Clitandre (1910)
Œuvres de P. Corneille, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxHachette (Les Grands Écrivains de la France)tome 1 (p. 258-259).


NOTICE


Cette pièce, publiée en 1632, passe généralement pour avoir été représentée en 1630. On a cru pouvoir se fonder, pour fixer cette date, sur les premières lignes de l’Examen, où Corneille nous apprend que c’est après avoir fait un voyage à Paris « pour voir le succès de Mélite, » qu’il entreprit de composer cette seconde pièce ; mais entreprendre et exécuter, et surtout achever, ne sont pas même chose. Puis, il est dit dans la Dédicace que Clitandre est venu conter « il y a quelque temps » au duc de Longueville « une partie de ses aventures, autant qu’en pouvoient contenir deux actes de ce poëme encore tous informes, et qui n’étoient qu’à peine ébauchés. » Ces mots « il y a quelque temps » ne s’appliqueraient guère bien, ce nous semble, à une communication faite au duc de Longueville deux ans auparavant ; d’ailleurs, il ne s’agit pas du poëme tout entier, mais de deux actes, et encore de deux actes seulement ébauchés. C’est là sans doute ce qui a déterminé les frères Parfait à porter à l’année 1632 la représentation de cet ouvrage : ils en placent l’analyse à cette date dans leur Histoire da théâtre françois (tome IV, p. 541).

Voici le titre exact de la première édition :


Clitandre, ov l’Innocence délivrée, tragi-comedie. Dédiée À Monseignevr le dvc de Longveville. A Paris, chez François Targa… M.DC.XXXII. Auec Priuilege du Roy.


Le privilège est daté du 8 mars 1632, et l’achevé d’imprimer du 20 du même mois. À la page 121 on trouve un frontispice qui porte : Meslanges poetiqves dv mesme, avec l’adresse de Targa. La pièce et les mélanges forment ensemble un volume in-8o de 159 pages. Nous n’avons point à nous étendre ici sur ces petites pièces de vers, que nous réimprimerons en tête des Poésies diverses ; nous nous contenterons de reproduire la phrase suivante de Avis au lecteur dont elles sont précédées : « Je ne crois pas cette tragi-comédie si mauvaise que je me tienne obligé de te récompenser par trois ou quatre bons sonnets. » Si l'on rapproche de ce passage la préface de Clilandre, et si l'on considère que Corneille le publia avant Mélite, on se convaincra qu'il ne lui déplaisait point quand il parut. Plus tard le poète, parvenu à la maturité de son génie, changea d'opinion. Lorsqu'il écrit dans l'Examen de Clitandre : « Pour la justifier (Mélite) contre cette censure par une espèce de bravade j'entrepris d'en faire une (une pièce) régulière, c'est-à-dire dans les vingt et quatre heures, pleine d'incidents et d'un style plus élevé, mais qui ne vaudroit rien du tout : en quoi je réussis parlaitement, » il est clair qu'il cherche un biais qui lui permette de ne point traiter d'une manière sérieuse une pièce qui lui semblait alors indigne de lui.

En 1644 le sous-titre (ou l'Innocence délivrée) disparut, et en 1660 cette pièce reçut le nom de tragédie, au lieu de celui de tragi-comédie qu'elle avait porté jusqu'alors.

On n'a pas de renseignements précis sur le théâtre où furent jouées les pièces que nous allons passer en revue ; mais tout porte à croire que Corneille, reconnaissant envers le directeur qui avait si favorablement accueilli Melite, les donna toutes à la troupe de Mondory qui eut, nous le savons, la gloire de jouer le Cid. Ce qui doit nous confirmer dans cette opinion, c'est que, même après la retraite de Mondory et le départ de Baron, de la Villiers et de Jodelet pour l'hôtel de Bourgogne, Corneille conservait, à l'égard du théâtre du Marais, une prédilection très-marquée. Tallemant des Réaux la constate, en l'attribuant, comme c'est assez sa coutume, à un motif peu honorable : «  D'Orgemont et Floridor, avec la Beaupré, soutinrent, dit-il, la troupe du Marais, à laquelle Corneille, par politique, car c'est un grand avare, donnoit ses pièces ; car il vouloit qu'il y eût deux troupes. » (Historiettes, t. VII, p. 174.) Le cardinal de Richelieu avait dessein de réunir les deux troupes en une seule.