Librairie Ollendorff (p. 69-75).


XII

LE PIÈGE


Après toutes les constatations déjà faites, Mathurine ne tarda pas à s’arrêter à une autre beaucoup plus étrange.

Il était de tradition au Trou-Punais que la Paillarde pouvait tenir tête, le verre en main, à n’importe quel buveur et sans en être incommodée elle-même. Il en avait coûté cher à certains qui l’avaient mise au défi, quand ils avaient dû payer la dépense.

Pour le moment, il n’en était aucunement question. Cocardasse ne l’avait pas provoquée à une de ces beuveries épiques comme nous en avons vu une entre le Bossu et Chaverny, et si l’on avait vidé déjà pas mal de flacons, ce n’était que pour se maintenir le gosier frais.

Certes, Yves de Jugan et Raphaël Pinto n’eussent pas mieux demandé que de voir l’hôtelière absolument ivre ; mais ils n’étaient pas de taille à se mesurer avec elle, et quant à engager Cocardasse à le faire, ils n’y songeaient en aucune façon.

Leur plan était d’amener les prévôts à une demi-ébriété qui se bornerait à paralyser une partie de leur volonté et pouvoir ainsi les entraîner au dehors au moment opportun.

Ils avaient lieu d’être satisfaits en ce sens : le nez du Gascon commençait à s’émerillonner assez joliment et le Normand sentait des bouffées de chaleur lui monter à la tête.

Cependant la Paillarde et Mathurine gênaient singulièrement leurs projets, et s’ils avaient trouvé le moyen de se débarrasser de la première, il n’en était pas ainsi de la seconde. Leur perplexité se fût même doublée s’ils eussent pu savoir qu’elle les surveillait de si près.

Depuis un instant, l’hôtelière clignait des paupières, bâillait à tout instant et faisait des efforts surhumains pour réagir contre le sommeil.

— C’est singulier, dit-elle en se frottant les yeux ; il me semble que j’ai envie de dormir, ma tête est lourde comme du plomb.

C’était étrange, en effet, de voir cette femme, qui ne cédait jamais devant ce qui était contraire à sa volonté, se débattre contre une somnolence invincible.

Elle se leva, s’élira les membres, fit quelques pas dans la salle et, attribuant cet engourdissement moins encore à l’immobilité à laquelle elle s’était astreinte qu’à ce qu’elle venait de boire, elle avala coup sur coup deux grands verres d’eau.

Le remède fut inefficace. Il lui parut que ses jambes étaient molles comme de la laine ; elle revint s’asseoir, essaya de plaisanter avec Passepoil. Sa langue s’empâtait à mesure, sa tête vacillait de droite à gauche. Elle avait la physionomie d’une personne prise d’ivresse et Mathurine la considérait du coin de l’œil avec un étonnement mêlé de défiance.

Enfin la Paillarde n’eut plus la force de parler ; toute résistance étant devenue inutile, elle s’endormit sur la table dans le creux de ses bras.

Si l’on eût demandé à Yves de Jugan la raison du regard de triomphe qu’il échangea avec son acolyte, peut-être n’eût-il pas voulu la donner.

Or, il est nécessaire que le lecteur la connaisse, et la voici dans toute sa simplicité :

Pendant que Mathurine était descendue à la cave, que Cocardasse avait le nez dans son gobelet et que Passepoil se faisait cajoler par l’hôtelière, Jugan avait glissé dans le verre de celle-ci une sorte de pilule rosée à peine grosse comme un pois et qui s’était dissoute instantanément.

C’était Gauthier Gendry qui la lui avait remise. À cette époque où l’on avait souvent besoin d’endormir les gens pour un prétexte rarement honnête, il était dans certains quartiers des apothicaires clandestins qui faisaient commerce de ces petits bonbons sans danger pour la vie. Ils y gagnaient certes plus gros qu’à donner des clystères et n’avaient pas que des bandits pour clients. Ils étaient aussi visités par de fort jolies dames qui voulaient être bien sûres que leurs maris dormiraient alors qu’elles seraient ailleurs ; et, pour elles, le prix des pilules variait à l’infini selon la richesse de leur mise.

