La Cie d’imprimerie et de gravures Bishop (p. 25-26).


IV


Minuit bientôt, et il veillait cependant encore. Pourquoi ne dormait-il point ?…

Il était pourtant fatigué de sa rude journée de travail ; et quand il eut monté le petit escalier, à marches raides et toutes usées aux clous des souliers, il s’était jeté à genoux pour sa courte prière du soir : une singulière prière qu’il essayait toujours de reprendre machinalement sans pouvoir la terminer.

Après quelques phrases, il se perdait dans les mots, mêlait les Pater et les Ave, s’embrouillait tout-à-fait et ne savait bientôt plus où il en était rendu.

Une bonne fois, il s’aperçut qu’il disait : Ainsi soit-il… Ce devait être tout.

Alors, son grand signe de croix achevé, il s’était relevé, l’esprit en apparence libre de soucis, disposant tout pour son réveil, en garçon sage qui va se coucher bien tranquille en prévision des durs labeurs du lendemain.

… Elles étaient encore blanches et suffisamment fraîches les fleurs qu’il conservait dans un petit vase dépoli, sur une table de sa chambre… ces fleurs que Fernande avait cueillies et liées ensemble et qui étaient restées deux jours à répandre leur odeur délicieuse sur le sommeil éternel du père Claude.

Il les avait d’abord longuement regardées, ces pauvres fleurs encore odorantes d’un reste de parfum et ensuite, comme il y avait une chaise auprès de lui, voilà qu’il s’était assis tout doucement, immobile, l’air absent.

En silence, il repassait dans cet éveil distrait des souvenirs bizarres, des visions, des réflexions fantaisistes, des images vagues… une infinité de choses indécises et sans forme.

Comme en songe, il entendait en bas les pas traînants de sa mère, le bruit particulier du loquet de la porte qu’elle avait poussé, le souffle fatigué dont elle avait éteint la bougie… Et il ne pouvait pas s’arracher à cette inertie qui lui appesantissait l’esprit, le clouait sur sa chaise, l’empêchait malgré lui de gagner son lit et de s’y étendre sans souci, sans rien.

Ça tourbillonnait dans sa tête dans une succession rapide de conceptions et de souvenirs tantôt tristes, tantôt souriants… Brusquement une larme chaude avait jailli de sa paupière et ceci l’avait réveillé tout-à-fait.

C’est qu’à ce moment-là probablement, la pensée de son père mort le reprenait plus vivement et lui rappelait les meurtrissures de son cœur encore souffrant.

Alors, se levant lentement, une main noyée dans les mèches épaisses de ses cheveux, il gagna son lit et s’y plongea comme pour s’ensevelir.