Clovis ou la France chrétienne/Livre XX

 
Clovis par les costaux, par les routes des bois,
Cherchoit à rallier les francs et les gaulois.
Par tout il void de loin leur desordre et leur fuite.
Il n’a plus que huit chefs, pour sa fidele suite,
Qui malgré le desastre animent leur valeur,
Voyant le cœur du roy plus grand que son malheur.
Il rencontre une troupe, et Volcade le traistre,
Qui paslit de son crime à l’aspect de son maistre.
Tu trembles, dit le prince. Un chef voyant son roy,
Doit avoir de la joye, et non pas de l’effroy.

Tu medites sans doute en ton ame traistresse,
De combattre ton maistre, ainsi que ta maistresse.
Mais des deux trahisons ma main va te punir,
Et ceux qui dans ton crime osent te soustenir.
Soit crime, soit raison, à tout je m’abandonne,
Dit Volcade ; et mon bras doit vanger Albione.
Tous deux l’un contre l’autre aussi-tost s’avançans,
Veulent joindre les coups aux propos menaçans.
Mais un prince inconnu, d’une mine hardie,
Les separe, en criant, ô ! Lasche perfidie !
Suspendez vos debas : car je veux en juger.
Quoy ? Volcade en son crime a voulu m’engager ?
Quoy ? Tu m’as donc caché que Clovis est ton maistre :
Et tu crois qu’Arismond veuïlle servir un traistre ?
Je suis sueve, et des francs ennemy par raison :
Mais, bien plus que les francs, je hay la trahison.
Grand roy, son crime veut que mon fer te deffende ;
Et seuls nous pourrons bien battre toute sa bande.
Sur Volcade soudain tous les deux s’élançans :
Ils font un beau combat de dix contre deux cens,
Dont Albione mesme a la troupe choisie,
Des plus hardis guerriers qu’elle eût dans l’Austrasie.
Arismond de Volcade avoit percé le bras.
Puis Aquilon le heurte, et le renverse à bas.
Clovis et sa brigade et petite et vaillante,
Ne craignant point le nombre, et tousjours assaillante,

S’élargit un passage avec ses grands efforts ;
Et desja par leurs coups void tomber trente morts.
Mais les austrasiens, et de honte et de rage,
Esperent par la foule opprimer son courage :
L’entourent, et sur luy fondent tous à la fois.
Arismond, de Clovis admire les explois :
Et Clovis d’Arismond le courage et l’addresse,
Et la grace, et le port, qui marquent sa noblesse.
Mais malgré les effets que produit leur valeur,
Rien ne peut, que le ciel, retarder leur malheur.
La troupe genereuse à cinq chefs est reduite :
La trame du monarque à son terme est conduite :
Et l’infame ramas de tant d’indignes mains,
Alloit estre vainqueur du plus grand des humains.
De quatre austrasiens la puissante secousse
L’ébranle tout à coup, hors de l’arçon le pousse.
D’un choc en mesme temps trois l’avoient abbatu.
Mais nul ne peut encore abbatre sa vertu.
L’ennemy s’irritoit dans ses ardeurs boüillantes,
Esperant triompher de ses armes brillantes.
Des uns, son fer sanglant le deffendoit encor.
Des autres, son écu reluisant de lis d’or.
Aquilon son vangeur, de ruades sans cesse
Ecartoit des guerriers la dangereuse presse :
Et seul autour du roy valoit trente soldats,
Renversant les guerriers qui l’avoient mis à bas.

Quand Aurele paroist, et de loin le remarque.
Puis à terre apperçoit son courageux monarque,
Qui pour sa tombe illustre, apres tant de travaux,
S’élevoit un monceau d’hommes et de chevaux.
Au devant de son prince en fureur il se place :
Ce qui s’offre à ses yeux, sa valeur le terrasse :
Par sa juste douleur il irrite ses feux.
Il presse des talons son coursier écumeux :
Il l’anime, il le pousse, il le tourne, il le porte
Contre tout ce qui monstre une rage plus forte.
Clovis est transporté, d’aise de le revoir.
Et la joye aussi-tost luy redonne l’espoir :
L’espoir luy rend la force, et soustient sa vaillance.
Une seconde joye accroist son esperance.
Le courageux Lisois accourt à ses costez ;
Et fait sentir aussi ses grands coups redoutez.
Desja sous la fureur de ces foudres de guerre,
Douze des plus hardis sont couchez sur la terre :
Arismond les approche, et leur joint ses explois :
Et trois jeunes guerriers égarez dans le bois,
Aligerne, Ascaric, et le fier Radagaise.
Clovis cherche Aquilon, et le flate, et l’appaise.
Il le monte, il l’anime ; et desja sous son bras
De quatre efforts divers, abbat quatre soldats.
Puis il void l’estendard qui réjoüit son ame,
Sigalde, et dix gaulois qui sauvent l’oriflame.

