Librairie Ollendorff (p. 51-57).


IX

RECHERCHE NOCTURNE


Précédons un peu nos deux braves pour voir ce qui s’était passé la veille au soir dans les deux cabarets du Trou-Punais et de Crèvepanse, car ce n’était pas seulement dans le premier de ces bouges qu’on avait fait la veillée en leur honneur.

La Paillarde, sitôt leur départ, avait été saisie par la crainte vague de ne plus les voir revenir, et la femme en cela n’y était pour rien. En effet, si leur mauvaise étoile les lui ramenait tous les deux, elle se promettait simplement d’allécher le Normand avec des promesses vagues auxquelles elle ne donnerait sans doute aucune suite. Pendant ce temps, l’argent des prévôts tomberait dans son escarcelle et c’était surtout à cela qu’elle était sensible.

Elle restait ainsi dans son jeu habituel, se gardant bien de dépouiller d’un seul coup et dès le premier jour les gogos que la Providence ou le diable lui envoyaient.

On ne se laisse pas écorcher sans crier, affirme un sage dicton ; or, comme notre louchonne ne voulait pas qu’on entendît les cris de ses victimes, elle leur fermait la bouche avec un baiser, en même temps qu’elle mettait la main dans leurs poches. Les quelques privautés qu’on obtenait d’elle se payaient cher et ceux à qui elle les permettait toutes avaient dû montrer devant elle une bourse bien garnie.

On comprend facilement l’intérêt qu’elle portait aux prévôts et surtout, à Passepoil, en qui elle devinait un de ces jobards amoureux qu’on peut mener partout avec une œillade.

Yves de Jugan et Raphaël Pinto avaient un motif d’attendre leurs amis de la veille ; on les a vus, dans un bouge de la rue Guisarde, former au sujet de ceux-ci des projets plutôt déshonnêtes, en compagnie de Gauthier Gendry et de la Baleine.

Ce dernier avait renoncé aux affaires, son commerce de marchand d’amandes ne lui ayant causé que des déboires, sans qu’il y trouvât la compensation d’apprendre ce qu’il voulait savoir. Il n’en avait pas moins un nouveau grief contre les prévôts dont la présence inopinée l’avait empêché de châtier Jean-Marie Berrichon comme il le méritait. Aussi, en attendant de retrouver le gamin, pensait-il pouvoir dès le soir même, se venger sur ses défenseurs.

Si donc l’hôtelière du Trou-Punais en voulait beaucoup à l’argent de Cocardasse et de Passepoil, et fort peu à leur vertu, les quatre gredins cités plus haut n’en voulaient qu’à leur vie et toutes leurs dispositions étaient prises.

Mais ce qu’on souhaite le plus en ce bas monde ne réussit pas toujours. La Paillarde avait beau interroger l’horizon du seuil de sa porte, de même que les bandits avaient eu beau fourbir leurs rapières pour l’honneur qu’elles allaient avoir de trouer le corps aux auxiliaires de Lagardère tout le monde devait en être pour ses frais.

Au coucher du soleil, la Baleine et Gendry se rendirent donc au cabaret de Crèvepanse, tandis qu’Yves de Jugan et Raphaël Pinto entraient au Trou-Punais, où il n’y avait pas une table occupée.

— Comment ! pas encore arrivés, nos camarades d’hier ?… demanda Yves de Jugan dès qu’il eut parcouru la salle d’un regard.

— Je n’ai rien vu, répondit la Paillarde. D’ailleurs, il n’est pas encore l’heure.

— J’espérais les trouver en avance et les prier à souper avec nous.

— Tudieu ! s’écria Pinto, pourvu qu’ils n’aillent pas nous manquer ce soir ; mon gousset est presque vide et j’ai besoin de leur gagner quelques écus pour me refaire.

— Holà !… tout beau !… interrompit l’hôtelière. Je serai du jeu la première et, si quelqu’un doit gagner, il me parait honnête que ce soit la maîtresse du logis.

— On verra cela, la belle, ripostèrent les jeunes gens. En attendant, servez-nous à souper et tirez du vin pour Cocardasse ; il aura soif en arrivant ici. Une bonne heure se passa pendant laquelle les deux gaillards jouèrent des mâchoires avec cette supériorité que donne un appétit de vingt ans. C’est à peine si de temps en temps ils levaient la tête pour échanger quelque gras quolibets avec les servantes.

