Cinq nô/Texte entier

Cinq Nô : drames lyriques japonais
Traduction par Noël Peri.
Bossard (Les Classiques de l’Orient, volume 5) (p. --252).



CINQ NÔ
LES CLASSIQUES DE L’ORIENT


COLLECTION PUBLIÉE SOUS LE PATRONAGE

de

L’ASSOCIATION FRANÇAISE DES AMIS DE L’ORIENT

et

LA DIRECTION DE VICTOR GOLOUBEW



VOLUME V

IL A ÉTÉ TIRÉ DU PRÉSENT OUVRAGE : 15 EXEMPLAIRES IMPRIMÉS EN DEUX ENCRES SUR VÉLIN D’ARCHES À LA FORME, RENFERMANT UNE DOUBLE SUITE EN NOIR ET EN BISTRE DES PLANCHES HORS TEXTE SUR PAPIER DE SOIE JAPON TYCOON, NUMÉROTÉS DE 1 À 15 ;


140 EXEMPLAIRES IMPRIMÉS EN DEUX ENCRES SUR VÉLIN D’ARCHES À LA FORME, NUMÉROTÉS DE 16 À 155 ;


1.500 EXEMPLAIRES IMPRIMÉS SUR VÉLIN BOUFFANT DES PAPETERIES DE PAPAULT, NUMÉROTÉS DE 156 À 1655.

N° 597



Copyright by Éditions Bossard, 1921.

CINQ NÔ

LES CLASSIOUES DE L’ORIENT


CINQ NÔ

DRAMES LYRIQUES JAPONAIS

TRADUITS
AVEC PRÉFACE, NOTICES ET NOTES
par
Noël PERI
Membre de l’École française d’Extrême-Orient
Bois dessinés et gravés par Jean Buhot




ÉDITIONS BOSSARD
43, rue madame, 43
PARIS
1921




INTRODUCTION

I. — ORIGINE DU NÔ.


La littérature dramatique du Japon a la rare fortune de posséder une forme originale : le sarugaku no nô, que l’on nomme communément aujourd’hui nôgaku, ou plus simplement nô.

Le nô est la première forme dramatique qu’ait connue le Japon ; avec lui naquit une nouvelle branche de la littérature. C’est lui qui, le premier, à la place ou plutôt à côté de la danse, mit une action sur l’antique estrade, qui du coup devint une scène ; grâce à lui les mouvements et les formes, la beauté plastique de la danse revêtirent des personnages précis qui vécurent et agirent devant les spectateurs. Et sans doute, à l’origine, cette action fut très simple : elle ressemblait plus à une suite de tableaux qu’à ce que nous sommes accoutumés d’entendre sous le nom d’action dramatique, et n’était évidemment conçue que comme élément secondaire, raison ou occasion de développements lyriques, de chants et de danses, qui restaient la partie essentielle de l’œuvre. Mais elle devait rapidement grandir, occuper sur la scène et dans l’esprit des auditeurs une place de plus en plus importante, réduire les éléments lyriques à l’encadrer seulement, à la commenter, à la servir, au lieu de leur être soumise et de n’exister en quelque sorte que pour eux. Un pas encore, et l’action développée, renforcée, dramatisée, règnera sans conteste sur une scène agrandie, où elle multipliera les épisodes et les péripéties, où, pour frapper et émouvoir la foule, elle réclamera l’aide de moyens matériels et plus ou moins réalistes. Ce sera le théâtre, le drame populaire, et pour autant vulgaire, dont la classe instruite et lettrée se détournera pour retrouver autour de quelques scènes de nô des plaisirs plus intellectuels et plus délicats. Car cette évolution, sans doute inévitable, n’a pu s’accomplir qu’aux dépens des éléments proprement littéraires et du lyrisme caractéristique du nô.

Forme originale et spéciale à la littérature japonaise, de plus première manifestation de l’art dramatique, résumé et en quelque manière synthèse des arts d’un passé déjà long, tels sont les aspects sous lesquels se présente le nô, et les raisons pour ainsi dire techniques de l’intérêt qu’offre son étude. Il en est d’autres sortes. Il fut en son temps la forme littéraire la plus relevée, la plus achevée ; les XIVe et XVe siècles ne nous offrent rien qui puisse lui être comparé à ce point de vue. Il est le joyau littéraire de l’époque des Ashikaga. Il en est aussi pour nous l’expression la plus vraie et la plus forte, et par là son intérêt littéraire s’accroît de son intérêt historique. Il ressuscite devant nous, sous une forme saisissante et que son lyrisme rend plus puissante encore, les sentiments, les pensées, les croyances, les superstitions, les aspirations, toute la vie intellectuelle et morale de ces générations tumultueuses et inquiètes ; il fait agir sous nos yeux leurs dieux, leurs seigneurs, leurs religieux, leurs thaumaturges, leurs guerriers, leurs héroïnes et jusqu’à leurs fantômes ; surtout, il nous montre à merveille la profonde empreinte dont le Bouddhisme avait marqué les hommes de ce temps, la poésie qu’il savait tirer pour eux du spectacle de la nature, et comment il en revêtait l’instabilité des choses et l’impermanence universelle.

Car dans une large mesure cet art est sien, et c’est son souffle qui l’anime. Non seulement ses religieux par leurs prières procurent aux morts la paix et le salut, apaisent les génies et exorcisent les démons ; non seulement ses monastères reçoivent en leurs calmes asiles ceux que l’existence a lassés ou trompés, et sa loi console et secourt les affligés et les misérables ; mais en toutes choses et toujours c’est lui qui parle, c’est sa pensée qu’expriment toutes les bouches. Il infuse vie et sentiment à toute la nature, aux plantes, à la terre elle-même. Mieux encore, c’est lui vraiment qui chante et honore les anciennes divinités nationales ; elles n’y perdent rien de leur prestige, car il se plaît à reconnaître en elles des manifestations (gongen) d’êtres ou de puissances que lui-même vénère sous d’autres formes et d’autres noms[1].

Ce caractère religieux du nô est un des points par où il confine au mystère. Ce n’est pas le seul. Comme celui-ci, pour une part au moins, il naquit de fêtes religieuses et populaires, à l’ombre des temples ; il fut mêlé à leurs cérémonies ; il eut, et en beaucoup d’entre eux il a gardé, dans leur enceinte, sa scène particulière sur laquelle, aux jours de fête, il chanta les louanges des dieux, exalta leur puissance et leurs bienfaits, ou dit la gloire du temple et l’histoire merveilleuse de sa fondation. Comme le mystère aussi, le nô fut une prédication d’autant plus puissante que l’action, l’exemple y avait le pas sur le précepte, d’autant plus pénétrante et capable de s’imprimer dans les cœurs qu’elle s’enveloppait de plus de charmes.

Cette origine à la fois religieuse et populaire suggère aussi un premier rapprochement avec la tragédie grecque. Comme celle-ci d’ailleurs, il n’usa tout d’abord que d’une figuration très réduite ; deux personnages lui suffirent, auxquels il adjoignit de bonne heure quelques comparses, dont progressivement les rôles prirent plus d’importance. Mais, des le début, il réclama le concours d’un chœur dialoguant avec les acteurs ou se substituant a eux et chantant à leur place. La scène, très simple, fut ouverte, en plein air, sans décoration ni voile d’aucune sorte. Les femmes n’y furent pas admises, et tous les rôles y furent tenus uniquement par des hommes. Mais aux acteurs principaux le masque prêta ses multiples expressions et la danse ses mouvements solennels, farouches ou gracieux, tandis que divers modes de récitatif ou de chant rythmés par un orchestre rudimentaire ajoutaient leur cadence à celle des vers, et en ornaient ou en mesuraient le débit. Comme la tragédie antique aussi, le nô élargit rapidement son domaine, et après les dieux et les temples, il célébra les héros, mit en action la légende et l’histoire, et assouplissant sa forme, en vint bien vite à dire la simple humanité, ses douleurs et ses peines plus que ses joies. Toutefois ces quelques ressemblances ne doivent pas faire oublier les différences qui séparent ces deux genres, une surtout qui, sans doute, est capitale. Le souffle tragique traverse quelquefois les nô : il ne les anime pas. Le plus souvent l’événement tragique, lorsque le sujet en comporte, y est raconté plutôt que mis en acte ; l’intention est moins de le représenter que de le chanter. Le nô est avant tout une œuvre lyrique.

Le nô parut au commencement du xvie siècle, vraisemblablement à la cour des derniers shôgun de Kamakura, et vraisemblablement aussi sortit des écoles de dengahu[2]. Mais c’est aux xve et xvie siècles, sous les shôgun de Kyôto, les raffinés Ashikaga, et dans les écoles de sarugaku[2], qu’il donna sa mesure et brilla de son plus vif éclat. Il ne nous reste rien de sa toute première époque; le dengaku no nô, en faveur à certain moment, a laissé peu de traces. Mais le sarugaku no nô se forma à son école et sur son modèle, et il y a lieu de croire qu’il nous en a conservé une image assez fidèle. En parlant des nô, nous ne pouvons nous dispenser de mentionner au moins les kyôgen, comédies ou plutôt farces, qui se jouent sur les mêmes scènes, a titre d’intermède entre deux pièces. De structure très simple, elles ne font guère appel qu’au comique extérieur. Leur jovialité facétieuse repose de la solennité des nô. Nées de la franche gaieté du peuple, elles ont gardé l’accent de son rire et la forme de son ironie. Elles semblent souvent, vis-à-vis des seigneurs, des religieux, des croyances mêmes, une sorte de revanche du respect et de la vénération qu’expriment les nô : le daimyô y est bafoué par son serviteur, le bonze y a des mésaventures; un joyeux drille y abuse du nom, parfois des ornements et de l’autel même d’une divinité pour jouer les fidèles crédules.

Nous nous proposons dans les pages qui suivent, laissant de côté pour le moment la question complexe et encore imparfaitement élucidée de la formation historique du nô, de l’étudier dans sa forme complète et son état de perfection, forme et état auxquels il atteignit dans les dernières années du xive siècle, et qui ne varièrent qu’assez peu au cours du xve, et plus du tout ensuite.


II. — DÉFINITION DU MOT NÔ.


Tout d’abord qu’entend-on par nô, et que signifie ce mot ? L’originalité même de cette forme fait que nous manquons d’un terme adéquat pour la définir. L’expression la plus approchée serait sans doute celle de « drame lyrique », à la condition d’entendre le mot drame simplement au sens général d’action. Il ne faudrait pas évidemment qu’elle suggérât un rapprochement avec nos modernes drames lyriques : entre autres différences fondamentales, le lyrisme de ceux-ci est surtout musical, tandis que celui des nô est principalement poétique, ne demandant guère à la musique que ce que tout lyrisme lui a d’abord demandé, un rythme extérieur pour le soutenir, et des timbres relativement peu variés, sur lesquels à l’infini il pût dérouler et cadencer ses périodes.

Quant au mot nô, de lui-même, c’est un verbe signifiant « pouvoir, être capable de, habile », d’où, lorsqu’il est employé substantivement, le sens de « pouvoir, capacité, talent ». Il est en effet certain que a été employé de très bonne heure pour désigner le « talent » des artistes, danseurs ou exécutants des divertissements dont nous avons parlé, ce dont ils étaient capables, pourrait-on dire si l’on voulait serrer le sens de plus près. Il garde même encore, occasionnellement, ce sens au XVe siècle, alors qu’existaient déjà les pièces dont nous nous occupons. Mais de « talent, ce dont on est capable » à « ce qu’on exécute, exécution », et de là à « pièce exécutée », la distance n’est pas grande et le passage est aisé ; les spécialistes de dengaku et de sarugaku l’avaient franchi dès les premières années du XVe siècle. C’est ainsi que, lorsque Seami Motokiyo, dans son Kwadensbo, parle de la formation des jeunes acteurs, il emploie des expressions telles que nô wa agaru, mi wa tomaru, nô wa sagaru, etc., qui ne peuvent s’entendre que du développement de leur « talent », de son arrêt ou de son recul. Et d’autre part, le sens de « pièce » est évident dans l’opuscule qu’il consacre à la façon de composer les nô, Nôsaku-sho. Telle a été, croyons-nous, dans ses grandes lignes, l’évolution du sens du mot , au terme de laquelle il s’est trouvé désigner des exécutions et des pièces dramatiques. Mais la coexistence de plusieurs genres ne permit pas d’abord de l’employer seul ; il y avait des dengaku no nô, des sarugaku no nô, des kôwaha no nô, etc. C’est seulement lorsque les autres genres eurent disparu devant le sarugaku triomphant que prévalut définitivement dans le langage courant. Le terme de nôgaku est tout moderne et ne date guère que de l’ère de Meiji.

D’assez bonne heure on trouve aussi le mot utai, souvent sous la forme sino-japonaise yôkyoku, appliqué au nô. Les deux termes ne sont pas absolument synonymes. Tandis que désigne la pièce elle—même dans son ensemble et son exécution, utai désigne directement le genre de chant qui y est employé, et par extension le texte lui-même. Aussi les éditions de ces textes portent-elles toujours le titre d’utai-bon, ou quelque autre forme avec utai ou yôkyoku, jamais avec .


III. — ACTEURS ET RÔLES.


Le nô est essentiellement, et quelque développement qu’il ait pris, une pièce à deux personnages, il serait plus exact de dire à deux rôles, remplis par des acteurs appartenant à deux classes très tranchées, shite et waki, qui constituent des écoles et des genres absolument distincts. Ces rôles ont chacun leurs caractéristiques et leurs formes spéciales, et les acteurs de nô ne les échangent jamais. Autour d’eux se rangent en nombre variable suivant les cas, des comparses charges de rôles secondaires ou épisodiques, des comiques, des musiciens, des chanteurs.

Le shite est l’« exécutant » ; à la fois chanteur et danseur, il est, comme son nom l’indique, l’acteur principal sur lequel repose pour ainsi dire toute la pièce. Son rôle en est le centre et le pivot. Le waki, « côté », est chargé de lui donner la réplique ; il prépare la scène ; sa présence, ses questions, les incidents qu’il fait naitre fournissent au shite l’occasion ou le prétexte du chant ou de la danse. On a comparé ces deux rôles au protagoniste et au deutéragoniste du théâtre grec, et la comparaison ne manque pas de justesse. Le rôle du waki est assurément secondaire par rapport à celui du shite ; mais du point de vue du nô, il est primordial. Pour si peu actif qu’il paraisse, c’est grâce à lui, c’est de son opposition avec celui du shite qu’est née l’action dramatique, et le nô parut sur la scène avec lui.


Un certain nombre de pièces n’ont que ces deux personnages. Quand les exigences du sujet ou simplement le désir d’étoffer un peu la figuration ou le chant — on verra plus loin que certaines formes demandent l’alternance de deux voix — conduisent à en employer d’autres, il n’est pas pour cela, à proprement parler, créé de rôle nouveau : ces personnages secondaires sont simplement rattachés soit à l’un, soit à l’autre des deux rôles fondamentaux, qui semblent ainsi se partager entre plusieurs acteurs. Le nom qui leur est donné, tsure, « accompagnant, suivant », indique bien cette dépendance : ce sont des shite-zure ou des waki-zure, selon qu’ils « accompagnent » le shite ou le waki. Ce caractère de simple doublure se montre de façon très nette dans les pièces de forme ancienne. Le wahi y apparait souvent accompagné de deux wahi-zure[3] ; tous trois chantent, mais un seul parle, se nomme, agit[4] ; il n’y a vraiment qu’un seul rôle ; et que, par suite de manque de personnel ou pour quelque autre raison, un seul acteur y paraisse, rien absolument ne sera changé à la pièce elle-même : le chant seul et la figuration seront moins fournis.

Il n’y a ordinairement qu’un seul shite-zure, et à première vue, il peut sembler un peu plus autonome que les waki-zure. Il n’en est rien ; comme ceux-ci, il représente généralement un personnage indéterminé, sans nom, n’influant en rien sur le développement de la pièce. Il chante, il est vrai, avec le shite, il alterne même avec lui dans certains cas ; mais ce dialogue est tout musical, et les deux acteurs ne s’adressent pas la parole l’un à l’autre : ce sont deux voix qui se répondent et non deux personnages qui se parlent. Le shite-zure ne fait rien de plus ; il arrive même qu’il se retire lorsqu’une seconde voix a cessé d’être nécessaire pour l’exécution des passages chantés, et alors il disparait discrètement par la porte de service ; le plus souvent pourtant il ne quitte la scène qu'à l’intermède, avec le shite, mais il ne reparaît plus ensuite. Au point de vue dramatique, le nô fit un nouveau pas en avant le jour où il donna plus de consistance et de personnalité au shite-zure, et en fit un rôle plus autonome et en quelque sorte plus réel. Cette idée dut au reste se présenter d'assez bonne heure à l'esprit des auteurs de nô, car nous la voyons pleinement réalisée dans Chikubu-jima, par exemple, qui est une des plus anciennes pièces que nous possédions. Elle ne s'imposa pourtant pas de façon absolue ni même générale, car beaucoup de pièces postérieures ne montrent que les deux rôles fondamentaux dans leur simplicité première et continuent à traiter le shite-zure comme une voix plutôt que comme un personnage.

Les personnages qui s'ajoutent en quelques cas à ceux qui précèdent ne sont que des tomo, « compagnons ». Le plus souvent leur rôle n'est qu'épisodique; ils représentent des serviteurs, par exemple les porteurs de sabre des personnages principaux. Ce n'est qu'assez tard que le nô, poussé par le besoin de personnages nouveaux, s'avisa de développer ce rôle, d’en augmenter l'importance, et en fit presque l'équivalent d'un tsure. Enfin dans un certain nombre de pièces, paraît un « enfant » (kogata), dont le rôle est parfois important; et plus rarement un comparse, chargé d'un rôle épisodique, prend le nom vague d' « homme » (otoko), ou de « femme » (onna). Exceptionnellement, lorsque les acteurs chargés de rôles secondaires, tsure, tomo, etc., sont nombreux et forment un groupe d'allure générale identique, comme par exemple les compagnons de Yoshitsune dans Ataka, les promeneurs dans Saigyôzakura, on leur donne le nom de « troupe », tachi-shû.


Dans le plus grand nombre de nô, intervient un autre acteur, le « comique », kyôgen-shi ou kyôgen-gata ou plus simplement kyôgen, qu’on appelait aussi autrefois okashi. Parfois il est mêlé à l’action même, en qualité de comparse, porteur de sabre, batelier, portier de temple, portefaix, etc. Mais le plus souvent son rôle n’a qu’un rapport indirect avec la pièce elle-même ; d’une manière générale, il a surtout pour but d’occuper la scène pendant l’intervalle qui sépare beaucoup de nô en deux parties nettement tranchées. De la le nom qui lui est donné, ai, as intervalle », nous pourrions dire « intermède », nom qui a passé a l’acteur lui-même. L’exécution requiert quelquefois le concours de plusieurs de ces acteurs. Ces intermèdes font du reste partie des a ne et ne doivent pas être confondus avec les comédies, kyôgen, que les mêmes acteurs exécutent pendant l’intervalle qui sépare deux pièces.


Pendant l’intermède, le shite disparaît, soit qu’il quitte réellement la scène, soit que simplement il se retire dans un abri préparé a cet effet, et change de costume, pour revenir ensuite sous une autre forme, parfois même représentant un nouveau personnage. Ce rôle est ainsi partagé lui-même en deux parties, nommées respectivement mae-jite, « shite antérieur », et nochi-jite, « sbite postérieur ». Cette division peut s’étendre a d’autres rôles : on trouve quelques shite-zure qui, mae-zure dans la première partie, reviennent dans la seconde comme nochi-zure, representant eux aussi uri nouveau personnage; mais le plus souvent, le r6le de shite-zure, meme lorsqu'il jouit d’une certaine personnalité, ne dépasse pas la premiere partie de la piece. Quant au rele de` waki, sa division en mac-waki et nocbi-waki est plus rare encore, exceptionnelle meme} Régulierement parlant, le walri ne quitte pas la scene, et represente le meme personnage d'un bout ii l’autre de la. piece.


Le « chœur », ji, est ordinairement compose de huit in dix executants avec un ec chef d’attaque » (ondd) ou ec chef de chczur » (ji-gasbira). De meme que le mot chaaur en francais, ji, ou sous sa forme complete, ji- utai, se dit aussi bien de l’ensemble des choristes que des passages dont l’execution leur est confiée. Au point de vue scenique, le choeur n’a aucune action et ne fait aucune evolution ; il reste assis du commencement in la fin du ne ; sa seule fonction est de chanter. Les choristes ne portent, du reste, pas de costumes appropries aux . différentes pieces; ils sont simplement en vetements de ville. Au point de vue dramatique, le chozur prend part a la marche de la piece de deux facons: tantet il se substitue in un acteur, generalement au shite, pour l’exé— cution de certains chants, en particulier de ceux qui accompagnent une danse; tantet il devient une sorte d’etre impersonnel qui se mele in l’action, soit en expri- mant un sentiment suggeré par la situation, soit meme en dialoguant avec les acteurs. ll ne represente jamais un groupe de personnages determines, comme dans la tragedie grecque. Q!}


n INTRODUCTION Ces différentes regles souffrent des exceptions, dont quelques-unes, sans doute, sont imposees par le sujet, mais dont le plus grand nombre parait bien resulter du développement du no et de la recherche de nouveaux effets, recherche qui devait amener in la fois la deca- dence de la forme et son evolution vers un genre de plus en plus dramatique et theaitral. Ainsi, il existe quelques pieces sans role de waki, ne mettant en scene qu'un shite et des tsure, c’est-e—dire des acteurs de meme classe; en d'autres, un role de tsure prend une impor- tance considerable et s’egale presque 5 celui du sbite; on voit parfois des tsure n’apparaitre que comme dan- seurs, dans la seconde partie de la piece; en d'autres, le sbite ne fait qu’une courte apparition, et son role devient secondaire par rapport 5 la marche de la piece, qui repose principalement sur le waki ; citons enfin le cas tout exceptionnel de Murogimi, oi: le sbite ne parait ` que comme danseur et ne joue aucun ro- dramatique, ne parle ni ne chante. C`est assez indiquer combien, dans les limites que lui imposait sa forme, le no chercha 5 se diversifier, et avec quelle liberte il usa des elements qui etaient 5. sa disposition.

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ll faut dire un mot aussi des hdlren et des m0n0·I¢ise, dont aucune execution ne saurait se passer, encore ‘ qu’ils n’y prennent pas part en qualite d’acteurs. Le héhen ou kdkmnin, ec surveillant », assiste 5 l’exe- cution en costume de ville, assis au fond de la scene ; il doit apporter, disposer 5 l’avance les objets necessaires r 5 la representation, faire disparaitre les menus usten- e siles devenus inutiles, fournir in point ceux qui sont ‘ reclames 5. certains moments, canne, sabre, eventail, i


INTRODUCTION as siege meme, etc. ll veille in tous les accidents qui pour- raient se produire, et doit etre pret meme in suppleer le shite, si une raison qnelconque l’obligeait a quitter la scene. Cette derniere condition n’est generalement plus remplie aujourd°hui; par contre, il arrive souvent qu’on voit deux Irélun a la fois. Cependant, des acteurs repu- tes ne refusent pas, au besoin, de remplir ce rele. ' Les memo-kise sont les or habilleurs », et proprement _ `les habilleurs du sbile, bien qu’aujourd'hui au moins, i iis s’0ccupent aussi du waki. Les costumes traditionnels et compliques, les coiffures, les masques dont se sert le ne, et que ne doit pas deranger la danse la plus vio- lente, reclament une dexterite particuliere, surtout lors- _qu’il s’agit d¥en changer completement en un temps ° limite, pendant la durée du recit ou de la scene de I’ai. Oyelquefois, lorsqu'il est peu important, ce change- ment se fait au fond de la scene, in la vue des specta- teurs : il re lame alors une grande sllrete de main, sous peine de devchir ridicule. . .. m . ‘ Uorchestre se compose de trois ou quatre instru- ments suivant les cas : une finite (fue), deux tambou- j rins ig main, un petit qui se tient sur l’epaule droite (ko-tszqumq, un plus grand qui se tient sur le genou j gauche (6 lsugumi), auxquels se joint, pour les appari- g tions de dieux, de demons, d‘esprits de guerriers. et pour certaines danses, un tambourin a baguettes (laiko), porte sur un pied qu’on pose sur le plancher. Les musi- ciens sont designes sous le nom general debayasbi-kala; _ chacun, en particulier, prend le nom de son instrument { fue-/rata, /¢0·tsu{umi-kata, 6-tsxqumi-kata et taiho-/rata. I I

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24 IN'I'ROD’UC'I‘ION Les acteurs de no sont partagés en trois classes spe- cialisees chacune dans un genre de rbles dont elle ne s’ecarte jamais. Nous avons nommé deja la classe des sbite et celle des waki; Ia troisiéme est celle des kydgen. Chacune d'elles se divise encore en plusieurs écoles (ryxi) plus ou moins différentes entre elles, soit par le genre d’interprétation qu'elles adoptent, soit par les L pieces qu'elles executent, soit enfin par des variantes dans les textes dont elles se servent. On compte trois écoles de kydgm, nommées d’aprés le nom de leurs fondateurs : l’école Sagi, l'ecole lzumi, l'ecole Okura. Ce sont elles qui fournissent les acteurs jouant les comedies proprement dites et ceux qui sont charges des intermédes dans les no. Les écoles de waki sont au nombre de cinq : Harufuji, Fukuo, Shindo, Takayasu et H6sh6. Les acteurs de ces écoles ne jouent que les roles de waki et de waktiqurc et quelquefois de tomo. ll y a également cinq écoles de shite (‘) : Kwanze ("), H6sh6, Komparu, Kongo et Kita. Elles fournissent non seu- (•) Ce chiffre n’est plus exact aujourd’hui. La famille Ume- waka, qui appartenait e l’ecole Kwanze, vient de s’en detacher pour former une ecole particuliere (rgao). (*) Cette famille s’appelait primitivement Yuizaki. Mais la grande reputation comme acteurs et comme auteurs de no de deux de ses chefs successifs, Kwanami Kiyotsugu (l355•l4CB) et surtout Seami Motokiyo (1375-1455), lui valut plus tard le nom de Kwanze, forme par la reunion des premieres syllabes, kwan-se, de ceux de ces illustres personnages. Outre les nom- breuses pieces qu’il coinposa ou arrangea, —- on lui attribue plus de la moitie de celles qui sont encore executees, — Seami avait ecrit quelques opuscules traitant de differents points de son art. Longtemps on les crut perdus; us furent heureusement retrouves en rgos, et edites cn 1909 par Yoshida Togo. On peut dire qu’i1s ont renouvele nos connaissances sur le no. Ils sont souvent cites dans ce travail. _


INTRODUCTION as lement les sbitc et les sbite-sure, mais la plupart des tomo, les kogata, les chanteurs du chceur et les kékm, voire les mono-kise. Elles sont donc de beaucoup les plus importantes in tous les points de vue; leur histoire est, dans une certaine mesure, celle meme du ne. C'est elles seules que l’on a en vue généralement lorsque l’on parle des écoles de n6, sans autre indication. Elles forment deux groupes nommés kamigakari et sbimo— gakari, suivant qu’elles furent etablies d’abord at la capitale (Izumi), ou en province, a Nara (sbimo) : le pre- mier comprend les écoles Kwanze et Hosho, le second, les écoles Komparu, Konge et Kita. Le meme groupe- ment est reproduit dans les écoles de waki, parmi les- quelles Harufuji et Fukuo appartiennent au hami-gakari, Shindo, Takayasu et Hosho au sbimo-gakari. Pour dis- tinguer cette derniere de son homonyme sbitz, on la nomme ordinairement waki-Hdsbé ou sbimoygakari- Hésbd. Ajoutons que les nombreux amateurs qui exe- cutent des no, par maniere de passe-temps ou en guise d’art d’agrément, suivent_tous une ecole une fois choisie et n’en changent guere. rv. - LA seem:. A la rigueur les no, au moins le plus grand nombre d’entre eux, peuvent s’exécuter n’importe ou et ne réclament pas de scene spéciale. lls n’en eurent pas in l’origine et se contenterent in peu pres de ce qui existait alors, c’est-a-dire des simples estrades couvertes desti- nées a la danse (bulaz`). Leur scene en a conserve le nom, qui a servi également plus tard et sert encore a désigner la scene du theatre ordinaire, et d'ailleurs toute espece de scene. Cependant, ils l'agrandirent sans doute un


as INTRODUCTION peu et en modifierent Pagencement par l’adjonction progressive de quelques parties aocessoires in leur usage. Les principales et les plus caractéristiques d’entre elles existaient aes les premieres années du xv' siecle, et sont sans doute plus anciennes. Ce qui s’y ajouta, ce qui y fut moditié ensuite, n'a qu’une importance secondaire. Né d’ancétres accoutumés au plein air et sur une estrade ouverte aux regards de tous les cotes, le nb semble ne pouvoir se passer d’espace libre autour de lui. Ce serait lui faire violence et le diminuer que l’en· fermer dans une enceinte trop strictement delimitee, sur une scene trop exactement close. La nettete trop accusée des contours, en restreignant sa fantaisie et son mépris superbe des exigences comme des possibilites _ matérielles, s’imposerait trop énergiquement aux sens des spectateurs et ne laisserait pas assez a leur imagina- tion la liberté de conduire it sa guise le décor qu'évoque pour elle la poesie. Au milieu d’une cour carrée dont trois cotés, ou quel- quefois deux seulement, sont occupés par les loges des spectateurs, s’éleve in deux pieds environ au·dessus du sol, une estrade carree de trois hen (5 m. 4o) de cete. Sous cette estrade, un certain nombre de grandes jarres ‘ de terre cuite sont enfoncées dans le sol, l’ouverture en l’air, afin d'augmenter par resonance la sonorite du plancher. Aux quatre angles, de fortes colonnes sou- tiennent une toiture aifectant la forme de celles des . temples bouddhiques ou plus exactement des édicules élevés dans leur enceinte. Aucun ornement, pas une tenture, pas de plafond, meme pour cacher la char- pente, elégante du reste et travaillee avec soin. Au milieu et en avant de la scene, un escalier de quelques


INTRODUCTION u marches (sbirasu-basbiga) descend jusqu’au sol de la cour. A droite (‘), tout le long de la scene et de plain- pied avec elle, court une sorte de balcon ou de galerie étroite, large de trois pieds (0 m. 90), close en dehors par une balustrade basse. C’est la place du chceur qui s’y assied sur deux rangs, laissant libre le tiers de la · galerie du coté du public. Au fond, le h6{a, as arriere- plan », large de six pieds (x m. 8o), est ajouté a Ia scene proprement dite sur toute sa largeur, mais en reste absolument distinct, et aucune partie de la piece ne s’y joue. ll est ferme en arriere sur la droite, ou est ménagée dans la paroi une porte basse(ki1·id0-gucbi), destinée i aux chanteurs du chceur, au service et a la sortie dis- _ crete de quelques acteurs dont le r6le est terminé au cours de la piece. Sur cette paroi est peint un bouquet de bambous, tandis que sur celle du fond, dénommée, pour on ne sait au juste quelle raison, kagami-ita, ¢planche·miroir », un vieux pin allonge ses branches tordues et deploie saverdure éternelle. La direction du plancher du /:631, perpendiculaire in celle du plancher de la scene, lui a valu le nom de yoho-ita, cc planches- traversieres ». C’est a la limite exacte du k6{a et de la scene que se placent les instrumentistes, le flutiste in droite pres de la colonne d’angle, puis en allant vers la gauche, le petit tambourin, le grand tambourin, et enfin, quand il y a lieu, le tambourin at baguettes, un peu en arriere. Au fond, a gauche, contre la paroi, s'asseoient les hékm; et aupres d’eux vient se placer l’acteur comi- que charge de l’intermede, ai, en attendant le moment d’intervenir. De l’extrémité gauche du kéga part une (*) Les indications sont données per rapport su spectateur suppose en face de la scene.


28 INTRODUCTION galerie de meme largeur que lui et dont la longueur doit etre de 3, 5 ou 7 km (‘), se dirigeant de biais vers la porte du foyer que ferme un rideau de soie aux cou- leurs vives. C'est le basbi-galmri, expression que traduit suffisamment le mot en pont ». Deux balustrades courent · de chaque ceté sur toute sa longueur. En arriere, Ia vue est arretée par Yum-itu, as planche de fond », paroi de bois, mitoyenne avec le foyer. Devant le pont sont plantes trois jeunes pins auxquels on donne des nume- ros d'ordre en partant de la scene. Leur presence avive la sensation de plein air dont nous avons parlé, et ils servent. en outre de point de repere aux acteurs. Car certaines parties des nb sont jouées sur le pont, qui de- vient ainsi une sorte de seconde scene, reculée, permet- tant des effets tres originaux. Pour la facilité des explications de mise en scene, plusieurs points remarquables de cet ensemble ont regu des noms spéciaux. A la partie antérieure de la scene, la colonne de droite au pied de laquelle s’asseoit ordi- nairement le waki s’appelle wahi-basbira, or colonne du waki », ou daqin-basbira, ec colonne du ministre », · parce que, dans les no de forme ancienne, le wahi joue . le plus souvent le personnage d’un ministre ou d’un envoye imperial. A gauche se trouve la ec colonne du regard » (me-lsuke-basbim ou mi-tsukc-basbira), vers laquelle le sbite doit diriger ses regards en certaines cir- ‘ constances, et qui fournit un point de repere aux acteurs (•) A en croire le faux Kwadensho, livre VI, elle attelgnit autre- fois iusqu’& ll et meme 13 ken (23"40) sur certaines scenes. Nous cltons sous ce nom un recueil de huit opuscules fausse- ment attribues A Seami et parus entre 1596 et IOI4. L’ouvrage garde une certaine valeur comme temoin de la tradition. le


dont la vue est genee par le masque. Au fond de la scene, la colonne de droite a coté de laquelle est assis le flutiste prend le nom de or colonne de la fliite » (fue- basbira), et celle de gauche, celui de << colonne du sbitc >> (shite-busbira), parce que cet acteur se tient générale- ment pres d’elle a son entree en scene et a la fin des pieces. Derriere celle·ci, la colonne encastrée dans la paroi du fond s’appelle << colonne du comique » ou as colonne du surveillant » (lryégembasbim ou kdkcn- basbira). La partie de la scene qui se trouve immediate- ment en avant de la place occupee par les deux tam- bourins, c’est-a-dire le milieu de la partie arriere, a regu le nom de daisbé-mac, et le nanori-za est la place où le waki dit le nanori et se nomme au public sur le cbté gauche de la scene, entre les colonnes du sbitc et du regard.