Le prince les appelle : et cette aimable voix
Ranime en ce moment Sigalde et les gaulois.
Les guerriers d’Austrasie estonnez du carnage,
Du prince et d’Arismond admirent le courage,
Qui par leur grand éclat, et les coups de leurs mains,
Leur paroissent des dieux, plustost que des humains.
Puis voyant la splendeur de l’auguste banniere,
Ils pensent à leur dos voir une troupe entiere.
Tout s’ébranle, tout cede : et par leurs rangs troublez,
Nul ne peut soustenir ces grands coups redoublez.
Le monarque fondant sur ces troupes tremblantes,
Void Volcade couché sur les herbes sanglantes.
Grand prince, voy le prix des grands maux que j’ay faits,
Dit-il : mais je ne puis survivre à mes forfaits.
Et je vay m’en punir par ma main detestable,
Si je ne puis mourir par ta dextre equitable.
Differe, dit Clovis ; et ne redoute rien.
Tu ne dois pas mourir de ton fer ny du mien.
Tes lasches trahisons t’ont rendu l’ame noire :
Mais une belle mort peut laver ta memoire.
Donc, pour ne te voir pas à tes faits survivant,
Va chercher Alpheïde, et meurs en me servant.
O ! Graces, dit Volcade, ô ! Faveurs magnanimes !
Je vay par mon trépas reparer tous mes crimes.
Tout sanglant il se leve ; et Clovis le laissant,
Tantost court sur le mont, et tantost en descend.

Il marche avec sa troupe et foible et valeureuse :
Mais sa veuë est par tout et triste et malheureuse.
Il entend une voix. Clovis, en vain tu cours.
Si tu veux estre heureux, viens me donner secours.
Il arreste sa bande : il écoute, il s’approche.
La voix semble plus claire, et partir d’une roche.
Viens me donner secours, dit-elle, et ne crains rien :
Et le ciel aussi-tost te donnera le sien.
Hé ! Qu’entens-je ? Dit-il. C’est la voix de ma reine.
Il marche autour du roc, plein de joye et de peine.
Aurele, reprit-il, entens-tu cette voix ?
Secourez-moy, dit-elle une troisiesme fois.
Prens l’oriflame, Aurele ; et le fer qui la porte
Dans ce profond rocher peut te faire une porte.
Aurele dans sa main prend le saint estendard.
Il s’éloigne dix pas : puis de roideur il part :
Et baissant vers le roc la lance à l’avanture,
Fait, sans rompre le bois, une large ouverture,
Telle que deux guerriers, mesme sans se toucher,
Peuvent passer de front dans le creux du rocher.
Clovis entre : et d’abbord il ferme les paupieres,
Sentant ses yeux frapez de trop vives lumieres.
Il tasche à rasseurer son trop foible regard :
Puis void en habit blanc un auguste vieillard,
Qui dit, je suis Denys, l’apostre de la France,
Qui t’a gardé Clotilde, et te rend l’esperance.

Escoute ses conseils. Il disparoist soudain.
Le monarque la void qui luy tendoit la main.
Il s’écrie aussi-tost. Quoy ? C’est vous, ma princesse ?
Oüy, dit-elle ; adorons la divine sagesse.
Mets en Dieu ton espoir, mon espoux et mon roy.
Fay vœu d’estre chrestien, la victoire est à toy.
Aurele à ce conseil joint sa priere encore.
Clovis dit à genoux. Dieu que Clotilde adore,
Je fay vœu qu’au baptesme on me verra soumis,
Si tu me rends vainqueur de mes fiers ennemis.
Va, dit-elle, ô ! Mon roy. Sois seur de la victoire.
Dieu veut dans ton malheur faire éclater sa gloire.
Fay porter l’estendard par tout aux environs.
Des francs, tu vas bien-tost entendre les clairons.
Aurele par les monts fait briller l’oriflame.
Le roy confus de joye, est en doute en son ame.
L’amour combat l’honneur, et le fait balancer,
S’il doit estre aupres d’elle, ou s’il doit la laisser.
Va, dit-elle, au combat : que rien ne te retarde.
Car contre tout l’enfer, Saint Denys est ma garde.
Cependant Arismond, à son divin aspect,
Remply d’estonnement, de zele, et de respect,
Ne sçait, dans cet estat, le party qu’il doit prendre.
Mais enfin il demeure, et s’offre à la deffendre.
La brillante oriflame alors de toutes parts
Rappelle les gaulois, et les françois épars.

