La Cie d’imprimerie et de gravures Bishop (p. 195-198).


XLIV


Un des jours suivants, un dimanche…

C’était pendant la messe, une humble et fervente messe dont une couple de voix robustes de paysans entonnaient les parties avec âme. De loin, on entendait les Gloria, les Kyrie, qui jaillissaient par les fenêtres en ces intonations langoureuses et dolentes que prennent les voix inexercées.

L’église remplie, avait l’air toute joyeuse, tant il y avait dans les jubés, dans la nef, de beaux gars en costumes des dimanches, de gaies jeunes filles qui secouaient les plumes et les rubans de leurs chapeaux pimpants. Il y avait aussi beaucoup de vieux et de vieilles très proprement mis.

Car, ils y venaient tous à l’église, les uns en voiture, des concessions éloignées du village ; les autres, les alertes, à pied, des hauteurs de la montagne, par des chemins de raccourci à travers les pommiers et les rochers, par des grimpades de chèvres.

Des petits enfants de chœur aussi, il y en avait beaucoup, pleins les banquettes recourbées. Ils étaient très gais et très vifs ceux-là.

Tous en surplis, comme des vicaires lilliputiens, ils répondaient très vite au prêtre, trimbalaient l’évangile d’un côté à l’autre de l’autel, agitaient la clochette, l’encensoir avec des envies de rire… à cause des autres petits, en arrière d’eux, qui devaient se moquer un peu. À cet âge, c’est encore une bonne manière de prier ; et Dieu la leur pardonne bien, dans tous les cas…

Quand au reste de l’assistance, distribuée par deux, par quatre, dans les rudes banquettes de la nef, elle se signait, s’agenouillait, s’asseyait, se levait bruyamment à chaque partie de la messe, dans de brusques mouvements d’ensemble qui secouaient la vieille église jusque dans ses cintres.

Et, immédiatement après, le silence revenait, coupé par le cliquetis des chapelets, les marmottages en sourdine d’oraisons et de confiteor, les éternuements étouffés, les crissements aigus des bancs sur le plancher, les longs soupirs des vieilles dévotes. Et par moment, dans les jubés, c’était un pleur intempestif d’enfant que la mère honteuse cherchait à réprimer par de sourds chut… chut…

Ite missa est… Toute l’assistance, maintenant que la messe était finie, s’était assise en une houle sonore pour entendre les annonces.

Le prêtre enlevait sa chasuble dorée, la repliait sur le siège de sa banquette, puis ses livres, ses cahiers sous le bras, il gagnait la chaire, les yeux baissés, la figure onctueuse…

D’une voix grave, il lisait à présent :

« Il y a promesse de mariage entre Joseph Leroux, fils majeur de Charles Leroux et de Gertrude Labonté, domicilié en cette paroisse d’une part, et Louise Maupin, fille mineure de Henri Maupin et de Aglaé Tétrault, domiciliée à Saint-Mathias d’autre part. C’est pour la première et dernière publication, les parties ayant obtenu la dispense de deux bancs. Si quelqu’un connaît quelqu’empêchement à ce mariage il est prié de nous en avertir au plus tôt. »

Ils s’étaient retournés pour se regarder en signe d’entente, quelques jeunes filles et garçons qui s’en doutaient… Ça ne les surprenait évidemment pas, eux, et ils entrevoyaient déjà le plaisir de la noce prochaine.

… Il y a promesse de mariage… Comme cette annonce dénotait chez ces heureux à qui la vie souriait une absolue confiance dans l’avenir… Comme elle éveillait des idées joyeuses de bonheur et d’amour.

Maintenant le prêtre reprenait sur un ton plus solennel :

« On recommande à vos prières Fernande Tissot, dangereusement malade… »

Fernando Tissot… Fernande Tissot… Ils ne la connaissaient pas, celle-là… les paysans… En eux-mêmes ils se demandaient qui elle pouvait être…

Aussi la requête, qui par la bouche du prêtre sollicitait leurs prières, les laissait-elle indifférents pour la plupart. Quelques bonnes vieilles seulement formulèrent tout bas de vagues et rapides invocations à ta Vierge en faveur de cette Fernande Tissot quelles ne connaissaient point.

Mais il y en avait deux, une pauvre mère et son fils, qui la connaissaient bien, eux, et qui s’étaient enfoncés dans leur banc, sous le jubé, à l’arrière de l’église, comme s’ils avaient eu peur d’être regardés à l’appel du prêtre.

… On recommande à vos prières… Puis, quand tout fut achevé, les annonces, le sermon, le défilé de toute la foule au dehors, que l’église fut redevenue calme et morne, ces deux-là s’étaient humblement prosternés l’un près de l’autre, doucement.

La vieille Julienne s’était agenouillée en posture suppliante, et son regard fasciné se fixait, à travers les restes d’encens qui parfumaient le sanctuaire, sur quelqu’un de puissant qu’elle voyait sans doute.

On lisait dans ce regard plus que de la prière ; il y avait quelque chose comme des lueurs passagères de colère, une colère qui reprochait et blâmait plutôt qu’elle n’accusait. C’est devant ce regard et cette colère que les tyrans mêmes doivent être attendris.

Puis, ces lueurs déjà éteintes, ses yeux tout de suite repris de leur même expression de supplication, elle s’était mise à réciter des prières en soupirant.

Quant à Claude, qui se tenait tranquillement prosterné à côté d’elle, son esprit se perdait dans un sentiment douloureux d’extase où se mêlait une confusion de rêves, de visions étranges, d’apparitions sépulcrales. Chez lui, c’était le cœur et l’âme qui priaient, et ses implorations jaillissaient avec plus d’intense sincérité de son front courbé que de ses lèvres.

… Quelle faveur suprême demandaient-ils donc tous les deux d’une manière si touchante, car leurs yeux pleuraient, leurs bouches tremblaient d’émotion maintenant ?

… On recommande à vos prières…