Le foyer des acteurs (gakuya) s'etend derriere la scene ou plus exactement le kéga, avec lequel il communique par la porte basse(ki1·id0-gucbi), et derriere le pont. A l’extrémite de celui-ci et communiquant avec le galruya, est la as chambre du miroir » (hagami no ma), on les acteurs revetent leurs costumes, et qui tire son nom du grand miroir devant lequel ils y mettent la der- niere main ou y jettent un dernier coup d’il avant d'entrer en scene. Elle ouvre directement sur le pont et n’en est séparee que par le ec rideau » (mahu ou age-mahu), dont nous avons parlé. Elle en recut autre- fois le nom de as chambre du rideau » (maku no ma). Ce rideau se releve intérieurement a l’aide de deux bambous. ll ne se leve que pour livrer passage aux acteurs proprement dits; les instrumentistes l’écartent légerement et se glissent, par c6té. §}.


m INTRODUCTION Sur cette scene d'une nudité sévére et d’une simplicité si élégante, les no installent parfois, non pas des décors, mais des figurations d'objets, figurations stylisées en quelque sorte et parfois réduites au dela de ce qui sem- blerait possible. On les appelle tsukurimuma, as confec- tions ». Leur nombre est assez limité. Le seul tsukuri mono qui ait des dimensions et une apparence normale est la cloche de Déjéji; car si le support du miroir qui sert en quelques pieces est de hauteur convenable, sa forme parait trés étrange. Par contre, la cloche de Mii-dem n’est qu’une sonnette, le chariot de Matsukrqe un jouet d’enfant, et les cryptomérias (sugi) de Miwa deux branches de quelques centimétres. Un cadre de deux pieds de coté d’oi1 partent quatre montants suppor- tant un petit toit en chaume représente une maison, — un temple au besoin, en moditiant la toiture; et d’un bateau, le bordage supérieur seul est indiqué par la double courbure de minces lattes rejoignant un cadre léger posé a terre. C’est qu’en tout cela le no n'entend, en effet, que donner une indication et ne veut ni attirer les regards ni détourner l’attention; son ambition est évidente de se sutfire a lui·méme; et de ces simples indications mémes il se passe souvent. ll n’en est que plus libre pour _évoquer a son gré la tristesse de l’au- tomne, la douceur du printemps, les terreurs de l’ombre au fond des montagnes, le brocart des feuilles d’érable sur les eaux, le voyage des pélerins, la fureur des batailles, les concerts célestes et l’horreur des enfers. V. — FORMES. Le no use d’un certain nombre de formes (kyokusc- _ tsu), littéraires et musicales, les unes assez strictes, les


INTRODUCTION m autres plutot libres. Elles ne sont pas obligatoirement toutes employees dans chaque no, mais quelques-unes peuvent paraitre deux ou plusieurs fois au cours de la meme piece. L’ordre de leur succession n’est pas non plus invariable, encore que les caracteres particuliers de quelques-unes déterminent a peu pres la place qui leur convient. Entin il en est qui peuvent se suppléer ou se remplacer réciproquement. Disons un mot de cha- cune d’elles, et d'abord des plus importantes et des plus caractéristiques, les formes chantées. A. - Fonmas cumrees. A quelques exceptions pres que nous signalerons en leur lieu, elles sont écrites sur un metre régulier, la ec chaine » (kusari), qu’il nous arrivera d’appeler vers, de 12 syllabes, partagé en deux hémistiches, le premier _ (kami no ku) de 7, le second (sbimo no lm) de 5 syllabes. . On y constate assez souvent des allongements, 8 syl- labes au lieu de 7, 6 au lieu de 5, et plus rarement des raccourcissements, 6 pour 7, 4 pour 5. Mais il faut remarquer, au point de vue littéraire, que la poesie japo- naise admet l’élision dans certaines conditions et que, si la poesie classique,a partir du Kokinsbzi, a abandonné le rythme de 4 pieds, l'ancienne,telle que nous l’ont , transmise le Kojiki et le Manydsbri, l’admet et Yemploie f parfois aux lieu et place du rythme de 5 ('). ll ne faut E pas oublier non plus qu’il s’agit ici de chants et de réci- _ E tatifs, permettant d’autant plus aisement de dissimuler { ces irrégularités qu’ils sont construits sur un rythme : Q (*) Ou salt que la poesie japonalse ignore les rima. L I


32 INTRODUCTION musical assez long, yatsu-bydsbi, ou, comme on disait autrefois, _ya—by6sbi, rythme in << hult battements ». cmbrassant tout un kusari. Les ouvrages techniques expliquent d’ailleurs tout au long, et des le xv° siécle Seami expliquait deja, comment, en cas d’insutl‘isance du nombre des syllabes, on doit an élargir » le rythme, et, au contraire, le at resserrer » en as ramassant » ccs syllabes, lorsqu’elles sont en exces. D'autre part, l’or- chestre, par les coups de tambourin et par les emis- sions de voix mesurées des musiciens, maintient le rythme dont les raccourcissements des kusari mena- ceraient la régularité (‘). Presque toutes les formes que nous allons étudier peuvent commencer par un hémistiche de 5 pieds isolé; cela parait etre a peu pres la regle pour quelques-unes, et c’est pour les autres, a une exception pres, aussi fré- quent sans doute que de commencer par un Imsari entier. Dans les passages dialogues, le kusari est quel- quefois partagé in l'hémistiche entre les interlocuteurs. Les formes chantées sont: le sbidai, Fissei, l’uta, le susbi, le kuri, le kuse, le rongi, le waka et le kiri.

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Le sbidai, par lequel s’ouvrent la plupart des nb, est toujours formé de deux kusari et n'admet iamais (*) I1 est vraisemblable qu’e défaut d’un nombre regulier de syllabes, cette poesie se contentait de la succession de rythmes longs et courts. Elle était du reste, et a été. pendant longtemps, chantée en forme de récitatif, ou du moins destinee a l’etre. Pourvu que les indexions du regitatif n’en fussent pas genées, les auteurs semblent donc avolr joui d’une certalne liberté quant au nombre des' syllabes. - — . l


d’hémistiche isolé. Il offre une particularité qui a été diversement interprétee : dans la grande majorité des cas, les deux kusari ne sont pas de meme longueur, le dernier hemistiche du second ne comptant que quatre syllabes au lieu de cinq. Ce raccourcissement donne au sbidai un caractere d’inachevement, de suspension, qui le prolonge pour ainsi dire, et s’harmonise bien avec sa signification génerale. Au reste, le rythme qui en résulte A l’exécuti0n n’est nullement boiteux; dans le chant, la derniere syllabe, le plus souvent une nasale, s'allonge et s’éteint doucement; et dans Yindécision qui en resulte disparait ce que la disproportion des deux vers pourralt avoir de choquant.

Le sbzkiai manque en quelques pieces; par contre d’autres en ont deux appartenant A des rbles différents. Le plus souvent il est chanté par le waki, soutenu par les waki-zure quand la piece en comporte. On en trouve aussi assez fréquemment dans le rele du sbile, exécutés par l’acteur seul ou soutenu de ses tsure suivant les cas; parfois enfin un sbidai est chanté par un simple tsure. A l’exécution, le premier vers est chanté deux fois de suite. Puis le sbidai est immédiatement répété A mi-voix, sans reprise, par le chceur: C’€St1€j!:-d0fi, « reprise du chœur ».

Dans un certain nombre de ne, un sbidai parait au cours de la piece, chanté uniquement par le chœur : c’est proprement le ji-sbidai. A premiere vue, il semble ne pas remplir le role ordinairement attribué A cette forme, et par consequent ne pas mériter ce nom. Un . examen plus attentif montre qu’il précede toujours une scene ou un chant particulierement important, et cela suffit, ainsi que nous allons le dire, A justiner le titre qui lui est donné. w INTRODUCTION Le sens qu'il convient d’attribuer a ce mot a fait , l’objet de quelques discussions. Assez ordinairement on a Iui donne celui de er sujet », le sbidai, dit-on, exposant sinon le sujet meme de la piece, du moins l’idee princi- pale, ou l’une des idees principales qui la dominent. Or ce cas nous parait etre extremement rare, et on en cite- rait in peine quelques exemples, tous d’ailleurs suscepti- , bles d'une interpretation differente s’accordant aisement ` avec l’explication plus generale que nous proposons. ll nous semble preferable de traduire sbidai par an cir- constance », qui est a la fois plus comprehensif et plus conforme au sens ordinaire du mot, et s’applique assez exactement au caractere general de cette forme. Le plus souvent chantee par le waki, bonze ou pelerin partant pour visiter un sanctuaire ou un lieu celebre, officier ou fonctionnaire du palais envoye en mission, elle parle partout de la er circonstance » du voyage, quelquefois de celle de la saison ou de l’epoque, plus rarement d’un , detail plus personnel, << circonstance » encore de lieu, I de genre de vie, d’etat ou d’§ge meme. Et a les bien I examiner, c'est aussi une << circonstance » surtout I qu’expriment les ji-sbidai, en rapport direct avec la I scene ou le chant auxquels ils servent d’introduction. 1 Ce nom d' << introduction », sous la forme jolra, a d’ailleurs ete aussi donne au sbidai; et celui-ci y a tous les droits, en tant qu'il expose precisement les 4: cir- constances » dans lesquelles des evenements qu'il n’in- dique pas, et qui constituent justement le an sujet », vont se passer. Et encore, plutot que l'introduction de la piece entiere, il faut y voir l'introduction d’un role ou plus exactement peut-étre d’un passage determine d’un rble ou d'une piece. ll serait autrement inexplicable que le meme sbidai put servir a des no aussi absolument


INTRODUCTION m differents que Kura{uIm et Ataka, Sotoba-Komacbi et Tomaakira, etc. C.?} Uissei, par la place qu'll occupe ordlnairement comme par sa signification, présente quelque analogie avec le · sbidai. Normalement, il commence le role du sbite, comme le sbidai celui du waki; exceptionnellement il arrive que ces formes intervertissent leurs roles, ou que le sbite et le waki débutent tous deux par un issei, comme ils peuvent aussi débuter tous deux par un sbidai. Enfin on trouve quelquefois un issei dans un role de tsurje, mais seulement lorsque ce dernier revet une importance particuliere et est scéniquement inde- pendant du personnage principal. Sa signification est en general plus concrete, plus directement caracté- ristique du personnage ou des clrconstances que celle du sbidai, qui reste touiours un peu vague. La forme en est d’allleurs un peu plus developpée. Le type normal se compose de deux parties : la pre- miere, formée d'un hémlstiche initial et de deux kusari, n’a pas de denomination particuliere et constitue l’issei proprement dit; la seconde, qui compte deux husari, prend le nom de nina ku: elle manque quelquefois. L’issei est l'une des formes les plus mélodiques du no. L’exécution en est ordinalrement confiée at deux voix, sbite etsbite-zure, ou exceptionnellement waki ou waki- {ure: les deux acteurs chantent ensemble la premiere partie; le tsure chante seul le premier kusari de la se- conde; les deux voix s'unissent de nouveau pour le dernier. C’est sans doute, en partie au moins, pour cette raison que la plupart des pieces ou l’iss¢i n’est pas suivi de ni no ku sont celles ou le sbite parait sans tsure.


m INTRODUCTION Toutefols il arrive aussi que l’issei dans son entier soit chanté par une seule voix,et que le choeur y alterne avec un soliste. Il s’exécute en général sur le pont; les chan- teurs sortant du Imgami no ma, s'arrétent a mi-chemin de la scene, se faisant face lorsqu’ils chantent ensem- bl!} tournés vers le public pendant le solo. Nous savons par d’anciens textes que l’issei était pri- mitivement un des genres d’exécution des imayé que chantaient les danseuses sbirabyésbi. ll s'agit donc d’une ancienne forme, ou plus exactement d’un ancien genre de chant, sinon simplement d’un mode d'exécution, que le no emprunta et remania sans doute quelque peu sulvant les formes littéraires auxquelles il l’adapta. Car, a ce point de vue, on peut, croyons-nous, distinguer deux classes d’iss¢i : d’abord ceux, plus rares et parais- sant plutot au cours de la piéce, qui conservent la forme de l’ima_y6, soit quatre vers de 7 + 5 = rz syllabes; un exemple particuliérement remarquable et a rapprocher de ce que nous venons de dire, est l'¢Lss¢i qui précéde la danse de Shizuka, une sbirabydsbi précisément, dans Yosbino Sbquka; ensuite les issei du type normal, qui affectent une forme abrégéc d'uta (‘), in savoir un hémis- tiche initial de 5 syllabes, suivi de vers de 7 + 5 syllabes, au nombre de deux si l'on s'en tient in la forme stricte, de quatre si l'on y joint le ni no hu. Tous les autres cas peuvent se ramener a ces deux types, dont ils ne sont en somme que des développements, ou, excep- tionnellement, des raccourcissements. Q?}

(•) Non pas l’u¢a ordinaire, mais l’u¢a special du no, dont il va etre question. 1


INTRODUCTION sq Uuta, que Seaml appelle aussi l’utai, proprement le << chant », est une des formes preferees du ne. Elle re- vient toujours plusleurs fois, genéralement quatre fois au cours de chaque piece, Sa structure est tres regu- liere. Elle est ordinairement de dimensions moyennes. Elle ‘ n’a rien decommun en aucun cas avec la forme poetique l si connue de trente et une syllabes, tanlm, a laquelle on donne aussi ce nom, abréviation de celui de m§ika-uta, l << poesie breve». Elle se rapproche davantage du naga-utc, as poesie longue ». L'uta normal debute par un hemi- stiche isole, qui pourtant peut faire defaut, et il compte de six in huit vers de douze syllabes. Le premier vers est suivi d’un repos que marquent et remplissent quelques coups de tambourin accompagnes d'une figure melo- dique de la tl€1te : c'est l’uchi-hiri, or battement de cou- pure », employe aussi en maints autres endroits du ne. Sur la derniere note de la thite, le ou les chanteurs re- l prennent le premier vers et continuent l’uta. Lorsque l’execution est confiee in deux voix, shite et tsure, cette ` l repetition est faite par le tsure seul. ll y a ordinairement une autre or coupure », mais sans repetition, au cours du morceau, et parfois un autre hemistiche isole ; le der- nier vers est repete. { ll existe des uta aussi bien dans les reles de shite que I dans ceux de waki, et il en est de chantes par le chceur. i Les derniers ne portent que le nom general d’uta. Dans i les reles de shite, on trouve, é la suite l'un de l'autre, un ! sage-utu, cuta a intonation basse », etun age·uta, ecuta in intonation elevee ». Le premier ne compte genéralement que deux vers, avec ou sans hemistiche initial; il se ter- mine par une coupure. L’ag¢-uta est purement et sim- I plement de la forme ordinaire que nous avons expo- see plus haut, in cette difference pres qu’il lui manque `


p INTRODUCTION parfois la coupure que nous avons indiquee vers le mi- lieu du morceau. " Les uta appartenant aux reles de walri recolvent en general des denominations speciales. Le oc chant d'at- · tente », macbi-utai, est l’uta du rvalri qui suit l’inter· mede et precede l’apparition du nocbi-jite dans les pieces qui comportent cette peripetie. ll est ordinairemem assez court, de quatre ou cinq vers avec ou sans hemis- tiche initial. ll comporte la repetition du premier et du dernier vers; mais il n’y a pas de coupure au cours du morceau: elle n'apparait que dans les cas exceptionnels on] le mach:}-utai atteint la longueur de l'uta normal. Au commencement de la plupart des pieces, le waki. apres s’etre nomme (‘), chante avec les wakiqure, si la piece en comporte, le voyage qu'll est cense faire et les sites qu’il est censé traverser pour se rendre au lieu de l’action. Ce morceau est toujoursde la forme de l'ula. On lul donne generalement le nom caracteristique de micbsjruhi-uta, a chant du parcours de la route », ou simplement micbzjruki. Uta est seul usite lorsqu'il n’y a pas vraiment description d'un voyage, soit que le depla- cement soit de trop peu d'importance, soit que l’auteur ait choisi un theme different. 35 Le sasbi est certainement la forme qui ale plus exercé la sagacite des chercheurs. Ce terme s’applique en effet A des passages aussi nombreux que varies. Bien mieux, sui- vant les ecoles, les memes passages portent des desi- gnations differentes : sasbi, sasbi—goe, Iraharu; il en est meme qui n’en portent aucune et dont la nature ne _ Q) Voir plus loin, aux formes parlees, le mmod.


INTRODUCTION 4I se reconnait qu’aux signes de notation accompagnant le . texte. _ Le sens méme du mot sushi est assez obscur. On l’entend le plus souvent aujourd’hui dans celui de sushi-iru ou de sushi-komu, 4: introduire entre, ajou- ter », et on suppose que sushi désigne un pas- sage 4: introduit entre » deux formes de carac- tére diiférent pour les relier, ou 4: ajouté » avant l’une d'elles pour la préparer. Les cas les plus ordi- naires et les plus remarquables de l’emploi du sushi concordent avec cette interpretation, qui d’ailleurs s’en inspire évidemment et nous est, pour cela méme, quel- que peu suspecte. Elle ne saurait, au reste, s’appliquer a _ quantité d’autres passages portant cependant le nom de sushi. Nous serions plus portés in voir dans ce mot le nom technique d’un genre récitatif généralement tres simple, se bornant souvent in marquer les coupures du débit par quelques intlexions mélodiques peu compli- quées. Employé d’abord dans certaines formes compo- sées que le no emprunta ou imita et dont nous parlerons plus loin, sa simplicité et sa souplesse en favoriserent l’utilisation en d’autres cas. Une forte raison qui milite en ce sens est que le mot sushi n’a pas de forme lltté- raire nettement déterminée. ll n’est pas astreint au rythme régulier du kusuri, bien qu’il s’en rapproche or- dinairement et s’y soumette quelquefois. C’est en q somme de la prose (lrotoba) chantée, ou, plus exacte- ' ment, récitée avec des intlexions mélodiques; et lors- que Seami parle du nombre `des Im qu’il convient I de donner a ces passages, ce mot doit étre entendu . au sens large d’incises, et non absolument de vers i de 7 -|- 5 syllabes. . i M % i I


p INTRODUCTION Les formesque nous venons de volr, encore que, é l’excepti0n de l'issei, du macbi-utai et du micbiyuki, elles soient parfois chantées par le chceur, sont cepen- dant consldérées généralement comme Papanage des divers roles particuliers. Au chceur appartiennent plus spécialement le kuri, le kuse et le kiri, qui comportent cependant quelques répliques de solistes ; le rongi et le walm sont partagés entre eux et lui. Le terme de kuri est employé par toutes les écoles, mais on n’est pas tixé sur son sens originel. Q_uoi qu’il ` en soit, il désigne ici un chant animé et aux inilexions variées qui précede le kuse auquel le joint un sasbi. De méme que le sasbi, ll n’est pas astreint au rythme ré- gulier de 7 +5 syllabes; il est d’ordinaire assez peu développé, et ne compte que quatre ix six incises en moyenne; il comporte quelques répliques du sbite, par- fois méme le premier vers est chanté par cet acteur. C./’• Le huse est, de toutes les formes chantées, la plus développée que contiennent les no. ll atteint parfols une grande longueur. ll est exécuté en entier par le choeur, sauf une réplique du sbite, Page, 4: élévation », ainsi · nommée parce qu’elle est chantée sur un ton plus élevé que ce qui a précédé, ton que le chczur conserve en- suite; cette réplique ne consiste généralement qu’en un seul Irusari. Le rythme du lruse est calme et régulier, et le timbre est peu varié ; il devient méme un peu monotone lors- que le morceau se prolonge plus qu’a l’ordinaire. Par contre, c’est la forme qui offre le plus de liberté, le plus ‘ d’irrégularités méme, dans la structure et le nombre des


INTRODUCTION a syllabes des Irusari. Le kuse est ordinairement accompa- gné d'une danse, ou, plus exactement, de quelques mou- vements ressortissant a la danse, exécutés par le shite .· c’est le mai-guse, or Iruse dansé»; mais il y a aussi des i-guse, pendant lesquels le shite reste immobile; enfin, en quelques cas, les deux formes se combinent : assis pendant la premiere partie du kuse, le shite danse pen- dant la seconde. Les kuse sont, dans la plupart des cas, un reste des anciennes danses chantées, si populaires depuis le x• siécle sous le nom de kuse·mai, et dont les no nous ont ainsi conservé quelques parties. ({7 Rongi, qui signifie proprement ec discussion », désigne actuellement dans les no une sorte de dialogue chanté entre le chczur et le shite. La forme parait en avoir été empruntée a certaines cérémonies d’un genre a la fois scolastique et un peu théaitral, en honneur dans les monastéres bouddhiques, surtout dans ceux des sectes Tendai,]6do et Hokke. On y développait le sens d’un texte ou d'une maxime sous une forme dialoguée, sou- venir des anciennes luttes oratoires, argumentations, ‘ discussions (rangz'), dont elles ont conservé le nom. D’aprés les éditions modernes, cette indication ne { parait en général qu’une fois dans chaque piece, deux g dans quelques-unes; elle manque totalement en d’au- tres. Seami en fait plus d’usage, et a`en juger d’apres ses , Opuscules, il semble que les passages auxquels on donne ce nom aujourd’hui ne soient que des cas parti- culiers, les plus lmportants sans doute, de la forme I Primitive. I I


M rurnonucrrou Le waha suit généralement la danse du shite, pend laquelle les chants se sont tus. Celul-ci, immobile mstant au milieu de la scene, in la place nommée dais mae,l’éventail ouvert cachant le visage, le commenced chante seul le premier vers ; le chmur le reprend et con _ tinue le morceau, pendant que le shite execute une nouvelle danse assez courte et d’un caractere different de la precedente. ll compte en moyenne de six in hui: vers, renfermant généralement des allusions plus ou moins directes at la danse et as ses mouvements. ll est meme parfois plus court, et manque completemem dans certaines pieces ou cette seconde danse plutét joyeuse ne saurait trouver place. On considere communement les waha comme des restes des chants et des danses des anciennes shim- byéshi; elles chantaient en effet des waka, oc chants iaponais », ainsi nommes par opposition aux chants chinois, ou pour parler plus précisément, des imayé. dont la forme reguliere comprend quatre vers de I2 (5+7) syllabes. La pose que prend it ce moment lc shite, et qui est, il faut bien le dire, fort peu favorable] au chant, est d'ailleurs une de celles dans lesquelles les anciennes peintures aimenta representer les sbirabydshiw M t Entin on nomme kiri, oc finale » dirions·nous, le} chceur genéralement assez court et de forme libre quit termine la piece. ll s’enchaine au walra avec lequel = souvent il ne fait qu’un tout. Les termes nalra-iri et lmdoki sont parfois appliqués Q1 certains passages. lls ne désignent pas de formes parti-


_ _ INTRODUCTION g culiéfes : lc premier s’applique aux derniers vers chantés par le chmur avant la disparition du sbilc au milieu de la piece (naka-irq ; le second a des passages exprimant des plaintes, des lamentations, et demandant pour cette raison un genre d’exécution un peu different du récitatif ordinaire. B. — Fonmss vanuées. Les passages simplement parlés furent vraisemblable- ment peu nombreux et peu développés at l’origine et ne prireht d’importance que progressivement. lls sont appelés lrotoba, ac parole », nous dirions ac parlé ». lls ne sont astreints in aucun rythme régulier. On en distingue quatre genres, caractérisés par quelques différences dans le débit, qui affecte pourtant toujours une lenteur et une solennité monotones. C’est d’abord le mmori, la présentation, littéralement la k< nomination », passage plus ou moins développé, dans lequel un pcrsonnage, généralement le waki, informe le public de son nom, ou plutot lui donne quelques indi- cations sur sa personne et ses intentions, parfois expose les circonstances dans lesquelles la piece va s’engager. ° Le as dialogue » (mondd) appartient aussi au kotoba, dont il est le genre le plus libre; tout en restant soumis aux regles d'articulation en usage dans le no, il doit cependant, par son calme ou son agitation, ses divers degrés de force, manifester les sentiments qui animent les personnages. Quelquefois des intlexions mélodiques s'y mélent, aprés lesquelles reparait le débit ordinaire. ll se termine réguliérement par un sasbi (hakaru), dia- logué aussi, amenant un uta du chmur. L' on appel », yobikake, est le nom donné aux paroles z u


adressées de loin à un personnage en scène, générale­ment au waki, par le sbite encore sur le pont, sinon dans la « chambre du miroir ». Le timbre, naturellement, doit en être élevé et le débit lent et un peu traîné. Toutefois ces passages sont fort courts, et il est peut-être exagéré d’en faire un genre à part : ce n’est, au fond, qu’un cas particulier du dialogue qui les suit immédiatement.

Le katari est un « récit » que fait un des acteurs. sbite, tsure ou waki suivant les cas, dans quelques pièces, et qui s’intercale dans le dialogue. Le débit en est extrêmement régulier et uniforme, et le retour per­pétuel des mêmes inflexions dans chaque phrase risque d’amener rapidement la monotonie. Les bons acteurs l’évitent en ménageant habilement l’articulation et le volume de la voix, et dans cette apparente simplicité trouvent même le secret de beaux effets.


L’ « intermède », ai, confié a des acteurs comiques, kyôgen, peut être de trois sortes. Le katari-ai, « inter­mède en récit », consiste essentiellement, comme son nom l’indique, en un récit dans lequel l’acteur, assis au milieu de la scène, expose in nouveau, et parfois d’après une version différente, l’événement ou la légende qui fait le sujet du nô. Le débit en est du même genre que celui du katari dont nous parlons plus haut, un peu moins lent cependant, d’un ton plus élevé, et les syllabes y sont détachées et légèrement martelées. Il est précédé et suivi d’un court dialogue entre l’acteur qui en est charge et le wahi, assis lui-même à sa place ordinaire.

Le tacbi-ai, « intermède debout », est une scène qui, tout en ayant un rapport intime avec la pièce, étant ` 1 INTRODUCTION 41 meme quelquefois nécessaire e son développement, se ’ joue cependant en dehors d’elle, pour alnsi dire, en ce sens que les acteurs comiques qui en sont charges lgnorent le waki et les acteurs restés en scene, et que ceux-ci, de leur cete, n’interviennent en aucune fa¢;on.· Tantet c’est un genie, un des dleux inferieurs honores dans quelqu'une des chapelles du temple dont il s’agit, qui apparait et fait un recit peu diiférent du katari-ai; parfois ils sont deux ou trois, et la scene s'anime de - chants et de danses. Tantbt encore un ou plusieurs per- sonnages jouent une scene en rapport plus ou moins ` necessaire avec la piece. ` I L,dSbi1‘di-di, << intermede de service », consiste dans le rele joué par un serviteur, un porteur de sabre, un l portefaix, etc., intimement mele in l’action et dialoguant avec les autres acteurs. Ce n’est lin evldemment qu’une division tres génerale, . les intermedes oifrent une assez grande variéte; il en est qui partlcipent des caracteres des diilerentes classes que nous avons énumerees. lls sont d’ailleurs susceptibles de modifications parfois fort importantes, suivant les ecoles. ll existe aussi, pour un certain nombre de pieces, des has-ai, on intermedes de remplacement », c’est-a-dire differents de ceux qui sont employes d’ordinaire et que les acteurs peuvent leur substituer in l’occaslon. L’ecole lzumi, en particulier, en imagina beaucoup. VI. - MIMIQUE ET DANSES. Avec la beaute llttéraire, avec l’intéret de Faction, le ne recherche la beaute plastique. La conception qu’il en a est sans doute un peu étrolte, les moyens par lesquels


il la realise sont, en général, pauvres, et la forme reste assez seche et un peu raide. Mais ily a de la noblesse ct de la distinction, et tout un art dans ses mouvements compassés.

Né de la danse, le nô ne pouvait pas ne pas donner une importance particulière à la mimique ; les plus anciens auteurs y insistent et entrent en de grands détails a ce sujet. Mais cette mimique, cette oc imitation des choses » (monomane), est épurée, dégagée de tout élément accessoire, idéalisee en quelque sorte, et réduite à sa ligne essentielle. Celle-ci prend alors une importance singuliere et une valeur significative qu’on ne lui aurait pas soupçonnée. Ses moindres inflexions revetent un sens précis; aucune n’est indifférente. Aussi la démarche, les poses, les gestes sont-ils étudiés et tixés avec un soin tel que Seami a recours au dessin, ou pourtant il ne brille pas, et que le faux Kwadensbo se sert meme de figures nues pour en expliquer les détails ; il est tel mouvement dont la situation précise, aujourd’hui encore, diffère suivant les écoles. De cette minutie résulte une mimique assez pauvre, mesurée, hiératique » en quelque sorte, et un peu guindée, très concentrée par contre, et dans laquelle un geste, un mouvement de tête suffit à révéler toute la force d’un sentiment été émouvoir le spectateur averti : ainsi, dans Sbicbiki-ocbi, le dernier regard de Sanehira a son fils, dans Mii-dem et ailleurs celui que la mere abaisse sur son enfant retrouvé en l’attirant a elle de sa main posée sur son épaule ; simple mouvement, par contraste avec la calme solennité ordinaire, prend la puissance d’effet d’un embrassement éperdu et fait couler des larmes dans l’assistance. Tout est prévu et il n’est laissé que le moins possible à la liberté de l’acteur, dont le talent ne s’affirme que dans INTRODUCTION w la précision aisée, dans la fermeté noble des gestes et des attitudes. Aussi bien aucun art, croyons—nous, n’approcha da- vantage de la statuaire vivante. C’est a la sculpture et a la peinture qu’empruntent le plus volontiers leurs com- paraisons ceux qui ont traité de cette << beauté de la forme ». ll ne faut que le voir pour reconnaitre, suivant une heureuse expression, an le geste éternel de toutes les statues exprimant la douleur » (‘), dans le simple mou- vement qui indique les pleurs, la main lentement levée venant deux fois voiler les yeux baissés vers la terre, ` Mais nullepart peut-étre la recherche de la ligne ne se montre plus nettement que dans le geste de l’échanson : ni coupe ni amphore, mais au—dessus de l’éventail du · ·convive tenu horizontalement, celui de l’échanson dé- ployé verticalement se reléve lentement jusqu’au·dessus - de l’épaule en s’inclinant peu a peu, dessinant ainsi dans l’espace la courbe que suit la liqueur coulant du vase. La simple démarche est déja caractéristique. Les acteurs s’avancent lentement, le buste a peine balancé, la téte droite, le regard fixe; les coudes arrondis sou- tiennent l’ampleur des vastes manches et en dévelop- pent les plis; les genoux sont légérement fléchis; pour éviter tout mouvement brusque du corps, les pieds ne quittent pas le plancher; ils glissent a plat, suivant une courbe peu prononcée, a l’extrémité de laquelle leur pointe seule se léve et se repose a terre, marquant ainsi l’arrét. ({7 (‘) Micron. Au Japan; promenade aux sauctuaires de Part. . . 4


m INTRODUCTION Mais c’est evidemment dans la danse surtout que se manifeste et se realise la on beaute de la forme »; c’est li son domaine propre. . La danse occupe dans le ne une place trop conside- rable pour que, sans entrer dans des détails techniques qui nous entraineraient trop loin, nous n’en disions pas quelques mots. On la nomme mai, et ce nom indique deje qu’il ne faut pas l’assimiler in la danse vulgaire, odori, ou s’ebat la joie populaire et ou se tremousse l’élegance des geisba, si interessante et meme artistique que celle-ci puisse devenir. Le mai consiste surtout en une sorte de promenade aux multiples detours, parcou- rant la scene et allant parfois jusqu’au pont, aux gestes generalement mesurés et sobres, meme lorsqu’ils s'ani- ment; il en est de tres lents, qui se sauvent malaisément de la monotonie et d’un certain ennui; il en est de rapides, heurtes, bondissants, danses d’esprits ou de dragons, danse du lion, etc. Ils sont, en general, it cinq reprises ou, mieux, in cinq phrases (godan), sauf les danses de {sure, qui n’en com- portent que trois (sandan); il arrive pourtant qu’on les abrege et qu’on reduise it trois phrases des danses qui, régulierement, devraient en compter cinq. Chaque _ phrase se compose de quelques allees et venues caracte- I risees par des gestes et des attitudes qui varient de i l’une a l’autre et ne se reproduisent pas identiques au cours de la meme danse. Aucune ne siexécute sans accessoire: quelquefois, c’est la tige de bambou des folles (‘), le gobei des pretresses, le sabre des guerriers; l') On donnait ce nom de · folles · (monogurui) A des sortes de mendiames. courant les chemins et subsistant de la gene- rosite du public qu’e11es s’eEor<;aient d’amuser par des chants, L


we P · I 1 INTRODUCTION m I mais c’est surtout l’eventail sous ses multiples formes, simple ou splendide, parfois etincelant d’or. Signe carac- téristique de cette recherche de la beaute plastique dont nous avons parlé, ces gestes et ces attitudes portent le nom général de kata, ac forme ». l ll faut distinguer deux classes de danses. C’est d’abord les mai proprement dits, qui sont a eux-memes leur ` propre raison d’etre, ou, si l'on veut, qui n’en ont d’autre que I'exécution des gestes et des attitudes pro- duisant une certaine ec beauté de forme » ne s'adressant . qu’aux yeux des spectateurs; aussi généralement ne sont·ils pas chantés : les mouvements du danseur n'y sont rythmés que par l’orchestre. On en compte plu- sieurs especes, ayant chacune son nom particulier. En dehors des mai proprement dits, le nb emploie d'autres danses, dont les mouvements reproduisent une scene ou ont une signification définie. La plupart du temps elles sont chantees, et leurs évolutions suivent le sens du texte. Nommons au moins les principales. Le bataraki est fait surtout de bonds et de mouve- ments violents, rappelant ceux des guerriers pendant le combat. Le nom de kakeri est donné a certaines scenes d’égarement ou de folie, et aux combats, réglés comme des ballets, qui ont lieu sur la scene; ceux-ci réclament A une étonnante souplesse de la part des acteurs, aussi bien ceux dont la mort est symbolisée par un saut pe- des danses comiques et des allures extravagantes. ‘Les no met- !¢D£ CII SCORE plusieurs femmes AYRIII TCCOUTS H CC IDOYBII pOUl' aller A la recherche d’un etre aime, époux, enfant; elles parais- sent touiours avec, A la main, une tige de bambou naln (casa).


x INTRODUCTION rilleux sur place et sans élan, que ceux qui tombent a la renverse sans une tlexion du corps, en on chute d’arbre mort », comme on dit. Le tacbi-mawuri se rapproche du kalreri; il représente une émotion violente, une grande agitation, sous l’empire de laquelle l’acteur execute de rapides parcours autour de la scene. Dans l’ir0e, ccs memes parcours sont exécutés de facon plus lente et plus calme. Les mouvements si particuliers d’une scene l de conjuration d’un esprit mauvais par un moine bouddhique portent le nom d’£nori, •=priere». Enfin il faut faire une place it part a la scene extraordinaire de Kaga- 1:90, ou le vieux guerrier aveugle, assis devant sa cabane d’exilé, mime son dernier combat de ses gestes incer- tains et tremblants; elle n’a pourtant pas, croyons-nous, de nom spécial. Certaines danses rée1ame¤¢1·adj¤¤¤i¤¤ du tambourin in baguettes a l’orchestre ordinaire. Pour les autres on peut donner cette regle: le tambourin in baguettes les accompagne lorsqu’elles sont dansées par une divinité ou un esprit. VII. — COSTUMES ET MASQUES. Les costumes présentent naturellement de grandcs differences suivant les roles; mais, en général, ceux qui sont revetus pour la seconde partie des no et pour la danse sont tres riches etd’une ornementation aussi artis- tique que variée. La forme en est empruntée, avec quel- que liberté, aux anciens vetements de cour. Le sabre y parait tres souvent, la hallebarde beaucoup moins, l’ar¤ et les tleches rarement; mais, contrairement a ce qu’0¤ pourrait croire, aucune piece des anciennes armures n’y est employee. Pour le combat, les guerriers rabattentla


INTRODUCTION m partie supérieure du vétement de facon a dégager les bras des amples manches ou ils s’embarrasseraient, et se ceignent la téte d’une étroite bande d’étoffe nouée par derriére et dont les extrémités retombent dans le dos: c'est le bacbi-maki. L’armure est ordinairement remplacée par un vétement de forme spéciale, le boppi, et le bacbi·maIri est attaché alors sur la coiffure (nasbi- ucbi-ebosbi) qui tient lieu du casque. Le costume féminin n’a pas l’élégance, ni méme l’as- pect général qu'on serait porté a lui supposer d’aprés les peintures du temps ; il est méme, it vrai dire, plut6t disgracieux. ll consiste essentiellement en une sorte de robe de chambre (balm), ornée d’ailleurs de fort belles broderies aux couleurs vives, ouverte sur la poitrine et serrée a la taille par une cordelette qui la fait légere- ment boutfer dans le dos. L’acteur, toujours masqué, porte une aperruque » (kcqura ou katsura), dont les cheveux, séparés par une raie médiane, descendent tout autour de la téte a hauteur du cou, encadrant le masque. Un ruban aux dessins multicolores, le katsura-obi, l’en- serre in hauteur du front et vient se nouer par derriére, laissant pendre ses deux extrémités jusqu’au milieu du dos. Tel est le costume ordinaire, simple et sans appréts,pourrait-on dire; suivant les pieces, surtout pour la seconde partie ou se trouve la danse, divers autres vétements de forme moins engoncée, plus élégants, plus riches aussi, sont passés pardessus le premier. Q'} Les masques méritent une mention spéciale. lls ont. recu le nom général d’0m0te, ou en sino-japonais men, ecface ». L’usage en fut vraisemblablement importé de Chine de bonne heure et, sans doute, dés le v1° siécle,


. -·" 1 m INTRODUCTION avec les premieres danses dont l’ensemble, fort accru depuis, forma le gigaku et le bugaku. A en iuger par ceux qui sont conservés, notamment dans les musées de Nara et de Kyoto, dans le trésor du temple d’ltsuku- shima et .de quelques autres, les premiers masques étaient souvent de caractére forcé, d’exécution violentc, et parfois de dimensions excessives. Tres vivants pour- tant et d’expression puissante, il y éclate une imagina- tion, une fantaisie énormes, une sorte de maitrise ou de virtuosité dans la deformation de la figure humaine. Les premiers masques furent, dit-on, faits de sciure de bois agglomérée qu’on renforcait d’un tissu, d’une trame, _ servant d’armature, et qu’on recouvrait d’une couche de E laque. Le genre de travail nécessité par cette fabrication ` lui avalu le nom de afrappe »; on dit en japonais: as frapper un masque » (men wa utsu). Ce n’est que plus tard qu’on commenca at les sculpter sur bois. L’usage qu’en firent les anciennes danses de dmgaku et de sarw gaku, puis les n6 qui en sortirent, porta cet art a un trés haut degré de perfection. ll cut ses maitres et ses écoles, et il faut lui faire une place importante dans l’histoire de la sculpture a cette époque. ¥ Les masques de no se différencient des anciens par plusieurs particularités. Tout d’abord, a part les mas- ques représentant quelques génies, les tengu par exem- ` . ple, ils affectent les dimensions de la figure humaine, et si l’on excepte ces mémes masques de tengu et ceux de démons, ils ne la déforment pas. La nécessité de laisser sortir la voix de l'acteur oblige cependanta faire la bouche toujours assez largement ouverte. La diversité des personnages qu’ils représentent demande autant d'expressions différentes que de masques; tous doivent 1 interpreter en quelque sorte une sorte de vie humaine, . l I


· · · M —* IN'l‘RODUC’1'ION ss

quelque sentiment de nous connu et éprouvé. Enfin,

quoique la scene soit assez rapprochée des spectateurs, elle a néanmoins son optique dont il faut tenir compte. En general, les sculpteurs ont su triompher de ces difficultés, et, vus in la scene, leurs masques sont beaux ; il en est d’admirables, surtout parmi ceux de vieillards et de demons, dont les rides ou lestraits contractes oifraient une prise plus profonde a leur ciseau. Ceux de jeunes femmes, trop lisses, aux contours trop réguliers, sont de beaucoup les moins intéressants ; ils manquent en general d’expression et quelques-uns meme sont franchement insipides. A l’inverse des precedents qui veulent un certain recul pour étre bien appréciés, ils gagnent parfois at etre vus de pres ; quelques traits s'y accusent que l’éloignement efface.

