Clovis ou la France chrétienne/Livre IV


 
Clotilde cependant, l’amante infortunée,
Du celeste secours n’est pas abandonnée.
La vierge qui conceût, qui des vierges a soin,
La regarde du ciel en ce pressant besoin ;
Et voulant reprimer l’infernale insolence,
De son fils va pour elle implorer l’assistance.
Pres du pere éternel, brillant de majesté,
De son verbe divin la sainte humanité,
Des enfers, de la mort, des ans victorieuse,
Sur un trône à sa dextre éclatoit glorieuse.

Par leurs charmans concerts, des anges les neuf chœurs
Chantoient ses longs tourmens, de ce monde vainqueurs ;
Et du triste tombeau sa sortie estonnante ;
Et vers le ciel ouvert sa route triomphante.
Les prophetes zelez, de la loy deffenseurs,
Patriarches, martyrs, apostres, confesseurs,
Des solitaires saints les ames precieuses,
Et les vierges sans tache, aux voix delicieuses,
Repetoient à l’envy les chants melodieux,
Et d’échos infinis faisoient bruire les cieux :
Quand la mere de Dieu, d’étoiles couronnée,
Parut devant son fils humblement prosternée.
Tous ces chœurs differens des esprits bien-heureux,
Reprimerent soudain leurs accens amoureux :
Le silence par tout regna dans l’empyrée,
Pour oüyr ces propos de sa bouche sacrée.
O mon fils, et mon dieu, si l’adorable sang
Qui de moy se forma dans mon indigne flanc,
Pour laver les mortels a daigné se répandre,
Si tes benignes loix par tout doivent s’étendre,
D’une sage princesse accepte les saints vœux,
Qui veut t’assujettir les françois courageux,
Qui jeusne, qui te prie, et nuit et jour soupire,
Pour soumettre à ta loy leur prince et son empire.
Ne souffre pas, mon fils, de la voir sur ces monts,
Dans un triste abandon, le joüet des demons,

De son espoir frustrée, et que son corps pudique
Plus long-temps soit en proye à l’audace magique.
Desja ce fier payen, d’un courroux rigoureux,
Pense à la r’enfermer dans ses cachots affreux.
Permets que je l’arrache à la force infernale,
Pour noüer l’alliance aux idoles fatale.
En vain, respond Jesus, les hommes criminels
S’efforcent de troubler les ordres eternels.
En vain s’arme l’enfer contre la loy supreme.
Par Clotilde, Clovis joüira du baptesme.
Je veux que le troupeau sous mes loix fléchissant,
Devienne sous son regne et nombreux et puissant.
Je choisis ce monarque, et sa race vaillante,
Pour rendre mon eglise à jamais triomphante.
J’en jure ; et qu’à jamais ses dignes successeurs
La sauveront des fers de tous ses oppresseurs.
Nul orgueil ne croistra que leur bras ne confonde :
Et leur trône verra les derniers jours du monde.
L’olympe alors fremit sous ses divins sermens ;
Et la terre en sentit crouler ses fondemens.
Tous les monts estonnez leurs cimes agiterent :
Le soleil s’arresta : les foudres éclaterent :
Les vents furent émus, et troublerent les mers :
De crainte et de respect trembla tout l’univers.
La vierge part du ciel, seûre de sa puissance :
D’un insensible vol vers la lune s’avance.

Les anges, sous son corps saint et majestueux,
S’assemblent à l’envy, prompts et respectueux.
De sa robbe d’azur, mille testes ailées
Portent les riches pans, à bordures perlées.
Et ses pieds glorieux mollement sont placez
Sur des nuages d’or, l’un sur l’autre amassez.
Devant les purs rayons de sa beauté divine,
Le ciel se fend, l’air fuit, et la terre s’incline ;
Et de cent douces voix les chants delicieux
Celebrent la grandeur de la reyne des cieux.
Comme lors que la nuit, de l’or de mille estoiles
Enrichit le fonds brun de ses obscures voiles,
Tombe, ou semble tomber, un des celestes feux,
Qui respand dans sa voye un long trait lumineux.
Des campagnes d’azur l’inconstante courriere,
Et sa troupe brillante, admirent sa carriere :
Et les simples mortels, muets d’estonnement,
Pensent voir à leurs pieds tomber le firmament.
Ainsi descend la vierge où la sainte pasmée
Aux cachots enchantez alloit estre enfermée :
L’enleve à l’art magique ; et quittant les deserts,
Dans un nuage blanc l’emporte par les airs.
Une troupe volante, autour d’elle épanduë,
S’occupe à soustenir la charge suspenduë.
Clotilde, en qui l’abbord de ce chœur glorieux
Avoit fait dissiper le charme injurieux,