Gendry en avait eu quelques-unes à bon compte et sa première idée avait été de les utiliser pour les prévôts. Toutefois, il avait craint qu’elles n’eussent aucun effet sur Cocardasse, ce en quoi il avait peut-être eu raison.

— Continuons notre jeu, dit Pinto ; la belle se réveillera dans un instant. C’est autant de sols qu’elle ne nous gagnera pas.

— Peut-être que demoiselle Mathurine a soif, opina Jugan, et ce serait poli à nous de l’inviter à boire quelques rasades en notre compagnie.

— Coquin de sort ! Amable, cette idée elle aurait dû te venir. Il ne faut pas que le beau sexe ici présent il souffre…

— Non ! oh ! non, susurra Passepoil en risquant un coup d’œil langoureux du côté où se tenait la Cauchoise. Nous sommes ici pour nous amuser, amusons-nous. Viens un peu, belle enfant, car au rubis du vin je préfère cent fois celui de ta joue !

Maintenant que la Paillarde dormait à poings fermés, ce volcan de frère Amable pouvait risquer une déclaration à Mathurine, dont l’autre lui avait fait tout à l’heure un dangereux éloge. Aussi, depuis qu’il avait licence de la regarder en détail, commençait-il à la trouver de son goût, beaucoup mieux même que sa maîtresse.

Il ne la mettait pas encore cependant au niveau de Mlle Cidalise, qui représentait pour lui le summum des grâces féminines. On ne compare pas une servante de cabaret à une beauté de l’Opéra, alors que celle-là sent l’oignon et que l’autre fleure le benjoin. N’empêche que si l’inflammable prévôt eût vu devant lui Mathurine en toilette de Cidalise, il eût sans doute été fort embarrassé de choisir.

La servante, de son côté, n’avait plus à se cacher pour regarder Passepoil. Un trait d’union mystérieux entre ces deux enfants de Normandie semblait maintenant se dessiner par-dessus le dos de la dormeuse. Le physique assez peu avantageux de l’amoureux falaisien exerçait sur elle une si incompréhensible tentation et sa voix douceâtre lui paraissait si enivrante que Mathurine eut besoin de faire un violent effort sur elle-même pour ne pas se rendre à l’invitation du prévôt ; d’autant plus qu’en se rapprochant de lui, elle eût réalisé une partie de ses projets en lui glissant à l’oreille un avis salutaire.

Mais elle se contint parce que c’était un jeu trop dangereux pour le cas où l’hôtelière viendrait à se réveiller brusquement. Une scène s’ensuivrait alors dont il lui faudrait supporter tout le poids.

La bizarrerie du sommeil de sa patronne d’ailleurs ne lui donnait pas moins à penser. Ses doutes ne firent que se confirmer de l’insistance des jeunes gens pour qu’elle vînt boire avec eux. Ce dernier point fut même cause qu’elle refusa tout net.

— Merci bien, messeigneurs, dit-elle, je n’ai pas soif.

— Eh ! Minionette ! s’écria le Gascon, la soif vient en buvant, comme l’appétit en mangeant. Essaie un peu pour voir.

— Je ne bois jamais de vin, répliqua Mathurine.

Cocardasse la dévisagea de la même façon que l’avait fait Passepoil quand on lui avait dit qu’elle n’avait pas d’amoureux. Pour l’un, tel qui ne buvait pas de vin et pour l’autre, tel qui n’aimait pas, devait être conformé autrement que le commun des mortels.

— Eh ! donc !… que bois-tu ?

— Du cidre, quelquefois… presque toujours de l’eau.

— Ver ! plaignit le Gascon dont le gosier devint soudain aride à la pensée de ces deux liquides abhorrés ; va donc chercher de ce juss insipide, pitchounette.

— Il n’y a pas de cidre ici, mon gentilhomme, et, je vous l’ai dit, je n’ai pas soif.

— Oïmé !… voilà bien quelque chose qui me renverse et tu es la première que j’ais vue bâtie de la sorte. Si je songe jamais à me marier, je songerai à toi… Cornebiou ! à table au moins j’aurai la part double.