L’usage des masques est réservé au sbite et a ses tsure ou tomo ; ils n’en portent cependant pas dans toutes les pieces. Le waki et ses tsure n’en usent jamais. Nean- moins, l'exécution correcte des répertoires actuels en réclame un nombre assez considerable : un auteur en enumere soixante-dix, parmi lesquels il en est, a la vérité, d’assez peu différents les uns des autres pour pou- voir se remplacer mutuellement. lls ont recu des deno- minations particulieres dont il serait sans intérét de · donner une liste complete. Souvent, c’est simplement le nom du personnage, Semimaru, Kumasaka, ou de la catégorie de personnages qu’ils représentent, uba, as femme égée », jziroku, a jeune homme de seize ans>>, cbxijé, 4 oflicier de haut grade »; parfois, un simple detail de physionomie, tsuri-mzmalw, << yeux relevés, obliques », mika-zuki, as lune du troisieme jour », c’est-à-dire sourcils eftiles et bien arqués, etc. Toutefois, il est certains noms traditionnels dont l’origine est moins w INTRODUCTION aisée a déterminer et le sens moins clair : ils désignent surtout les masques d’esprits violents et de monstres. ll existe aussi quelques masques plus ou moins gro- tesques, réservés aux acteurs comiques et servant uni- quement dans les cas de tacbi-ai, dont nous avons parlé plus haut, pour les apparitions de génies ou de dieux inférieurs. Nous ne nous occupons pas ici de ceux qui servent dans les comédies ; ils sont d’ailleurs en petit nombre. - Lo'} Ajoutons enfin qu’on exécute aussi des bakammnd, ec no en costume de ville »; ce sont les mémes pieces, jouées par les mémes catégories d'acteurs, avec les ` mémes accessoires, le méme orchestre et le méme chmur, mais dans lesquels on ne se sert ni de masques ni des costumes dont nous avons parlé. Les acteurs y portent simplement le costume de cérémonie, le bakama, sorte de large pantalon, passé par-dessus l’habit ordi- naire. Ce genre d’exécution, trés apprécié des amateurs, ° qu’il dispense de frais considérables, n’est pas dédaigné méme des professionnels. VIII. — F ORME GENERALE ET STRUCTURE DU NU. Le développement régulier et logique d’une action dramatique proprement dite semble avoir assez peu préoccupé les premiers auteurs de no. Ce qu’ils vou- lurent surtout, c’est réunir dans un ensemhle bien or- donné et d’intérét croissant, ditférentes formes litté- raires, musicales ou chorégraphiques particulierement en faveura leur époque. lls y parvinrent en les grou- pant autour d’une action, ou simplement, dans lcs


INTRODUCTION w _ commencements surtout, d’une situatlon, d’un fait ml- nime, ou d’un personnage qui leur servit de lien et fiit l°occasion de leur apparition successive. ll etait, evi- demment, plusieurs manieres d’ordonner cette succes- sion, et il est vraisemblable qu'un certain nombre furent essayees a l’origine, pendant une période de tatonne- ments dont il ne nous reste malheureusement rien. De l’ensemble des gzuvres que nous possédons se degage assez nettement un type general pleinement realise en beaucoup de pieces, at peine modifié en nombre d’autres, et qui ne s’altere sensiblement que dans des muvres at ten- dances plus modernes oil se laisse deja voir la recherche de l'effet scenique. Les particularités de structure qu’oiTrent quelques pieces siirement anciennes sont de peu d’importance et n'obscurcissent pas la netteté du type general dont nous parlons, et que nous conside- rons comme la forme réguliere et ancienne du ne. An- [ cienne, disons-nous, car nous la trouvons dans les pre- { mieres des pieces que nous connaissons; mais nous ne pretendons pas qu’elle soit absolument primitive, car le ne parait bien avoir existe depuis un certain temps deja au moment ou celles-ci parurent, et nous savons par le temoignage de Seami que les. acteurs s’effor¢;aient E d'adapter leur repertoire au gout du jour, et remaniaient, ( arrangeaient certaines pieces anciennes dans ce but. I D’apres ce type, le no est une piece en deux parties, Q l'une d'exposition, l’autre d'action, ou plutet de mouve- ‘ I ment et d’exhibiti0n scenique; elles sont caracterisees W principalement par une modification dans le rele du l sbile qui, simplement acteur dans la premiere, est sur- tout danseur dans la seconde. Cette modification, de ` nature A mettre successivement en relief les divers ta- l lcnts de l’exécutant, est indiquee exterieurement par un


m INTRODUCTION changement de costume du sbzte, qui devient plus somp- tueux en vue de la danse, soit que, pour une raison quelconque, le personnage soit amené in revetir un ve- _tement nouveau, soit que, cache sous une forme d’em· prunt dans la premiere partie, il soit cense, dans la se- conde, reprendre sa vraie nature et se manifester dans tout son eclat. Ce changement est parfois de peu d’im- portance et se fait £1l'arriere-plan, dans le k6{a, sans inter- ruption de la piece ; d’autres fois, il reclame plus de temps, et un intermede, ai, prend place entre les deux parties. Le nb se divise de plus en scenes caracterisees, non pas tant par l’entree ou la sortie des personnages, que par les formes littéraires ou musicales qui y sont em- ployees. La succession de ces scenes donnera une idee plus claire de la forme génerale du ne. PREMIERE PARTIE. Scene l. — Entree du waki. Sbidai, nanori, micbiyuki. Dans les pieces oii le sbzdai manque, il est quelquefois remplacé par un issei ; mais il arrive aussi que la piece commence directement par le nanori. Le micbzyuki est ordinairement suivi d’une courte replique parlee, dans laquelle l'acteur annonce qu’il est arrive au terme de son voyage et ce qu’il se dispose e faire: c’est le tsukiqe- rifu, as phrase d’arrivée ». Scene ll. — Entree du sbite. Issei (avec ou sans ni no ku), sasbi, uta (sage-ula, age-uta). L'issei manque en quelques pieces. ll est quelquefois aussi precede d’un sasbi. On remarquera le parallélismc


INTRODUCTION w L des scenes I et II. ll arrive cependant fréquemment — I c’est Ie cas ordinaire dans les seirei-1:6 (‘) — que l'entrée du shite se fasse sur un simple ec appel », vohxlkuhe, et que l’on passe Immédiatement a Ia scene suivante. Scema lll. — Dialogue et exposition. Mondo avec ou sans kuturi, sushi, utu. Le dialogue qui s'engage entre le shite et le wuki expose généralement ce qui .concerne le shite, le personnage qu’il pretend etre, ce qu’il fait, ce qu’il desire; tout ce qui est dit a pour but de preparer, d’amener sa trans- formation ou Ia manifestation de ce qu’il est réellement. La scene est parfois assez développée et des répliques chantees se melent au dialogue. Elle se termine toujours du reste par un passage chanté, sushi, dialogue lui- meme, amenant une reprise du chmur qui chante un utu. C’est le ec premier chmur » (shodé). Scene IV. — Développement. K uri, sushi, kuse. Le kuri manque quelquefois, comme nous l’avons dit; par contre, il arrive qu’il soit précédé d’un shidui chanté . par le chmur. ll est tres rare que le kusc commence brus- quement sans au moins un sushi qui le prépare. _ Scene V. —· Suite du développement et conclusion de Ia premiere partie. Rongi, nuku-iri. On pourrait aussi reunir les scenes IV et V en une seule. Nous les divisons surtout pour bien mettre en (*) Voir plus loin le sens de ce mot.


m INTRODUCTION relief la forme composee kuri, sasbi, kuse, dont au reste le rcmgi est separable et, en fait, assez souvent separé. . Qyelques pieces d'ailleurs n'en ont pas, ou le reportcnt a la seconde partie; en ce cas le naha-fri succede imme diatement au kuse. D'autre part, le kuse lui·méme, ou, pour mieux dire, toute la scene lV, est parfois reportec a cette seconde partie. Autrement dit, suivant les con- venances du sujet, le développement avec ses formes speciales se place dans l’une ou l’autre. L’intermede, s’il y en a un, commence immediate- ment apres le naka-iri; sinon, le shite remonte at l'ar- riere·plan (kdga), oil les mono-kise lui passent rapidement un nouveau costume, et la piece continue avec une modification que nous allons indiquer. DEUXIEME PARTIE. Seem: Vl. — Entrée du n0cbi—ji;e. Macbi-utai, issei, dialogue chante. L'intermede termine, le waki chante le vuwbel-ulai. precede quelquefois d'un court sasbi ou de quelques mots simplement parlés. Puls le nocbijite apparait ct chante un passage auquel on donne parfois le nom d’issei, bien qu’il ditfere generalement du veritable issci at la fois par la forme et le timbre. S’il n’y a pas eu d'in· termede, ces deux formes disparaissent, et cette scen¢ se reduit a quelques repliques chantees en forme de dia- logue entre les acteurs et le chceur. C'est ici que se placent le kuse et le rongi (scenes IV et V), lorsqu’ils sont reportés at la seconde partie de la piece.

L


l INTRODUCTION m E Scemz Vll. — Danse. Elle est executée generalement par le sbite seul; cepen- dant il existe aussi des danses de tsure, soit avec le sbite, soit seuls. Elle est conduite soit par le chant du kuse, soit simplement par l'orchestre, et quelquefois en partie par l’un et l'autre. Seem: Vlll. — Conclusion. W aim, kiri. Le waha manque en quelques pieces. Ordinairement, il introduit une nouvelle danse plus animée et plus courte que la precedente, a la fin de laquelle le sbite, s'arretant pres de la colonne du shite et tourné vers la droite, scande de deux sonores appels du pied les derniers vers du kiri. 3} Telle est, dans ses grandes lignes, la forme génerale du no, forme conventionnelle et rigide, dont les auteurs s’ecarterent peu, mais qu'ils firent eifort pour assouplir et varier, tantot en en developpant spécialement telle ou telle partie, tant6t en modifiant l’ordre des elements dont elle se compose. Toutefois elle possedé un cachet si special que ces modifications durent toujours se ren- fermer dans des limites assez étroites. Dans les n6 que nous avons traduits ci-dessous, nous n’avons pas cru devoir indiquer dans le detail les diffe- rentes formes chantees ou parlees. La disposition typo- graphique montre suiiisamment si le passage appartient in l’une ou l'autre de ces deux categories de formes, et la division en scenes permet de se reporter au plan general que nous venons d’esqulsser. 1




IX. — CLASSIFICATION DES NO ET COMPOSITION DES PROGRAMMES.

On classe ordinairement les nô de deux manières. D’abord, d’après le genre de sujets qu’ils traitent, on les répartit en quatre grandes classes d’importance égale :

1° Les no de divinités ou de choses divines, Immi~n6 · ou sbinji-nd, mettent en scene soit des légendes mytho- I logiques, soit des légendes relatives a un temple particulier, à sa fondation, à la divinité qui est honorée.

2* Les nô de souhaits heureux, sbdgen-nd, composés dans le but de louer et d’honorer un grand personnag¢, l’Empereur surtout, de lui souhaiter prospérité et longu¢ vie, se servent pour cela d’anciennes légendes ou d’apparitions de dieux ou d’esprits. Il en résulte qu’un certain nombre de pièces peuvent être rangées aussi bien dans I la classe précédente que dans celle-ci, et sont employées tantôt comme kami-nô, tantôt comme sbzigen-nô.

3° Les ne d’apparitions proprement dites font apparaitre, en dehors des dieux et des génies, des esprits de diverses natures. Ils se divisent en nô de mânes, ye2rei·m$, de caractères très différents suivant qu’il s’agit de mânes de guerriers ou de femmes; et en ne d’esprits naturels seirei-nô, apparitions d’esprits d’animaux, de plantes, de fleurs, etc.

4° Les no d’actualité, gmgai-nô, représentent non pas des événements contemporains, mais des scènes appartenant par leur nature au monde oil nous sommes. Ce sont généralement des scènes mi-historiques mi-légendaires, ou encore des scènes de mœurs plus ou moins anciennes, accommodées au goût de l’époque.


INTRODUCTION 63 I

Au point de vue de l’exécution, un usage, qui vraisem- blablement ne remonte pas au dela du xvu° siecle et de l’époque des Tokugawa, a etabli une autre division cn cinq, ou plus exactement en six classes. ll fut admis en regle generale qu'a chaque séance cinq pieces de caractere different seraient exécutees; si la séance avait _ un caractere particulierement solennel, elle devait com- mencer par Okina, et compter ensuite six pieces. L'ordre des pieces devant former le programme d’une represen- tation ordinaire et le genre de chacune d'elles sont donnes, ce dernier d’une maniere approchee seulement, par la formule fin-danjo-hyd-ki, 4: dieu, homme, femme, _ folie, demon ». · ` La premiere classe est donc celle des hamimd ou 1 kami-mono que nous avons deja vue. _ La seconde classe, dan, comprend les or pieces d’homme » : otoho-mono, dit-on encore. On les appelle aussi shura-mono, as pieces d’Asuras ». La Voie des ; Asuras a été consideree au japon comme une sorte 5 d’enfer des guerriers. C’est dans cette Voie aux luttes I sans treve que ceux-ci sont passes in leur mort; c’est de I le que leurs esprits viennent implorer les prieres libéra- trices des bonzes. L'élément fondamental de ces nb est a donc l’apparition de l’esprit d’un heros; ils rentrent ‘ dans la premiere categorie des ydrei-nd. I Dans les pieces de la troisieme classe, jo- ou arma- memo, as pieces de femme », le personnage principal, ' celui que represente le shite, est toujours féminin; ce peut etre une femme vivante, ou l’esprit d’une morte, ou encore un esprit apparaissant sous une forme femi- nine. On y verra donc des pieces classées gengai-mono, d’autres classées yérei-nd, et meme des kamzimf. La coiH’ure spéciale, katsura ou ka{u1·a, que portent les


m INTRODUCTION I acteurs lorsqu’ils jouent un r6le de femme, a valu a ces nb le nom de hatsura· (ou ka{ura·)m0n0. R Le terme de hyd, as folie », ne caracterise directement qu'un petit nombre de n6 de la quatrieme classe, in savoir ceux dont le sbile est une ec folle », monogurui; elle en contient beaucoup d’autres, les gen{ai~mono en general, et meme quelques pieces comportant des mani- festations d'esprits, telles que D6;'6-ji ou Yamauba. En { general, ces nb alfectent une moins grande séverite de formc et une certaine liberte de composition; les auteurs y semblent deja preoccupes de la recherche de Yeifet dramatique, et on peut y remarquer dans l’ensemble une tentative, un effort pour emouvoir la sensibilite des = spectateurs. La mise en scene aussi y est en general plus i compliquée, plus travaillee pourrait-on dire; c'est la piece a spectacle, le no populaire pour autant qu’il peut l’etre, celui du moins qui de prime abord interessera davantage un public lmparfaitement initie; c'est surtout ` des pieces de ce genre que devait plus tard sortir le theitre. La cinquieme classe est aussi plus etendue que ne l'indiquc le mot ki, as demon ». Outre les manifestations de demons proprement dits qui legitiment le nom d’oni- mono, as pieces de demon », elle comprend les appari- tions de lmgu, d'esprits violents, de ménes irrites, etc. Ces pieces, qui terminent les representations ordinaires, doivent avoir une animation particuliere. Elles rentrent pour la plupart dans la categorie des yz2rei·n6. La sixieme classe, qui n’apparalt qu'en des Occasions particulierement solennelles, est celle des sbdgen-mi dont nous avons deja parle. Aujourd’hui, lorsqu’une dc ces pieces est au programme, on l’abrege le plus souvent et on n’en execute guere en ces occasions que la partie ll.


i Q I INTRODUCTION & of: les souhaits pour l’Empereur sont exprimés. Dans les representations ordinaires, quelques·unes de ces pieces J peuvent prendre la place de celles de la cinquieme classe; le plus grand nombre s’exécutent comme kami-nd. ({7 On indique souvent le genre d’une piece par le numero d’ordre de la classe in laquelle elle appartient: c’est ainsi qu’on dit icbiban—m0n0, nibcm-memo, << pieces de premier, de second rang >>, etc. Cette sorte de classification som- maire, encore que pratiquement suffisante, laisse du reste place in quelque incertitude, car il ne manque pas de pieces pouvant, comme nous l’avons dit, etre consi- dérées sous des aspects différents, rangées dans des classes diiférentes, exécutées par consequent sous tel ou tel numéro, suivant l’occasion ou les préférences des acteurs. Q?} C’est d’apres ces principes que se compose le pro- gramme d’une representation. ll comprend réguliere- ment et dans cet ordre : un Rami-mono, un sburamxona, un katsurwmono, un gengai-mono, et enfin une piece tres animée, genéralement un omlmona. ll faut en outre y introduire le plus de variété possible, éviter d’y montrer deux personnages de meme caractere, d’y faire figurer des pieces contenant des danses semblables ou des scenes de meme genre, des combats par exemple. ll faut tenir compte aussi de l'epoque de l'année dans laquelle on se trouve: car, s'il y a des pieces banales en quelque sorte et qui peuvent s’exécuter en tout temps, le plus grand nombre ne doit etre joué qu’a l’époque indiquée par le sujet traité. Yamauba et M0cbi{uki par exemple sont de tous les temps; mais Kinuta et Tatsuta sont des pieces s


il w INTRODUCTION d’automne, Hagcromo et Yuya appartiennent au prin- temps. Les traditions d’ecoles determinent meme i quel mois conviennent telles ou telles pieces; et elles sont encore observees, quoique l’adoption du calendrier gregorien ne laisse plus percevoir cette convenance aussi clairement, et quelques no paraissent par suite un peu en avance sur l’époque assignee in leur execution. Les na du trolsieme mois s'executent auiourd’hui au mois de · mars, et l'on peut s'etonner d’y entendre l'eloge des fleurs de cerisler: c’est qu’autrefois ce mois correspon- dait sensiblement in notre mois d'avril. Enlin ajoutons que l'usage tend in s'introduire de re- presentations composees de trois pieces seulement; leurs programmes recherchent naturellement la varieté, · mais _aucune regle lixe ne préside in leur composition. X. — PIECES ET TEXTES. Le genre no a constitue une litterature considerable. Les ec listes de titres » données en divers ouvrages mentionnent plus d'un millier de pieces, et ne sont pas présentees comme completes. ll en subsiste environ la moitie; mais, pratiquement, on n’en execute plus que le quart in peine. Dans la masse de celles qui furent com- posees, chaque ecole se choisit une sorte de repertoire, divise en deux sections, l’une ordinaire et courante, l'autre extraordinaire, et comprenant chacune environ une centaine de pieces. De lin l'expression consacree, mzigwai nibyaku ban, a les deux cents pieces ordinaires et extraordinaires ». Ces repertoires pouvaient etre modifies suivant les preferences des chefs d'ecole; mais en fait lls semblent avoir assez peu varié depuis deux L


INTRODUCTION w cents ans. lls coincident dans leur majeure partie, et ceci tendrait in prouver que de bonne heure l'accord s’était fait a peu pres sur les pieces les plus intéressantes et qui méritaient de rester a la scene. lls présentent toutefois quelques differences qui portent le nombre des pieces actuellement exécutées a 250 environ. Les collections liékyoku tsdhai et Ydkyaku bydsbaku publiées par Owada Tateki en contiennent un nombre un peu supérieur. D'autres textes nous ont été conserves par divers ouvrages, notamment le Bangzvai utai byalzu— ban, le Gojdga-ban utaxlbem, etc. D'autres encore sub- sistent dans quelques collections particulieres. A quelques exceptions pres, et pour la plupart modernes, les textes courants de nb se présentent sous une forme spéciale et dont il est bon de dire quelques mots. Les pc livres d'utai » (utaslbon), pour leur donner leur nom traditionnel, sont en général des fascicules contenant chacun cinq pieces rangées dans l'ordre d'un programme d’exécution. Le texte comporte une forte proportion de kann, dont les formes, les caracteres généraux, a tendances archaiques, varient suivant les écoles. Pour les passages chantés, les signes d’intlexion, sorte de notation rudimentaire, sont places in la drolte du texte : c’est ce qu'on appelle fusbi-bahase. Fusbi est proprement la ligne du chant coupée d’inflexions mon- tantes et descendantes, divisée ainsi en sections assi- milées aux articles du bambou; bakase désigne surtout le rythme, le ex battement », qui regle et gouverne le · chant. Le fusbi-balwse consiste en points, en traits de diverses formes et diversement inclinés, en indications données en lama ou en caracteres chinois de forme sim- plifiée. ll est comparable dans une certaine mesure e la notation neumatique des plus anclens manuscrits de


w INTRODUCTION chant grégorien; mais aucune clef, aucune portée n’en a iamais livré le secret ni rendu la lecture possible sans le secours d'un maitre. Les utai-bon ne donnent pas le texte des intermédes; d’une maniére générale, ils ne donnent pas non plus celui des roles de kyégen qui sont mélés intimement in certaines pieces; les répliques de ces acteurs, quelle que soit leur importance, sont indiquées simplement par l’expression sbilmjiha, ec ceci et cela », ou encore, notamment dans les livres de l’école Kongo, par serifu ari, as ici il y a du parlé ». On n'y trotive non plus aucune indication de mise en scene, ni meme de liste de per- sonnages. Chaque école a naturellement ses editions spéciales, offrant entre elles d'assez nombreuses variantes de texte, généralement légéres et ne portant guére que sur les passages parlés. Elles diiférent aussi par le nombre de volumes dont elles se composent. L'édition de Hosho en a 42, celle de Kwanze 41; Kongo et Kita ont tous deux 40 volumes; Komparu n’en a que 30. Les textes ne furent imprimés qu’a une époque relati- vement récente, au commencement du xvu° siécle, alors que la tradition des diiiérentes écoles y avait déja intro- duit des variantes au milieu desquelles il ne nous reste aucun moyen de retrouver le texte primitif. Vers le milieu du xvm° siécle, le quinziéme des Kwanze, Motoakira, s’inspirant de quelques indications dont la tradition de la famille faisait remonter l’origine a Seami Motokiyo, revit le texte de toutes les piéces du répertoire, et sous prétexte de les ramener a leur état originaire, y introduisit d'importantes corrections qui les modifiérent sensiblement. C'est ce qu’on appelle, du nom de l'ére pendant laquelle cette tentative fut faite, la L. `


INTRODUCTION m _•: reforme de Meiwa ». Mais ces corrections furent iugees excessives, et la réforme fut abandonnée. x1. - srvuz mcs N6. Sans vouloir instituer ici une veritable etude litteraire, il parait utile de dire quelques mots du style des no. Apres tous ceux qui en ont parle, nous repeterons que, dans l'ensemble, ce style est difficile; il l’est non seule- ment pour les japonisants etrangers, mais pour les japonais eux—memes, parmi lesquels ne le comprennent aisement· que ceux qui ont fait quelques études litte- raires. Mais il y aurait une grave exageration a repre- senter cette langue comme a peu pres universellement incomprise aujourd’hui. Sa réelle difficulte est au fond toute naturelle, et tient a des causes qui auraient le meme eii`et en tout pays : l':ige des no, le caractere poetique du style, la societe a laquelle ils s’adressaient.· , lls ont été ecrits au x1v° et au xv° siecles; on n’y par- lait pas comme aujourd’hui; bien plus, oeuvres litte- raires, les no ne se servent pas de la simple langue courante, et la leur differe singulierement par exemple de celle des kyégen, ce precieux temoin du langage vulgaire de l’epoque. lls affectent un certain archaisme et des tournures nobles et pompeuses. lls font de nom- breux emprunts a l'ancien style classique; mais alors que celui·ci admettait fort peu de mots d’origine etran- gere, en interdisait meme l’emploi dans les poésies, la langue des no est fortement melee d'expressions sino- japonaises, dont de plus un certain nombre sont desuetes aujourd’hui. On y rencontre enfin a chaque pas, pour ainsi dire, des expressions bouddhiques : il en


I w INTRODUCTION 2 est de simples, ordinaires, couramment employees encore aujourd'hui, mais il en est aussi de plus rares, presque savantes, demandant en tout cas pour étre comprises une certaine connaissance des doctrines religieuses. Cette connaissance ne manquait pas a i l’époque, qui était une époque de foi et d'études boud- dhlques; malgré la dilférence des temps, elle est encore assez commune aujourd'hui pour que ces expressions, qui arrétent le japonisant étranger, n’étonnent point l'amateur japonais et soient comprises de lui sans peine. La diliiculté particuliére inhérente au style poétique en toute langue s’accroi`t ici de celle qui résulte des arti- lices littéraires spéciaux in la poésie japonaise. Pour ne parler que des principaux, il y a le oc mot-appui », l' as introduction », l' oc appel » de mots, et surtout le » as mot a double emploi » ou cc mot reporté ». f.•¢'I Le mahurwlwtoba qu’on a appelé as mot-oreiller », et que, prenant mahura dans son sens large, il parait pré- férable d'appeler as mot-appui », est une sorte d'épithéte homérique, traditionnellement appliquée in certains étres et in certains objets. Ainsi yama, oc la montagne », sera souvent asbébiki no yama, on la montagne ou les pieds se trainent »; le ciel sera oc éternel », comme on traduit aujourd'hui bisakata no, qui vraisemblablement devait slgnifier anciennement oc en forme de gourde », bisago- kata. Car l’origine de ces expressions est assez ancienne pour que le sens de plusieurs soit devenu douteux, et soit complétement perdu pour quelques-unes. Mais cela importe peu; pour les initiés, l’épithéte fait corps avec le mot auquel elle n'ajoute rien, rien que le rythme IL


- INTRODUCTION 7I d’un vers ou d’un hémistiche, car elle est régullerement de cinq syllabes. Le mot-appui, d’un emploi extrémement fréquent dans fancienne poésie — il abonde dans le Manydsbri — perdit peu a peu de sa faveur; et au xv° siecle il n’en restait en usage qu’un nombre assez restreint. Q.? L' ¢ introduction »,jo, est une courte proposition sans rapport direct avec l'objet ni le sens réels de l poésie ou elle intervient, et n’ayant d’autre but que de pre- parer, d’amener l’apparition d’un mot important, soit ° qu’elle le qualifie, soit qu’elle l'évoque par assonance, soit qu’elle le présente en un jeu de mots, hmydgen, dont il va étre question plus loin. Une poésie de l’Ise manogatari en fournit un exemple classique : l Kage fukaba, Quand souftle le vent, Okilsu sbiramami De la mer les vagues blanchissantes Tatsuta-yama S’élévent; la montagne Tatsuta, Ycba ni wa kimi ga Pendant la nuit mon seigneur Hitori yukunm. Tout seul va donc la franchir. Les deux premiers vers ne servent qu’a as introduire » le nom de la montagne Tatsuta, au moyen d’un jeu de mots sur tatsu, ¢s’élever », qui forme Ia premiere partie de ce nom. Par certain coté, l'introduction se rapproche du mot- appui; elle en differe en ce qu’elle n’a rien de fixe ni de stéréotypé, et qu’elle est toujours plus développée que lui; elle est normalement de deux et méme de trois vers, I3 ou 1_7 syllabes. ¢.€


n INTRODUCTION L’¢ appel» résulte d’une relation soit natureile,soit arti- ficiellement établie entre certains mots; en vertu de cette relation, l'un évoquera l’autre en quelque sorte, en déterminera le choix ou en préparera l’apparition. Ainsi. s’il doit étre question de as til », par exemple, il sera élégant d' oc appeler » ce mot en introduisant d’abord dans la phrase, fut—ce en la torturant un peu, ceux dc ac saule », de as cascade », de as tissage », etc., et récipro- quement. Ou encore, si aprés matsu, as pin », parait yama, oc montagne », ou si a tabi, ec voyage », s’enchainc Iwromo, oc vétement », c’est que ces mots, qui n’ont ricn a faire avec le sens de la phrase, sont appelés par ceux qui les précédent, parce que le fréquent usage des expressions ec montagne des pins » et as vétement de voyage » a créé entre ces mots une relation particuliére— ment intime en vertu de laquelle le premier tend a tirer le second a sa suite. V On se rend compte que ces artifices poétiques intro- V duisent parfois dans la phrase des mots et meme des V propositions surnuméraires sans rapport avec le sens général, simples ornements purement verbaux, véri· tables ieux de la langue poétique, par lesquels on ne doit pas, tout en les appréciant, se laisser distraire de l’idée -dont l’expression se poursuit. On pourrait en un certain sens les comparer a de brefs regards jetés sur un paysage plus ou moins attrayant en lui-méme, tout en continuant une conversation dont ils ne détournent pas l’attention. tf? Le as mot a double emploi », kenydgm, doit ce nom a ce qu’il est pris a la fois en deux sens différents. On · l'appelIe aussi kalmlwtoba, expression de méme signifi-


l - 1 INTRODUCTION 13 l cation, mais diflicile a traduire littéralement, sinon , peut-étrc par oc mot posé, accroché, reporté » sur un autre. Dans sa forme la plus simple, il n’est que le jeu de mots et presque le calembour; c’est celle que l’on remarque dans la poésie suivante de Bunya no Yasuhide (Kokinsbd, l. V) : Fuku kara ni Parce qu’a son souftle Aki no kasa-ki no Les herbes et les arbres de l’automne Sbtbrurcba, Sc flétrisscnt, Ube yama·ka(c wo Ce vent de la montagne, il est bien juste Arasbi to iwan. De l’appeler ouragan. Et aussi 4 cruel », arasbi ayant les deux sens. A un degré plus élevé, les deux sens du kmydgm se superposent dans la phrase; la construction réguliere de celle-ci réclamerait deux mots : il n’y en a qu’un seul, sur lequel est as posé, reporté » un second sens. Voici par exemple la jolie poésie que composa le dernier des shogun, lorsque, ne voulant pas lutter contre l’Empe- reur, il se retira au grand temple d’Ueno a Edo : Kimi no tame, Pour l’Empereur, Tami no tame tote, Pour le peuple aussi, Sbibasbi yo wo Un moment au monde Sbinobu-ga-aka ni je me dérobe; a la colline du Secret Sumzlgome no sode. _l’habite, ma manche teinte de noir. O Dans le nom de la colline d’Ueno, colline du Secret ou du Souvenir, Shinobu-ga-oka, sbinobu est d’abord pris in part avec son sens de or se cacher, se dérober »; et sur le mot sumi, sont additionnés les deux sens ec habiter » et 4: encre » ou as noir », couleur du vétement religieux. Un degré de plus encore, et le double sens s’étendra a


presque toute la phrase, comme dans cette poésie anonyme du l. XV du Kokinskdz

Wasuranme Oublié, Mi wo Uji·basb£ no Ma vie est en proie à la peine Naka tam, Notre union est rompue Hita mo kayowanu, Personne ne vient me voir ; Tosbi {0 benikeri. Et des années ont passé ainsi.