Desja Guerpin accourt, et Varoc, et Voltrade.
Et desja pres du roy grossit mainte brigade.
L’air s’enflamme d’éclairs, qui d’un bruit sont suivis.
Clovis, voy le signal : écoute cet advis.
Cours, luy dit la princesse, où se forme un nuage.
Le prince, de sa troupe enflamme le courage.
Allons, dit-il, au fort, où le ciel nous conduit.
Le malheur se dissipe, et la gloire nous suit.
Amis, j’ay ma Clotilde, et Dieu me la renvoye.
Saint Denys en ce mont m’a redonné ma joye.
L’un à l’autre à l’envy, par des cris infinis,
Disent ces mots confus, mont, joye, et Saint Denys.
Mont, joye, et Saint Denys, répondent les vallées.
Clovis void des germains les troupes rassemblées,
Qui courant en tumulte, environnent le fort,
A l’envy s’animans à ce dernier effort.
Le prince fond sur eux, d’un furieux courage,
Comme sur les pasteurs fond un soudain orage,
Qui noircit tout à coup et la terre et les airs,
Accompagné de vents, de foudres et d’éclairs,
Et des flots surprenans d’une pluye où se mesle
L’estonnante fureur d’une pesante gresle.
De mesme les françois, sur l’ennemy surpris,
Font tomber à l’instant leurs coups meslez de cris.
Un archange paroist, dont la main foudroyante
Fait briller à leurs yeux sa lame flamboyante.

Le grand Algerion, à ces bruits si soudains,
Fait tourner sur les francs quatre mille germains.
Mais Clovis les previent d’une attaque terrible.
Le magnanime Aurele, et Lisois l’invincible,
Guerpin avec sa troupe, et Voltrade, et Varoc,
Font sentir aux saxons leur redoutable choc,
Dont, pour l’assaut du fort, l’ardeur est rallentie ;
Et desja leur fureur en laisse un partie.
Mais au flanc opposé, le tyran des danois,
Par le tranchant acier fait abbattre les bois :
Assemble arbre sur arbre, et s’en fait des échelles,
Pour porter aux françois ses attaques cruelles.
Ainsi que les geants, dans leur rebellion,
Haussoient Athos sur Pinde, Ossa sur Pelion ;
Et monstroient l’Appennin aux terres estonnées,
Sur les Alpes assis, et sur les Pyrenées.
Sur les branches il monte : il oyt de toutes parts
Le mont retentissant de mille cris épars :
Fait d’horribles sermens ; joint les faits aux bravades ;
Arrache de sa main les fortes pallissades.
Les siens suivent sa rage. Ulde avec ses françois
Les soustient, et s’anime, oyant de loin les voix,
Et l’écho des vallons, qui mille fois renvoye
Mont, joye et Saint Denys, Saint Denys et mont, joye.
Mandragan s’en irrite. Oüy, dit-il, je les tiens.
Oüy, malgré Jupiter, et le dieu des chrestiens,