Sent la forte vertu de la sainte presence,
Qui de ses sens esteints réveille la puissance :
Ouvre ses yeux heureux ; et doutant de leur foy,
De son trouble profond, tombe en un juste effroy.
La vierge la r’asseûre, et soudain la console,
Repetant de son fils l’immuable parole.
Clotilde, vers l’éclat de ce front radieux,
Se prosterne, et bénit l’ordonnance des cieux.
Mais Clovis luy revient, malgré cette merveille ;
Et ses rudes propos rebattent son oreille.
La mere des bontez, pour la desabuser,
Dans la source du vray veut la faire puiser.
Elle void, ou croit voir, dans la plaine étherée,
Parmy le bel azur dont elle est colorée,
Une blanche clarté qui s’amasse et reluit.
La vierge vers ce lieu l’addresse et la conduit.
Une longue vapeur, que le soleil éclaire,
Trace un chemin d’argent à la divine mere.
Leurs pieds en mesme temps foulent d’un noble pas
Des chimeres de l’air les mobiles amas.
Enfin vers le saint lieu Clotilde parvenuë,
Void briller de plus pres, sur une large nuë,
Un temple, non basty de marbre ou de metal,
Mais dont les riches murs ne sont qu’un pur cristal.
De piliers de cristal un ordre magnifique
Environne le temple, et soustient le portique.

La porte est de cristal ; et sur son arc voûté
Est escrit, c’est le temple où luit la verité.
Clotilde entre ; et ses yeux sont frapez de lumieres
Que ne peuvent porter ses mortelles paupieres.
Mais la reyne du ciel les touche de sa main ;
Et redouble la force à son regard humain.
De cent longs diamans, cent colonnes brillantes,
Jettoient de toutes parts leurs clartez petillantes.
Les chapiteaux luisoient d’un rubis flamboyant.
La corniche éclatoit d’un iris ondoyant.
La frise estoit d’opale ; et la superbe base
Estoit riche de l’or de la jaune topase.
D’amethyste éclairoient cent piedestaux pareils,
Sous cent nobles martyrs de jacynthes vermeils,
Qui de la verité suivans la rouge enseigne,
Avoient versé leur sang pour l’honneur de son regne.
La voûte blanchissoit de saphirs lumineux.
L’escarboucle au milieu répandoit mille feux,
Clef du riche edifice, et sur le chef pendante
La voûte avoit ses arcs d’émeraude riante.
Les carreaux du pavé, d’un art laborieux,
Formoient un doux plaisir aux regards curieux,
Par des compartimens d’une soigneuse élite,
D’agathe en cent façons jointe à la chrysolite.
Là tout est transparent. La claire verité
N’a nulle ombre en son temple, et nulle obscurité.

Sur l’autel de saphir, la puissance adorée
Estoit en forme humaine une flame épurée.
Un triangle brilloit sur son chef lumineux.
Princesse, dit la vierge, adresse icy tes vœux.
Adore avec respect cette bonté suprême.
Tu vois la verité ; c’est elle ; c’est Dieu mesme.
Clotilde se prosterne ; et de sa belle main,
Se rend le ciel propice, en se frapant le sein.
Demande au tout-puissant pardon de ses offenses ;
Et qu’une heureuse fin comble ses esperances.
La vierge la releve, et l’asseure à l’instant
Qu’elle obtient de son fils les graces qu’elle attend :
La meine autour du temple, et donne à ses merites
De voir dans le cristal cent veritez écrites.
Elle void sans enigme, au secours de sa foy,
Les mysteres ouverts de la chrestienne loy.
Elle connoist en Dieu trois distinctes personnes,
Qui sont de nostre espoir la baze à trois colonnes :
Elle void des humains le juste estonnement :
Un dieu, pour prendre chair, laisse le firmament :
Une vierge conçoit : un esprit sert de pere :
Sans tache et sans effort s’éclost tout ce mystere.
Elle void de Jesus la sainte humanité,
Entiere, et qui contient l’entiere deïté ;
Un dieu crucifié pour l’humaine nature ;
Eternel et mortel ; mis dans la sepulture ;