— Joue donc, interrompit Passepoil, craignant déjà que son ami parlât sérieusement de mariage.

La Paillarde ronflait. Il y avait des chances pour qu’elle ne se réveillât pas de longtemps. Il pouvait être deux heures du matin et, au dehors, la nuit était d’un noir d’encre.

Yves de Jugan et Raphaël Pinto paraissaient inquiets. Ils prêtaient l’oreille au moindre bruit venu de l’extérieur. La résistance de Mathurine les déroutait et vainement ils se creusaient la cervelle pour découvrir un moyen d’éloigner ce témoin gênant.

S’ils eussent pu l’endormir, comme ils l’avaient fait pour sa maîtresse, le champ fût resté libre ; les prévôts se laissaient facilement attirer dans le guet-apens projeté.

Force leur était d’y renoncer maintenant et aussi de constater que les deux habitués de Crèvepanse tardaient bien à agir de leur côté.

Le jeu reprit donc sans enthousiasme. Passepoil échangeait de tendres œillades avec Mathurine ; les spadassins se faisaient des signaux inquiets et Cocardasse n’avait d’yeux que pour la bouteille. Mauvaises conditions, en somme, pour que les uns et les autres fussent attentifs à leurs cartes.

Décidément la gaieté sommeillait, sans qu’il eût été besoin de pilules.

Soudain, un cri qui venait de retentir au dehors, cri tout proche, fit bondir Cocardasse et Passepoil, les mit debout comme s’ils eussent été assis sur un tonneau de poudre.

C’était un appel lancé d’une voix sonore :

— À moi… Lagardère !!…

— Caramba !… As-tu entendu, pitchoun ?

— Ventre de biche !… courons !…

Tous deux avaient déjà l’épée à la main. Ils se précipitèrent vers la porte, Jugan et Pinto se regardèrent avec un méchant sourire et poussèrent leurs sièges pour les suivre.

— Vite, messeigneurs, dit le premier, on tue quelqu’un par là.

Mais Mathurine aussi s’était levée d’un bond, et de sa haute taille elle barrait la sortie. Elle saisit Passepoil par le bras et l’arrêta net :

— N’y allez pas, s’écria-t-elle, en saisissant Passepoil par le bras. Au nom du ciel, ne sortez pas d’ici !…

Pour la seconde fois, le cri monta du fond de la Grange-Batelière comme un appel désespéré :

— À moi, Lagardère !

— Sûr que c’est le pitchoun, s’écria Cocardasse en jetant Mathurine de côté d’un coup d’épaule. Jugan et Pinto ne perdaient pas leur temps et mettaient une ardeur bien méritoire à retirer les barres, tandis que la Cauchoise parlementait à la force du poignet avec les prévôts. Lorsque enfin la porte s’ouvrit béante sur la nuit noire, Passepoil se dégagea d’un mouvement de couleuvre, sans brutalité, et bondit derrière son ami, non sans avoir ravi un baiser sur la joue veloutée de la servante, histoire de n’en point perdre l’habitude.

— Restez, restez, cria celle-ci en se tordant les mains de désespoir. Restez ! C’est à votre vie qu’on en veut… Ces deux-là sont des assassins !…

Il était trop tard pour que les prévôts, déjà loin, l’entendissent.

Jugan seul se retourna aux dernières paroles et lança à la pauvre fille un regard haineux.

Un éclair d’énergie farouche illumina alors les yeux de Mathurine. Elle ne fit qu’un saut jusqu’à la Paillarde, lui arracha le pistolet qu’elle portait toujours dans son corsage et, sans apercevoir que l’hôtelière roulait sous la table, elle revint sur la porte, visa Yves de Jugan et fit feu.

Le feutre du jeune homme vola, traversé de part en part.

— Oh ! oh ! grommela-t-il entre ses dents, on te réglera ton compte, à toi, après celui des autres.

Après le coup de feu, pour la troisième fois, l’appel ayant retenti, mais dans la direction opposée, du côté de l’égout de Montmartre, les quatre hommes firent volte-face et reprirent leur course.