Malgré Denys, Michel, et leur vaine puissance,
Les miens boiront le sang des troupes de la France.
Le ciel se couvre alors d’une sombre rougeur ;
Et de tant de mépris veut estre le vangeur :
Fait briller trois éclairs, fait gronder son tonnerre,
Annonçant sa justice aux méchans de la terre.
Taisez-vous, dit l’impie, ô ! Ridicules dieux.
Pensez-vous que je veüille escalader les cieux ?
Beuvez, dormez là haut, et nous laissez la terre.
Vous aimez le repos ; et nous aimons la guerre.
Ciel, en dépit de toy, je fay ce que je veux.
Tonne, éclaire, sois vain de tes bruits, de tes feux.
Ta fureur va tomber sur qui te sacrifie.
Mais tu ne sceûs jamais fraper qui te deffie.
Soudain un bruit terrible éclate dans les airs,
Comme si le grand dieu confondoit l’univers.
Le feu frape le monstre, et le reduit en cendre ;
Et dans les feux d’enfer, en feu le fait descendre.
Tel, au mepris du sort, des dieux, et des mortels,
L’orgueilleux Capanée, ennemy des autels,
Et de traits et de feux chargeant ses deux mains fortes,
Escaladoit les murs de la ville à sept portes :
Et maint blaspheme encor de sa bouche elançant,
Merita le courroux du foudre punissant ;
Puis brulé dans les airs par l’ardeur consumante,
Effroya l’Acheron de son ombre fumante.

Les francs et les danois, d’un long estonnement,
Sont par l’éclat du bruit frapez également :
Et paslissent de peur, ne sçachant quelle teste
A senty la fureur de l’horrible tempeste.
Mais le fier Mandragan, aux siens ne paroist plus.
Ils laissent tout à coup leurs assauts superflus.
La foudre en a d’entr’eux destruit une partie.
Les francs reprennent cœur, et font une sortie.
Puis rejoignent Clovis, qui heurte les saxons ;
Et desja dans leurs rangs fait de rouges moissons.
D’autre-part les françois, dont la force guerriere
Avoit tout renversé dans leur fureur premiere,
Croyoient leur vaillant roy vainqueur de toutes parts,
Et poursuivoient encor les ennemis épars.
Arbogaste, de corps avoit jonché la plaine :
Et Marcomir, aux siens laissoit reprendre haleine.
Mais les chefs estonnez, sont dans un juste effroy ;
Et doutent du succes ne voyant point le roy.
Aussi-tost sur ses pas le gendarme revole.
Arbogaste les suit : Marcomir se desole.
Nul ne sent de ses faits l’inutile bonheur.
Le roy seul fait leur bien, leur joye, et leur honneur.
Arembert le remarque à ses armes brillantes,
A son casque ombragé de plumes ondoyantes ;
Mais bien mieux à sa force, à ses coups furieux.
Il luy joint à l’instant son camp victorieux.

Et tous, dans ce transport, par de lourdes attaintes,
Sur le dos des germains vangent toutes leurs craintes.
Les plus braves saxons combattoient dans le bois,
Pour deffendre leur roy des fureurs de Lisois.
Du fer de l’oriflame Aurele enfin le perce ;
Et dans un flot de sang sur le champ le renverse.
Le duc descend à terre ; et bien-tost a tranché
La teste cheveluë au cadavre couché.
Au fer d’une autre lance aussi-tost il l’éleve,
Afin que par la peur la victoire s’acheve.
Du champ, par ce grand corps, un espace est couvert.
On void d’un large coup son estomac ouvert :
Et ce roy qui regnoit sur cent peuples superbes,
Comme un tronc inutile est couché sur les herbes.
Le germain tout à coup s’abandonne à l’effroy,
Voyant le chef sanglant du deplorable roy.
Les francs et les gaulois, aux ames de leurs freres
Immolent et saxons, et marses, et bructeres.
Lisois void Arderic, et de fureur épris,
De ses traistres complots luy rend le juste prix.
Puis tombent aussi-tost Mammol et Marcovese
Sous les coups d’Ascaric, et du fort Radagaise.
La Moselle desja void la fiere Yoland,
Precipitant son cours, d’un dépit violent.
Mais nul n’a tant d’effroy que Cloderic l’infame,
Qui veut survivre encore à sa honteuse trame.