Les prévôts n’arrivaient pas et la Paillarde, sensiblement énervée par cette attente, faisait une navette perpétuelle de sa chaise à la porte.

Les jeunes gens, qui avaient entamé une partie de dés, paraissaient également inquiets et pas du tout à leur jeu. Yves de Jugan sortit même pendant quelques instants et, après un coup de sifflet donné devant la porte du cabaret de Crèvepanse, fut rejoint par Gauthier Gendry.

— Sont-ils là ? demanda celui-ci.

— Pas encore ; ils ont pu être retardés, mais je suis certain qu’ils viendront.

— C’était bien convenu pour ce soir ?

— Absolument.

— N’oublie pas de griser Cocardasse et tous les deux si tu peux. Quand ils seront prêts à partir, viens me faire le signal, je t’attendrai.

Yves de Jugan vint retrouver Pinto et l’attente se prolongea près d’une heure encore.

— Ils ne viendront pas, grommelait la Paillarde ; gare à ce Passepoil s’il essaie de se moquer de moi !

— Le fait est qu’il aurait grand tort, dit ironiquement Pinto. Quand on a le bonheur d’avoir gagné les bonnes grâces de Vénus, il ne serait pas pardonnable de les dédaigner.

— Tais-toi, mirliflore, fit la femme, mes bonnes grâces ne sont pas pour un cadet de ta sorte, et je m’arrangerai bien avec ceux pour qui je les garde.

— Et s’ils ne venaient pas, reprit Raphaël en veine de contrarier l’hôtesse, peut-être aurions-nous la chance d’être agréés pour les remplacer ?

— Morveux !… je t’ai dit de te taire, gronda la Paillarde qui s’avança la main levée.

Pinto fit le plongeon sous la table.

Yves de Jugan mit le holà… Ce n’était pas le moment de se faire jeter à la porte.

— Ils viendront, dit-il, j’en suis sûr. Taisez-vous, voici quelqu’un.

En effet, un homme entra, tout en remettant son épée au fourreau. Il était un peu pâle et semblait avoir besoin de se réconforter au plus vite.

Malheureusement, il ne ressemblait en rien ni à Cocardasse ni à Passepoil, et il n’était pas besoin de le regarder à deux fois pour s’apercevoir qu’il appartenait à l’une de ces bandes de coupe-jarrets toujours embusqués aux alentours de l’égout.

Sa personne et son accoutrement ne payaient pas de mine. Pinto lui ayant demandé ce qui venait de lui arriver, l’inconnu le dévisagea avec méfiance et lui répondit d’un ton rogue :

— Rien, ou, dans tous les cas, c’est mon affaire.

Puis il alla s’asseoir à une table, dans le fond de la salle, et appelant la Paillarde, il commanda :

— Donne-moi à boire et vivement.

— Oh ! oh !… fit celle-ci ; il faudrait voir à prendre un autre ton… Avant de commander si fort, as-tu de l’argent ?

— De l’argent, non… mais j’ai de l’or, et qui n’est pas passé par l’hôtel de la Monnaie.

Il fouilla dans sa poche et en tira une chaîne de femme qu’il fit sauter dans sa main, en disant :

— Regarde… cela vaut de quoi boire toute la nuit, moyennant quoi tu pourras te la passer au cou.

La Paillarde voulut soupeser la chaîne. L’homme ferma la main en ricanant :

— Bas les pattes, ma grosse, tu l’auras quand je n’aurai plus soif.

— Où as-tu pris cela ? demanda-t-elle.

— Si on te le demande…

L’hôtesse planta ses poings sur ses hanches robustes.

— Pas de cachotterie, dit-elle. Tu viens de voler ça, l’ami, et pas bien loin d’ici. J’aime à savoir ce qui se passe autour de mon auberge, quand cela serait que pour me distraire, moi qui ne mets jamais les pieds dehors.

— Il fallait y venir voir.

— J’aime mieux que tu dises ce que tu as vu, toi.

— Moi, je n’ai rien vu.