Ou : [tel] le pont d’Uji Rompu en son milieu ; Personne n’y circule plus...

Cette double signification qui circule à travers toute la poésie est due à deux kenyôgen, à un surtout, Uji. nom de lieu, et usbi, ex triste, douloureux », et aussi naka, « milieu, intervalle » et « ensemble des actions et des sentiments unissant les amants ». — Ajoutons que souvent le double emploi ne porte en réalité que sur une partie d’un mot, awa dans aware, nami (nami) dans namida.

Ces deux derniers emplois du kenyôgen sont les plus intéressants, le dernier surtout, et ils ont, étant donné le genie de la langue iaponaise, un charme indéniable. C’est eux qu’avait en vue M. Chamberlain, lorsqu’il comparait le kenyôgen à une sorte de gond ou de pivot sur lequel la phrase tournait pour repartir dans une direction nouvelle, et lorsqu’il disait que ce mot, appartenant à la fois à deux propositions, les unissait en lui, de sorte que la premiere n’avait pas de fin logique. Cela est exact; mais il ajoutait que la seconde n’avait pas de commencement logique, et ceci parait moins fondé. Normalement, la seconde proposition est complete; seule la premiere semble ne l’etre pas, parce que le mot qui la termine est « posé, reporté » (ii-hakete aru) sur celui qui commence la suivante. La fin de l’une semble INTRODUCTION n se perdre et disparaitre dans l’éclat du lever de celle qui lui succéde. De meme l’expression ¢mot·pivot», malgré sa commodité, ne parait pas devoir etre adoptée pour rendre laenydgen et haha-kotoba, car elle ne correspond qu’a certaines espéces, aux plus intéressantes il est vrai, mais pas a toutes les especes de kmydgm. Dans le pre- mier exemple cité ci—dessus, arasbi est un Iwnyégmz cc _ n’est pas un mot·pivot. Les ne font un grand usage des mots a double emploi dans les passages chantés. ll arrive que plusieurs propo- _ sitions se suivent enchainées les unes aux autres et comme ec portées » les unes sur les autres par des kmydgm : on a l’lmpression d’un déroulement continu, d’immenses phrases ne finissant jamais, semblant rebondir toujours au moment de conclure. La traduc- tion, forcée de doubler chaque fois certains mots, s’al- longe et s’alourdit; et il est tels passages dont elle ne se tire pas, a moins de sacrifier une part des sens qu’ils cnferment. (4*5 Entin, a1·¤ngme,1es ne s’adressaient principalement, sinon a peu pres uniquement, a la haute classe de la nation, in une aristocratic instruite, lettrée, de gouts dé- licats et raffinés. De lh chez eux une recherche de Vexpression qui va parfois jusqu’a l’affectation et aux concetti. De la de multiples citations de poesies an- ciennes, japonaises ou chinoises, et meme de slmples allusions qui suffisaient a rappeler aux auditeurs des ` muvres bien connues d’eux. De la encore, dans les pieces de Seami surtout, ces sortes de développements ou de variations autour d’une poésie, d’une expression célébre, qui souvent nous paralssent peu naturels, for- cés ou prétentieux, parfois meme insipides, véritables

a


w INTRODUCTION 1 · exercices de virtuosité d’un maitre du genre, qui de vaient intéresser certainement, mais ne pouvaient inte- » resser que des esprits tres cultivés, amoureux du rare et du subtil. Cétaientles memes d’ailleurs qui, en d’autres genres. se délectaient de la préciosité affectée et de la minutie un peu puérile de la cérémonie du thé, qui s’extasiaient au symbolisme compliqué, au détail imprévu ou curieux des jardins de Noami et de Seami, qui fondaient des écoles et discutaient sérieusement des arrangements ilo raux. 5 A un public qui n’aurait pu reconnaitre au passage ces allusions, ces citations, les compléter au besoin, se · rappeler leur originc et saisir ainsl de suite par quel c6té et comment elles ·pouvaient se rapporter au sujet de la piece ou 51 la scene en cours, un ne exit été en E partie inintelligible. Mais pour Paristocratique auditoire auquel il s’adressait, cela n'était qu’un jeu; et ce jeu devait plaire in ces esprits nourris de littérature, comme plait tout exercice oi: l’on excelle. Ces allusions, ces cita- tions qui déroutent parfois le japonisant étranger, ils avaient plaisir it les reconnaitre, e en saluer Papparition , adroitement ménagée, et ils savaient sans doute gréé . l’auteur de les laisser incompletes pour leur permettre de les achever eux-memes mentalement. lls en admi- raient le nombre, Yin-propos, l’imprévu. La chose offrait un danger, celui de conduire rapidement a Yalféterie et a la recherche excessive. ll ne fut pas toujours évité. Elle a eu un autre effet assez inattendu : elle a fait croire it quelques écrivains étrangers que la pauvreté d’inven- tion des auteurs des nb les avaient obligés ii piller au petit bonheur les expressions et les poésies de leurs de- vanciers. L-


Telles sont, croyons-nous, les principales raisons de la difficulté du style des nô, difficulté réelle, sérieuse, mais qu’il ne faut pourtant pas exagérer. Elles peuvent se résumer en une seule : les no sont des œuvres éminemment littéraires. Et si peut-être on a raison de dire qu’une pièce trop littéraire n’est pas « du théâtre », il faut conclure que par ce cote encore les nô n’en sont effectivement pas.

Les pièces dont nous donnons ci-après la traduction ont été choisies de façon à pouvoir composer le programme régulier d’une représentation : un nô de divinité, un de mânes guerriers, un de femme, un d’actualité, ces deux derniers pouvant d’ailleurs échanger leur spécification et leur rang, et un de démon. Le lecteur y trouvera ainsi un spécimen de chacune des classes de nô.

Nous nous excusons de la longueur des notices dont nous les faisons précéder. Les faits et les personnages historiques, les idées religieuses, dont parlent ou dont s’inspirent ces pièces, ne nous ont pas semble devoir être suffisamment connus pour qu’elles puissent être bien comprises sans des explications assez développées.


OIMATSU

LE VIEUX PIN

PAR

KWANZE SEAMI MOTOKIYO



NOTICE


À n’en juger que d’après son titre, le sujet de ce nô est un arbre séculaire, le Vieux-Pin, Oimatsu. vénéré comme arbre sacré dans l’enceinte du temple Anraku-ji à Dazaifu, province de Chikuzen (Kyûshû) [5]. En fait, il dépasse de beaucoup cette faible donnée. La première partie de la pièce mêle à l’éloge de ce pin celui du Prunier-Volant, Tobi-ume, autre arbre sacré du même temple, et finalement l’éloge du temple lui-même ; dans la seconde partie, le dieu au génie du Vieux-Pin, apparaissant dans sa glaire et accompagné, au moins dans l’intention primitive de l’auteur, de celui du Prunier-Volant, vient promettre a l’Empereur langue vie et prospérité. Mais nous n’avons là, pour ainsi dire, que la contexture extérieure de la pièce. C’est à Dazaifu que fut exilé et mourut le célèbre Sugazvara no Michizane, ministre des empereurs Uda et Daiga, deijie aepais saus le nam de Temman-Tenjin, et l’Anrakuji fut elevé sur sa tambe ,· c’est de sa légende que le Vieux-Pin et le Prunier-Volant tirent leur caractère sacré. Et c’est de lui en réalité qu’il s’agit, directement au indirectement, tout le long de la pièce, sur laquelle son ambre, tour a tour triste et glorieuse, semble planer. À chaque instant, un mat, une allusion, qui n’échappent point à l’auditoire averti, la rappellent, la font apparaitre sous les branches et les fleurs des arbres sacrés ; les plaintes du vieux jardinier du temple sont les siennes, et c’est a son esprit accueilli parmi elles que les puissances célestes ont commis la protection de l’Empereur et du pays. L’art des na excelle à superposer ainsi les idees et les sujets ; mais nulle part peut-être il ny a mieux reussi que dans Oimatsu.

Il parait difficile de bien comprendre cette pièce et d’en apprécier suffisamment le charme — celui surtout qu’y goûte le public pour lequel elle fut écrite — sans quelque connaissance du personnage qui en est le centre et le rôle principal encore qu’invisible, et des légendes formées autour de son nom, qui ont tant contribué à la popularité de son culte.


so , c 1 N o N o l

h Sugawara no Micbigane (84 5-9o 3) est l 'une des jigures I les plus populaires de l’bistoire du japan. Sa famille, · sans étre des plus illustres. descendait pourtant du fameux Nomi no Sukune, et par lui prétendait remonter iusqu’a Ame no bobi no mikoto, un des compagnons de Ninigi no mikoto. C bargée depuis le regne de l’empereur Suinin et la mort de Fimpératrice Hibasu-bime (3 ap. ].-C.) (‘) de la fabrication des haniwa (*), elle porta d’abord le nom de Hanisbi ou plutot Haji. A l’époque de Nara, l’usage des haniwa s'étant perdu, ce nom ne répondait plus a rien ; en 729, sur la demande du cbef du clan, Furundo, et de quinre de ses membres, l’empe- reur Sbomu le cbangea en celui de Sugawara, nom de l'emplacement qu 'elle occupait. Des ce moment la famille s'occupait de littérature et a·vait acquis une posi- tion marquante dans la sinologie ; Furundo avait écrit quelques ouorages, et rempli diverses fonctions adminis- tratioes. Son _/ils K brogimi et son petitjils K oreyosbi, par leurs travaux littéraires, par la fondation d 'une école célébre, le Monjb-in, par les fonctions publiques qu’ils exercerent, accrurent le renom de leur maison. Mais c’est de Micbi{ane, de ses talents littéraires, de son role poli- tique et plus encore de ses malbeurs et de la glorqication (*) D’apres la chronologie ofiicielle. ~ (*) Les haiziwa (de nant, terre rouge employee pour la fabri- cation de la poterie) sont des statuettes de terre qu’on euterrait iusqu’au cou, autour des tombeaux des grands personnages. Anterieurement Pusage existait d’enterrer ainsi tout vivauts quelques-uns des serviteurs et esclaves du defunt. Sur les conseils de Nomi no Sukune, cet usage fut supprime, et les malheureuses victimes remplacees par des statuettes qu°il se chargea de faire fabriquer par des gens de son pays (lzumo). Il recut pour cela le titre de chef de la corporation des potiers, hcmibe no ami.


I

· ¥ . OIMATSU w @ incomparable qui les suivit, qu’elle allait tirer son plus grand lustre. Il n'etait que le troisieme jils de Koreyosbi, et fut pourtant l’beritier de la maison; on ne connait que le m de ses deux freres qui semblent n’a·voir joué aucun role. De tres bonne beure, iljit preuve de talents extraor- dinoires et acquit rapidement la reputation du meilleur littérateur de son temps. Comme il etait d’usage alors, il fut pourou d’un emploi administratif et parvint progres- sivement au rang de gowverneur de province. Son inter- vention beureuse dans une a faire dijjicile (‘) attira sur lui l’attention du jeune emperear Uda, qui l’appela d la cour, lui conjia des fonctions importantes et ne tarda pas d en faire son conjident et son conseiller. Une amitie veri- table semble avoir uni ces deux bommes, et l’entree de la tille ainee de Micbi.{ane, Hiro-ko, au palais en qualite de ny6g0 (’), ne put que rendre leurs relations plus intimes. L'in_/luence de Micbirane etait considerable sur l’esprit de l’empereur, et on peut croire que peu de decisions de qnelque importance furent prises sans son concours. Il ful seul eonsulté sur le cboix du prince béritier et snr Fopportunite de l'abdication d'Uda. Pen apres l’a·vene- ment de Daigo, Micbirane devenait ministre de droite, tandis que le cbef du clan des Fujiwara, Tokibira, etait nomme ministre de gaucbe. C 'etaient les deux plus bautes cbarges de l’E tat, puisque depuis plusieurs annees il ny a·vait plus de premier ministre. Depuis le celebre K ibi no (‘) On trouvera quelques détails sur cette aifaire (Paffaire dc Taka), sur le rble politique de Michizane et sur les événcments connexes, dans le Bulletin de l’E'cole frangaise d'Extréme—Orient, X (nsw). p- vn Sqq- (’) Femme de second rang.


I u crnq no Mabi, au V Ill• siécle, Michirane était le seul, qui, sans appartenir a la famille Fujiwara ni étre de sang impl- rial, eut atteint une situation aussi élevée. Il faillit monter plus baut encore : au commencernent de l’an- née 900, l'e1npereur retiré Uda et son jils Daigo lui afri- rent la charge de premier ministre ; il la refusa. Si secre- tement que cette ojfre exit été faite, elle ne put manquer de s’ébruiter ,· les Fujiwara commencérent a s’apercev0ir que l’élé·vation et la puissance grandissante de cet bommc mettaient on péril leur suprématie umgremps ineontestée: sa perte fut résolue. Un complot ful ourdi dont les chefs étaient Tokibira. ses parents, Sugane et Sadakuni, et le vieux Minanwto no Hiharu, jils de l'empereur Nimmyd, que sa jalousic contre Michirane mettait a la remorque des Fujiwara. autrement redoutables pourtant. Ils entreprirent une campagne d'aecusations destinées a rendre Michigane odieux a l’empereur et a le faire chasser de la cour. La principale était qu'il cherchait a détroner Daigo pour lui substituer son frére, le prince Tokzyo, auquel il avail fait épouser une de ses jilles. 1.’emperear,jeii»¤ebcm»»e de seire ans a peine, se laissa persuader sans grande difji- cullé, semble-t-il. Le 25 du 1** mois de l'année 901, un décret déclarait Mkbirane coupable de cornplot, le dépouillait de tous ses biens, l’exilait a Daraifu. Sous le coup de la rude condamnation qui le frappait, il appela a son secours son protecteur, l’empereur retiré Uda. Celuilci accourut au palais. Mais les Fujiwara avaien! prévu cette intervention qui pouvait tout remettre en question .· ils gardaient les portes et en refusérent l'accés a Uda. On raconte qu'il resta la toute la journée, espi- rant qu’enjin la sévére consigne jléchirait et qu'il lui serait permis de voir son jils. Au soir, bumilié, vaincu,


OIMATSU & il s'éloig*na enjin, pour ny plus jamais revenir, de ce palais ou il avait régné et qui ne le connaissait plus. Et . tandis que le prince Tokzyo s’enfermait avec son pére au Ninna-ji, ou quelques années plus tard il devait prendre l’babit de moine, Micbirane quittait K yéto, entouré de ‘ ` gardes et précédé par des instructions sévéres du Dajokwan. C 'était le moment ou s’ouvraient les jleurs aux bran- cbes des pruniers. Micbi{ane les aimait, dit-on, par . dessus toutes les autres, et on admirait dans ses jardins Q un grand prunier a jleurs roses, dont un des pavillons de son babitatzbn, le •: Pavillon du prunier rose », K6bai— dono ou Kbbal-den, avait pris son nom. En partant il dit - d ses jleurs ses adieux el ses regrets dans une poisie qui, aujourd’bui encore, est dans toutes les mémoires : Kochi jiokaba, Quand souftlera la brise d'Est, Nioi olcose yo, Envoyez-moi votre parfum, Ume no bana ; O fleurs de prunierl Aneji nasbi tote, Bien que n’ayant plus de maitre, Ham na wasure so. N’oubliez pas le printemps. Et sans doute, comme c'était la coutume, il la suspendit dl’une des branches ou son ceeur restait attacbé. De ses vingt-trois enfants, il ne lui ful permis d'em- mener que les deux derniers, un garcon et une jllle. Ses _ quatrejils pourvus d'emplois a la cour furent exilés en diyérentes provinces ; les plus baut places de ses amis, dont plusieurs Minamoto, eurent le meme sort. Celles de ses jilles qui n'étaient pas mariées suivirent sans doute kw mere, qui se réfugia au Kicbzj6—in, et y vécut · dans la retraite. A Daraifu, il se retira au petit temple Enoki-dera, fl y véout dans l’isolement. Les poésies qu'il y composa, P ! l


as c 1 N Q N 0 I poesks cbinoises surtout, sont parmi les plus belles qui nous restent de lui (‘). ll ne sortait de sa retraite que pour monter sur une bauteur voisine, le Tempaiqan ; un petit edicule sQv eleva plus tard ci la place ou, dit-on, it F venait prier et demander au ckl de faire eclater son ’ innocence. Il mourut au bout de deux ans. _ Le triompbe des Fujiwara etait complet. Un mois apris 5 le bannissement de Micbiqane, Tohibira avait poussé sa I sonar, Sbiqu-ho, au lit imperial et lui avail fait peu aprés I conferer le titre d’imperatrice; elle donnait bkntét le » jour ci un en fant, Yasualcira, qui deux ans apres sa { naissance etait proclame prince beritier. Desormais la I puissante famille ne devait plus connaitre d ’obstacles i · son ambition. Etait-ce pour le mieux marquer qu ’elle avait fait proclamer une nouvelle ere, Engi, datant de la cbute de son rival? "° I Micbiqane fut-il reellement ce que les ages suivants ont voulu voir en lui, le mae meme de la loyaute, dt l’bonneur, de la bonte, de la vertu persecutee 2 Ce n’est I pas ici le lieu d ’etudier cette question. Mais ddl-on admettre qu’il commit des erreurs et que son caractire i n’avait pas toute l’elevation qu ’imagina la legende, il I faudrait pourtant reconnaitre que le cbcitiment fut bors de proportion avec ce qu'avaient pu etre les torts et que 1 - des services politiques reels furent bien aisement oublies. Il fut en toute verite une victime. Sa memoire en benejicxlz ; I ses adversaires, par leur orgueil, leur egoisme et l’abus I qu 'ils jirent du pouvoir, par son simple exercice meme. ______ I (•) Avant de. mourir, il lcs cnvoya A son ami Ki no Hgseo; cll¢5 formcnt lc Kwanke goshu. s. {


O I M A T S U 87 ` eontribuérenl a l’exalter dans le souvenir du peuple. Une réaction, ou pluldt un mouvement d'0pint?m, ne tarda pas d se dessiner, puis a grandir, en fa·veur de Micbi.{ane et contre les Fujiwara. Bientdt des légendes naquirent. Il en fut de terri- jianles, ou il ne serait sans doute pas tres di jjicile de déméler l’inj1uence du bouddbisme, ou plus exacte- ment de la secte Tendai, dont la ricbesse et la puis- sance avaient fort a sou jrir des décrets de Tokibira contre la grande propriété. La croyance aux vengeances exercées sur les ·vi·vants par les esprits des morts ful é·vi- demment pour beaucoup dans leur formation. Micbigane, transformé en dieu du tonnerre par la faveur d’Indra (Taisbaku-ten), menacait de monter a la capilale et dy écraser ses ennemis ; les orages, fréquents a K ydto, furent d’une violence particuliére en 908 .· c’étaient autant dkwertissements de sa part. Pendant I ’un d'eu.x on put voir, dit-on, Tohibira, le sabre a la main, debout sur les marches du palais, sommant Micbirane, qu’il croyait reconnailre dans la tempéte, de reculer devant lui, en lui rappelant qu'autrefois il devait lui céder le pas a la cour. Une autre fois, la foudre tomba sur le palais et y mit le feu qu'on éteignit a grandpeine. On apprit plus lard que Fesprit de Micbi{ane était apparu a son ancien éléve, Son-i, abbé de l'Enryaku-ji et tbaumaturge, pour annoncer son intention de bruler le palais et lui defendre d’user de sa puissance contre l ’incendie, meme s’il en était requis par l'empereur; Son-i await pourtanl l’auto— . risatzbn de se rendre au palais au troisiéme appez de Fempereur (‘). Fujiwara no Sugane était mort foudroyé, dit-on. L'année sui·vante, Tokibira tomba malade; il eut j (*) Get episode fait lc sujer du no Raiders. I


as c 1 N Q N 0 recours aux priéres d’un guérisseur célébre, le maine ]d{6, its de Miyosbi no K bvotsura; mais celui—ci, ter- rifié par une apparition de Micbi{ane, ordonna a son jils de se retirer, et Tokibira mourut (909). Sadakuni était mort depuis plusieurs années. Micbi{ane était vengé, et la croyance d son pouvoir surnaturel était fondée. Le calme semble s’étre fait pendant plusieurs années. Mais en 920, des malbeurs publics, des maladks conta- gieuses s'abattent sur le pays; t'ep`r0i renait. En 92}, le prince béritier meurt presque subitement; tout le monde y ·voit un efet de la cotére de Micbi{ane. Il court des récits efrayants. Un certain K intada ·vient raconter au palais qu’il est mort, a passe trois jours aux enfers et est revenu sur la terre. Dans l'autre monde, il a entendu Micbirane, entouré de trente suivants, porter devant le roi Yama de nombreuses plaintes contre l’empereur ,· l’un des sui·vants a·vait pourtant ajouté en souriant .· an Qu ’en sera- t-it si l’empereur répare ? » L'empereur, terrzjié, fait bruler les pieces concernant l’exil de Micbirane, lui rend toutes ses dignités, l’élé·ve au 2° rangde cour, et proclame une ere nouvelle, Enchb. Un nouveau prince béritkr est cboisi : il meurt deux ans aprés ; et presque cbaque année ·voit disparaitre un des enfantsde l'empereur. Des typbons et des inondations ravagent le pays en 929 et y raménent des maladies contagieuses. En 9 30, une sécberesse persis- tante pendant tes 5° et 6° mois est suivie d ’un orage épou- vantable au cours duquel le tonnerre tombe sur le palais ; Fujiwara no K oresbige est tue au moment ou it accourt l’arc et les jlécbes a la main (‘); l’incendie se declare ; de bauts personnages meurent sur place, brzilés dans leurs W (*) On luttait cn cffct A coups dc Hechcs contre le dieu, genie ou démon qui lance la foudrc. _ E .


ormnrsu M . * vetements en jlammes; on les emporte sur des planches ou des volets. L’borreur de la scene saisit tellement l'empe- reur qu’il tombe malade ; il abdique et se retire au Daigo- ji, ou il meurt peu apres. Sa mort ne marque pas la _/in des prodiges. Les recits qui nous restent des revelations posterieures montrent a "' la fois le développement de la legende et la modyication importante qu’elle subit. Dans l’autre monde, que visitent les moines Nichi{6 en 934 et Déken en 941, tandis que ses adversaires subissent divers tourments, que l’empe- reur Daigo lui—meme, sous le pohls des peines, confesse ses fautes contre son ancien ministre, contre son pere et contre le bouddbisme, Michigane granditde plus en plus; il n’est plus le terrible et brutal dieu du tonnerre, K wa- rai-ten, mais Dajd-itoku-ten, babitant un lieu de delices semblable a la Terre—Pure d’Amida, commandant au dieu du tonnerre et a 168.000 genies mayaisants dont il retient les fureurs ; les Buddba l’ont console, et en consi- deration de la dijusion de la foi bouddbique au japon, il a renonce a punir ce pays comme il avait d’abord voulu le faire ; il lui reste une certaine ranccvur qui ne s’efa- cera qu’au jour ou il deviendra lui-meme buddha ,· mais en attendant, il protegera ceux qui l’invoqueront. Michb {ane est divinise. Encore un pen et cela ne sujyira plus .· il ne sera pas devenu dieu, il l’aura toujours ete ; sa vie en ce monde n’aura ete qu'une manifestation d’un dieu dans l’lrumanite; il etait un dieu incarne (arahitogami). Et le Ryébu-sbintd va bientdt voir en Michiqane une incarnation de Monjzi (Manjucri) selon les uns, selon ‘ d’autres plus nombreux, de K ·wannon (Avalokitecvara), qui a pris cette forme pour venir proteger l’empereur et le pays. - Depuis umgzemps d’ailleurs un culte lui etait rendu a


°° . mi ld IJZMJ, ami; aussi fait son oeuvre. 1MiS Wiggi ns qhygrent de celui qu’elle avait pris a K yoto.

    6   au       quel-

{gates); #{0% 671 f01¢f6•leS bceufs qui tramaient gm; mweil refuserent soudain d’avancer. On crut a un pyodige, et on creusa la tombe a la place meme ou le cbar s’etait arrété. Deux ans aprés, un certain Umarake no Yasuyuki élevait a cet endroit une petite cbapelle dédiee a Micbiane, sous le nom de Temman-Daiigai-Tenjin. L’origine de ce nom est obscure. On racontait que Micbi- zane avait prié Bonten (Brabma) pendant sept jours et sept nuits sur le Tempai-an, et qu’au bout de ce temps il en a·vait recu ce titre. En QI 9, Tadabira, frére de Tokibira, cbargeait le bon{e Son-i, le méme dont il a été question plus baut, de construire un temple a la place de la simple chapelle de Yasuyuki. Ce fut l’Anraku-ji que dfférents grands personnages se plurent ensuite à agrandir et d'enrichir.

Enfin, sur des révélations faites a deux enfants, Tajibi no Aya-ko (‘) d’abord, puis Miwa no Taromaru (’), et par les soins du bon{e Saicbin, un temple s’éle·va dans la M plaine de K itano au nord-ouest de Kyoto, pres du champ de courses de la garde impériale de droite, Ukon no baba, au point ou en une nuit un bois de pins a·vait poussé miraculeusement ; il fut dédié a Michizane sous le nom de Temman-Daqirai-Tenjin ou plus simplement Tem- mangu; et le premier ministre Fujiwara no Morosuhe. neveu de Tokibira, tint a bonneur d’_y contribuer. L’endroit

1) Uta-ko, d’après le Kitano miya-dera engi. C’était une pauvre fille habitant à l'extrémité ouest de Kyoto.

2) Fils d’un prêtre shintoïque de la province d’Omi ; il avait sept ans lorsqu’il reçut cette révélation. 0 I M A T S U 91 etait tres populaire ; les fétes des jleurs y attiraient beaucoup de monde, ainsi qu'en fait foi une scene cbar- mante de l’Isc monogatari. Le culte de Micbigane etait dejinitivement fonde et allait tres rapidement devenir un des plus populaires et, en quelque sorte, un des plus nationaux du japon. V: A coté de ces revelations et de ces prodiges, et dans un autre plan pour ainsi dire, s'etaient developpees d’autres Iegendes d’un caractere doux et poetique, sortant vrai- · ment de l'dme nationale. Elle avait ete emue de la melan- colie un peu jiere de l’adieu de Micbigane d ses fleurs. Et ce fut bientdt l’arbre du jardin de Kyoto, qui, deracine par l’angoisse, s’en etait alle d travers les airs retrouver 1 son maitre exile ; il meritait pour cela, et recut en efet le nom de or Prunier-Volant », Tobi-umc. Il y avait sure- ment aussi des pins. Aussi bien, dans les idees artistiques d’Extreme-Orient, le prunier s’associe normalement au pin, et de l’opposition de leurs formes, de leur vegetation, de leurs teintes, peintres et poetes tirent de cbarmants epets. Ces pins s’op'raient d’eu.x-memes a porter un deve- E Ioppement de la legende ,· il ne se jit pas attendre. Le p geste de Micbirane disant adieu zi ses fleurs etait poeti- que ; on le lui_/it repeter et dired ses cerisiers, avec moins ` dc bonbeur du reste .· Sakura-bana, Fleurs de cerisier, ‘ Nusbi wo wasurenu A n’oublier pas votre maitre Mono naraba, Si vous étcs fidéles, Fuki-hon kage ni A la brise soufflant dans vos branches Kolorute wa seyo. Conficz votre souvenir.

Et les cerisiers abandonnes s'etaient jietris et étaienz

E morts. Micbirane e cette nouvelle aurait soupire, en Q j krmes d'ailleurs fort indignes de son talent: f l 1 ~ 4 I


p cruo NO Ume wa tobi, Le prunier s’est envolé, Sakura wa lzaruru ; be cerisier s'est flétri ; Yo no nalca ni, Dans le monde Matsu bakari lzoso ll n’est que le pin Tsurenakarilcere. Qui `se soit montré insensible. Sous le coup de ce reproche, un pin a son tour s'était arracbé du sol ou il était planté, et a·vait rqoint son maitre, comme l’a·vait fait le prunier; et pour cette raison, on l’a·vait appelé, par un de ces jeux de mots qu'ap’ectionne l'esprit japonais, le en Pin qui suit », Oimatsu. C 'était beaucoup de finesse ,· c'en était trop, beureusement, pour durer; le texte de l’al cité plus loin y fera pourtant allusion, et dans la réoision des nd qu’il publia en 1 76 5, K ·wan{e Motoakira adopta, sans succés du reste, cette facon d'écrire le titre de cette piéce. Il existe une autre tradition mains connue, mains mer- i veilleuse aussi, qui a pu dans une certaine mesure g fournir une base, un appui, une origine peut-étre d ces n légendes. D’aprés une révélation de Micbiqane a Yosbii tane no Tardmaru, datant de 947, soit quarante·cinq ans [ d peine aprés l'é·vénement, il aurait été accompagné a Da{aifu par deux suivants, un porteur de shaku (‘), nommé Oimatsu, et un porteur de reliquaire (busshari), q uommé Tomibe. Lorsque le maitre eut été divinisé et que son culte s'établit, les jidéles serviteurs ne furent pas oubliés, et des chapelles furent éle·vées sous leur wcable d cdté des temples dédiés a leur seigneur. On trouve a l'Anraku-ji un Oimatsu no yasbiro, et un Fukube (ou Tomibe) no yasbiro; on les trou·oe a K itano, et a l’imita— g tion de ceux-ci, dans les plus importants des temples § (*) Plnnchette étroite, sorte de latte qui se portnit avec le cos- . tume de cour et dont se servent encore les pretres shinto`Iques·


OIMATSU g consacres plus tard d Micbiqane. Ces deux noms. de famille sont d’ailleurs parfaitement reguliers, et le chan- gement de labiales qui diferencie seul pratiquement tomibc de tobi-umc, est de ceux qui se font avec la plus grande facilite et tres frequemment en japonais. ll ny a rien efinvraisemblable d’autre part d ce que quelques ser- viteurs aknt suivi leur maitre a Darazfu ou lj: aient rejoint, d’autant que celui—ci etait autorise d emmener deux enfants avec lui. Et enjin l'intervalle qui separe l'exil de Micbi{ane (901-90 3) de cette revelation (947) n’est pas, somme toute, tres considerable ; nombre des temoins du premier existaient encore lorsque celle-ci se produisit. Est-ce sujisant pour admettre que ces deux personnages existerent reellement, que leurs noms furent pour quelque cbose dans la formation des legendes citees plus baut, et pour ecarter l'b_ypotbese qu'ils furent au contraire imagines apres coup pour justi/ier ces legendes et leur fournir en quelque sorte une base, un point d’appui bistorique P Quoi qu'il en soit, cela importe peu zi notre but. Il nous sufjit de constater la concordance de ces legendes et de cette revelation ; grdce d elle, les dieux du Vieux—Pin et du Prunier-Volant, dmes des arbresjideles qui ne voulurent pas etre séparés de celui qui les aimait, pourront etre aussi pour nous les esprits des serviteurs devoues qui suivirent leur maitre en exil. La tradition dont la revelation faite d Taromaru est le premier temoignage, fut recueillie par plusieurs ouvrages posterieurs, et la croyance d l'existence d’Oimatsu etait encore bien vivante d la _/in du x1v° siecle. Il sem- ble avoir pris peu a peu plus d'importance que son com- A pagnon, au moins plus de prestige et plus d’action exte- rieure pour ainsi dire. Et dans le ne que nous allons voir, c'est lui qui joue le rele important; celui du Pru-


H M crnq NO nier·Volant est au contraire asse{ ejface. Celui-ci d’ail- e leurs tend a changer de nom. On n’a·vait pas oublie que dans les jardins de Michirane, le Pavillon du prunier rose, K 6bai—den ou Kdbaiidono, avail tire son nom du ·voisinage de cet arbre ; et bientot on appliqua ce nom a la chapelle consacree au Prunier-Volant. On ne s'en tint pas la; le mot de t0n0, en composition d0n0, cpavillon », etait employe comme appellation respectueuse a l'egard des bauts personnages ; c'etait d’ailleurs un usage asseg repandu de designer ceux-ci par le nom de leur resi- dence; il etait impossible dans ces conditions que le titre de K6bai·dono ne passzit pas tout naturellement au per- sonnage cme dans la cbapelle de ce nom ; et dans la piece qui ·va suivre, on le verra efectiwment applique au dieu du Prunier·Volant. O.?} Au point de ·vue technique, Oimatsu est a la fois un no des cboses divines, kami-nb, puisqu'il se termine par Papparition d’ un dieu, et un no de souhaits heureux, sh0gcn·n6, car ce dieu apporte a l'empereur, ou au per- sonnage en l'bonneur duquel la piece est executee, des promesses de tongue ·vie et de prosperite. Il peut donc occuper, suivant les cas, sur les programmes, soit la pre- miere place en qualite de kami·n6, soil la derniere comme couronnement d’une representation particulierement solennelle. C ’est du reste un des plus aimes du public et des acteurs, et on l' execute frequemment a l'epoque du nou·vel an. Car c'est un nd de printemps, ou plus preci- sement du premier mois de l'annee, qui correspondait autrefois approximativement a notre mois de fevrier. Les aspects du paysage qui y sont decrits sont ceux qu'o_frent a ce moment les environs de K ydto. L'adoption


du calendrier gregorien a quelque peu trouble cette concordance.

Oimatsu est de forme tres reguliere, de la forme que nous avons decrite comme normale, d cette exception pres qu’il n’a pas de kuri ni de rongi. Mazgré cela, la perfection de l’ensemble, la reputation dont il jouit, et aussi l’interet des faits bistoriques auxquels il se rattache, nous ont engages 13 le cboisir comme type de la première - et de la derniere — classe de nô. Il passe pour être un des plus anciens parmi ceux que nous possedons; mais on n’a à ce sujet que des indications asser vagues. Il fut compose par le second des Kwange, Seami Motohiyo ( 1 37 5-14 5 5) , celui-ci le cite dans un de ses opuscules ecrit vers 1435. C’est la plus ancienne mention qu’on en connaisse. Mais le fait meme qu’il est cite ainsi donne d croire que, des ce moment, il etait l’un des plus celebres. D’autre part, d considérer la piece en elle-men1e,il parait légitime d"en placer la composition d l’epoque de la pleine maturite du talent de Motokiyo, c’est·d-dire dans les premieres annees du xv’ siècle. La maitrise de la forme y est parfaite. L’auteur la possede asseg pour n’eprouver nulle gene de ses règles, pour se mouvoir d l’aise dans l’etroit espace qu’elles delimitent. La legende mettait zi sa disposition les éléments les plus varies ,· on verra avec quelle discrétion et quelle sobriete il a fait son cboix dans ce tresor. Les artifices litteraires, allusions, mats d double emploi, etc., ne surchargent pas le style, sont bien cboisis et adroitement amenes. ll est vrai que le rappel de légendes chinoises dans le kuse est un peu languissant et peut être considéré comme un hors-d’oeuvre. Mais ici l’auteur a peut-être utilise un morceau plus ancien ; on n'y retrouve pas en tout cas les riches couleurs ni le charme du style des autres morceaux de la piece. Et il faut se souvenir du gs c 1 N Q N 6 prestige souverain qu'exer;aient alors la Cbine et tout ce qui etait chinois ; par droit de naissance en quelque sorte, ces legendes etaient d l’epoque accueillies avec bonneur, ou qu’elles voulussent bien se presenter. E njin Oimatsu est une des pieces dans lesquelles le role de tsurc acquiert une certaine independance et comme une personnalite propre. Bien que la plupart des ouvrages modernes ne•mentionnent pas de nochi-zurc et qu’il n’en paraisse en e jet presque jamais e l’execution, en realite cette partie du role a exe prevue et voulue par l’auteur ,· les premieres paroles qu’il place dans la bouche du nochi- jitc le prouvent : celui-ci en entrant en scene interpelle en efet un personnage, K 6bai·dono, et cet eppez parait quelque peu etrange lorsque ce personnage est absent. Il est ·vrai que le rele est muet et ne consiste qu’en une danse .· c’est ce qui permet de le supprimer tres aisement. Mais il semble qu'on abuse de cette facilite, et que cette suppression tende d devenir la regle ,· ce serait evidem- ment regrettable au point de ·vue de l'e_fet general de la piece, dont l’ordonnance et le développement sont ainsi modgies plus gravement qu’il ne semble d premiere ·vue. Dans la premiere partie en efet, en meme temps que le shite se presente comme le gardien du V ieux-Pin, il pre- sente son compagnon, le tsure, comme le gardkn du Pru- nier-Volant; le tsure n'est donc pas simplement ici une sorte de doublure du shite, la seconde voix necessaire d t l’execution de certaines parties du role, mais bien un per- t sonnage distinct dont rien n'autorise la disparition au ¤ cours de la piece ,· tout au contraire, il est normal que les i dieux des deux arbres sacres, associes dans l'exposition et dans le développement, paraissent ensemble d la conelu- { sion. Au reste les ouvrages techniques deorivent le n0chi· zurc et sa danse, la tradition n’en est pas perdue, et les i


spécialistes reconnaissent que ce rôle élève le rang (kurai) de la pièce.