Plus il se sent coupable, et plus par les vallons
Il fait à son coursier ressentir ses talons.
Le monarque vainqueur regne dans la campagne :
Et rend grace à Dieu seul de l’heur qui l’accompagne.
Il laisse aller les francs au dos des fugitifs :
Ne trouve dans les champs que morts et que captifs.
De ses chefs une troupe autour de luy s’amasse,
Où d’un libre penser en son ame il repasse
Les caprices divers du sort injurieux,
Et de ses grands travaux le succes glorieux.
Ainsi le noble fleuve, à la rapide course,
Le tigre est malheureux au sortir de sa source :
Cent fois de ses ruisseaux heurte le mont natal,
Qui presente un obstacle à ses ondes fatal :
Ne rencontre à son cours nuls passages propices :
Gauchit par les costaux, trouve cent precipices :
Va, revient, et rebrousse ; et de flots vagabonds
Fait parmy les rochers cent cheûtes et cent bonds :
Se confond dans un lac, puis retrouve sa voye :
Par des antres deux fois sous la terre se noye :
Se cache ; et reprenant sa premiere vigueur,
Se fait revoir encor des abysmes vainqueur :
Enfin libre et puissant, il baigne, il court, il dompte,
Les champs de Babylone, et ceux de Ctesiphonte.
Les francs devant Clovis assemblent des monceaux
D’estendards remportez, et de nobles drapeaux.

Lisois paroist de loin, portant parmy les plaines
L’honorable fardeau de quatre aigles romaines,
Que d’un effort hardy, par autant de combas,
Sa main vient d’arracher aux cherusques soldats.
Il remet ce trophée aux pieds de son monarque,
Qui veut que son écu, pour son illustre marque,
Soit peint de quatre aiglons, leurs ailes estendans ;
Et que ce mesme honneur passe à ses descendans,
Qui depuis par leurs faits, joignant gloire sur gloire,
De ce nombre ont trois fois redoublé la memoire.
Le prince impatient retourne vers le mont,
Pour trouver sa princesse, et le brave Arismond.
Mais il tremble en son cœur pour la troupe fidelle,
Si celebre en beaux faits, et si chaste, et si belle.
D’amantes ny d’amans, nul ne s’offre à ses yeux.
Allons, dit-il, Aurele : allons aux mesmes lieux
Où mon malheur laissa cette bande animée
A porter tout le faix de la nombreuse armée.
Il void autour de luy tous ses chefs rassemblez.
Il les meine, où de sang les vallons sont comblez,
Vers le passage estroit, où la troupe invincible
Rendit, pour le sauver, le mont inaccessible.
Il trouve des monceaux de saxons entassez :
Puis les corps des amans, l’un à l’autre embrassez :
Percez diversement de grands coups honorables :
Dans une heureuse mort encore tous aimables.

Au premier rang il void que le brave Aigoland,
De son Argine encor soustient le chef sanglant :
Que de ces corps puissans, seuls ils en foulent quatre :
Et qu’ils semblent tout morts encore les combattre.
Il void au mesme rang le vaillant Varadon,
Tenant d’une main roide encore son guidon ;
Et de l’autre fermant la blessure profonde,
Qui fendoit le beau sein de sa chere Aregonde.
Valdin semble paslir de fureur et d’amour,
Plustost que de la mort qui l’a privé du jour :
Et pousse encor le fer, dont sa vangeance prompte
A percé le saxon, meurtrier d’Amalazonte.
Tous ces nobles amans, encor parmy les morts,
Font, pour sauver leur prince, un rampart de leurs corps.
Mais rien n’estonne plus Clovis et sa brigade,
Que de voir morts ensemble Alpheïde et Volcade :
Qui tous deux par amour s’entrelassent les doigts ;
Et de sang, sur le front, ont tous deux une croix.
Ce spectacle amoureux, et glorieux, et tendre,
Aux chefs les plus constans fait des larmes répandre.
Le roy mesme en soupire : et ne refuse pas
De payer de ses pleurs le prix de leur trépas :
Leur promet cent tombeaux, pour la marque eternelle
De leur rare valeur, et de leur cœur fidelle
A leur flame, à leur prince, à la foy de leur dieu.
Puis il quitte à regret ce doux et triste lieu.

Il va chercher sa reine ; et l’objet deplorable
Luy fait de son amour craindre une fin semblable.
O ! Valeureux martyrs, ô ! Genereux amans,
Si le temps a destruit vos nobles monumens,
De vostre ardente foy, de vostre illustre gloire,
Jamais ne s’esteindra la durable memoire.
Car si le cours des ans laisse vivre mes vers,
Elle fera par eux le tour de l’univers.
On la verra courir les beaux champs de l’aurore,
Et les climats du Nil, et le rivage More.
On la verra voler jusqu’aux poles glacez.
Enfin vos noms fameux dans les siecles passez,
Vivront encore un jour en tous lieux de la terre,
Où les francs porteront le commerce ou la guerre.