— Rien vu !… toi ?… Tu sais, mon petit, ce n’est pas à la Paillarde qu’on en conte et ce n’était pas pour abattre des noix que ton épée était tirée tout à l’heure.

Le malandrin se rebiffa :

— Je te dis que je n’ai rien vu, puisqu’il faisait noir. Laisse-moi la paix, ou je m’en vais ailleurs. Si je ne veux rien dire, ce n’est pas toi qui me feras jaser, la commère !

— Erreur profonde ! s’exclama la Paillarde, qui, d’un mouvement imprévu, arracha sa rapière du fourreau.

L’ayant ainsi désarmé, elle fit un pas en arrière et, de sa main libre, tirant un pistolet de son corsage, elle en braqua le canon sur la tempe de son singulier client.

— Tu n’es pas le premier ni le dernier, ajouta-t-elle, que je ferai causer malgré lui. Et je t’engage à ne pas te faire prier davantage si tu tiens à ignorer les autres leçons dont je sais faire usage pour délier les langues.

Yves de Jugan et Raphaël Pinto suivaient cette scène avec intérêt. Quant aux servantes, bien qu’elles fussent accoutumées aux manières expéditives et guerrières de leur maîtresse, elles l’applaudirent.

— Tu les vois, dit l’hôtelière en montrant les viragos réunies autour d’elle. C’est ma bande, cela, et elle vaut la tienne, car il faudrait pas mal d’hommes pour leur faire peur. Il te faut jaser, mon gaillard, si tu ne veux passer un vilain quart d’heure entre leurs pattes.

Le bandit essaya de s’esquiver. Une des femmes avait vu son mouvement, elle lui barra crânement la porte et, d’un coup de tête dans la poitrine, l’envoya rouler sous la table.

— Bien, dit la Paillarde, cela te rendra docile.

Mais l’homme était têtu :

— Non, je ne parlerai pas, fit-il. Je ne sais pas qui sont ces deux-là. Il désignait du doigt Jugan et Pinto qui se mirent à rire.

— Nous ne sommes ni des exempts, ni des policiers, répondirent-ils, et tu peux raconter ton histoire à ton aise, mon bonhomme. Il est même fort possible qu’elle nous intéresse. À boire, vous autres, cela lui déliera la langue.

Devant les brocs, L’homme se décida :

— Vous avez peut-être vu, commença-t-il, de jolies dames se promener tout l’après-midi aux alentours de la Grange. Elles ont eu le tort d’y rester trop tard et ce n’était pas tout à fait de leur faute, car on avait grisé les cochers qui conduisaient leurs carrosses et scié aux trois quarts un des brancards.

— Qui étaient ces dames ?

— On ne leur a pas demandé leurs noms. Elles avaient de beaux bijoux et de l’or dans leurs poches ; c’est tentant pour ceux qui n’ont rien de tout cela, d’autant plus, que dans notre métier, on ne dédaigne pas une jolie femme à se mettre sous la dent, un soir de brouillard.

— Je comprends, coupa la Paillarde, vous les avez attaquées pour les détrousser… et le reste.

Devant les brocs, l’homme se décida :

— Tu l’as dit, la belle, et le coup était supérieurement organisé. Ce qu’on avait prévu est arrivé : le brancard s’est rompu, le carrosse a versé ; nous sommes alors survenus pour offrir nos services et alléger la charge. C’est même à ce moment que cette chaîne s’est trouvée au bout de mes doigts ; j’ai donné un petit coup sec et de ma main elle est passée dans ma poche.

— Combien étiez-vous dans ce guet-apens ?

— Une douzaine. Il y avait autant de femmes et rien n’empêchait les voitures de s’en retourner à vide. Les dames se seraient retrouvées demain matin sans une égratignure.

— Vous êtes des lâches ! dit la Paillarde. On n’attaque pas des femmes qui n’ont personne pour les défendre et ne sont pas capables de se défendre elles-mêmes. Il vous en aurait cuit de vous attaquer à nous autres.

— C’est possible, mais quant à celles-là, tu en parles à ton aise, la bourgeoise. Celles qui ont peur du loup n’ont qu’à pas venir se fourrer dans sa gueule. Pour nous autres, tout gibier est bon, surtout quand il a la peau douce et la bourse garnie.