Cocardasse était lancé comme un boulet suivi de son alter ego dont les longues jambes s’ouvraient démesurément, il passa entre les apprentis assassins en lançant une kyrielle d’éclatants jurons.

— Cornebiou !… hurla-t-il, tiens bon, pitchoun !…

— Plus vite, plus vite, souffla Passepoil dans ses talons. Il est seul et on peut le frapper par derrière.

Les deux braves ne s’étaient pas demandé comment Lagardère pouvait être là. Ils avaient entendu jeter son nom et c’était un appel : avaient-ils le temps de démêler si c’était bien sa propre voix ?

Pourquoi, d’ailleurs, n’eût-ce pas été lui ? Ne les avait-il pas habitués à paraître quand on l’attendait le moins ?

Tout en courant comme des forcenés, ils échangeaient leurs impressions.

— Pécaïre !

— Le pitchoun il est de retour, disait le Gascon, eh donc ! nous allons rire.

— Je trouve très surprenant, ripostait cet observateur de Passepoil, que nous n’ayons pas encore rencontré de cadavres.

— Té !… on n’y voit pas à deux pas… Nous sautons par-dessus, mon bon.

De fait, ils volaient et les jeunes gens avaient peine à les suivre. Le terrain était si mauvais, la nuit si obscure que parfois l’un des hommes glissait, tombait dans une ornière, se relevait en jurant et reprenait sa course. Jugan et Pinto tenaient leur épée haute, prêts à frapper dans le dos.

On entendit encore une fois appeler à l’aide, d’une voix faible, à vingt pas à peine.

Un frisson courut le long des membres des prévôts :

— Nous voici, pitchoun !… Voici ton vieux Cocardasse et c’ta couquin d’Amable.

Ils allaient atteindre l’égout. Ils tremblèrent qu’on y eût jeté le comte avant qu’ils eussent eu le temps d’arriver.

Un mauvais pont de bois, sans parapets, servait à franchir le ruisseau nauséabond ; à l’entrée de cette passerelle s’élevait une sorte de guérite en planches établie au début pour servir de péage et devenue inutile. On l’apercevait maintenant, dressée dans la nuit comme une borne énorme.

Cocardasse et Passepoil n’avaient plus qu’un pas à faire pour l’atteindre. Leurs yeux fouillaient l’obscurité et, le cou tendu en avant, ils cherchaient à entrevoir des silhouettes.

Mais ils ne voyaient rien, n’entendaient pas le plus léger bruit, sinon le clapotis très vague de l’eau dans le canal infect.

Une seconde, à l’entrée du pont, ils ralentirent leur course et c’en fut assez.

Deux hommes, émergés de la cabane, se précipitèrent sur eux en avalanche. La lame d’une épée glissa sous le bras de Cocardasse, pendant qu’une autre traversait le pourpoint de Passepoil sans lui faire autre chose qu’une égratignure.

En même temps les prévôts recevaient chacun un coup de tête dans la poitrine, perdaient pied avant d’avoir eu le temps de se reconnaître et dégringolaient ensemble dans l’égout.

Une pluie de pierres s’abattit, à l’endroit où l’eau s’était refermée sur eux et, quand elle s’arrêta, des éclats de rire retentirent sur le pont.

— Tudieu ! ils n’en échapperont pas, cette fois, disait Gauthier Gendry. Leurs carcasses vont voguer dans l’égout avec les immondices et les charognes.

— En bonne compagnie, ricana Yves de Jugan.

— Es-tu sûr d’avoir touché le tien, la Baleine ?

— Mon épée a rencontré son homme et je viens de sentir du sang à la pointe.

— Je ne sais où la mienne a passé, reprit Gendry ; elle est entrée comme dans du beurre, sûrement elle n’a pas rencontré les côtes. C’est là un de ces petits coups bien allongés qui vont droit au cœur.

— Vous ne nous avez laissé rien à faire, dit Raphaël Pinto.

— C’est que vous n’avez pas encore la main assez leste, mes agneaux. Mais que dites-vous de ce petit bouillon noir dans lequel nous venons de les ensevelir ? Vous attendiez-vous à ce qu’ils viendraient en courant si vite se mettre au bout de nos épées ?