Son ame aller sous terre ; et d’un divin effort,
En r’animant son corps, triompher de la mort.
Puis comment ce dieu mesme, en quittant nos miseres,
Donna ce mesme corps à manger a ses freres,
Establit son eglise, et par un saint serment,
En bastit sur Cephas l’eternel fondement.
Elle apprend que long-temps cette eglise naissante,
Sous le joug des payens captive, languissante,
Humble, pauvre, fuyant de citez en citez,
S’accrut par la soufrance, et les calamitez :
Maintenant de Jesus la majesté jalouse,
Veut qu’un prince puissant protege son espouse ;
Et choisissant Clovis entre les conquerans,
Veut qu’il serve l’eglise, et dompte ses tyrans :
Et que ses successeurs la rendant triomphante,
Tiennent le rang d’aisnez sur les fils qu’elle enfante.
Elle void les demons de rage transportez,
Pour arracher aux francs tant de felicitez :
Et comment l’enchanteur, d’une infernale ruse,
Trahissant les amans, les trouble et les abuse.
Son esprit par l’erreur encore tourmenté,
Reprend mille plaisirs par cette verité.
Elle void du guerrier la flame glorieuse,
Des charmes, des mespris, tousjours victorieuse :
Et qu’encor sa beauté, sa vertu, sa douceur,
En despit des demons dominent dans son cœur.

Dans le mur transparent, en suite sont gravées,
Cent cruelles douleurs non encore arrivées,
Qui doivent signaler son amour et sa foy,
Avant qu’il soit rangé sous la chrestienne loy.
Elle lit l’heureux jour, en lettres plus profondes,
Où le ciel, liberal de ses graces fecondes,
Reçoit sous le saint joug des salutaires loix,
Le valeureux monarque, et ses braves françois.
Un doux transport de joye en son ame s’éleve.
Acheve ton ouvrage : oüy, juste ciel, acheve,
Dit-elle en soupirant ; et que mon pur amour
Puisse par cent douleurs acheter ce beau jour.
De son sang, d’un long ordre elle lit les histoires,
Les noms de ses neveux, les vertus, les victoires.
Là sont encore écrits leurs merites cachez ;
Et les justes honneurs par l’envie arrachez.
Tant de noms, tant de faits, le rang de tant de lustres,
Non encore produits, et maintenant illustres,
Jettent dans son esprit un noble estonnement,
Et d’un flateur espoir le frapent doucement.
Enfin ses yeux lassez de voir tant d’avantures,
Et les actes nombreux de cent races futures,
Ebloüys et confus erroient de toutes parts,
Quand elle sent soudain réveiller ses regards
Par le brillant éclat de plus beaux caracteres,
Qui d’un glorieux siecle étalloient les mysteres.

Alors en r’asseûrant ses regards ébloüis,
Elle void qu’un roy juste, un treiziesme Louis,
Doit en ses jours heureux, d’un cœur infatigable,
Esteindre en ses estats une secte indomptable,
Dissiper la fureur des esprits factieux,
Punir de tous costez les rois ambitieux,
Et voir par sa valeur ses provinces bornées
Des Alpes, des deux mers, du Rhein, des Pyrenées.
Qu’il feroit sous son bras trembler tout l’univers :
Mais qu’il discerneroit l’innocent du pervers :
Que content de son sceptre, il n’armeroit son zele,
Que pour fonder au monde une paix eternelle.
Qu’un sage et noble Armand, grand de cœur, de conseil,
D’un esprit plus actif que le cours du soleil,
Intrepide vainqueur de cent ligues naissantes,
Tousjours poussant le cours des armes triomphantes,
Et fidele, et fecond en projets genereux,
Prendroit part aux lauriers d’un roy si valeureux.
Que d’une sainte ardeur il auroit l’ame éprise,
Pour servir et son prince, et la France et l’eglise :
Et qu’il sçauroit ranger sous sa fatale main,
Le rebelle, l’erreur, l’ibere et le germain.
Qu’avec un tel éclat, sur terre et sur Neptune,
Nul ne feroit briller la françoise fortune ;
Et qu’il seroit enfin, dans les siecles suivans,
Le regret eternel des bons et des sçavans.