— Enfin, que s’est-il passé ?

— Il s’est passé que nous n’ayons eu ni femmes ni argent et que cinq des nôtres sont restés sur le carreau, après qu’une moitié avait décampé.

— Une moitié, plus un, et c’est toi…

— Tu sais compter, la belle. Comme j’étais le dernier, je n’ai pas jugé à propos de compléter la demi-douzaine de blessés ou de morts. J’ai gagné au large et me voilà.

— C’est bien dommage… Dis-moi, qui donc vous a si bien caressé les côtes ? Je ne suppose pas que ce soient les dames que vous dévalisiez ?

— Il a suffi de deux hommes, ou plutôt de deux démons. Ah ! ceux-là, je vous en réponds, savent manier une épée.

Yves de Jugan et Raphaël Pinto échangèrent un coup d’œil :

— Comment étaient ces deux hommes ? demandèrent-ils presque simultanément.

— Il y avait surtout un grand escogriffe qui poussait des jurons formidables, et s’y entendait à vous envoyer de son fer dans la poitrine ou bien au milieu du front !

— Cocardasse ! murmura Pinto à l’oreille de son voisin.

— Et l’autre n’était pas en reste, reprit l’homme. C’était une sorte de gringalet qu’on aurait dit monté sur des ressorts d’acier. Celui-là ne disait rien : son épée parlait pour lui.

— Passepoil ! dit cette fois Jugan à l’oreille de Pinto.

— Je ne sais, poursuivit le bandit, d’où sortaient ces deux coquins, et je n’irai pas m’enquérir de leur adresse. D’ailleurs, je ne les rencontrerai peut-être jamais, car…

— La Paillarde lui posa la main sur l’épaule ; elle aussi avait deviné de qui il était question.

— Que veux-tu dire ? s’écria-t-elle.

— Dame !… Ils ont donné pas mal de coups d’épée, mais ils ont dû aussi en recevoir et il n’y aurait rien d’impossible à ce qu’à cette heure, ils soient en train de crever auprès de ceux qu’ils ont si malmenés… Je n’ai pas attendu pour voir ce qu’il en était.

— Gredin ! gronda la Paillarde, s’il leur est arrivé malheur, tu paieras pour les autres…

— Eh quoi ?… Vous les connaissez donc ?…

— Nous les attendons ici depuis près de deux heures… C’est grand dommage qu’ils ne vous aient pas mis tous en broche comme des poulets, toi le premier.

— Ah ! pardon !… c’est fort heureux pour moi et pour vous aussi ; car alors je n’aurais pas pu vous dire ce qui a eu lieu et cela ne les aurait pas empêchés d’être blessés ou morts, s’ils le sont.

— C’est ce que je veux savoir ! dit la Paillarde après s’être frappé le front. Tu vas nous y conduire. D’abord, donne-moi la chaîne que tu avais tout à l’heure.

— Un moment ; je n’ai pas bu pour ce qu’elle vaut.

— Assez de réflexions !… Donne, ou sinon tu vas aller rejoindre les autres. Le bandit vit bien qu’il fallait s’exécuter et la chaîne de cou de Cidalise passa dans les mains de la Paillarde qui, dès le lendemain, devait s’en orner la gorge.

Yves de Jugan s’esquiva quelques minutes pour prévenir Gendry de ce qui se passait, et celui-ci se prépara à les rejoindre, comme par hasard, avec la Baleine, dès qu’ils se seraient mis en route pour rechercher les prévôts. Si l’on ne retrouvait que leurs cadavres, la besogne serait toute faite.

L’hôtelière mit un falot dans les mains de Pinto, un autre dans celles du coupe-jarret. Elle-même, un pistolet au poing, marchait derrière celui-ci.

— Préparez des lits, dit-elle aux servantes ; s’ils sont seulement blessés, nous les rapporterons ici. Allons, en avant, et par le plus court chemin.

L’étrange cortège se mit en route, à la lueur vacillante des falots, et, dans la nuit sans lune, il présentait un aspect lugubre.

Moins d’un quart d’heure après, on se heurta à un cadavre qui grimaçait.