Généralement, dans les no de souhaits heureux, le waki est un envoyé impérial (chokushi), qu’on nomme aussi ministre (daijin), accompagné de deux tsure. Dans Oimatsu, c’est simplement un habitant du village d’Umezu, avec deux compagnons. Pourquoi l’auteur s’est-il écarté de l’usage et a-t-il choisi précisément ce pays, on ne le sait pas. Umezu, sur la rivière Katsura, tire son nom du vieux « Temple du prunier sb, Ume no miva, qui eut son beure de célébrité, et est encore tres vénéré dans toute la region voisine. On ne ·voit pas qu’il se rattaebe en rien a l’bistoire ni a la légende de Micbigane, si ce n’est par le mot de prunier qui entre dans son nom. Le lien est bien ténu ,· mais les auteurs des no étaient amateurs de subtilités. Les commentateurs n’ont en tout cas su découvrir aucune autre raison de ee eboix, et il faut bien nous con- tenter de celle-ci.


Le texte que nous suivons dans notre traduction est celui de l’école Kwanze. Pour intermède, ai, nous avons suivi celui de l’Ai shimai tsuki, publié en 1686, le plus ancien recueil de textes d’ai que nous possédions.


OIMATSU
——

PERSONNAGES.


MAE-JITE. — Un vieillard gardien du Vieux-Pin.

NOCHI-JITE. — Le dieu du Vieux-Pin.

TSURE. — Le gardien du Prunier-Volant.

[NOCHI-ZURE. — Le dieu du Premier-Volant] (1).

WAKI et WAKI-ZURE. — Un homme du village d’Umezu et ses compagnons de route.

À partir de la fin du michiyuki, la scène est à l’Anraku-ji, à Dazaifu.


PREMIÈRE PARTIE

SCÈNE I


Introduction instrumentale. Entrée du waki et des wakizure. Ils portent des costumes de voyageurs assez simples et tiennent l’éventail à la main. Le waki vient occuper sa place ordinaire, le nanori-za ; l’un des tsure se place à droite, symétriquement au waki, l’autre se met derrière le waki. Ils se font face pour le chant du shidai.


WAKI et WAKI-ZURE.


En vérité la paix règne partout en ces provinces (bis) ;
Les portes ne sont point fermées aux barriéres (1) où je passerai.

Le chœur répète ces deux vers en sourdine.


WAKI (tourné vers le public pour dire le nanori).


Je suis un habitant d’Umezu à l’ouest de la capitale. Je suis un fidèle [du temple] de Kitano et j’y porte souvent mes pas. Or une nuit, en un songe merveilleux, il me fut dit : « Puisque tu crois en moi, va m’honorer au temple d’Anraku en Tsukushi. » C’est pour avoir été favorisé de ce songe merveilleux envoyé par le ciel, qu’en ce moment je me rends en Kyûshû.

Il lève lentement les bras et les tenant étendus horizontalement, joint un instant les mains : c’est le dappai, sorte de salut qui suit ordinairement le nanori. Il se retourne ensuite vers ses compagnons pour le chant du michiyuki.


WAKI et WAKI-ZURE.


Toutes choses
Aux désirs du cœur se conforment en ce temps (bis) ;
C’est au pays où naît le soleil qu’on jouit de ce bonheur. I loo C I N Q N O “ L'abondance régne en la contrée d’Akitsu (‘). 1 Les vagues font silence sur les quatre mers (’). ” De la Corée, de la Chine, tous Les tributs (') trouvent ici (‘) le terme de leur route. i Au temple d’Anraku je suis arrive (') (bis). p Tous trois vont s'asseoir a droite, face a la scene, le waki _ en avant, au pied de la colonne. scENE 11. lntroduction instrumentale. Entrée du more et du sbiic, dans cet ordre. Tous deux sont vétus en jardiniers, les manches relevées pour le travail. Le sbite porte un masque de vieillard. ll tient a la main un baton pourvu de petites branches, servant a enlever ce qui pourrait s’accrocher aux arbres. Ils s’arrétent sur le pont, entre les pins, et se font face pour le chant de l’issei. sum et Tsuaa. A O fleurs de prunier, coiffure que porte a sa venue le [printemps, Et que l'oiseau, dit-on, tresse a travers les branches (‘)! t TSURB (tourné vers le public). Des aiguilles du pin, la teinte aussi est dans tout son éclat. l SHITB et TSURE (se faisant face). O vert profond dix fois renouvelé (’)l Ils entrent en scene; le tsun se place au milieu, le sbite a gauche. sum. Tendu vers la brise, en secret elles éclosent; et lorsque [s'ouvre L'année, au seuil [que garde] le pin, protecteur des H feuilles ('), Q " w


l`T'T'F"` ‘ O I M A T S U 101 sum; et rsune. Elles font accueil au printemps (‘). Et soudain Humides de rosée, toutes les herbes, tous les arbres Sous la bonté des dieux semblent frissonner. O luxuriance qui partout dit le printemps! Au temple du dieu et du Buddha (’) ou nous portons Dans la lumiére tiéde de ce jour de printemps, [no pas Les racines des pins Rampent entre les pierres ou les nattes de mousse ( 's S’étendent. Comment la poésie de Shikishima (‘) Pourrait-elle finir? Sur cette montagne, [branches Voilant le ciel une neige tombe (‘). Pour les vieille ll faut craindre, et plus encore pour les fleurs en pl in [éclat. Pour que nulle main ne les brise ('), veillons sur ce pru— [nier. Allonsl tout autour de ces fleurs dressons une haie Autour de ces fleurs de prunier dressons une haie scENE nr Le {sure s’écarte vers le coin de la scene; le shite s pl cc au milieu. Le waki se léve et se tourne vers lui. wma. Hola! je voudrais demander quelque chose au vieill rd qui est la! _ sums. C’est in moi que vous vous adressez? De quoi s'·1 it il WAKI. ]'ai entendu parler de Prunier·Volant; quel est 1 rb qu'on nomme ainsi?


SHITE.

Oh ! quelle sottise ! Nous ne l’honorons ici que sous le nom de Seigneur Prunier-Rose.

WAKI.

Vraiment, vraiment, doit-on donc l’appeler aussi Seigneur Prunier-Rose ? Chose émouvante ! Par la puissance de la poésie de son maitre, le voila maintenant devenu arbre sacré, et l’on ne se rassasie pas de le contempler.

SHITE.

Et le pin que voila, que vous en semble ?

WAKI.

En vérité, en vérité, lui aussi est entouré d’une haie; les cordes sacrées (‘) y sont suspendues. lla vraiment tout l’aspect d’un merveilleux arbre sacré. Eh quoi donc? Serait-ce la le Vieux·Pin ?

SHITE.

Ah! que vous avez mis de temps a vous en apercevoir !


SHITE et TSURE.

Considérez bien le Seigneur Prunier-Rose. L’éclat de ses fleurs est d’un arbre jeune, et leur gardien lui—même Est dans la fleur de la jeunesse. Mais au contraire,

CHOEUR.

Moi qui garde ce pin, je suis vieux ; Vieux aussi est cet ombrage (’) ou je demeure, Vieillard abandonné. Et ce tronc solitaire, P O I M A T S U 103 Vous ne l’avez pas reconnu pour le Vieux·Pin. Qxel sentiment doit en éprouver le dieu ?]'en suis effrayé. Le tsun va se placer in droite, devant le chcur. Tous s’asseoient. SCENE nv. wax:. Dites-moi encore avec plus de détails e u1 concern ce temple. surre. Considérez d'abord la disposition du temp! . Au nord se dresse abrupte une verte mo r e (' · cn-iowa. Sur sa cime la lune brille entre les pavillons des p'ns ['). Au sud s'éléve isolée la porte magniiique. Les rayons obliques du soleil pénétrent iusqu'au 1ed [des bambous 'I nc s. sn-urn. A gauche voici la tour [ala fléche] omée flammes (‘). cuczun. Des vertes tentures, de l'alc6ve rouge la spl nd u r [p lle le passé (‘). A droite sont les antiques batiments d’un vieu mona [t` r ('). La cloche au point du jour, les chants sacrés au soir [résonnent s ns cess I Sont—elles vraiment privées d'ame, Les plantes, comme on le dit? [ Les obligations de la vie (‘) en ce monde d illusion k I


ro4 - C I N Q N 6 Elles les connaissent, oui, elles les connaissent! Entre tous les arbres, le pin et le prunier De Tenjin furent les plus chéris; o Et le Prunier·Rose et le Vieux·Pin Sont devenus les dieux des chapelles de ses temples. ’ Au reste ces deux arbres, Plus qu’en notre pays meme, ' Chez les Kan ont manifesté leur vertu. Au temps d'un empereur de T6 (‘), Lorsque dans le pays la littérature florissait, Les fleurs [de prunier] brillaient de plus d’éclat Et leur parfum était plus doux; Mais lorsque la littérature était négligée, leur parfum Et leur couleur méme se ternissait. [s{évanouissait, Ahl vraiment, dit—on, c’est un arbre A qui les lettres sont chéresl Et le prunier Fut appelé l’arbre ami des lettres. Et quant au pin, voici pourquoi il est appelé tayu ('). Le premier empereur de Shin (') étant at la chasse, Le ciel tout in coup se couvrit de nuages, Une pluie violente se mit a tomber. Alors L'empereur, pour se protéger de l’orage, Se réfugia sous l'abri d'un jeune pin. Ce pin soudainement devint un grand arbre, Abaissant ses branches, épaississant ses aiguilles, Remplissant tous les vides ouverts dans sa verdure, Ne laissant pas filtrer la pluie. C’est pourquoi L’empereur lui conféra le titre de tayu (‘), Et depuis lors, le pin est appelé tayu. surre. Le pin et les fleurs du prunier au nom si glorieux I


O I M A T S U xo5 ci-nczun. Dureront jusqu’au terme reculé De mille générations. Gardien de la haie sainte, Veille sur eux, ah! veille bien sur eux! Du dieu [qu'on honore] ici le nom est le méme '). Plénitude du Ciel. Tout l'espace est rose; et les Ros Fleurs, et le Pin, tous ensemble, Comme divinisés (’), s’évanouissent, Comme divinisées leurs formes s'évanouissent. Pendant les derniéres paroles du choeur, le tsure t l < r se retirent lentement et rentrent dans le kagami no n . INTEBMEDE wax!. Hola! y a-t-il quelqu'un? PREMIER WAKI-ZURE (il se léve et vient se prostern v le waki). Me voici. WAKI. Allez appeler quelqu’un du pays. wA|<1-zum;. ]'0béis. (ll se reléve et remonte vers le fond de la scén u l’acteur comique, kydgzn ou ai, chargé de l’interm` d , venu s’asseoir au pied de la colonne du kydgen pendant le choeur précédent.) Y a-t-il ici quelqu’un du pays P Al (il se léve). Vous me demandez quelqu’un du pays; que desire - vous?


we c 1 N o 14 6 WAKPZURB. On desire vous demander quelques renseignements; veuillez vous approcher. . A1. _|’0béis. (ll vient saluer le waki, tandis que le wakiqare retoumeasaplaee.) Vous demandez quelqu’un d’Anraku- ii ; que désirez·vous? Q wax:. ` R Vous trouverez peut-étre ma demande extraordinaire, mais vous devez connaitre les détails [de l’hist0ire] du Vieux-Pin et du Prunier-Rose; veuillez nous les conter. A1. T Quelle chose étrange vous me demandez la! Néan- moins, comme il serait difticile de dire que je n'en con- I nais pas, je vais vous raconter les choses telles que ie les ai entendues. wax:. je vous remercie. __ Al (il se tourne vers le public pour dire le kaiari). R Voici clonc toute l'histoire du Vieux-Pin et du Prunier· Rose de ce temple d'Anraku. Au temps ou Tenjin de i Kitano a la capitale était encore le ministre Sugawara, E il fut calomnié par le ministre Tokihira et quelques i autres, et on l’exila en ce lointain pays. ]'ai entendu dire i que l'empereur s'appelait alors l’empereur d'Engi. Donc [ [Michizane] partit la premiere année Engl, année du coq, g seconde du métal, au premier mois. Il regrettait fort la capitale; et on dit que, comme le vent d’Est vint in souf- tier, lui suggérant un premier vers, il composa une l poésie. La voici : T 4


0 I M A T S U my Quand souftlera la brise d’Est, Envoyez·moi votre parfum, O fleurs de prunier ! Bien que n'ayant plus de maitre, N’oubliez pas le printemps. C'est ainsi qu’il chanta. Et voila que ce prunier-ci poussa en une nuit. [Michizane] en fut dans le plus grand étonnement. C’était un prunier qu'il avait planté lui—méme dans son jardin a la capitale et qu’il aimait entre tous; touché du sentiment de cette poésie, cet ° arbre était venu ici. C’est pour cela qu'on lui donna le nom de Prunier-Volant. Et quant au Pin que voici, il vint ici sur les traces du prunier; aussl l'a-t-on appelé le a Pin qui suit ». Plus tard, [Michlzane] monta sur la hauteur nommée Tempai pour y prier le dieu Brahma, ¢t fut élevé par lui au rang de Temman-Daijizai·Tenjin. Ayant été fait Daliizai par Brahma, il était certain qu’il retournerait un jour a la capitale. Par la suite, il arriva Quantité de prodiges. La seiziéme année Engl, devenu ldieu de] la foudre, il vint it la capitale, y accomplit des choses eifrayantes et détruisit ses calomniateurs. Dans la suite il y fut adoré sous le nom de Temma-Tenjin de Kitano. A cause de tout cela, on vénére ces deux arbres dans les chapelles de ses temples sous les noms de dleu du Pin qui suit et de dieu du Prunier·Rose. Toujours assis, il se tourne vers le waki, et reprend sur le ton du dialogue: En somme, comme je vous l'ai dit tout d’abord, je ne connais pas de détails bien partlculiers. Voila tout ce que j’ai entendu raconter. Mais je m'étonne de la ques- tion que vous m'avez posée tout in l'heure. `


me c 1 N Q N 6 . WAKI. I A ma questlon vous avez bien voulu répondre par un récit détaillé; je vous en remercie. Voici simplement · pourquoi je vous ai interrogé. je suis un habitant d'Umezu at l'Ouest de la capitale (‘). je suis un tidéle [du ( temple] de Kitano et j'y porte souvent mes pas. Or, en un songe merveilleux envoyé par le ciel, il m'a été dit: I 4: Si tu crois en moi, va m’honorer au temple d’Anraku ' en Tsukushi. » C’est pourquoi je me suis haté de faire _ ce pélerinage. Mais avant vous, un vieillard et un jeune homme sont venus qui nous ont parlé avec obligeancc. comme vous l’avez fait vous-meme, et qui soudain ont disparu in nos regards. Cela nous a paru tres étrange, et c’est pourquol je vous ai interrogé. Al. . { Ahl quelle chose extraordinaire entends-je la? Autant que j'en puis juger, ce sont siirement les dieux du · Vieux·Pin et du Prunier-Rose qui se sont montrés in vous et ont conversé avec vous. Si vous croyez qu’il a 1 di`1 en étre réellement ainsi, excitez en vous une fervcur I sans mélange, et jc pense que vous serez encore témoins d’autres merveilles. wax!. · I Telle est aussi notre pensée. Nous voulons demeurer , ici quelque temps, et voir encore d'autres merveilles. { A1. l Si vous demeurez ici, veuillez vous adresser encore in I moi pour ce dont vous aurez besoin. ` ‘ wax:. » Nous nous confions a vous pour toute chose.


0 I M A T S U wg Al. je suis A votre disposition. ll salue, se reléve et retourne h la colonne du kydgen, d'oi1 il rentre bientbt dans le Icagami no ma. DEUXIEME PABTIE SCENE v. wA1u et WAKl—ZURE. O bonheur! Puisqu’il en est ainsi (bis), A l'ombre de ce pin, arrétons notre voyage; Qyand mugira le vent, in l’heure du tigre (‘), Attendons la révélation divine (bis). Introduction instrumentale; le tambourin ia baguettes se joint i1l’orchestre. Entrée du nocbi-jite. ll porte une des coif- fures et un des masques spécialement réservés aux dieux, le grand pantalon évasé et la tunique 5 larges manches; il tient Péventail h la main. ll s’arréte sur le pont, é la hauteur du premier pin. Nocn-u-jrrra. Eh bien! Seigneur Prunier·Rose! A nos hotes de cette nuit Quelle réjouissance allons-nous offrir? CHGUR. Comme merveilleusement le printemps se léve! $111*1*12. Le Pmnier revét ses couleurs, c1-1¤au1z. Et quant au Pin,


nw cxuq N6 surra. Son nom dit un vleil arbre, mais sa verdure est jeune. cr-nczua. Le ciel étend sa pureté, et pure y passe la muslque des ‘ [dieux. sums. On chante des chants, on danse des danses. (ll entre en scene.) cn-ncsu:. Et du bugalm (‘) joué dans le temple I L'écho remplit [l'espace]. Ah! quelle lvresse! scmva vn. Danse sbin no jo (°). sckma vn. , SHITE. Arrété au daisbd-mae, l’éventail levé devant la figure, il chante : { Des branches qui pointent, Pendant les répliques suivantes, il execute une nouvelle danse plus courte et plus animée. ~ cuaaun. Des branches qui pointent, Les rameaux font A ce ieune arbre (’) des manches tleurles. sums. Et du vieil arbre, du Pin voicl le dieu. ;


F , I ormnrsu nu 1 y ‘cu¤aun. T Et du vieil arbre, du Pin voici le dieu. i Qu’ll (‘) vive jusqu’£1 mille et huit mille generations, jus- ' [qu'£1 ce que le galet Q Devienne un grand rocher et que la mousse y croisse! Q sr-urs. F jusqu’é ce que la mousse y croisse, qu’ll demeure! Du , h pin, du bambou, de la grue, de la tortue cuuaun. U Qpe la longévité soit accordée A ce Seigneur! g · a Protege le cours de ses ans! » c’est l’ordre que m'ont [donné les dieux. y C'cst ce que dit la brise dans les pins. Que d'elle Et du prunier le printemps soit éternel Dans la félicité! T ` · ’ Q l; , ul _,{_


NOTES

Page 98 :

(*) Ce rôle est supprime le plus souvent.

Page 99 :

(*) Seki, postes établis sur quelques points importants des routes de l’Empire, pour la surveillance et la police des voyageurs. Le fait d’en laisser les portes ouvertes et de permettre à tous de circuler librement à travers le pays est un signe de la grande tranquillité qui y règne.

Page 100 :

(•) L’un des noms poétiques du Japon.

(') L’ensemble des mers.

(') Présents échangés par les empereurs et les rois, et marchandises apportées dans un but commercial.

(‘) Tous les bateaux devaient aborder dans le voisinage de Dazaifu, ou les voyageurs devaient passer en arrivant au Japon.

(') Ce michiruki n’est employe que par les ecoles du Imati- gakari ; celles du shimo-gakari ont le suivant, qui est un type excellent du · chant de la route », 'indiquant d’un mot quelques-uns des points remarquables du chemin suivi par le voyageur :

Sur Ueno passe la brise printaniere (bis),
Et son murmure court le long de la plage de Fukei.
Voici que ie m’eloigne de la Porte d’Akashi.
Ah I combien est incertain le ciel du voyage l
Les greves de Harima s’etendent encore bien loin.
Du port de Muro voici les femmes amies
Et les barques joyeuses ou l’on se quitte au matin. Voici les feux follets ;
Au pays de Tsukushi je suis arrivé (bis).

_ ` E ")

O I M A T S U 113 Ueno est un petit port ou, apres avoir descendu la rlviere depuis Yamazaki, non loin de Kyoto, iusqu’a la mer, l’on s’em- barquait pour traverser le golfe de Naniwa, aujourd’hui Osaka. La plage de Fukei est sur le bord oriental de ce golfe, qu’a l’0uest la Porte ou detroit d’Akashi fait communiquer avec la Mer Interieure en longeant la province ‘de Harima. Muro, aujourd’hui Murotsu, est un petit port sur cette mer, autrefois tres frequente; les filles de joie, chanteuses et danseuses qu’on appelait Muro-gimi, y recevaient les voyageurs dans ces sortes de barques de plaisance nommees asa{uma·b1me, du nom du pays ou elles furent d’abord en usage, Asazuma dans la pro- vince d’0mi. Shiranui designe des lueurs phosphorescentes, sortes de feux follets paraissant sur la mer pendant les nuits d’ete; la frequence de ce phenomeme dans quelques anses du Kyushu a fait que ce mot est souvent associe au nom de ce pays en qualite de · mot·appui ·, makura-Icoloba. (‘) Les ebats du rossignol voltigeant de branche en branche sous les fleurs, sont compares aux mouvements de la navette ou de l’aigui11e a travers les brins qu’el1e serre. Cette image se retrouve dans plusieurs poesies anciennes, notamment dans ce tanka du K0ki1I3h‘|Z(HVfG I) : Uguisu no Le rossignol Kam ni mm cho Tresse un chapeau, dit-on. Um no ham: Des fleurs du prunier; Orite Icasasaom, j’en cueillerai pour en orner ma tete; Oi kakuru ya to. Peut·etre cacheroI1t·elles ma vieillesse. (") D’apres une ancienne croyance, le pin crolt pendant cent · ans; a ce moment sa force epuisee se renouvelle en • revenant A son origlne •, et une nouvelle periode de croissance de cent ans commence. Apres dix de ces • renouvellements •, le pin deurit. C’est ce qu’exprlme l’expression to-gaerl, · dix retours ·, souvent appliquee au pin. (’) Un dieu protecteur des feuilles, hcpmori no kami, est men- tionne par divers ouvrages. Ici le pin lui est assimile a cause de sa verdure eternelle. Page 101 : (*) Emprunt a un rad (poeme chinois) celebre de Ki no Yoshimochi, poete du commencement du x' siec1e_( Wakcm reef sim). La traduction · tendues vers la brise » ne rend pas exacte- ment l’expression kaze evo cue, litteralement : • poursuivant la brise •, avec le sens de recherche et d’attente anxieuse. (’) Sous Plntluence du Ry0bu·shint0, dans la plupart des 8


1--*** c 1 14 Q 11 o H4

  • ,0,,,,,;,, on honorait A la fois des divinites sbintolques

wnP'°’ ':0¤,,.ges bouddhiques; de IA l’expression mira-dera, q ¤¤ fzepiourgnt. A Anraku-ii, le hongon, principal personnage d·';0n,_ gmt Yakushi (Baishajyaguru). D?.) Aneien nom du japon. La • voie de Shikishima · est la Powe. GrAce A Michizane qui en est le dieu protecteur, elle sera eternelle. (•) Allusion A une poesie du Koktnshé, l. VI, exprimant cette idee assez eourante que les fleurs ressemblent A des tlocons de neige deposes sur les branches. Ume no hasta Ces Heurs de prunier Sore to mo eaten, Ne semblent pas des fleurs; Hisakata no L’immensite Ama-gin yuki no Du ciel est voilee d’une beige Nabete furereba, Qui tombe de tous cotes. (') Allusion A une legende locale. La 2° annee Kenkyu (1191). des pelerlns qui avaient casse une branche de prunier pour l’emporter en souvenir, entendirent en songe une voix qui leur disait : . Nasake aaks Sans pitié Ora lnuo tsuraelu, Des gens cruels ont brlse Waga yada no Un rameau élance du prunier Anm svasuremo Qui n’oublia pas le maltre Une no tach£·e wo. De sa demeure. 0 (SM1:-hokivuhd. 1. XIX.) Dans cette traduuion, il a fallu intervertir l’ordre des 3* et x _ 5• vers. Page 102 : 0 (•) Shine-etasva, cordes de paille ornoes de bandelettes de papier; insigne sacré du shlntoisme. (’) En realite, les deux arbres devraient etre de meme Age; 0 mais chaque printemps semble apporter au prunier une ieunesse nouvelle. Page 108 : (*) Le Tempai-zan. 0 (*) Les pins sont compares aux pavlllons d‘un palais. (•) L’ornement bien connu qui couronne les stops. 0 (•) • Tentures vertes, alcove rouge · sont des expressions 0 consacrees signmant le luxe et la splendeur d’une demeure. Les pins dont les domes imitent les pavillons d‘un palais deploient L I


r ` 0 I M A T S U 1 15 I » leur verdure, tandis que rougeoie le soleil couchant entre les r bambous; et ces teintes rappellent l’eclat de la premiere fortune de Michlzane. (') Le Kwanzeon-ji. ‘ (°) Les obligations morales de respect, d’afl'ection, de recon- naissance, resultant des rapports soclaux. Allusion e l’amour et a la ddelite que montrerent le prunier et le pin. Page 104 : (*) To (chinois, 'Pang) et au vers precedent, Kan (Han), designent slmplement la Chine en general. Le personnage dont il s’agit est l’empereur Ngai, des Tsln (362-365). Le Tun chan Bf kia tchou dit seulernent que les fleurs s’ouvraient lorsque l’empereur se livrait e l’etude. (') En chlnols, fat-fou ou ta·fo••, l’un des titres ofhciels de la hlerarchie. _ I') La dynastie des Ts’ln. ` (•) La premiere mention de ce fait se trouve dans les Annales principales du Che ki. On y llt que Ts’in Che houang·ti etant alle au ’1"ai chan, non pour chasser, mais pour y elever des seem et y odrir un sacridce, fut e son retour surpris par la pluie, et pour s’en garantir se refugia sous un arbre. En memolre de ce fait, cet arbre, dont l’essence n’est pas indlquee, ‘ recut le titre de won ta fou. Des auteurs posterieurs ont etabll qu’il s'agissait d’un pin, et plus tard on eleva a cette place un · arc de triomphe avec l’inscription Woes ta foes song. Cf. Les Mémoires historiques de Se-ma Ts’ie••, traduction Chavannes, t. un P- [40. Page 105 : (‘) Le meme qu’a Kltano, c’est-e·dlre Temman, en iaponais Ama·mitsu comme porte le texte. (') C’est-a-dire prenant l’aspect de dieux. Il est de regle qu’avant de disparaitre, le shite laisse entendre d’une facon ou d’une autre, par un mot ou un prodlge, queue est sa veritable nature. ~ Page 108 : - . (*) Ce genre de repetitions est frequent dans les nb. — Page, 109 : (‘) Environ 3 heures du matin.


us U C I N Q N O ` 1 Page 110 : (*) Danses et musiques anclennes, importees principalement I de la Chine, en usage au palais imperial et dans quelques grands temples. Il n’y a plus auiourd’hui de corps de musicians et de danseurs qui les executent qu’au palais imperial et au temple d’Itsukushima. _. (’) C'est la danse des dieux apparaissant sous la forme de Y vieillards : elle est d'une extreme lenteur et d’une grande solen- I nite. { I') Le Prunier-Rose. 5 Page 111 : 5 (•) A partir d’lci c’est de l’Empereur qu’i1 s’agit. Ce vers et lc l sulvant reprodulsent une celebre poesie anonyme du Kokinslzé. l. VII : Waga kim! wa Mon Seigneur [mille generations Chi yo nl ya chi yo ni _Iusqu’a mille generations, jusqu’a dix Sasare-ish! no Qu’il demeure jusqu’a ce que le galet Iwac to naritc, Devienne un grand rocher ` Kok: no masse made. Et que la mousse y croisse. On sait que, depuis x87¤, elle est devenue le texte du chant national iaponais, avec une legere modification du premier vers: Kimi ga yo wa, ·· Le regne du Seigneur ·, au lieu de Waga kiwi wa, • Mon Seigneur ·. Elle paralt avoir ete particulierement en honneur de tout temps; la preface du Kobinslui y fait deja allu- sion; les no de souhaits heureux la citent souvent; le premier saslti du no Yum!-Yawata notamment la donne sous la formc adoptee pour le chant national.

A-` . I q 2... {1.


Q ill •··‘ X ‘ _ vn I 3. , K Eh °’. " E ····—— I ,_ ‘—-"‘=.—·· H t PAI KWANZE SRAM! M0'I'0KlY0 N 0 T I C E Tsumom appartient zi la seconde classe de no : dest un shura·mono; l'esprit dun guerrier y apparait d un moine· dont les prieres le tirent de la Voie des Asuras (shura-d6), et lui obtiennent le salut. Les pieces de cette classe, comme nous l'a·vons deja dit, occupent toujours le second rang sur les programmes. . (Euvre de Seami Motokzyo, comme Oimatsu, Atsumori est egalement cite par lui dans ses Opuscules, et est par consequent anterieur d I4 3 5. Cette piece dut etre autre- fois, comme elle l’est encore aujourdbui, tenue en parti- culiere estime, car elle fut au programme des grandes l


uw crnq NO executions qui eurent lieu zi Kyoto en 1464, sur les bords de la petite riviere 7`adasu, pres du temple de Sbimo-Camo. Peut-etre dailleurs les raisons de cette estime se tirent-elles autant du sujet que de -la valeur propre de_ a la piece elle—meme. Taira no Atsumori est un des per- sonnages 'qui, de tout temps, ont excite le plus de sym- patbie emue dans toutes les classes de la societejaponaise. Le recit de sa mort et de l' entree en religion de son meur- trser, K umagai no jiro Naorane, est un de ceux que repetaient le plus volontiers les cbanteurs du Heike mono- gatari; avant que le sarugaku ne s’empardt de ce sujet, le dengaku avait dejd un Atsumori no nb, qui devait etre une de ses meilleures pieces, car elle fut repre- sentee lors des grandes executions solennelles de dengaku donnees zi Kyoto en 1446, et les diverses formes dart _ dramatique ou lyrique nees depuis cette epoque Pont toutes repris et traite d leur tour. Lf} La mort d'Atsumori est un des episodes, le dernier, de la grande bataille dlclnlno-tani, gagnee au commence- ` ment de 1 184 par les Minatomo sur les Taira, pendant ` les guerres qui amenerent le triompbe definite] des pre- miers et Petablissement du sbégunat de K amakura. On connait ces deux grandes familles, toutes deux de rang imperial, dont les luttes ensanglanterent le xu• siecle. Celle des Taira fut toute puissante pendant la seconde moitie de ce siécle, surtout durant le temps qu’elle eut d sa tete le terrible K iyomori. Mais celui-ci mourut en 1 181 , apres s’etre rendu odieux par sa tyrannie et ses exces, au moment ou le cbef de clan adverse, Minamoto · no Yoritomo, Paine des fls jadis epargnes de Yosbitomo, injligeait ei ses armes leur premier ecbec. Son fils, l'inca·


- · A 'l' S U M 0 R I 1 xg pable Munemori, lui succeda comme ebef du clan qu'il devait bientdt conduire d une ruine irrémediable. lmpuis· sant d arreter les progres des Minamoto commandes par Kiso no Yosbinaha, il avait quitte Kyoto, entrainant tout son clan d sa suite et emmenant avec lui l'empereur Antoku, égé de cinq ans. Apres avoir ecboué dans sa ten» tative detablissement au K ydsbu, il vint s’installer d Yasbima, province de Sanulri dans le Sbilwku. Au com- mencement de l’année 1 184, proftant des dissensions de ses adversaires, il rentre dans le Hondé et reoccupe l’an- · cien pews de Kijromori, Fukubara, ou du moins son em- placement (‘). · ll avait avec lui une armée tres forte, grossie de now- . veaux adbérents; on y comptait des généraux de talent; malbeureusement Munemori leur imposait ses vues, les foreait e une defensive injustqiee, ne leur permettaitméme pas de se eouvrir et de se protéger ef/ieacement. L’armée occupait aux environs de la ville actuelle de Kébe, le pied des montagnes depuis le bois et la riviere d’lkuta qui cou- vraient son front principal jusqu’au deld de Suma. Maitresse absolue de la mer, elle avait sa retraite assurée par ses bateaux qui couvraient le rivage de la baie de Suma. Sa gaucbe était protegee per les montagnes, dont la cbaine, se rapprocbant peu zi peu de la mer, ne laisse plus, au deld de Sum, qu’un defile tres étroit, eouvert d'un épais bois de pins, entre le rivage et ses contreforts. Entre les derniers de ceux-ci s’ou·vrent trois ravins etroits, profondément encaisses, qu’on désigne par leur numéro d'ordre, lcbi·no-tani, Ni-no·tani, San-·no·tani. Ld etait le front arriere de l’armee des Taira. Le contrefort qui sépare les deux premieres de ces val- (°) Celui du faubourg de Kobe qui porte encore ce nom.


no c 1 N Q N 6 = lees, lchi-no-tani et Ni-no-tani, est couronne par un pla- teau de tres peu d’etendue, sur lequel lamontagne descend abrupte, et dont les trois autres cotes tombent eux-memes d pic, d’une centaine de metres de baut environ. Aujour- d’bui encore on ny accede que par un etroit chemin en lacets. La vue en est d’ailleurs merveilleuse. A l’epoque. protegee par une montagne que l'on pouvait croire in- . franchissable, la position etait assurement tres forte et devait paraitre inexpugnable. C ’est ld que Munemori . _ etablit le ec palais provisoire » de l’empereur, dont une miserable chapelle au milieu d’une etroite reserve menagee entre des maisons de plaisance marque seule aujourdbui femplacement. Luimeme et quelques autres des princi- paux du clan s’installerent autour du palais; et des defenses legeres, palissades et murs de bois, enclorent ce supreme reduit de la defense. Les Minomoto tenaient K yoto, mais ilsnQv disposaient pas _de forces egales zi celles de leurs adversaires. Pourtant l’ex~empereur Go-Sbirakawa, quigouvernait au nom deson petitfils Go—Toba, intronise apres la fuite d’Antohu, etait __ tourmente du desir de rentrer en possession des trois insignes sacres du pouvoir, l’Epee, le Miroir et la Perle, restes aux mains des Taira. ll donna aux deux freres de Yoritomo, Noriyori et Yosbitsune, qui commandaient l’armee de K ydto, l’ordre d’attaquer. Malgre leur infe- riorite numerique, ceux—ci n’besitent pas. Noriyori avec 50.000 bommes environ marche directement vers lkuta, ou ses assauts resteront impuissants contre les retranche- ments defendus par Tomomori. Pendant ce temps Yosbitsune, avec 20.000 bommes seulement (‘), mais (‘) Le Gempei seisut ki, dont il sera question plus loin, ne lui GD doune que I0.000. Ces CIHBTGS DG pl'¢S¢Il(Qll d°8iII¢UI"S AUCUDC


conjiant dans la valeur des vieilles bandes du Kwantd et emporte par l’ardeur de ses vingt·cinq ans, se lance a marche forcee d travers la province de Tamba, pour tourner la position des Taira et l’attaquer par l’arriere. Munemori semble n’avoir pas cru d la possibilite de cette manoeuvre, car, malgre les instances des autres chefs, il n’avait consenti d detacher dans cette direction, sur le versant oppose des montagnes, qu’un corps dobservation — insufjisant de 7.000 bommes. Celui-ci s’etait retranche a Mikusa en Harima, d’ou il surveillait les debouches de plu- sieurs vallees; mais surpris par une attaque de nuit que Yosbitsunejit executer d la lueur des incendies malgre la fatigue de ses troupes, il fut mis en complete deroute. Deux jours apres, Yosbitsune, franchissant les monta- gnes, arrivait devant les retranchements du defile de · Suma. Ce meme soir un des Taira, Tsunemori, frere de Munemori, donnait dans sa residence une fete, dont les echos arrivaient jusqu’au camp des assiegeants : fete su- préme, a·t-on dit, devant la defaite et la mort entrevues. Yosbitsune avaitjuge la situation : il n’enlevera pas de vive force ces retranchements que garnissent des troupes superieures en nombre d celles qu’il peut lancer contre eux. Ce palais, ce fort qui semblent inaccessibles, doivent etre mal defendus du acre ou la montagne les protege si bien ,· c’est ld qu’il faut frapper. E mmenant avec lui un petit nombre de compagnons intrepides, il gravit la montagne qui en suit la cré`tejusqu’au-dessus du fort, sous la conduite d’ un jeune paysan. Le terrain est impraticable ; seuls les cerfs se risquent en de pareils endroits, avait dit le guide. 4: Alors nous passerons, avait répondu

certitude historique ; il n’y a d’assuré que l'infériorité numérique de l'armée des Minamoto. 122 C I N Q N O Yosbitsune; aussi bien que les eerfs, nos cbevaux ont quatre pieds. » lls passent en efet. Deux obevaux tout barnacbes sont d'abord lanees sur la pente vertigineuse ; l’un arrive en bas sain et sauf. L'epreuve parait suffi- sante, et toute la troupe degringolant te versant abrupt parvient sur le plateau. Comme l'avait prevn Yosbitsune, le fort etait mal garde. On ne redoutait guere une attaque si improbable de ce edte; tout le monde etait aux retranebements ou la bataille faisait rage. La cbarge furieuse de Yosbitsune et de ses compagnons a vite raison des rares defenseurs restes sur le plateau. Le feu est mis aux bétiments; les jtammes, la fumee se voient jusque d’lkuta. Le trouble, l’inquietude se repandent dans les rangs des Taira qui se sententprives d'un puissant point dappui et eraignentde se voir eoupes de la mer, tandis qu'une ardeur nouvelle anime les assaillants; et bientot la retraite se preeipiee en deroute. A lcbi-no-tani meme, malgre les eforts des cbefs, dont beaueoup sont tues dans la melee, dest la panique,· la ‘ fuite epouvantée des deux imperatrekes douairieres, de l’empereur et de quelques gardes se jetant au bateau impe- rial qu’on arme en toute bdte, l’apparition inexplicable d’une poignee d’ennemzs sur le plateau répuzé inviolable, ont frappe les eombattants de stupeur,· les uns apres les autres, suivant le groupe imperial, ils courent aux ba- teaux; et bientot la mer est eouverte de cette immense jlotte _ en desordre qui s’eloigne d force de rames. [ Laissons parler maintenant le Gcmpci scisui ki (‘), qui 1 (•) Les grandcs gucrrcs de cette époquc ont été racontéés, il faudrait prcsquc dire chantéés, au xm' siéclc, dans plusicurs ouvragcs, parmi lésqucls lcs plus célébrcs sont lc Heike mono- gatart ct lc Gempei seisui kt, dont op no connatt pas les auteurs.