Que lors que ce grand astre auroit quitté la terre,
Et qu’en l’estat plongé dans une longue guerre,
D’une morne frayeur chacun seroit transy,
Un sang meslé de France et de Montmorancy,
Un bourbon, pour l’essay de sa vertu guerriere,
Raffermiroit soudain la tremblante frontiere,
Et viendroit par son bras, dans les champs de Rocroy,
Faire de corps vaincus un rampart à l’effroy.
Que Thionville acquise à sa prompte vaillance,
Que du fort Philisbourg, de l’antique Mayence,
De Norlingue fameux les orgueilleuses tours,
Suivroient de ce torrent l’épouvantable cours.
Que du puissant Dunkerque il romproit les murailles.
Qu’il compteroit un jour ses ans par ses batailles.
Mais qu’apres les prisons, les soupçons, les dangers,
Les vents l’emporteroient dans les bords estrangers :
Que pour les ennemis sa valeur occupée,
Leur serviroit un temps de bouclier et d’épée.
Ah ! Dit-elle, ô mon sang, invincible guerrier,
Sois plustost de ton roy l’épée et le bouclier ;
Et ne t’arreste pas à de tristes victoires,
Dont tu voudrois un jour esteindre les histoires.
De ce penser lointain alors se réveillant,
Elle apperçoit son nom dans ce cristal brillant.
Elle s’approche, et lit l’agreable promesse
Qu’une niece d’Armand, une illustre duchesse,

Voyant que les françois, dans un autre univers,
Auroient d’un cours hardy cent climats découverts,
Devoit planter la foy, par l’effort de son zele,
Comme une autre Clotilde, en la France nouvelle :
Et qu’elle auroit encor, par la faveur des cieux,
De Clotilde le teint, de Clotilde les yeux,
Semblable majesté de port et de visage,
Mesme force de foy, de sens, et de courage.
La princesse dés-lors, d’un esprit satisfait,
De ses graces cherit le modelle parfait ;
Puis encore une fois, de ces heros celestes
Elle lit et relit les admirables gestes ;
Forme un secret desir, quoy que privé d’espoir,
Que le ciel avançast le plaisir de les voir ;
Et prevoyant l’éclat d’une gloire si grande,
A la mere de Dieu desja les recommande.
Elles sortent du temple ; et Clotilde en partant
Sent son cœur de ces biens, et confus et content.
Le sommeil la saisit. Une volante escorte
Dans Vienne aussi-tost en son lit la remporte.
Elle doute au réveil si son enlevement,
L’orage, le palais, la soif, l’enchantement,
Et la vierge, et le temple, et ces races futures,
D’un songe ne sont point les fortes impostures.
En vain les bourguignons, de sa perte allarmez,
Avoient des hospitaux, et des cloistres fermez,

Rebattu mille fois les devotes cachettes,
Les plaisirs de la sainte, et ses douces retraites.
Le roy bruloit de rage ; et les siens écartez
Redoutoient de s’offrir à ses yeux irritez.
Sigismond en courroux veut punir ce grand crime ;
Se pasme de douleur, de fureur se r’anime.
Sur tous les bords du Rhône il va d’un roide cours ;
Et ne sçait quel rival luy ravit ses amours :
Quand celle dont le lait éleva la princesse,
Maudissant le malheur de sa triste vieillesse,
Retourne dans sa chambre en redoublant ses pleurs,
La retrouve en son lit, et bannit ses douleurs.
La princesse en repos, et contente, et honteuse,
D’un reste de splendeur luy paroist lumineuse.
Soudain les cris de joye éclatent dans ces lieux :
Clotilde est retrouvée : elle revient des cieux.
Tout accourt, et le croit, voyant son teint celeste ;
Et son silence est pris pour un aveu modeste.
Alors elle connoist, d’un esprit plus remis,
Que sa fuite, et ces biens par la vierge promis,
Sont pures veritez, et non de ces mensonges
Qu’un sommeil inquiet nous forge dans les songes.