— Bon, et d’un, fit la Paillarde après l’avoir examiné. Ce n’est pas ce que nous cherchons.

Le sol était piétiné ; on enfonçait dans la vase mêlée de sang.

— Un autre, dit la femme en poussant un nouveau cadavre du pied.

— Je le connais, s’exclama le malandrin, il doit être frappé au front.

— C’est de la besogne proprement faite, railla la Paillarde après s’être baissée pour constater. La main qui a porté ce coup-là doit être habituée à expédier des gentilshommes sans détériorer leur pourpoint.

On compta cinq corps presque déjà froids, mais on eut beau explorer les environs, on n’en trouva pas d’autres.

— Hé ! là !… que cherchez-vous donc, les camarades ? demanda une voix par derrière.

C’étaient Gendry et la Baleine qui arrivaient à la rescousse.

L’hôtelière les toisa :

— Qu’est-ce que vous voulez, vous autres ?

— Holà ! ne vous fâchez pas, la petite mère !… Est-ce que vous auriez perdu des amis là dedans ? Si vous avez besoin de nos services, nous voilà à votre disposition.

— Nous n’avons plus besoin de personne, grogna la femme.

Mais Gendry ne l’écoutait pas et se faisait narrer complaisamment par Yves de Jugan ce qui avait eu lieu.

— Alors il en manque deux à l’appel ! demanda-t-il.

— Oui… Cocardasse et Passepoil…

— Hein !… vous dites ?… Cocardasse et. Passepoil !… Mais ce sont de mes amis et je serais fort marri qu’il leur fût arrivé malheur. Cherchons bien, mes enfants, afin de leur porter secours au plus tôt.

Le seul témoin du combat crut devoir expliquer :

— Peut-être n’étaient-ils que blessés, et encore je ne sais pas.

— Blessés !… mais alors ils auraient pu se traîner quelque part.

Gauthier Gendry prit le falot des mains de Pinto et se mit à fouiller les moindres recoins, jusqu’aux touffes d’ajoncs. Il eût payé cher le plaisir de découvrir Cocardasse et Passepoil, ou tout au moins l’un des deux, étendus sans vie sur le dos, les bras en croix.

Il fallut bientôt y renoncer, et l’ex-sergent aux gardes, d’une voix qu’il s’efforçait de rendre émue, se mit à faire la panégyrique de ses prétendus amis. Un peu plus, il eût versé des larmes sur leur fin malheureuse.

Cependant le malandrin, qui cherchait toujours sous la surveillance de la Paillarde, se frappa soudain le front :

— J’ai une idée, dit-il.

— C’est le moment de la faire connaître, mon bonhomme, conseilla l’hôtelière assez durement ; parle.

— S’ils étaient blessés, les dames pour lesquelles ils avaient exposé leur vie n’ont pas voulu les abandonner et les ont emmenés dans leurs carrosses… C’est inutile de les chercher ici…

— Tu as peut-être raison, approuva la Paillarde après une minute de réflexion.

Et sur un ton farouche, elle murmura :

— Pourtant, j’aurais voulu les soigner moi-même.

Elle n’ajouta pas que c’était pour ce qu’elle eût pu y gagner.

Gauthier Gendry s’était rangé à l’opinion commune, mais il n’en éprouvait pas le besoin de mettre les choses à son propre point de vue à lui.

— Cela est peut-être vrai, murmura-t-il ; cependant, qui nous prouve qu’ils n’ont pas pu mourir en route ?

En commentant cette dernière hypothèse, on s’en retourna au Trou-Punais et le long du chemin Gendry reprit ses lamentations sur le sort de ses amis. En quittant la Paillarde à sa porte, il lui promit de se renseigner sur ce qu’il était advenu d’eux et de le lui faire savoir dès qu’il aurait pu en être informé. Puis s’en alla, suivi de la Baleine, avec un pleur simulé au bord des paupières.

C’est ainsi que Cocardasse et Passepoil, à l’heure où ils goûtaient toutes les délices de la bonne chère et de la belle chair, eurent leur oraison funèbre, ce qui ne les empêcha pas de continuer à se porter comme le Pont-Neuf.

Si, plus tard, ils devaient rencontrer Gauthier Gendry, ils lui feraient bien chanter une autre antienne.