. Y'- ·- ` ; A T S U M O R I m3 va nous raconter le dernier épisode de cette bataille et la _ mort d’Atsumori : Ld') es Le dernier des jils du conseiller maitre des bdtiments impériaux Tsunemori (*), le mukwan tayu (*) Atsumori, avail revétu, par dessus un hitatarc (‘) de brocart a fond bleu foncé, une armure de la teinte des jeunes pousses, et était coifé d' un casque a étoiles blancbes ,· il portait am arc a garniture de rotin, et dix-buit jtécbes empen- nies de queue de béron ; il montait un cbeval bai clair. Tout seul (‘), voulant atteindre le bateau ou le nouveau chiinagon (') est parvenu a monter, il lance son cbeval Tous deux sont d’al1leurs des oeuvres plus litteraires qu’l1isto· riques a proprement parler. et font penser a nos chansons de ` geste. Les recits herolques du premier devinrent rapidement tres populaires, grace a l’usage qu’en Brent les chanteurs ambu- lants, recitant A la foule attroupée les exploits des anciens guer- riers sur une melopee accompagnee par le blwa. Ces recits, peut-etre par suite de leur popularite meme, subirent des modi- fications importantes : il existe diverses recensions du Heike monogatart; la plus connue, en dehors du texte courant, est celle dite de Nagato. Ces memes récits furent repris et deve- loppes peu apres leur apparition par le Gempei sdsut bt. Ils furent moins populaires sous cette forme que sous la precedente. Le passage traduit ici est extrait du 38• livre du Gempei seisul ki. (*) Taira no Tsunemori, l’un des freres du grand Kiyomori; son titre officiel etait shurt tayu, haut fonctionnaire charge de l’entretien, des reparations et de la construction des palais imperlaux. (’) Titre donne aux jeunes gens de grande famille auxquels leur naissance donnait droit au clnquieme rang de cour, mais qui ne l’avaient pas encore obtenu. (') Vetement qui se portait sous l’armure: veste a bords tom- bant droit, et s’engageant dans la ceinture du pantalon large hakama. (‘) Reste le dernier a terre apres l'embarquement de toute l’arméc. (') Titre de Tomomori, qui commandait le front d’Ikuta.


a la nage, et l’intervalle d’un ch6 (‘), tantot paraissant au-dessus des flats, tantdt submergé, il est emporté par eux.

ec A ce moment, Kumagai no jiro Naogane, homme du · pays de Musashi [agité de cette pensée] : •< Ah ! que je as voudrais lutter corps à corps avec un adversaire as digne de moi! » apparait sur le rivage qu'il fouille du regard de l'Est a l’Ouest. Il apercoit Atsumori, et soudain poussant son cheval dans la mer, il crie .· as C’est bien un as général que j’apercois. Ab ! qu’il est indigne de vous de as vous jeter ainsi a la mer ! Revenez, revenez ! Celui << qui vous parle ainsi, c’est le premier guerrier du as Japon, Kumagai no Jirô Naozane, homme du pays de . ec Musashi. » A ces mots, — quelle fut la pensée d’Atsumori ? — il tourne la tête de son cheval et le fait nager vers la plage. A peine les pieds de son cheval ont·ils touché le fond, il jette au loin son arc et ses flèches, tire son sabre, et le tenant levé au-dessus de son front, gravit la pente du rivage en appelant son adversaire à grands cris. Mais Kumagai l’attendait et était en garde ; sans le laisser arriver jusqu'à terre, il fait bondir son cheval dont les sabots font jaillir l'écume ; les sabots se joignent, les deux guerriers se saisissent à bras le corps et tombent avec un bruit sourd sur le rivage à la lisière battue des vagues. Deux fois, trois fois ils roulent l’un sur l’autre, tantôt dessus, tantôt dessous. Mais Atsumori est jeune et sans force; Kumagai est un vieux guerrier : a la fin, il prend le dessus. De ses genoux, il presse vigoureusement à gauche et à droite les épauliéres de l’armure de son adversaire, et Atsumori ne peut plus faire un mouvement. Kumagai tire sa

(') Un peu plus de cent mètres. Arsumonr in dague et va lui trancber la téte. Mais il jette un regard sous le casque; il voit un en fant de noble maison de quin{e ei sei{e ans, au fard leger, aux dents soigneusement noir- cies, et qui sourit. K umagai s'écrie .· as Hélas! quelle cbose ¢ cruelle! Quel est donc le sort de ceux qui portent l' arc on et les jtécbes (‘) ? Et comment porter le glaive sur ce or noble enfant si jeune et si beau? » Et il sent son coeur fasblir. as Or ca, de qui donc étes-vous jils ? » demande- t-il. Mais Atsumori lui répond .· as Hdte,{—vous seule- or mentdeme frapper. » —<< Aprés vous avoirfrappé, si as ie vous abandonne au milieu de la tourbe des soldats, il or njr aura plus de recours ('). A un bumble barbare des ¢ pays de l’Est, ignorant tout sentiment délicat, étes—vous 4 résolu de ne pas vous nommer? Vous aveg sans doute ¢ raison; pourtant une pensée m’est venue, et c'est pour- ¢ quoi je vous parle ainsi. » Mais Atsumori songe: es Que 4 je me homme ou que ie ne me nomme pas, je ne puis 4: ecbapper d la mort. D’ailleurs la pensée qu’il doit ¢ avoir, dest surement de se faire gloire de cette action as déclat. Mais notre lutte et ma mort sont les consé- ¢ quences de nos rapports dans une existence anté- ¢ rieure (‘). Cependant il faut répondre au mal par le ¢ bknfait (‘). Puisqu’il en est ainsi, je me nommerai (‘) Metaphore designant les guerriers; nous dirions : ceux qui portent Pepée. Naozane se plaint de la cruauté du sort qui Poblige, en sa qualite de soldat, A tuer un pareil adversaire. (’) Il sera impossible de rendre A vos restes les honneurs qui leur sont dus. ’ (’) Tout ce qui arrive eu cette vie est la consequence du karma d’une existence nntérieure. Atsumori reconnalt cette verlte et se soumet A son sort. i (‘) En échange du coup mortel. Atsumori va faire A Kumagai i cette faveur de se nommer et ainsi de lui permettre de tirer glolre de sa victoire sur un personnage de haut rang. I


donc. » ll pense ainsi, et: et Si vous aver en efet quel- que pensee, faites-la moi connaitre. je suis le dernier des fils du conseiller maitre des bétiments iinperiaux Tsunemori, frere cadet du defunt moine-regent ('); comme je n'ai pas encore de rang de cour, on nfappelle le mukwan tayu Atsumori, et j’ai seize ans. » A ces mots, Kumagai versant d’abondantes larmes : an Helas ! que votre sort est malheureux! Ainsi vous etes du meme âge que Kojiro (')! Oui, en verite, cela doit etre. Meme en un coeur aussi dur que la pierre et le bois (‘), l’amour pour un enfant l’emporte sur toutes choses. A plus forte rai- son, s'ils perdaient un etre si extraordinairement digne d'etre aime, de quelle douleur un pere, une mere, ne seraient-ils pas tortures? Et surtout, d’etre du meme âge que Kojiro, vous me devener cher. je veux vous sauver. Vous ave; d’ailleurs le coeur courageux: guer- rier fugitif et malgre votre jeune dge, vous etes revenu sur vos pas pour lutter avec celui qui se nommait le premier guerrier du japon. je vous ai pris pour un grand general. Mais c’est ici une guerre d'interét pu- blic (‘). Ah ! quel malheur ! Et que faire ? » Accable de

(•) Dajo nyudo, titre donné à Kiyomori après qu’il eut pris l'habit de moine, sans cesser de gouverner.

(’) Kojirô Naote, le fils de Kumagai, qui avait été blesse le jour meme aux cotés de son père.

(’) C’est de lui-même que Kumagai parle ici.

(•) Kumagai veut dire que si son seul intéret était en jeu, il épargnerait son adverseire. Mais il doit compte de ses actes à tout son parti; it n’est pcs libre; et d‘ailleurs sa générosite serait inutile, comme il va l'insinuer. Le Heike inonogatari presente les choses un peu différemment. I1 améne a ce moment sur la plage une troupe de soldats des Genji commandés par Doi no Sanehira, dont l'arrivée coupe court aux hésitntlons de Naozene.


A T s U M 0 R I m tristesse, il reste un instant plongé dans ses rejlexions . ec Tandis qu'en avant, en arriere, on luttait, on succom- or bait, on faisait partout des prises, a lcbi-no-tani or K umagai lui—me`me a fait écbapper un ennemi qu’il a venait de terrasser, et quelqu’autre l’a pris! Que cela e soit dit de moi et que cela passe a mes descendants, e’est a la perte a jamais de la reputation de qui porte l’arc et or les jtécbes. » ll est absorbé dans cette pensée. ll dit alors : on Par quelque moyen que ce fzit, j'aurais an voulu vous sauver. Mais a terre tout est occupé par les on Genji (‘),· il vous est tout a fait impossible d'éebapper. as Naoqane priera de tout son pouvoir pour votre salut. A a l’ombre des brins d'berbe de votre tombe vous en sereq a témoin. _/amais je ne négligerai ce devoir. » ll dit, et fermant les yeux, les dents serrées, et laissant couler ses larmes, il lui trancbe la téte. Ce fut une chose ajreuse, il n’est pas besoin de le dire. er Atsumori n'a pas craint la mort, son coeur ne s’est point abaissé. Bien que dans un age tendre, il s’est élevé uu-dessus de l’ordinaire. Les bommes des Heike, jusqu’ au moment ou ils étaient frappés, ne perdaient rien de la délieatesse de leurs sentiments. Ce seigneur [Atsumori], pensant que, meme dans ce camp de guerre, pendant ses loisirs, il pourrait en jouer, portait enveloppée dans un fourreau de brocart délicatement parfumé et passe dans les attaches de son armure, une flute de bambou de C bine de coloration gracieuse. En l'apercevant, K umagai s’etrie : as Hélas! ces derniers jours, et ee matin encore, c dans le fort le son des instruments s' est fait entendre; (*) Genji, et plus bas, Heike, expressions si¤o·jap0naises designant respectlvement les partisans des Minamoto et ceux des Tairn.


2* U 5 128 C I N Q N 0 _ •< c'était done lui qui jouait I Dans l’armée des Genji, •¢ parmi les digaines de mille cavaliers qui sont venus I •< des pays de l’Est, il ny en a pas un seul qui jaue de la •< jlute. A qubi donc tient·il que les jeunes seigneurs des •¤ Heike sont d’une si grande délicatesse de sentiments ?» E En parlant ainsi, il restait immobile versant des larmes. 4 •¤ Quant a cette jlute, le pére d’Atsum0ri, Tsunemori, qui enjouait babilement, avait envayé au pays de S6 (‘) { cent onces de paudre d'ar, et en avait fait venir une tige de bambou de Cbine; il en a·vait cboisi le meilleur entre- nceud, et en a·vait fait enlever un des nmuds; pai: il . avait ordonné zi Myéun, abbé de Tendai (‘), antérieure— ment s6j6 ('), de le déposer sur l'autel des pratiques se- erétes et dy faire durant sept jours des priéres magiques ,· enfin, il l’a·vait fait arner de gravures avec le plus grand soin. Parmi ses jils. Atsumari était doué de talents particuliers; aussi, des Page de sept ans, lui avait- il danné cette jlzite, et celui-ei la possédait aepuis ee temps. A ce moment (‘), la nuit était avancée et taut était calme,·c'est pourquaian l'appela Saeda ('). K umagai, pcrtant dans ses mains la jlute et la téte, ·vint auprés de j son jils Kojiré. a Regarde ceci, dit—il ; il s’était nommé le 4 •< mukwan tayu Atsumori, jils du seigneur maitre des (*) En chinois Song, nom de la dynastie qui regnait alors en Chino. (') L’abbe du grand monastere Enryaku·j1, centre de la sectc . Tendai. — (•) Le plus elevé des titres de la hiérarchie bouddhique. Les l sojé nvaient rang de conseillers d’Etat. , (•) Au moment ou Atsumori reeut cette Bute. (') Saeda, petite branche, rameau. L’auteur explique ce nom au moyen d’un jeu de mots entre saetareba, · le calme régnnit ·, · et saeda, ou meta. Q


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§¤"" · ATSUMORI 1w as bdtiments impériaux, et dgé de sei{e ans. faurais voulu as le sauver. En songeant a lafin que te réservent l’arc et er les jtécbes, ab! quelle douleur j ’éprou·ve d' un pareil er malbeur! Mime quand Nao(ane ne sera plus de ce er monde, tu deoras a·vec une grande piété prier pour son ‘ as existence future. » Telles furent ses recommandations. - 2 ` Aprés cela, des sentiments de foi s'excitérent dans son .` caeur, et dans la suite, il ne prix plus part aux combats. » _ Le Heike monogatari raconte aussi la mort d' Atsumori ; le récit qu’il en donne est substantiellement identique a celui qu’on vient de lire, mais plus succinct et moins adroitement conduit. Par contre, la recension dite de Nagato, liore X V I, ajoute quelques nouveaux détails que nous résumons ici. Outre la jlute, on trouva sur le cadavre du jeune bomme un mince rouleau de papier contenant une poésie de sa composition, un naga-uta, dans lequel, aprés a·voir célébré les cbarmes des quatre saisons de l’an- née, il faisait en quelque sorte ses adieux a la vie et pré- _ ·voyait que son corps serait or enterré sous la mousse d’lcb1> no-tani ». Le lendemain, K umagai cbargeait deux de ses suivants de conduire les restes d’Atsumori jusqu’a Ya- sbima en Sbikoku, et de les remettre zi sa faznille a·vec une lettre de sa main, lettre dont le texte est donné en cbinois. ‘ Une simple barque de pécbe leur jit traverser la Mer lnté- rieure. A Yasbima, ils furent accueillis par des trans- ports de douleur, auxquels Tsunemori jit tréve pour répondre a K umagai par une lettre empreinte d’une baute resignation bouddbique, et dont le texte est également donne en cbinois. La guerre était de·venue odieuse a K umagai ; il demanda et obtint son congé et reprit la route de K ydto. A ce mo-


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ment, retiri dans un repzi de la inontagne qui sléleve a l’Est de la ville, le moine Genku, connu dans l’bistoire sous le titre de Honen sbonin, expliquait d quelques dis- ciples les principes de la doctrine de la Terre-Pure et pre- ludait d la fondationde la secte de la Terre—Pure, jodo. Sa reputation était grande. C ’est auprés de lui que Kumagai alla se refugier et chercher la paix. Avant de franchir le seuil de la retraite du saint bonune et de lui demander l’babit qui le séparerait du monde, Kumagai, dit-on, s'ar· réta sous les pins qui couvraient la montagne, attacha son cheval d l’un d’eux et suspendit son armure aux branches d’un autre. En avant du grand temple de Kurodani élevé d la place de l'ancien ermitage, on montre encore aujour· d’bui, en souvenir de ce fait, deux grands pins, qui sont l’objet de beaucoup de soins. On ne revit plus le dur sol- dat que le bdton de voyage a la main, parcourant le pays pour pricher la doctrine de son maitre. C ’est ainsi que le représente fintéressant portrait conserve dans le trésor du inonastére de K urodani . On y garde précieusement aussi quelques objets a son usage, armes, objets de piété, etc., notarnment son grand sabre de bataille et l'énorme pilon dont il se servait pour décortiquer le rie de la comrnunauté, sa force le faisant choisir pour cette rude besogne. E t la légende veut que tous ses travaux et toutes ses priéres n’aient jamais eu que ce seul but, le salut d’Atsumori. ` Car la légende est ici fort mélée d l'bistoire. Kumagai s’est bien fait maine sous la direction de Genku; mais cela n’arriva qu’en 1 192, soit buit ans aprés la bataille d’Ichi· no·tani, ez pour d'autres raisons que le meurtre d’Atsu— l mori. D’un caractére violent et dq/icile qui l’avait antérieurement fait passer du parti des Taira d celui des l Minamoto, K umagai ne se orut pas dans la suite apprécié {


ATSUMORI nu ei sa juste valeur par Yoritomo; il s'estima lese dans le reglement d’un diferend au sujet de territoires qu’il dis- putait a K uge no Naomitsu. C ’est a la suite de deboiresde ° ce genre que, encore dans la force de l'dge, il abandonna sa maison a son jils et se retira d Kurodani. ll est cepen- dont fort possible et tres admissible que, dans cette nou- velle voie, le souvenir d'/Itsumori lui soit souvent revenu, mele de quelque amertume et d’un peu de remords. Sur une petite eminence voisine du temple, se faisant face de cbaque cole du sentier, se`dressent deux petits stupa de pierre: ce sont, dit-on, les tombes de K umagai et d’Atsumori. La toucbante pensee de reconciliation dans la mort qu’ils expriment fera aussi la conclusion du nd que nous allons voir. L’un au moins de ces stupa n'est sans doute qu'un simple symbole. S’il est tres vraisemblable que Kumagai fut enterre tout pres du monastere ou il avait vecu, il l'est beaucoup moins qu’apres des annees . les restes d'/Itsumori aient eu transferes a Kyoto. D’autre part, d peu de distance d’Icbi>no—tani, a San-no- _ tani, on montre un autre stxipa de pierre, plus grand et fort ancien, qui lui aussi, dit-on, recouvre la tombe d’Atsumori. ll est difjicile de savoir ee qu’il en est en realite, et si ce monument marque autre cbose que la place upproximative ou suocomba le malbeureuxjeune bomme. ° ` Toutefois, il est encore venere aujourd’bui, et lors de la · guerreo russo-japonaise, les officiers d' une garnison voi- sine y jirent dresser en ex-voto la baute colonne de bois a _ tete sculptee qui est une des formes du stupa. Ajoutons d ce propos que le temple de Suma, Suma-dera, garde quel- ques reliques d’Atsumori, notamment une armure, qu’on ` dit lui avoir appartenu, un kakcmono le representant d cbeval avec son armure de bataille, une statuette sans


iat c 1 N Q N 6 interét artistique, attribuee faussement sans doute d K umagai. etc. Lfa Tels sont les elements dont l 'auteur disposait. Il est loin ‘ de les avoir utilises tous. Il ne reproduit ni le Heike mo- gatari, ni le Gcmpei sensui ki; ti ces aneiennes cbroniques, il emprunte un sujet bistorique, mais il le traite fort librement. Le combat et la mort d'Atsumori que celles-ci racontent longuement tiennent peu de place dans son oeuvre. Nous le verrons ailleurs mettre simplement en scene un passage du Heike monogatari, et d proprement parler, tirer une piece d’un roman ,· mais ce n'est pas le cas ici : la piece est absolument diyerente des oeuvres qui l’ont inspiree, et l’auteur y fait preu·ve d’une incontes- table originalite. En quelle mesure s'inspira-t-il de l’Atsum0ri no nb du dengaku? La question est insoluble, cette piece ne nous etant pas parvenue. Mais telle que nous la connaissons, son oeuvre est bien a lui et veritablement nouvelle, encore que traitant un sujet aneien. Le tbeme general des nd de cette categorie est, on_le sait, _ l’apparition d un maine de l’esprit d’un guerrier, d’abord sous une forme etrangere, ensuite sous celle qu’il revetit en ce monde. L’idee de faire de ce moine preeisement Rensei, l' ancien K umagai, le meurtrier meme d’Atsumori, ‘ est une conception vraiment dramatique qui donne zi cette piece un caractere particulier. ll faut en dire autant de l’air de jizite qui accueille le moine d son arri·vee ii lcbi- no-tani et qui doit sujire d reveiller aber lui les souvenirs de la fete donnee par Tsunemori, la veille de la bataille, fete dont il avait alors percu les ecbos eloignes, et de la jliite trouvee le lendemain sur le cada·vre d’/ltsumori. L'auteur ne le dit pas, et il ny a pas lieu de s’en etonner: cette discretion est bien dans le genie de la poesie japo-


ATSUMORI xx noise, et l’auditoire est asseg averti. L’epa1sode des _/tutes celebres est zi la verite un pur bors·d'¢zu·vre, languissant et insipide d notre gout, mais dont la precabsite fut sans doute eppreaee autrefois. Mais, par les plaintes des mi- serebles babitants de Suma, par la confession des erreurs des Taira, par le recit de leur fuite et de leurs sou frances sur une gre·ve inbospitaliere, l’auteur a repandu sur toute son a·:u·vre une teinte generate de tristesse douce, de resi- gnation d la fatalite, qui cbarme encore les auditeurs . d’auj0urd’bui. La reprobation jetée sur les Taira et leur administration ne doit pas surprendre ; les Asbihaga, qui detenaient le pouvoir sbdgunal ti l’époque ou cette piece fut ecrite, descendaient des Minamoto. Lfb Au point de ·vue tecbnique, Atsumori donne lieu d peu de remarques. La forme en est reguliere, been qu’il ny ait pus de rongi. Le remplacement de l’issci par un shidai ti O lentrée du shite, et le transfert du kusc, avec le kuri et le sashi qui le precedent, zi la deuxieme partie, ne consti- ` tuent pas d proprement parler des irrégularites. ` Comme pour Oimatsu, le texte transcrit et traduit est _ celui de l’ecole K wanqe. Le texte de l ’intermede est celui de l’Ai shimaitsuki, reproduit avec quelques tres légeres vuriantes dans le N6 no shiori. _ . ·¤?•• 594

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ATSUMORI




PERSONNAGES.


MAE-JITE. — Un faucheur.
NOCHI-JITE. — L’esprit de Taira no Atsumori.
TSURE. — Un faucheur (1).
WAKI. — Le moine Rensei.


À partir de la fin du michiyuki, la scène est sur la plage de Suma, à Ichi-no-tani.

PREMIERE PARTIE

Scène I

Introduction instrumentale. Entrée du waki en costume de bonze : sumbdsbi, sorte de bonnet pointu de couleur brune serré par une bandelette nouée derrière la téte et terminé en arrière par un large couvre-nuque; mi{u-gvromo, longue blouse ouverte sur le haut de la poitrine, croisée et serrée à la taille par une ceinture; pantalon large sans ornements. Il tient un rosaire a la main, et un éventail est passé dans sa ceinture. Il s’avance jusqu’au nanori·{a.

WAKI.

Puisque ce monde n’est qu’un songe, s’en réveiller (bis)
Et le rejeter, c’est être dans le réel (1).

Le chœur répète ces deux vers en sourdine.

WAKI.

je suis Kumagai no _lir6 Naozane, homme du pays de Musashi, qui ai quitté ma famille et me suis fait moine sous le nom de Rensei. Par l'excés de mon regret d’avoir porté la main sur Atsumori, je suis devenu tel que vous me voyez. Et malntenant, je me propose de descendre à Ichi-no-tani et d’y prier pour la délivrance d’Atsumori. ·

Il fait le dappai.

Des neuf enceintes
Du séjour des nues (2), comme des nuages sort la lune, je pars (bis),
Et vers le midi toumant mon humble char (3),
Je dépasse Yodo Yamazaki (4) ;
Voici le lac de Koya (5) et la riviére Ikuta (6),

ru CINQ NO

•< Les vagues ici tout pres, ·c'est la baie de Suma! »(‘) A lchi·no-tani je suis arrive (bis). ` _|’ai fait diligence et me voici arrivé a lchi·no·tani, au pays de Tsu. En vérité, le passé me revient a la pensée i comme si c'était aujourd’hui. Et voici que sur ce plateau résonnent les sons d’une tlOte._|e vais attendre ces gens; . je veux les interroger en detail sur toutes les choses de = ces lieux. ` R ` Il va s’asseoir a droite, au pied de la colonne du waki. R SCENE 11. N Introduction instrumentale. Entrée du more et du shite dans ” cet ordre. lls ne sont pas masqués. Ils portent le dan-vwsbime, vétement tissé de fils de soie alternativement bruts et teints produisant des dessins géométriques, employe autrefois u comme vétement de cérémonie, et l’6-gucbi, large pantalon { tres simple sans ornements ni dessins. Par-dessus le dam { nosbime, ils ont le I¢ak¢·bita¢au, veste courte ne croisant pas ( sur la poitrine et dont les cbtés tombant droit sont retenus 1 par une ceinture tres simple, kosbi-obi, nouée en avant. Cha- i cun d’eux a l’éventail passé dans la‘ceinture et porte sur } l’épaule un bambou auquel sont attachées quelques herbes. lls viennent se placer au milieu de la scene, en face l’un de l’autre, Ie sbitc a gauche. ? s1-ima et TSURE. § Aux sons de la flute des faucheurs se méle (bis) Q Le souffle du vent [qui passe] sur la lande. Le chcnur répete ces vers en sourdine. snrrn. i Les jeunes gens Fauchant sur cette colline, traversent la lande; , C’est l’heure du retour, a la tombée du solr. 1 é E i i a I N


Awsumonr .¤» surrs et Tsuma. Au bord de la mer de Suma, bien court, hélasl est le “ Qui méne is ma maison et en raméne, [chemin S’enfonce dans la montagne et ressort sur la gréve (‘): Et de ma vie tristes sont ici les labeurs. Ah! si l’on m’interroge, ' Moi aussi je répondrai que ie me désole solitaire A la baie de Suma, · Chargé d’herbes salées (‘). Si l’on savait qui je suis (bis), . ]’aurais moi aussi des compagnons; Mais c’est trop [d’infortune], et de ma misére Les plus intimes memes se sont éloignés. [ronge]; je dois demeurer ici, c’est la pensée unique [qui me Et je traine ma vie, abandonné au malheur (bis). _ Le tsun remonte vers la droite; le sbite se rapproche de la colonne du shite. scEN1·: m. WAKI. Hola! je voudrais demander quelque chose aux fau- cheurs qui sont la. sn-irre. Est-ce at nous que vous parlez? Q_ue désirez-vous savoir? wluu. . Est-ce l’un de vous qui jouait de la fliite touta l’heure? ’ sn-ure. _ - Oui, c’est l’un de nous qui jouait. 5 ( L


lp c 1 N o N 0 wma. Ah! c’est charmant! C'est la un art qui n’est guére de votre condition, mais cela n’en est que plus charmant. su-im;. Un art qul n’est pas de notre condition, avez-vous dit! Mais ne lit-on pas quelque part: or N’envle pas qui est au·dessus de tol, ne méprise pas qui est au-dessousav? ° Tsune. Et de plus sous le nom de sbdka et de balmteki ('), sn-nrrs et Tsumz La flute des faucheurs, le chant des bucherons Ont pris place dans les vers des poétes Et sont célébres dans le monde. De notre flute de bam- [bou si vous avez entendu Les sons, ne vous étonnez donc point. - wax!. En vérlté, en vérité, cela est juste. Alnsi donc, le sbéka, le bokuteki, surrn. La flute des faucheurs, wluu. Le chant des bucherons, surre. [Sont comme une] musique qui [accompagne] la traver- [sée de ce monde d’illusion (‘). _ __ wax:. ' Et le chant,


A T S U M O R I 141 surre. L Et la danse, wana. . -` Et la flute (‘), _ si-ure. Et la musique (') ci-naaun. L Sont passe·temps Que chacun choisit in son gré. De bambou flotté (bis) Sont faits le Rameau et le Bris·de-Cigale; et divers Et nombreux sont les noms des flutes [célébres]; S’il s’agit de celles dont jouent les faucheurs, [mais » De celle-ci le nom, Sachez-le,· est la Feuille·Verte ('). Au rivage de Sumiyoshi, Ce sera la flute de Corée (‘). Celle que voici, en bois des sauneries du Suma, C’est, sachez-le, le Tison-lnconsumé (‘) des pé- [cheurs (bis). Le isure se retire par la porte de service. Le sbite remonte, remet au lzdkm le bambou chargé d’herbes qu'il portait, prend son éventail et redescend. . wana (°). Voila qui est étrange! Les autres faucheurs s’en sont tous allés; vous seul restez ci. Ouelle en est la raison? surre. - Quelle en est la raison, dites-vous? Parmi les vagues du je suis venu écouter une voix qui réconforte (’). [soir, Veuillez faire pour moi les dix prléres ('). 1


142 C I N Q N O _ ` wnu. C’est chose facile, et je ferai pour vous les dix priéres. Mais, a ce propos, qui donc étes-vous? · sn-arm. A vous dire le vrai, je suis un parent d’Atsumori. wruu. Un de_ ses parents! En l’entendant, mon cczur est ému, dit-il, et joignant les mains (‘) (il s’agenouil!e): Ado- ration a Amitabha Buddha! SHITB ct WAKI (agenouillés, les mains jointes). . as Si j’obtiens !’illumination, dans les mondes des dizr [directions, Tous ceux _qui m’invoqueront, je les sauverai et n’en [rejetterai aucun (’). » lls se relevent. cn-nczun. Ah! ne me rejetez pas! Alors qu’un seul cri doit sufiire ('), Tous les jours, toutes les nuits, ses priéres Se sont élevées [pour moi]. O bonheur! Mon nom, je ne vous !’ai pas dit; mais celui dont, matin et soir, Tourné [vers le Buddha], vous avez demandé la dé!i· _ [vrance, C’est moi. Et tandis qu'il laisse tomber ces mots, Sa forme s’évanouit et disparait aux regards (bis). Le sbitc rentre dans le kagumi no ma.


= A T s U M 0 R 1 us INTEBMEDE Al (il se leve et s’avanc• sur la scene jusqu‘au nanoriqa). Moi que voici, je suis un habitant de la baie de Suma, dans la province de Tsu. Aujourd'hui, je veux m'en aller sur la gréve et me donner quelque distraction. (Apercevam le wah.) Tiensl d’ou vient donc ce moine et comment se trouve·t-il la? wnuu. je suis un moine qui viens de la province de Musashi. Eteswous de ce pays-ci? Al. Parfaitement, je suis de ce pays. WAKI. En ce cas, j'aurais quelque chose a vous demandcr. Veuillez vous approcher. A1. ]'obéis. (ll vient s’asseoir devant le waki.) Et qu'est-ce donc que vous voulez me demander? wam. C’est la, sans doute, une demande bien extraordinaire, mais si vous connaissez l’histoire de la fin d’Atsumori en ce lieu, veuillez me la raconter. A1. Ouelle question inattendue vous me posez lal Pour- tant, comme il seralt diflicile de vous dire que je n’en I connais rien, je vais vous en raconter tout ce que j'•n suis.