— J’avoue, répondit Jugan, que nous n’avions rien pu trouver, nous autres, pour les décider à sortir de l’auberge. Il vous a fallu un esprit du diable. Combiner un piège comme celui-là, c’est assez joli.

L’ex-sergent aux gardes accepta ce compliment comme il le devait et murmura avec orgueil :

— On n’en est pas à son coup d’essai, et je savais bien que les nigauds se laisseraient prendre. Lagardère, en ce moment, est peut-être à cent lieues d’ici.

— Dommage, ricana la Baleine, nous aurions pu l’envoyer, lui aussi, barboter dans l’égout.

— Son tour viendra, s’écrièrent les jeunes gens avec ensemble.

— Oh ! oh ! pour celui-là, c’est une histoire bien différente. Vous ne le tenez pas encore et vous risquerez plus souvent de tomber dans ses pièges que lui dans les vôtres. Quoi qu’il en soit, il doit se sentir touché, car nous venons de lui couper au moins deux doigts de sa main droite.

Puis, après quelques secondes de réflexion, Gauthier Gendry ajouta :

— Le meilleur de notre affaire, voyez-vous, c’est que personne ne pourra nous soupçonner… Où était la Paillarde quand vous avez quitté l’auberge ?

— Elle dormait comme une souche, la pilule a fait son effet.

— Alors, nous n’avons rien à craindre et si l’on retrouve les cadavres dans l’égout, nul ne nous en accusera. Il y a assez de malandrins dont c’est le métier d’y pousser les ivrognes, même en s’y aidant d’un coup de stylet…

— Un instant, interrompit Yves de Jugan dont le front venait de s’assombrir. La Paillarde n’était pas seule à l’auberge…

— Comment cela ?

— Écoutez un peu, maître Gendry. Notre besogne n’est peut-être pas terminée pour ce soir ; j’ai quelques mots à dire à une jeune personne dont l’envie était de posséder une mèche de mes cheveux.

— Corbleu, explique-toi…

— N’avez-vous pas entendu un coup de feu ?

— Il me semble, mais ce n’est pas chose rare en ces parages.

— La balle m’était destinée, elle m’a même emporté mon chapeau avec quelques cheveux. Ce n’est pas la Paillarde qui a tiré…

En quelques mots, il rapporta à son chef les paroles de Mathurine, la façon dont elle s’était opposée au départ des prévôts et le moyen qu’elle avait employé pour se faire leur auxiliaire.

Gendry l’écoutait avec attention.

— C’est donc qu’elle aurait surpris nos conversations ? fit-il en frappant du pied.

— On ne peut l’expliquer autrement, et je suis certain qu’elle nous accusera si nous n’y mettons bon ordre.

Gendry marchait de long en large. Il s’arrêta court en grondant sourdement :

— Pas de sensiblerie nuisible. Il y a un moyen sûr de l’en empêcher. Nous avons encore du temps devant nous avant que le jour se lève et, par une nuit comme celle-ci, on a ses coudées franches, que diable ! Avant que la Paillarde ne s’éveille, allons causer un peu avec cette Mathurine.

— Ce sera dommage, murmura Pinto, c’est une belle fille…

— Ah ! bah… mes poulets. Quand elle aura pieds et poings liés, on vous permettra, jeunes gens, de vous entretenir chacun cinq minutes dans les ténèbres avec elle.

Et se tournant vers la Baleine, l’ignoble coquin ajouta en s’accompagnant d’un gros rire :

— Il faut que jeunesse se passe.

— Et après ? demandèrent les jeunes gens.

— Après ?… Tudieu ! on l’enverra rejoindre ses amis.

Tous les quatre se penchèrent encore une fois vers l’égout. Il était muet comme une tombe.

— Cocardasse a bu cette nuit pour la dernière fois, ricana Gendry. Que ce liquide soit doux à son gosier !

Tous ensemble poussèrent un éclat de rire à cette plaisanterie macabre et reprirent le chemin du Trou-Punais.