Claire d’Albe (Ménard, 1823)/Lettre 26

Ménard et Desène fils (Œuvres complètes. 1p. 242-243).


LETTRE XXVI.


CLAIRE À ÉLISE.


Où suis-je, Élise, et qu’ai-je fait ? Une effrayante fatalité me poursuit ; je vois le précipice où je me plonge, et il me semble qu’une main invisible m’y pousse malgré moi. C’était peu qu’un criminel amour eût corrompu mon cœur, il me manquait d’en faire l’aveu. Entraînée par une puissance contre laquelle je n’ai point de force, Frédéric connaît enfin l’excès d’une passion qui fait de ton amie la plus méprisable des créatures… Je ne sais pourquoi je t’écris encore ; il est des situations qui ne comportent aucun soulagement, et ta pitié ne peut pas plus m’arracher mes remords que tes conseils réparer ma faute. L’éternel repentir s’est attaché à mon cœur ; il le dévore. Je n’ose mesurer l’abîme où je me perds, et je ne sais où poser les bornes de ma faiblesse… J’adore Frédéric, je ne vois plus que lui seul au monde ; il le sait, je me plais à le lui répéter ; s’il était là, je le lui dirais encore : car, dans l’égarement où je suis en proie, je ne me reconnais plus moi-même… Je voulais t’écrire tout ce qui vient de se passer ; mais je ne le puis : ma main tremblante peut à peine tracer ces lignes mal assurées… Dans un instant plus calme, peut-être… Ah ! qu’ai-je dit ? le calme, la paix, il n’en est plus pour moi !