I44 c 1 N Q N 6 wax:. Eh bien! racontez donc. Al (il se tourne vers le public). Or donc, a l’automne de la 2* année juei, les Taira se virent enlever la capitale par Kiso Sama no kami Yoshi- naka et vinrent s’établir ici. lls occupérent avec de ` grandes forces tout l’espace entre le bois d’lkuta et Ichi- no-tani, et s’y fortifiérent avec beaucoup de soin et de précautions. Fut-ce parce que les gens des Taira aimaient a s’amuser de chants et de poésies, tandis que les Mina- - moto des provinces de l’Est se livraient avec ardeur a la chasse, in la péche, a [tous les exercices de] l’arc et des fléches? [Toujours est-il que], avec plus de soixante mille cavaliers divisés en deux corps, ceux—ci attaquérent a la fois le front et l’arriére et infligérent [aux Taira] une défaite complete. Des gens du clan eurent la téte coupée apres leur mort, d'autres furent faits prisonniers. Ceux qui restaient se jetérent dans les bateaux et se réfugié· rent au Shikoku et dans les pays de l’Ouest. Parmi eux [se trouvait] le muhwrm tayu Atsumori; voulant lui aussi s'embarquer, il vint au rivage. Mais un homme de la province de Musashi, Kumagai nojiro Noazane, l’apercut: << Voila un adversaire digne de moi », se dit-il; et il lui crle : an O vous qui vous enfuyez la-bas, vous devez étre du clan des Heike. Revenez! »Et il le rappelle de son éventail déployé. Ainsi appelé, [Atsumori] revlent; sur · le bord de la mer, ils se saisissent a bras le corps et tombent lourdement de cheval. Mais Kumagai était un vieux guerrier tres fort, il eut aisément le dessus, et tout en s’apitoyant sur lui, il lui coupa la téte. En examinant le cadavre, on trouva sur lui une flilte enveloppée dans un fourreau de brocart; on la montra au general en


a A T s U M 0 R 1 nas chef, et tous ceux qui la virent versérent des larmes, a ce que j’ai entendu dire. A la vérité, on dit bien que ce Kumagai a été touché d’un sentiment religleux et qu'il prie pour la délivrance d’Atsumori; mais c’est une chose invraisemblable. Et la raison, c’est que si son coeur avait été capable d’étre touché par un sentiment religieux, il aurait du alors épargner [Atsumori]; puisqu’il ne l’a pas épargné, il n’a siirement du étre touché d’aucun senti- ment. En tout _cas, en quelque état qu'il soit, qu’ll vienne ici, ce Kumagall je le tue et je l'offre a Atsumori en gage de vénération l (I1 se tourne vers le waki.) Mais je m’étonne fort de la question que vous m’avez posée tout a l’heure. Y wana. ? Vous m’avez parlé avec beaucoup d’obllgeance; je Q _ vous remercie. Eh bien, je suis cet ancien Kumagal; j’ai l quitté ma famille et je suis moine sous le nom de Rensei; i et c’est dans l’intention de prier pour la délivrance

d’Atsumori que je suis venu jusqu’ici.

Q A1. . l Oh! vous étes le seigneur Kumagai d'autrefois?]'igno· { rais qui vous étiez; j’ai dit quelques petites choses sans { importance, j’en ai grand regret. On dit que ceux qui

 sont puissants dans le mal sont aussi puissants dans le

l bien; cela doit si.`1rement étre vrai de vous. je pense , qu’Atsumori doit étre trés heureux de vos dispositions j et les avoir pour agréables. De plus en plus, veuillez ° prier pour lul avec ferveur. I · waxr. { Telle est bien aussi mon intention. je veux m’arréter ‘ ici quelque temps, et y prier avec ferveur pour Atsumorl. I I0 +


Q ra cxwo no » m. Si vous restez ici, adressez·vous encore a moi pour ce dont vous aurez besoin. wma. _|’aurai recours in vous. m. je suis in votre disposition. ll salue le walci, se reléve et retourne in sa place, au pied de la colonne du fond, et de la rentre dans le kagami no ma. DEUXIE ME PAILTIE SCENE rv. , wma. ( Puisqu’il en est ainsi, de la priére pour nos morts (bis) ~ Accomplissant les rites, durant la nuit entiére ‘ U ’• I ’ I I Récitant l invocation, d Atsumori I je veux encore implorer la délivrance (bis). · I I Introduction instrumentale. Entrée du nocbi-jite. ll porte { le masque de jeune homme appelé jérolm, et le chapeau de cour noir dit nasbi-ucbi ebosbi, serré sur le front par une bandelette, bacbi·mal¢i, blanche; les cheveux longs tombent sur les épaules et dans le dos. La veste droite in bords non _ croisés, tigurant l’armure, boppi, et le large pantalon, ban- giri, sont ornés de broderies et de dessins brochés; le sabre est passé dans la ceinture. ll tient l’éventail in la main. Le bras droit est dégagé de la manche, et la partie droite du vétement est ramenée un peu en arriére : c’est la tenue de combat. ¢• Ls-


j 1 A T s U M 0 R I :47 sHl1‘E (entrant en scene). Au rivage d'Awaji i Passent et reviennent les oiseaux de mer; a leurs cris · jc m’éveille (‘). De la barriére de Suma, ou sont donc les · [gardiens? (Tourné vers le waki.) Hola, Rcnscil C’est Atsumori lui· - méme que ·voici. wax!. O prodige! Faisant tinter ma clochette (’) et accom- plissant les rites, pas un instant je ne me suis endormi; ct pouftant pendant ce temps Atsumori serait venu! Ce ne peut étre qu’un réve. SHITE. Et pourquoi donc serait-ce un réve? C’est pour détruire enfin la chaine du karma (‘) de ma vie que j’apparais ici. wnuu. Chose étrange! Une seule invocation a Amitabha Buddha suffit in détruire d’innombrables obstacles lsréés par le] péché; j’ai invoqué ce nom et sans relache q j`ai accompli les rites; en face du mérite de mes priéres, ` quel karma pourrait donc subsister? Autant que la mer sous Ia gréve rocheuse surra. Fit·il profond, le péché est expié et retiré de l’abime (‘). wanu. L’étre devient buddha, et la cause de sa délivrance, _ sn-me. C’est le mérite d’une autre existence ('). Aussi -


ua c 1 N Q N o . wma. Autrefois ennemis, _ sn-u·rs. Maintenant au contraire, wma. En vérité par la loi, sum. Nous sommes devenus amis. _ cucsun. Et cette parole : 4: Rejette un mauvais ami, Appelle a toi un ennemi vertueux », . N’est-ce pas pour lui qu’elle fut dite? O bonheur! O bonheurl 6 reconnaissance! . Eh bien, l’aveu de toutes nos fautes (‘), Oui, durant cette nuit je veux le faire (bis). Le sbite, qui pendant ces derniers vers s‘était approché du waki comme pour lui parler, revient au milieu de la scene et s’asseoit sur le sbdgi apporté par le kdkm. SCENE v. cuceua. Si les fleurs du printemps montent in la cime des arbres, C’est pour nous inviter a chercher l’illumination qui éléve ; y Si la lune d’automne descend au fond des eaux, ° C’est pour nous montrer l’image de la conversion des [Qtres (‘). W · i


ATSUMORI· rg surra. ` Or, tout le clan allongeant les lignes de ses murs, . Se parait du feuillage touffu de branches entrelacées (‘). [Mais cet éclaf cumua. . Put semblable a celui des fleurs de convolvulus qui ne · . [brillent qu’un jour. Ala doctrine qui enseigne le bien Atteindre est diflicile; [le moment favorable] n’est que _ [l'instant Oin brille l’étincelle de la dure pierre a feu, et ils ne l’ont Que leur sort en vérité fut digne de pitiél [pas su. SHITE. Au sommet de la pulssance, ils ont fait souffrir les [humbles; _ cucxzun. Dans la prospérité ils n’ont pas connu leur superbe. Le sbite se léve; le Imse qui suit est dansé, ou plutbt mimé. Ainsi donc, le clan des Talra Posséda la puissance pendant plus de vingt ans. En vérité une génération passe en l’instant d’un réve. Les feuilles de l’automne de juei (‘), Emportées aux quatre vents de la tempéte, Sc sontdispersées de tous cotés. Pauvre feuilles [tombées], Lcurs bateaux (’) étaient ballottés sur la mer; et eux, dans · [leur sommeil sur les vaguesagitées, Pas meme en réve ne se voyaient revenir. I _ Oiseaux prisonniers, ils regrettent les nuages; Oies sauvages regagnant leur pays, leurs files sont » [rompues.


Au cours de leur voyage sous des cieux incertains,
Les jours se succèdent, les mois, l'année
Passent, et au retour du printemps,
Retirés à Ichi-no-tani,
Un moment ils demeurent ici, à la baie de Suma.

SHITE

De la montagne d’arrière (1) le souffle du vent tombait.

CHOEUR

Et la lande était glacée. Au rivage de la mer agitée
Les bateaux étaient attachés ; et de nuit et de jour,
La voix des oiseaux de mer et nos manches
Étaient trempées (2) par les vagues. Sur un oreiller de galets,
Dans les huttes des pécheurs, nous dormions parmi eux,
Ne connaissant (3) plus que des gens de Suma. Entre les pins allongés sur la gréve (4),
Voici s'élever la fumée du soir (5); nous cassons et étendons la bourrée, comme on l'appelle (6),
Plongés dans nos tristes pensées. C’est en ce pays sauvage de Suma
Que nous avions établi notre demeure,
Et nous étions à la fin devenus vraiment des gens de Suma :
A quelle triste extrémité était réduit notre clan !

SHITE

Or, c’était le soir du sixième jour du second mois ; mon père Tsunemori nous avait réunis, et nous chantions des imayô (7) et nous dansions des danses.

WAKI

Ah ! c’était donc là la fête qui fut donnée ce soir-là ! Et Arsumonr in ces délicieux sons de flute qui, de l’intérleur du fort, se firent entendre jusqu'au camp des assiégeants, sum. Oui, de la flute de bambou qu’Atsum0ri porta jusqu'a sa demiére heure, wluu. ° C’étaient les sons; et [cn entendait] des chants, de la musique, sum. _ Des imayd, des rdei; wanu. De volx nembreuses cmzun. A l'uniss0n s’élevaient les chants. scENE v1. i Danse (‘). A scm?. vn <‘>. SHITE (arrété au daisb6·ma¢). Et voila que, la nef impérlale les précédant, cumun. Le clan tout entier a mis ses bateaux a la mer. Ne voulant pas rester en arriére, [Atsum0ri] accourt au rivage. _ [au loin. Mais la nef impériale et les barques des soldats sont déja


15a C 1 N Q N O snrrn. N’ayant plus d'autre ressource, il pousse son cheval dans Son aspect trahit un trouble extréme. [les flots. Mais a ce moment, cucsun. Derriére lui, ` Kumagai no ]ir6 Naozane, Ne voulant pas le laisser échapper, accourt in sa pour- Fait retourner son cheval; [suite. Atsumori alors Parmi les heurts des vagues, il tire son sabre (‘); On le voit frapper deux fois: trois fois : puis sur leurs [chevaux lls se saisissentabras le corps, et sur la lisiére ou viennent [battre les flots, ils tombent l’un sur l’autre. A la En, [Atsumori] est frappé et meurt. De la vie qu'il a perdue Le karma, d'un tour de sa roue, les remet en présence (’). on Mon ennemi, le voila! » crie-t-il, et il veut le frapper. [Mais Celui-ci, lui rendant le bien pour le mal, Récite les invocations rituelles, et grace a ses priéres ('), Finalement ensemble ils renaitront Sur le méme lotus. Non, le moine Rensei N’est pas son ennemi (‘). on Ah ! daignez encore prier pour ma délivrance! » (bis). g¤rJud!>l*.?U"Z 1".I).••;.1 W5"'? •° •¢° \ ·._ °/; rc _ _5`A.•-• . W I'? I { ° 5*


NOTES

Page 186 :

(•) Il peut y avoir deux ou plusieurs tsure.

Page 187 :

(*) L'école Hosho a ici le shidai suivant ;

Aux repos du voyage qu’elle est triste la cloche du soir !
Elle sonne ; c’est l’heure de m’arrêter.

(•) Désignation poétique du palais impérial, et par extension, de la capitale. Les ·· neuf enceintes · sont une allusion aux neuf cercles célestes entourant le mont Sumeru et le sejour des dieux de la mythologie bouddhique. La traduction suit la coupe des vers; il serait plus exact de traduire : · Du séjour des nues aux neuf enceintes.

(•) Le moine voyage à pied, et cette expression n’est ici que symbolique ; mais elle continue le rapprochement anterieurement indique entre le depart du voyageur et le lever de la lune. le mot kuruma pouvant signiiier A la fois un char, et la roue ou le disque de la lune.

(•) Endroit ou l’on s’embarquait d'ordinaire pour descendre la riviere ]usqu’a Osaka.

(•) Lieu ou l'armee des Minamoto commandee par Noriyori avait etabli son camp.

(•) C’est le long de cette riviere que se developpait la ligne principale des retranchements des Taira.

Page 138 :

(1) Citation d’un passage célèbre du Genji monogatari, faisant allusion à l’étroitesse de cette plage. F in cnno No rm no z ] (•) Allusion A Petroitesse de cette plage serree entre les mon- ' tagnes et la mer. (') Alluslon A une poesie celebre attribuee A Arlwara no Yuki- hlra (xx' slecle); banni A Suma, il ecrivit A un de ses Amis reste A la capitale : 1 Wakurawa ni Par grand hasard 1'ou kilo araba. Si quelqu’un t’interr0ge, Suma no um ni Reponds-lui qu’A la bale de Suma, Moshio ture tsulsu Charge d'herbes salees. Wabu to kata: yo. Je vls dans la tristesse. La plage basse et sablonneuse de Suma etait tres favorable A f l‘industrie du sel. qui etait la principale ressource de ses liabl- tants. On extrayait le sel au moyen d’herbes marines sur les- quelles on faisait couler de l'eau de mer ou qu’on trempait dans la mer A plusleu rs reprises. Lorsque le depot lalsse par l'eva· v poration de l’eau etait suflisant, on · brulait · ces herbes, c’est- I A-dire sans doute qu’on faisait dissoudre ce depot dans de l’eau chaude qu’on evaporait par ebullition. Il est A peine besoin d'indiquer que, sous Papparence d’un habltant de Suma, c‘est en reallte Atsumori abandonne par les slens qui parle ici. ` Page 140 : (•) Expressions slno·japonaises tlrees de poesies chlnolses ou elles sont frequentes dans les descriptions de la campagne. Shoka est bien · le chant des bucherons ·, mais bokuteki signine · la flute des pasteurs ·, A laquelle est substituee ici celle des faucheurs. (’) Et distrait de ses miseres. Expression qu’on retrouve ailleurs et qui peut-etre etait courante A cette epoque. L’appli- cation s’en fait aisement A la Bute d’Atsumori. Page 141 : (•) Le texte porte en realite · le jeu des instruments A vent ·; . en fait, on ne connaissait guere en ce genre et on n'employ•.lt ordinairement que diverses especes de iiutes. (*) Asobu, musique d'ensemble, instruments A corde et A vent reunis.


A T S U M O R I 155 (') Ao-bq; on conserve sous ce nom, au Sums-dera, deux flutes anciennes, dont l’une auralt éte celle d’Atsumori. Mais ce n’est lh. semble-t·ll, qu’une tradition locale. (•) Sumiyoshi, petlt port sur la bale d’Osaka, etalt en relations sulvles avec la Coree. Les dleux de Sumiyoshl avaient prete leur concours a la fameuse lmperatrlce jlngo lors de son expe- ditlon dans ce pays. Tous les ans, il s'y tenait un grand marche oi: arrivaient les marchandlses de Chlne et de Coree. (') Bois qui n’a pas eté brtlle, qui reste inutlllse apres que le feu est eteint. (’) On a ici comme un redoublement de la scene III : la piece interrompue un instant par l’eloge des Hates, reprend sa marche reguliere. (’) La mention des vagues du soir est amenee par un mot reporte; elle retarde l’aveu qul paralt touiours sl penlble aux esprits. Le murmure des nots, leur · volx ·, introduit a son tour la • voix qui reconforte ·, celle qui va reciter les prieres deman- dees. {°) Dix recitations du nembutsu, invocation e Amitabha. Page 142 : (*) Il n’est pas rare qu’un personnage parle alnsi de lui·meme in la trolsleme personne et dans la forme du reclt ou de l’lndi— cation scenique. (') Texte d’un des voeux d’Amltabl1a, qu‘on recite en guise de priere. (') A obtenir la dellvrance et le salut. Page 147 : (*) Poesie de Minamoto no Kanemasa, inseree dans le Kinyd- sht, l. IV. Awqibgata Au rivage d’Awa]i · Kayou chidori no Passent et reviennent les oiseaux de mer; Kos kikcba, A leurs cris Hm yo nezamenu Combien de nuits vous etes—vous revelllés, Sum no sekimorl. Gardiens de la barriere de Suma P Impression de solitude et d’abandon; nul bruit, nulle vie sur cette plage quasi deserte, hormis les cris rauques des oiseaux ` de mer, traversant le goulet qui separe Pile d’Awaji de Suma. (’) La recitation de ces prieres est accompagnee ordinaire- 1


ment du tintement d’une clochette ou plutôt d’une sorte de timbre constitue par une petite plaque de métal suspendue a la ceinture et qu’on frappe avec un petit maillet.

(’) Karma ne traduit peut-etre pas très exactement ingsva, la serie des causes et effets, mais pratiquement les deux choses se confondent, et karma est un terme commode.

(•) Ukame, faire flotter, ramener a la surface ce qui avait sombré.

(’) Tashô, expression bouddhique slgniiiant ordinairement une existence antérieure. Le sens en parait légèrement modifie ici, ou elle semble s‘app1iquer a Kumagai.

Page 148 :

(*) Zange, terme bouddhique : regret, repentir, et aussi aveu ou recit de ses fautes. Atsumorl va parler ici au nom de tout le clan des Taira, reconnaissant ses erreurs et faisant amende honorable.

(’) Pour instruire et convertir les hommes en effet, le Buddha a fait descendre sa pure lumiere. s‘est plonge lui-meme au sein de l'humanite.

Page 149 :

(*) Allusion a l’etendue des possessions du clan et au nombre de ses membres.

(’) C‘est au neuvieme mois, environ notre mois d’octobre, que les Taira s’enfuirent de Kyoto et passerent au Kyushu puis au Shikoku, pour revenir a Ichi-no-tani au commencement de l’annee suivante.

(’) Les bateaux sont souvent compares a des feuilles; les . feuilles fournissent donc ici une double image, image des Taira tombes durant l’automne. image des bateaux Hottant sur la mer.

Page 150 :

(¤) Ushiro no yama est le nom de la montagne qui domine Suma.

(•) Shioruru, se fletrir, perdre son éclat ou sa vigueur. Les cris des oiseaux de mer s’eteignent dans le bruit des vagues, dont l’ecume mouille les vêtements des pecheurs et en déteint les couleurs. On connait assez le symbolisme des amples manches des vêtements japonais. A T S U M O R I , i57 (•) Dechus de leur haute situation et reduits A la societe des miserables habitants de Suma. (*) Pins courbes iusqu’e terre par le vent de la mer. (') La fumee des feux des saunlers. (‘) Sheba, broussailles alimentant les feux et dont une couche etendue A terre servait de lit. · Comme on l’appelle ·, car ayant toujours vecu dans l’opulence et loin des campagnes, c’est alors settlement qu’ils ont appris A connaitre le shiba. (’) Formes poetiques chantees tres en vogue A cette epoque, comme plus bas les rod. Les {mayo-ata, ou slmplement {mayo, · poesies modernes ·, comptaient huit vers alternativement de ‘ sept et cinq syllabes, et etaient purement japonalses; les rdei etaient en chlnois et de dimensions variables. Page 151 : (*) Cette danse symbolise la fete donnee par Tsunemori. (') I1 n’y a pas ici de waka; par contre tout le recit qui sult est - dense et mime. Page 152 : . (‘) Le shite jette son eventail, et tire son sabre; suivant le mou- » vement du recit, il en frappe quelques coups, puis simulant une lutte, tombe assis. (‘) Il se releve et, le sabre haut, marche sur le waki, qui frotte son rosaire entre ses mains etendues, symbole de priere. C‘est cu vertu d’un karma anterieur qu’i1s se sont rencontres une Premiere foie, et cette rencontre en a determine un nouveau qui les reunit une seconde tois. (') Le shite recule et retombe assis. (‘) Il iette son sabre, et les mains iointes dans Pattltude de la Pfiere, se tourne vers le wah! pendant le chant du dernler vers.

-Qu? e


‘_1¤- y "'== ~ `_‘¤*¤ , " - U . I I in in __ U "‘: _ KOMACHI AU STGPA n nn “ KWANZE KVANAMl KlY0'I‘SUGU Q ··—-—— m NOTICE A classe des kazura-mono, pieces dont le shite est I , une femme, est tres nombreuse et contient de fort [ belles oeuvres. Sotoba-Komachi, as Komaebi au I stupa », est parmi les plus remarquables et les plus ori- 1 ginales; elle se recommande de plus par son aneienneté W ainsi que par la variété des éléments qui entrent dans R sa composition. Ono no Komacbi est l'une de ees intéressantes figures féminines dont s'enorgueillit la littérature elassique joponaise. Figure 2 ombre plutét, ear les traits de so E


I i [ SOTOBA-KOMACHI lx I pbysionomie nous écbappent et ne se laissent guere jixer ,· · en dépit de tous les eforts, elle reste en grande partie mystérieuse : telles les grandes dames de son temps, dont l’ample éventail de cour aux lourds pendentifs voilait toujours d demi les traits aux étrangers. Mais cette ignorance méme ou l’on est demeuré a ser·vi sa mémoire en permettant fagrégatson autour de sa personne de légendes généralement teintées de cette mélancolie senti- mentale ou se plait l’dme japonaise. Ce qu’on sait d'elle se réduit zi pen de chose. Poétesse _ au talent facile et délicat, dont les wuvres dégagent, dit Ki no Tsurayuhi dans la preface du Kokinshh, la méme impression de langueur attacbante qu’une folk femme soufrante, elle vécut un temps beureuse et fétée ei la } cour deja précieuse des empereurs du rx° siécle, et sur- tout d celle de Nimmyé (8 34-8 50). Elle fut aussi célébre pour sa beauté —- beauté selon le gout de l’époque et qui sans doute serait peu admirée auiourd'bui—— que pour ses vers. A lire ce qui nous reste de ses wuores, et c’est fort i peu, on ne peut guére douter qu'elle fut aimée, aima, F connut finconstance et l'aband0n, et ·véout asse.{ pour , i wir sa beauté se jlétrir, Fempressement se ralentir et i l'0ubli commencer d se faire autour d’elle. g Elle devait peu de chose a sa naissance, qui parait } avoir été modeste, et qu'on ne connait pas de facon bien _ certaine. Elle était, dit-on, jille d’Ono no Yosbigane, _ cbef _de district dans la province de Dewa, jils d’Ono i no Taleamura, en son temps poéte estimé, dont quelques

  • cvuvres sont insérées au Kokinshil, et qui remplit

diverses fonctions publiques. C' est du moins I 'opinion commune; mais M. K ume K unitalre en a montré la fra- . gilité dans ses curieuses études sur 4 l'En·vers de l’bis- tcire japonaise dans les commencements de la période I I ‘ I


x6o c 1 N Q N 6 W Heian », Hcian slioki rimcn yori mitaru Nihon rekishi. Y eut-il, comme l’ont suppose quelques·uns, deux Komacbi que les ages suioants auraient confondues en un seul personnage ? C 'est peu vraisemblable et les rai- sons serieuses manquent pour l’etablir. Ce qui est certain, c'est qu’un petit ouvrage intitule Tamatsukuri Komachi sbsui sho, an Grandeur et decadence de Tamatsuleuri · Komacbi », attribue par les uns au fameux moine K ulrai (K obo-daisbi), par les autres, avec beaucoup plus de probabilite d’ailleurs, ci Mzjrosbi no K iyotsura, jouit peu apres de quelque celebrite. L'auteur y conte comment il rencontra un jour une oieille mendiante dont il décrit longuement la detresse, et rapporte en sbvle cbinois semi- poétique le recit qu'elle lui _/it de ses splendeurs passees. Sa grande beaute lui await ·valu d’étre admise a la cour et de jouir de la faoeur imperiale; elle etait poetesse et son talent etait admire de tous. Puis le malbeur s’etait abattu sur elle ,· elle a·vait perdu tous les membres de sa famille les uns apres les autres; Page etait venu, la laissant seule et sans ressources; ex elle se trouoait enjin reduite ci la misere la plus profonde. E t l’auteur fait la»dessus quelques rejlexions sur l'instabilite de toutes . cboses. Il est asse:{ oraisemblable que l’beroine de ce petit ouorage a·eaqicatton bouddbique est purement legendaire. W Neanmoins, son nom, sa qualite de poetesse, la premiere partie de son bistoire rappelaient trop Ono no Komacbi pour qu’on ne fut pas amene a identyier les deux per- sonnages. On ne sa·vait rien des dernieres annees de la celebre poetesse : ce petit li·vre oenait combler cette lacune de la faybon la plus beureuse. Et les predicateurs boud· ‘ dbistes y trouoaient un tbeme d soubait. Ainsi naquit la legende de Komacbi oieillie et mendiant sa vie le long


~ SOTOBA-KO-MACHI usr des cbemins (‘). Elle n’avait d'ailleurs rien d'invrai- semblable. Les maeurs et la constitution sociale de l'époque faisaient de la cour un monde tout a part; les gracieux pepizzons qui éclosaient et s'ébattaient a la cbaude lumiere impériale dans cet enclos sans communi? cation avec le debors, n'avaient plus ou se poser lorsqu'ils en étaient sortis; et a un siécle d'intervalle, le sort de l’illustre Sei Sbonagon aura plus d’un point de ressem· blance avec celui qu’on attrsbue a Ono no Komacbi. C ’est cette légende qui fait le fond du no de Sotoba- Komachi, et quelques passages de cette piece sont tirés du Tamatsukuri Komachi sbsui sho. C ’est le cas notam- . ment de la description que fait Komacbi de son ancienne splendeur, de ce qu’elle dit de sa misere actuelle dans son monologue du commencement et dans le beau dialogue du rongi. Mais l’auteur en use tres librement avec le texte dont il s’inspire; il l’abrége souvent, fait un cboix asse.{ sévére parmi tous ses détails et ses longueurs, et y ajoute fréquemment des traits nouveaux. Enjin il transpose adroitement en style poétique de l'époque le style cbi- nois de l’ouvrage qu’il suit. <£ Aussi célébre, et d'ailleurs d’origine et de valeur bisto- rique aussi incertaines que la précédente, est la légende de l’amour malbeureux du général (') de Fukakusa pour (*) Elle fait le sujet de plusieurs oeuvres des peintres et de dessinateurs des ages suivants. (*) La garde imperiale etait divisee en deux corps, dits de gauche et de droite d’apres le cote du palnis qu’ils occupaient. Chacun d’eux avait A sa tete un état-major compose d’un taisho, commandant en chef, d’un chujo et d’un shojo, cornmandants en second. L’of6cier dom il s’agit ici etait shojo. Le terme sho designe aujourd’hui les ofdciers genéraux; nous le traduisons u


tm ctno No la belle poétesse. L’un des fragments qui subsistent de l’Uta rongl, ancien ouvrage aujourd'hui perdu, rapporte l’anecdote suivonte.

<< Autrefois il y eut un bomme qui aimait une femme oruelle. ll lui dit le sentiment de son cceur. La femme, voulant l 'éprouver, placa un escabeau (‘) de cbar d ‘ _ l’endroit ou il venait d'ordinaire lui parler, et lui dit : at Lorsque vous aureg passé cent nuits couché sur cet << escabeau, olors fécouterai ce que vous aureg d me at dire. — C 'est chose facile », répondit l'bomme. Et que la pluie tombdt, que le vent souffldt, qu’il fit sombre, en grand trouble il venait et se coucbait sur l'escabeau. Il inscrivait sur l’escabeau le nombre des nuits qu’il y avait passées. Ainsi il était arrive d la quatre-vingt-dix-new viéme nuit. ll partit en disant : as Que je coucbe encore at ici ce soir, et demain vous ne pourreg plus rien me << refuser! » Et il pensait : at Ab! que la nuit revienne at vite! » Mais voila que son pére mourut subitement, et empécbé par ce malbeur, il dut rester cbeg lui. Alors de la maison de cette femme lui fut envoyée cette  : . Alzatsuki no Les marques faites au matin Sbi ji no basbigaki Sur le bord de Pescabeau Momo yo-gaki ; Ont inscrit cent nuits ; Kimi no konu yo wa Mais la nuit ou vous ne vintes pas, Ware ro ltaru kalm. C’est moi qui l’ai comptée (*). » C ’était la parodie d'une poésie connue, insérée au l. XV du Koklnshuz ‘ donc ici par ·· general •, bien qu’i1 correspondit alors A un grade moins important que le general moderne. (•) slim : sorte de banc assez large et peu eleve sur lequel on faisait reposer les brancards du char apres avoir detelé le boeuf qui le trainait. (•) On lit au l. XX du Manyoshu la poesie suivante qui, comme


SOTOBA-KOMACHI nes I Akatsuki no Au matin Sbiji no banegaki La bécassine lustre ses ailes _ Mama ba·gaIzi; Cent fois; Kimi no konu yo wa Mais les nuits ou tu ne viens pas, Ware {0 kaqu kaku. Moi j’en compte le nombre. C 'est la plainte d’une femme delaissee, dont les nuits solitaires sont plus nombreuses que les coups de bec de la - beeassine lustrant ses ailes, image de cbases frequemment repetees. La raillerie etait oruelle; I 'amant ecanduit comprit qu 'il etait inutile d'insLster et que tout etait ini. lls ne se reoirent pas. Pour les dges suivanls, cette at femme cruelle » fut _ K amacbi, et l’bamme qu’elle repoussa apres lui avoir impose l’epreu·ve des cent nuits fut le general de Fuka— kusa. Toutefois le sentiment populaire modi/ia asse{ beureusement la fin du reeit precedent: c’est le jeune ojicier zameme, et non son pere, qu'il fit mourir avant la centieme nuit, epargnant ainsi d K omacbi l'odieux de nombre d’autres de ce recueil, n’est peut·etre que Passignation d’un rendez·vous. Chichi haha ga Derriere le pavilion Tana no shtrte nt Qu’habitent mes patents Momoyo·gusa |Crolt] l’herbe aux cent nuits; Mamoyo tdemase Cent nuits rendez-vous-y, Waga kitaru made. ]usqu’e ce que je vienne. L’herbe aux cent nuits n’est pas identifiee; on a propose d’y voir tantot le chrysantheme, et tantot la commeline. Son nom · lntroduit · les cent nuits dont il est question ensuite, et qui signillent evidernment au plus · souvent, tous les soirs ·. Mais ce qui n’etait d’abord que metaphore et maniere de dire poetique a. fort bien pu dans la suite etre pris au sens litteral; et il paralt vraisemblable que, si ce n’est celle·ci meme, c’est quelque autre poesie du meme genre qui a dxe le chidre de cent nuits de la legende de Kornachi.


