Catalogne, elle me ramène par le récit d’un bal à la cour, d’une folie du Régent ou la description d’une toilette.

« Flor ne comprend rien à ce sentiment que notre amie m’inspire et qui est presque de l’antipathie. Je m’en suis ouverte à elle ; point par point, elle m’a démontré la peine que prenait cette dame pour me plaire, avec quelle chaleur elle parle de toi et du marquis, combien souvent elle renonce à des distractions qui l’attendent pour venir égayer notre solitude.

« J’essaie alors de me faire une raison, d’attribuer mes préventions à ma santé, à mes préoccupations, à l’incertitude de ne savoir rien de toi. Je me promets alors de l’accueillir avec plus d’empressement et quand elle parait c’est fini. La chaleur même de ses démonstrations me glace. »

Enfin, deux jours plus tard, elle traçait ces lignes :

« Je me défie presque de Liane, Flor n’est pas loin d’avoir la même opinion. Cela repose sur des riens, un jeu de physionomie, peut-être l’état de ses nerfs ou une contrariété qu’elle n’a pas à nous dire ?… Flor et moi avons surpris un regard qui m’était destiné et dans lequel il nous a semblé voir passer comme une lueur d’acier.

« Est-elle sincère ?… Est-elle fausse ?… Mon pauvre Henri ! combien je voudrais que tu sois ici pour me dire si tous ces doutes ne sont pas le résultat de mon imagination surchauffée, ou s’il faut chasser cette femme.

« Je n’ose pas en parler à ma mère auprès de qui elle est plus empressée encore qu’envers moi-même. Flor en a dit un mot à Chaverny et celui-ci a répondu par des louanges, alléguant que de notre ciel trop sombre il ne fallait pas éloigner les papillons bleus.

« Aujourd’hui elle nous a questionnées sur Gonzague. Elle avait un air indifférent pour nous demander si nous savions ce qu’il est devenu et nous avons deviné qu’elle tenait beaucoup à le savoir…

« Que lui importe ?

« Ai-je raison ? ai-je tort ?… Mais qui me délivrera de ce cauchemar ? »

Oui, certes, la baronne de Longpré avait intérêt à savoir où était Gonzague et Gonzague à savoir où elle était elle-même. Il venait de se souvenir d’elle au bon moment et pensait à déjà s’en servir.