TQ me c 1 N Q N O son conge railleur, et laissant entendre au contraire qu’elle se repentit ensuite de sa folle exigence et pleura longtemps celui qui venait de disparaitre. Quant au general de Fuhahusa, l’bistoire ne connait aucun personnage de ce nom, qui est celui d’un village des environs de K yéto. Toutefois il exista a cette epoque un certain Yosbimine no Munesada qui fut general (sh6j6) de la garde de gaucbe; il etait partzculierement aime de l’empereur Nimmya, qui est connu aussi sous le nom d’empereur de Fukakusa, Fulzakusa Tenna, a cause de l’a[ection qu'il avait pour cet endroit : c’est en souve- nir de cette afection que Fulraleusa futl ensuite cboisi pour le lieu de sa sepulture. Le Yamato monogatari, recueil d'anecd0tes sentimentales ornees de poesies paru vers le milieu du x° siécle, raconte comment, aussitét apres l’enterrement de l’empereur, ce jeune ojficier dis- parut sans qu'on pat savoir ce qu'il etait devenu, et aussi comment plus tard il fut, grace a un ecbange de poesies, reconnu sous un babit de maine miserable par Ono no Komacbi qui avait ete autrefois en relations tres I etroites avec lui. Et la poesie qu'il lui attribue a cette - occasion exbale en efet comme un parfum d’ancien amour mal eteint. Komacbi voulut le revoir et lui parler; sans perdre un instant elle le chercha et le jit rechercher; mais il s'etait derobe en toute bale et demeura introuvable. Ces rapprocbements ont fait supposer que le surnam de l’empereur avait da passer a son favori et que le pseu- ' donyme de general de Fukahusa cacbait le general a Yosbimine no Munesada. Il serait asseg interessant qu 'il ' en fat ainsi ; car celui-ci s'eleva dans la suite aux pzus _ bauts rangs de la bierarcbie bouddbique .· il devint Ie I celebre saja Henja, compte comme Komacbi elle-meme au a nombre des six grands poétes de cette epoque. I


SOTOBA-KOMACHI 1w L'auteur du 1:6 a utilise cette legende d’une facon fort originale, conforme d’ailleurs aux idées du temps. On croyait alors zi la ·vengeance postbume de I 'amour meprise. · Ce n'etait pas asseq d’un regret, fzit-il douloureux, ni meme d’un remords, pour punir la legerete feminine qui s’etait jouee du tourment d’u1: cceur d’bomme. O1: avait imagine une sorte de possession .· I ’esprit du mort venait s'emparer de la coquette, la tourmenter, lui faire mdurer les peines et les tortures qu 'elle a·vait imposees. C’est par une scene de ce genre, dont les n6 ofrent du reste d’autres exemples encore, que se termine cette piece .· Komachi possédee par l’esprit de celui qu’elle a repousse, ou plut6t cet esprit meme qui s'est empare d'elle et parle par sa bouche, nous raconte l’bistoire du passe; Komachi n’existe pendant ce temps que pour souyrir, et ne redevient elle-meme que lorsque la colere du mort s'est satisfaite une fois de plus. C’est cette scene qui jit autrefois dormer zi ce n6 le nom de Komachi monogurui, es la Folie de Komachi ». · I Lf} r Qui a imagine la station de Komachi au stupa du bois L de pins d’Abe1:o (‘), sa rencontre avec des bonqes, et la r a poésie plaisante » qu’elle jit a cette occasion et qui est ` citee a la jin de la scene III 2 On ne le sait, et peut-etre faux-il en faire bonneur d I 'auteur de ce 1:6. Quai qu’il en soit, une partie importante de la piece - tout le dialogue de la scene III —— roule sur quelques points de la mys- iique de l’ecole Sbingon, et notamment sur ce qu’on Pwrrait appeler la tbeorie du stupa, sur le symbolisme (') Le texte de l’ec0le Komparu est d’ai1leurs le seul qui P¤’¢¤isc autant le lieu de la scene. E 1 } ` a


me c 1 N Q N 6 et la signqieation que cette doctrine lui attribue. Il parait indispensable d’en dire quelques mots pour faciliter l'intelligence de ce dialogue. Bien qu’il afecte aussi parfois d'autres formes plus simples ou plus compliquées, le stupa est normalement compose, d’apres cette école, de cinq parties étagées, sym- bolisant originairement et pour ainsi dire au premier de- gré, les cinq éléments du monde materiel. C ’est le gorin-t6. ec stupa des cinq cercles » ou des cinq éléments, ainsi appelés parce qu’ils remplissent le monde et y sont par- tout presents. A la base, un cube représente l’étément ` terre; sur celuici repose une spbere, figure de Félément eau; elle supporte une pyramide quadrangulaire symbo- lisant le feu, dont le sommet, légérement tronqué, recoil la partie convexe d'une demiispbere représentant le vent; I le tout est couronné par le joyau classique (maui nyoi k6ju), jigurant l’espace. Le stzipa brpe, pour ainsi dire, T est en pierre; mais dans la pratique, il se fait aussi I d'autres matériaux. ll en est notamment beaucoup en bois: dans ce cas, les di [érentes formes qui entrent dans sa composition sont simplement seuzpxees d l’extrémite d’un madrier ,· c’est d’un stzipa de ce genre qu’il s’agit dans cette piece. Il peut perdre en quelque sorte toute épaisseur et n'étre qu' une simple plancbe dont on aura entaillé les bords de facon zi y reproduire la succession des angles et des courbes que dessine la superposition de ses difé- z rentes parties; on en -voit de tels en grand nombre dans les cimetiéres. Ce simple scbéma est d'ailleurs conforme d la description classique du stupa qui ne tient compte que d'une des faces du monument ou, si l’on prefere, de sa projection sur un plan paralléle zi une de ses faces. D’aprés cette description, en e [et, il se compose d’un carré, d’un cercle, d' un triangle, d'une as demi·lune », et ; · I I I I


SOTOBA-KOMACHI 167 dune cforme circulaire », cerele ejlle en jlamme d sa partie supérieure, figure du joyau. De plus, cbacune de g ces parties est normalement a [ectee d’un caractere sans- ! crit, plus ou mains sqlise, le premier du nom de l’ele· ment qu'elle represente. D’autres symbolismes encore sont attaches au stupa. Ses divers elements correspondent aux cinq points cardi- naux, soit d partir du bas, au Nord, d l' Ouest, au Sud, d l’Est et au Centre; ils representent les cinq buddbas du Sbingon, soit, toujours dans le meme ordre, §Zalrya— muni sous le nom d'Amogba-Siddbi (Fulru-jojd), Ami- tdbba, Ratnasambbava, Aksobbya et V airocana (Daini- cbi), le buddba ideal supreme, personnqication, si l’on peut ainsi dire, du dharmakéya. Mais c’est surtout de la representation des cinq elements que le stupa tire son importance : c’est par ld qu’il est la figure et en quelque ‘ sorte le résumé de tout le monde materiel dont il reunit ‘ sous une forme ideale les constituants essentiels. Il y a plus : en debors de ces cinq elements, qui sont as prin- eipes » (ri), et ressortissent au garbhadhétu (taizékai), monde des formes, il en existe un autre, la << connais- sance » (shiki), 'qui est << intellect » (chi), et ressortit au vajradh£1tu(k0ng6kai), monde des idees. Ces six elements sont universels, existent en tout etre quel qu’il soit; ils sont inseparables, et l’un entraine les autresj Mais, d’une part, le monde des formes et le monde des idees ne sont pas substantiellement diferents .· its constituent un seul et meme univers considere sous deux aspects; le principe et l’intellect sont identiques, et la connaissance se confond a·vec les autres elements qui sont ses objets. Ce n’est donc pas seulement le monde materiel, mais l’uni·vers entier,_ ou si l’on pre fere, la totalite de l’etre, qui est symbolise, concentre en quelque sorte sous . .1


I ¤m CINQ NO la forme de tous ses elements, dans le stupa. D’autre part, ces elements etanl inseparables dans les etres parti- culiers, dans les divers aegres ou formes d’etre qu’ils constituent, qu’il s'agisse de matiere inanimee, d’étres vivants, d’bommes, de demons ou du Buddba, tous les possedent, tous ont la meme nature fonciere, par leur essence tous sont identiques, et le grand buddba ideal. Vairocana, n’est pas en sa realite fonciere distinct du monde ou du reste des etres. Symbole, mais symbole identique en son fond d ce qu'il represente, resume, sublimation en quelque sorte de l’essence de l'uni·oers, le stdpa est donc aussi et par ld meme le symbole en identite d’essence de V airocana ; il en est la manifestation exterieure sous le symbole des ele- ments du monde; il en est, suivant l'expression technique, la ec forme occasionnelle » (‘) (samaya·gy6); il est bien le corps materiel (shikishin) du Buddba ,· il est meme le Buddba lui-meme, puisqu’il njv a point de distinction reelle entre le corps, l’etre figure, et le Buddba. Ces quelques explications aideront peut-etre zi sui-vre la discussion de Komacbi et des bonres. Attaquee par eux au nom de la saintete du stupa qu’elle n’a pas respectee, l elle se defend en en appelant au grand principe d’iden- E tile sur lequel est fondee cette saintete, et grece d lui, triompbe de ses adversaires, qui jinalement admirent sa { grande connaissance de la loi, et s'inclinent dervant elle. Un mot encore, pour expliquer l’allus:bn qui est faite zi Vajrasattva au cours de cette discussion. , La doctrine du Sbingon, qui recut en Cbine et ensuite E au japon de nouveaux developpements, remonte, d’apres _ (*) Ou dc circonstancc. l I a · - a


· s0TOBA-KOMAcH1 xm la tradition, au grand bindou Ndgdrj una. Au cours d’un voyage dans l'lnde méridionale, il découvrit, cacbée parmi ” de bautes montagnes, une tour de fer ou il penétra. ll y trouva le bodbisattva ideal V ajrasattva (Kongbsatta), qui attendait sa venue. Celui-ci, en e jet, avait été spéciale- ment cbargé par V airocana de lui transmettre la doctrine des deux mondes, avec l’ordre de la répandre. Aussi Vajrasattva est-il représenté comme l’initiateur des tbéories de Sbingon, et notamment dans cette piece, le fondateur du symbolisme du stupa. · La piece se termine beureusement. Les soujfrances eprou- vées par K omacbi lui deviennent salutaires ; grace d elles, elle connait tout le mal qu’elle a fait, les douleurs qu’elle a causées; le repentir s’eveille en son cceur et l’amene a se conjier en la foi bouddbique : nouvel exemple de la puis— sance et des beureux ejfets de cette 4: discordance des con- ditions », qu’elle avait proclamés un instant auparavant devant les moines. V) Sotoba-Komachl est l’un des plus anciens no que nous possedions; il ne peut etre postérieur aux toutes pre- mieres annees du xv° siecle, car son auteur, le premier ' des Kwange, Kwanami K zyotsugu, mourut en 1406. ll semble que son talent, moins souple peut-étre, moins afjine, mais plus vigoureux et plus profond que celui de. son l jils Motokivo, ne se soit jamais mieux afjirme, g eleve plus baut que dans cette piece. Rarement la foi bouddbique s’est exprimée dans les no aussi energiquement qu’elle le fait dans l’uta des moines remplacant le << cbant de la route »; et cette premiere derogation d la forme ordinaire a dejd sa signijication : ilsvivent bien en efet bors du monde, ces moines qui le traversent les yeux fer-


nm CINQ N0 mes zi ses beautes, le caeur insensible d ses afections. Ra- rement aussi on a ose mettre zi la scene une mystique _ aussi relevee que celle qu’expose la discussion de Komachi et des moines. ll faut noter de plus faudacieuse franchise et l'instinct dramatique veritable avec lesquels est amenee la scene finale, celle de la possession. A peine un mot l’a-t-il fait pressentir, et dejd, selon son expression, K omachi est folle, ou plus exactement pcsseaee par l’esprit du mort qu’elle a repousse autrefois. Au point de vue drama- tique. c’est evidemment ld que commence la seconde par- tie de la piece ,·· la transformation du shite, qui caracte- rise normalement celle·ci, est complete des ce moment. Mais elle est tout interieure, et les regles du ne exigent des signes exterieurs 'accusant nettement la distinction des deux parties. Ceux-ci n'apparaissent qu’un peu plus loin, avec le changement de costume, qui pour un instant ‘ va faire de la vieille pauvresse un jeune et brillant cour- tisan, le general de Fukakusa lui—meme. Au point de vue 1 technique, c’est alors seulement quecommence la deuxieme partie. Ainsi qu’il arrive dans plusieurs des pieces attri- huees e K wanami K brotsugu, il nfy a pas d’intermede; le cbangement de costume se fait zi l’arriere-plan, d- la vue des spectateurs. ‘ "` { Pour aneienne qu’elle soit dans l’ensemble, la piece que nous possedons n’en a pas moins subi sans doute quelques legeres retoucbes. D’une au mains nous sommes assures. Seami, dan s l’undeses Opuscules dont nous avons souvent parle, le Nbsaku sho, << Traite de la composition des ne », nous apprend que les auteurs de son epoque, et lui sur- `tout, modqiaient. et parfois refondaient les anciennes { M . l · < ` 4

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SOTOBA·KOMACHI 17: pieces pour les adapter au gout du jour; et dans son Sa- rugaku dangi, an Causerie (explication orale) sur le sam- gaku », il dit : or Komachi etait autrefois un no tres long. Apres les mats : oc Qui sont danc ceux qui passent », le cbant continuait encore longtemps. » Le passage cite, bien qu’nn mot y difere du texte actuel, ne permet pas de douter qu’il s’agisse ici de Sotoba-Komachi, et etablit qu'une coupure au mains y fut pratiquee. Vraisemblable- ment elle le fut par Seami, qui ·voulut abréger, alleger peut-etre l’oeu·vre de son pere. Il n'est pas inoraisem- blable qu’il en ait fait d’autres. On remarquera qu’a la scene IV, les textes du shimo-gakari contiennent sept vers partages en six repliques que n'ont pas les textes du ka- mi·gakari. Des diferences aussi impartantes dans des passages cbantes sont extremement rares,· elles ne s’ex·· pliquent que par un remaniement du texte ,· et d’ap·res ce que nous ·oenons de voir, la probabilite est en fa·veur d'une coupure plutét que d’un allongement, coupure que le kami-gakari seul aurait acceptee. Ajautons que la piece n’ez2t rien perdu sans doute si Seami en avait fait disparaitre la <s poesie plaisante » et le calembour de gout douteux qui terminent la discussion de K omacbi et des ` moines. Mais l’bistoire n’ei2t—elle pas eu ci regretter ces quelques vers, dans lesquels elle pourra peut-etre trouver un oestige d’une epoque ou le comique se melait encore au drame ? <.£ La structure de la piece est tres reguliere; les di je- rentes farmes y sont d’ une grande nettete, et le rongi en particulier peut passer pour un modele du genre. — Nulle part d'ailleurs cette regularite, non plus que la variete des elements mis en oeuvre, ne semblent avoir gene ni


m c 1 N Q N 0 contraint l’auteur, dont la maitrise parait absolue. Tou- tefois il n’a pas utilise la forme composee kuri, sashi, kuse, qui d’ordinaire a un role important dans les no ,· elle semble remplacée ici par le dialogue cbante de- la scene IV. Disons enjin que ce no passe pour un des plus defi- ciles :1 executer. Le manque d'action scenique pendant la plus grande partie de la piece concentre tout l'interet sur quelques attitudes tres simples, sur la diction, le ton et les injtexsons de la voix qui doi·vent etre d’une justesse parfaite. C ’est une dzfjiculte dont seuls peuvent triom- pber les meilleurs acteurs en pleine possession de leur · talent. Nous donnons cette fois le texte de l’ecole Komparu qui nous a semble le plus complet et le mieux tenu de E tous. ( l ‘ 4 `>‘ e . I I ` •. M" I ` E ’“ l

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SOTOBA-KOMACHI




PERSONNAGES.


SHITE. — Ono no Komachi.
WAKI et WAKI-ZURE. — Moines des monastères du mont Kôya.


À partir de la fin de l’uta des moines, la scène est dans le bois de pins d’Abeno, à quelque distance de Kyôto.

PREMIÈRE PARTIE
SCÈNE I.

Introduction instrumentale. Entrée du waki-zure et du waki. Ils portent le costume de moines bouddhiques déjà décrit à propos du nô d’Atsumori. Ils entrent en scène et se placent comme il a été dit pour le nô d’Oimatsu.

waki et waki-zure.

De ces montagnes l'épaisseur est faible, mais le désir de retraite (bis) Est profond en nos coeurs.

Le choeur répete ces vers en sourdine.

WAKI (tourné vers le public).

Nous sommes des moines habitant le mont Koya (‘). En ce moment nous montons a la capitale pour y porter l notre hommage aux vénérables sanctuaires bouddhiques et shintoiques. Le Buddha du passe depuis longtemps nous a quittés : Le Buddha a venir n’a pas encore paru dans le monde.

waki et waki·zure (se faisant face).

Nés en cette durée (‘) d’un songe, Que pouvons-nous crolre réel? Par une rare fortune, nous avons recu la forme humaine, difficile a recevoir, Nous avons rencontré la doctrine du Tathégata difficile à rencontrer (’); , C’est la le germe de l'illumination, Et cette pensée occupe uniquement notre coeur. Pour celui qui, revétu de cette simple robe noire, . SOTOBA—KOMACHI 175 Sait ce que fut son étre avant sa naissance (bis), ll n’est point de parents a aimer; Et s’il n’est point de parents, il n'est point . D’enfants auxquels le cmur doive s’attacher ; Franchir mille lieues n'est pas faire une longue route; Coucher dans la lande, passer les nuits dans la montagne, En vérité c’est chose commune pour qui a quitté [le [monde] (‘) (bis). ° WAKI. — _|’ai fait diligence, et voici l'endroit qu’on appelle le bois de pins d'Abeno du pays de Settsu. je vals me reposer un moment en ce lieu. lls vont s’asseoir au pied de la colonne du waki. soimu 11. Introduction instrumentale. Entrée du sbite. ll porte un masque de vieille femme et a la téte couverte d’un kasa, grand chapeau fait de rotin tressé et verni en noir. ll est vétu _ du nasbime et d’un migwgvromo (') de couleur sombre. ll . s’avance lentement en s’appuyant sur une canne et a plu- sieurs reprises s’arréte comme a bout de forces, pendant la traversée du pont. snrra. _ je ne suis qu’une herbe flottante que nul courant (bis) N’cntraine plus ('). Ah! quelle tristesse! Le chueur répéte ces vers en sourdine. ' surrs. Hélas! autrefois en vérité Mon orgueil fut extréme.

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7-·*‘ A"! rw cruo No Aile de martin-pecheur (‘), ma chevelure soyeuse et [luxuriante Ondulait comme le saule A la brise du printemps. Mes chants étaient ceux du rossignol Mouillés de rosée. Du lespedezza humide de rosée Les tleurs commencant A peine A s’ouvrir Sont admirées; je l'étais davantage. A present aux plus humbles femmes du peuple je parais Et ma honte s’étale aux yeux de tous. [repoussante, Des iours et des mois de douleur se sont accumulés sur Et je suis devenue vieille et centenaire. [moi, Ala capitale, ah! combien je redoute les regards! Si quelqu’un allait dire : 4 Est-ce donc elle? » Et dans la . [nuit commencante, Avec la lune qui se leve, je quitte (bis) Le séjour des nues et le [palais] aux cent assises de Les gardes qui veillent A la colline buchi (') [pierre ('). N'interrogeront pas quelqu’un d’aussi miserable. ®elIe douleur de devoir me cacher sous l’ombre des [arbres (‘)l Voici Toba et Ia Tombe d'amour ('), la colline d'au- ( [tomne_(‘), ' Et sous le cannellier de la lune (’), les bateaux de la ri- · [viere Katsura. Ah! qui sont ceux-IA qui passent en ramant (°)? (bis) C'est ici l'endroit qu’on appelle le bois de pins d'Abeno U au pays de Settsu (’). je suis trop lasse vraiment; je vais m’asseoir sur cet arbre mort et me reposer un moment. ll se découvre, et va s’asseoir sur un siege qu’on apporte 1 A ce moment et qu’on place au milieu de la scene, au daisbd-mae. 1 I


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SOTOBA-KOMACHI 179 SCENE 111. WAKI (se levant). Oh! oh! voyez donc cette mendiante! Ah! que sa décrépitude est effrayante! Mais n'est-ce pas un stiipa sur quoi elle est assise? je vals l’instruire et la faire partir de la. (ll s’avance vers le shite, tandis que le ‘lDdki·.{`1¢1’8 passe derriere celui-ci et va se placer a sa droite.) Hola, men- diante! Ce sur quoi tu es asslse, n’est-ce pas un stflpa, le corps matériel méme du Buddha, a qui est due toute révérence P Quitte cet endroit et va te reposer ailleurs. surnz. Vous parlez de la révérence due au corps matériel du Buddha; mais on ne voit ici aucun caractére, ni aucune _ forme sculptée. ll semble bien que ce ne soit qu’un tronc d'arbre mort. WAKI. Ne f0t—ce plus qu’un arbre mort au fond des monta- [gnes, L’arbre sur lequel se sont épanouies des fleurs ne saurait · l [étre ignoré. A plus forte raison, comment un arbre oi: a été sculpté le corps de Buddha n’aurait-il pas de signe [qui le ré- véle]? snrria. ]e ne suis moi-méme qu’un pauvre arbre enseveli (‘); Si mon cozur a encore des fleurs, [pourtant Pourquoi ne pourraient-elles étre une offrande [au [Buddha]? Mais pour quelle raison est-ce la le corps du Buddha P


rm cruq no wAx1·zuma. Le stupa, c’est Vajrasattva Apparu sous une forme empruntée qui a établi ce sym- [bole (‘). surra. Et quelle est la forme en laquelle il l’a établi P wma. C’est la terre, l’eau, le feu, le vent, l’espace. sums. Les cinq éléments, les cinq cercles, c'est [aussi] le corps [humain; Pourquoi donc vouloir ici une telle separation (’)? Tsuma. La forme matérielle est la méme sans doute, Mais l'essence intime et la vertu sont bien différentes. ’ sum;. Et quelle est donc la vertu du stiipa? wmu. << Un seul regard sur un stupa écarte in jamais des trois [voies malheureuses (‘). » snrra. a Une seule pensée fait naitre au cceur Yillumination (‘) . » Comment ceci serait-il de moindre prix? _ Tsumz. _ Si ton cceur a regu l’illumination, pourquoi ne quittes-tu [pas ce monde d’illusion P


SOTOBA·KOMACHI rm surrz. Par l’extérieur, je ne l'ai point quitté (‘), Mais mon cmur, lui, l’a quitté. wax!. De coeur tu n’en as point certes, Si tu n’as pas reconnu le corps du Buddha. sg-urs. C’est parce que j’ai reconnu le corps du Buddha, que ie me suis approchée de ce stiipa. Tsuma. S’il en est ainsi, pourquoi, au lieu de le vénérer, t’y es-tu [assise? snrrs. Alors que ce stiipa est ainsl étendu, M’est-il donc interdlt de me reposer? WAKI. Cela contrevient a la concordance des conditions (‘). Sl-ll'l‘E. La discordance méme des conditions peut sauver (‘). Tsumz. Et la malice de Devadatta (‘) sr-wm. [Vaut] la miséricorde d’Avaloldtecvara. wma. ` Et la stupldité de Ksudrapanthaka ('),


isa c 1 N Q N o surrs. Uintelligence de Mahjuqri. Tsuns. Et ce qu°on appelle Ie mal si-irrz. Est [la méme chose que] le bien; wax!. Et ce qu’on appelle l‘illusion ° surna. Est [ldentique a] I’illumination (‘). rsumz. oc Uillumination dans son essence snrria. N’est pas un arbre, wax!. _ Et de miroir brillant snrrs. ll n’est pas sur le support. cuozun. t En vérité puisqu’au fond rien n’existe » (‘), Entre le Buddha et les étres il n’est pas de distinction. Puisquassurément il n’y a la(‘) qu’un moyen détourné (bis) [D’acc0mplir] le serment formellement juré De sauver les pauvres humains ignorants, La discordance méme des conditions peut tirer de Alnsi elle parle avec douceur. . [l’abime. . l


I SOTOBA-KOMACHI rw € a Vraiment cette mendiante posséde Pintelligence », [disent Les moines, et courbant leurs fronts jusqu’a terre, lls la saluent par trois fois. Le walzi et le waki-zure se prosternent devant le sbite. snare. Et moi maintenant enhardie, ]’aioute une poésie plaisante ; 4 Si c'était au paradis, certes se serait mal; [t-il (‘) ?» Mais hors de la, sur un stupa, quel inconvenient y a- cn-mzun. Ah ! que Fenseignement de ces moines est difficile (‘) ! (bis). Le waki et le waki-(ure reprennent leur place ordinaire au pied de la colonne. SCENE rv. wax!. Voila une mendiante d'une intelligence extraordi- naire. je veux lui demander quel fut autrefois son nom. Hola,mendiante! Dis-nous le nom que tu portals autre- fois. I SHITB. Eh bien, soit; malgré la honte que j’en éprouve, ie vais vous dire mon nom. Il se leve et fait un pas en avant. Ie suis la fille d'Ono no Yoshizane, chef de district [du pays] de Dewa; Voila a quelle extrémité est réduite Ono no Komachi.


nk cruo NO wma et wAm-zum:. Ah! qu'elle est digne de pitié! Komachi Autrefois fut une femme répandant la ioie. Sa beauté brillait comme une ileur, Le croissant noir de ses sourcils avait des reflets bleus, Et le fard [de ses joues] ne perdait jamais sa blancheur. cnozun. R Ses robes de tin damas superposées nombreuses I Débordaient les pavillons de bois précieux (‘). I sums. Les parures faisaient mon seul souci; caozun. I Hors de ma portée, elles excitaient mes regrets, Sous ma main, elles m’accablaient d’inquiétudes ('). I I · surrs. I Les bandeaux de ma chevelure se courbaient en vagues [bleuissantes: cr-nozun. I Tels des nuages aux teintes vives entourant un sommet [verdoyant. smrz. f Parée de Yélégance de mes robes, , I cuozun. I je ressemblais A la ileur de lotus flottant sur les vagues [au matin. [ s¤—u·rs. I je composais des chants, j’écrivais des poésies; I I ‘ I I I . I I


} W = e -

soronn-Komacnr rw cmzux. La coupe apportant l’ivresse snrre. Mettait sur ma manche la tranquille image de la lune au [ciel étoilél (') · cnczun. Cet 'état si brillant _ Quand donc s’est-il changé a ce point P Ma téte s’est convene d’armoise blanche de givre (’); Les deux bandeaux gracieux de mes cheveux Se sont amincis sur ma chair ; leur jais s’est mélangé. Mes [sourcils, ces] deux fourmis arquées ('), Ont perdu leur teinte de montagnes lointaines. ‘ snrre. as lls ont cent ans, cr-iozun. l ll s’en faut d’un an, mes cheveux cré- [pelés comme des algues » (‘) Pendant [le long de mes joues]. Voila ce que sont mes [pensées ; et dans la clarté de l’aube, Ah! j’ail1onte de mon propre aspect! Dans le sac suspendu a ton cou Qg’as·tu donc mis? ‘ SHITE. Bien que la vie pour le jour présent méme ne soit pas Pour apaiser ma faim demain, [assurée, ’ C’est une galette séche de millet et de féves Qne j’ai mise et conserve en ce sac.


me c 1 N o N o · W cuazun. Et dans le sac que tu portes sur le dos? surrs. , ll y a un vétement souillé de sueur et de poussiére. cn-nczux. Dans le panler de bambou suspendu in ton bras? Q snrre. { ll y a des sagittaires (‘) blanches et noires. I cnoaun. Mon manteau de paille déchiré, l sn-nrrz. t Mon chapeau tout rompu, cr-no-zun. l Ne cachent meme plus mon vlsage. surra. Comment [me défendraient-ils] du givre, de la neige, de [la plule, de la rosée? cr-lawn. Et pour essuyer mes pleurs, je n’ai plus mes larges manches flottantes ('). A présent, errant le long des chemins, je mendle auprés des passants; Et quand on me refuse, un mauvals sentiment, Une folic méme s’empare de mon cmur, ‘ Ma voix change, et c’est horrible.


soToBA-xomAcH1 iw scum v <*>. S;rn; (tendant son chapeau vers les moines), Ah ! donnez-moi quelque chose, ah! moines! ah! wmu. Que veux-tu? surrs. Ah ! moines! je veux aller auprés de Komachi. wma. ` Mais tu es toi-méme Komachi! Pourquoi dis—tu une chose aussi absurde? surrs. Ah! de celle qui s’appelait Komachi la beauté était si grande! D’ici, de lin, [de tous cotés], lettres et billets Lu! étaient écrits, nombreux comme Ia pluie d’été assom- [brissant Le ciel. Pas une seule fois elle ne répondit, fut-ce par un - [mensonge! Elle a vécu, elle est devenue centenaire, et voilin son [chéitiment. Ah! que je l’aimel ah! que ie l’aimel wma. Tu l’aimes, dis-tu! Mais quel est donc l’esprit qui s’est emparé de tol ? sums. Ah! qu’ils furent riombreux ceux qui donnérent leur _ cmur in Komachi ! I


Entre tous l’alma profondément le noble général de [Fukakusa.

CHOEUR.

Volcl toutes mes rancwurs qui revlennent. Vers l’escabeau de son char encore et encore je veux ‘ · [aller. l Le jour, ie m’lnquléte de l’heure; et quand descend la L [nuit, je pars, avec la lune comme seule compagne. Sur le che- [min que je suis, Les gardes des barrieres auront beau se dresser, 1 je ne m’arréteral pas. Allons, partons. r

ll va a l’arriére-plan, oi: les memo-luke lui enlévent son cha- peau, sa canne et le m£{u·gvroma, le revétent du  ; a habit de chasse », sorte de dalmatique a larges manches l dont l’ouverture est garnie de cordons qui pendent, et le coiient de l‘ebosb£, haute collfure de cour de couleur noire (‘). Puls ll redescend en scene. [

DEUXIEME PARTIE

sc1¤:N1.=·: v1.

CHOEUR.

Les gardes des barriéres auront beau se dresser, je ne [m’arréteral pas. Allons, partons.

SHITE.

Relevant mon bakama (’) blanc, Pendant le chceur qui suit, le shite exécute un iroe, ou un kalwri (•), ligurant la marche précipltée du général. SOTOBA-KOMACHI im cnoaun. Relevant mon bakama blanc, _ Ployant en coup de vent mon haut chapeau droit, Reietant sur ma téte les manches de mon habit de Me cachant in tous les regards sur le chemin, [chasse('), je vais sous la clarté de la lune, je vais a travers l’obscu- Par les nuits de pluie, par les nuits de vent, [rité, Sous Yégouttement des feuilles, dans la neige épaisse, si-111*2. Sous lcs gouttes d’eau tombant du bord des toits, vite, [Vue (t): cnczun. jc vals, je reviens; revenu, j'y retourne. Une nuit, deux nuits, trois nuits, quatre nuits, Sept nuits, huit nuits, neuf nuits, Dix nuits (‘); en la nuit méme de la féte des récoltes, Sans la voir, j’ai fait ce chemin. Aussi fidélement que le Marque les heures, chaque matin, [coq ]'ai fait mes marques au bord de l’escabeau. . Durant cent nuits je devais venir, Et déia la quatre-vingt-dix-neuviéme était passée. sr-nm;. Ah! quelle souffrance! mes yeux s’obscurcissent (‘)! cnoaun. Qllelle douleur en ma poitrine l Et désespéré, Sans pouvoir atteindre la supréme nuit, il est mort. · Du général de Fukakusa ESt-ce done la colére jalouse qui s’empare de moi ('), Et me iette en une telle folie P Puisqu'il en est ainsi, pour Yexistence future



Il faut prier : là est la vérité.
Entassant les galets jusqu’à en faire un stûpa,
Je veux rendre mon corps brillant comme l’or (1) ;
De mes mains tendues offrant des fleurs au Buddha,


Je veux entrer en la voie de l’illumination (bis).
NOTES

Page 174 :

(') Montagne de la province de Kii, sur laquelle Kukai U grand monasttre KongAbu-jl. qui fut le centre de la pu secte Sbingon.

(*) Le mot chûgen rappelle l'expression consacrée n <Mgen, - l'intervalle entre les deui Buddhas ■, Çàkjs celui du passé, et M^itreya, celui de l'avenir, auxquels Wgc pricident faisait allusion.

(') Ce sont, en effet, les conditions primordiales du salut, d'abord naître homme, et cela n'est pas aisé à obtenir pi multitude d'êtres de toute espèce que le tourbillon inces! la vie et de la mort ramène k chaque instant ù l'existence, ensuite avoir accès k la doctrine du Buddha. et c'est le l petit nombre parmi les hommes. Réunir ces conditions est aussi difficile, a dil le Buddha, qu'il l'est à une tortue aveugle rencontrer un morceau de bols flottant en l'Immensité de: cl de passer sa tête par un trou ouvert dans cette épave.

Page 175 :

('} Pour qui connaît la succession indéfinie des esisteni liens de parenté les plus Intimes n'ont qu'une valeur n temporaire et. pour ainsi dire, de circonstance ; comme les conditions et relations où la vie nous engage, ils ne se des accidents momentanés, sans réalité foncière.

(') Ces vêtements ont été décrits à l'occasion du nO lî'AL

(') Emprunt à une poésie de Komachi, insérée au I. X^ Ki>«iMAfi. Invitée par Bunya no Yasuhlde, autre poète • de cette époque, h l'accompagner en Mikawa où il se : comme fonctionnaire, elle répondit 192 c 1 N Q N 0 Wabinureba, Triste et seule, Mi wo uki-kusa no Je suis une herbe Hottante Nc wo tact:. Dont la racine est brisee; Sasou migu araba, Qu’un courant m'entrai’ne, Inan to so omou. Et je suis prete A partir. Page 176 : (•) C’est-A-dire A reiiets bleus, reiiets qu’ont seuls les cheveux d’un noir brillant, particulierement estimes de tout temps au japon. - (*) La capitale et le palais imperial. Pour la premiere de ces expressions, cf. p. 153, n. 2 de la p. 137. La seconde est une image iigurant la solidite inébfanlablc et la duree promises au troue » imperial. _ (•) Eminence boisee pres de Ninna·ji, aux environs de Kyoto. (•) D’apres le Senzaishd, l. XVI, Minamoto no Yorimasa, connu depuis sous le nom de Gen Sammi, etant de.service au poste de garde etabli sur cette colline, vit de-·loin, par une nuit claire. passer le cortege imperial. Il exprima son regret de ne pouvoir s’y joindre par la poesie suivante : Hilo shiremo Ignores des hommes, Ouchi-yama no Sur la colline Ouchi Yamamori wa Gardes qui veillez, [arbres Ko-gakurete nomi Ce n’est que caches sous l’ombre des Tsuki wo mira kann. Que vous pouvez apercevoir ia lune. Komachi s’applique A elle-meme cette plainte. L’allusion est amenee par le mot Ouchi, qui est l’un des noms donnes au , palais imperial. (') Koi-zuka : tombeau de Kesa gozen. Poursuivie par les assiduites de son cousin, elle promit de lui ceder A la condition qu’il tuAt d'abord son mari, et lui indiqua dans quelle partie de . la maison il reposait. Puis la nuit venue, elle se substitua A celui-ci et recut le coup mortel A sa place. Desespere, Passassin se fit moine et acquit une grande celebrite sous le nom de Mongaku shonin. (•) Endroit souvent chante par les poetes pour la beaute du paysage. (’) La croyance A Pexistence d’un cannellier dans la lune est d’origine chinoise. Ce nom est ici employe A deux {ins, et ·· reporte ·· sur celui de la riviere ·· du cannellier ··, katsura. (') Komachi craint d’etre apercue par des gens qui pourraient la reconnaitre. (’) Cette premiere phrase manque dans lcs textes du immi- gakari.


Page 179 :

(*) Arbre tombé que les herbes, les feuilles mortes, la terre recouvrent et cachent aux regards; comparaison fréquemment appliquée aux personnages tombés dans une condition misérable.

Page 180 :

(*) Voir A ce suiet ce qui a ete dit plus haut, p. 169.

(’) Quelle que soit sa saintete, puisque ce symbole est fait des memes elements que le corps humain, pourquoi serait-il inconvenant de s’en approcher ? Pourquoi tant elever l’un et tant rabaisser l’autre ?

(’) Citation du Nirvdgna sélra.

(*) Citation de l’Avata1psaka sillra.

Page 181 :

(•) je n’al point pris l'habit religieux.

(’) _[1m·en, et au vers suivant gyaku-en, expressions bouddhiques dont le sens general est : conformite ou non-conformite d’un acte avec les circonstances ou il se produit, circonstances de lieu, de personnes, de but propose, etc. Dans le cas actuel, le respect religieux temoigne au stupa aurait ete • de, condition concordante •, normale, en juste rapport avec la saintete de ce symbole; le manque de respect est • de conditiondiscordante •, anormale, ne convient pas A cette saintete.

(’) Le bien peut sortir du mal, et le peche devenir par ses consequences une cause de salut. Ainsi tout est lndiiferent, les apparences n’ont aucune importance et les distinctions fondees sur elles sont de nulle valeur. La seule realite est l’esscnce du Buddha, la Bhutathata qui est en toutes choses.

(*) Cousin et disciple de Cakya-muni, il s’effor•;a de lui nuire de toutes facons et fut englouti vivant dans les enfers; mais il doit iinalement obtenlr l’i11umination parfaite sous le nom de Devaraja Tathagata (Tenno Nyorai), d’apres luvataegzsaka.

(•) Disciple du Buddha parfaitement stupide et qui parvint A peine A retenlr une seule stance. D’apres la transcription la plus commune, on restitue souvent son nom sous la forme Cuddhi- panthaka; mais Yi-ts’ing declare cette transcription incorrecte et en donne une autre, qu’il traduit · petit chemin •. Cela conduit A la forme Ksudrapanthaka, qui repond d’ailleurs au pali Culapanthaka, et s’oppose exactement A Mahapanthaka, nom du frere aine de ce personnage. I N im cruo no I

 Page 182 :

L (*) Citation du Nirvdgm sailra : · Pillusion, c’est Pillumination; la vie et mort, c’est le nirvana. • (’) Chen-sieou, disciple de Hong-jen, cinquiéme patriarche du Dhyana en Chine, composa un iour la stance suivante : Le corps est [comme] l’arbre de la bodhi, Le coaur est comme un miroir brillant pose sur un sup- Soyez attentifs A l’essuyer frequemment, [port. Et ne laissez pas s’elever la poussiere. Mais son condisclple I·louei—neng, refutant ce grossier rea- llsme, riposta : Uillumination dans son essence n’est pas un arbre; N Sur le support il n‘y a point de miroir brillant. I Au fond rien n’exlste reellement; D’ou donc s’eleverait la poussiere ? La citation porte sur les trois premlers vers de cette seconde [ stance, le troisieme formant le commencement de la repllquc I du choeur. _ (') Dans toutes les distinctions qu’on enseigne au vulgaire. — I1 a ece necessaire ici d’intervertir l’ordre des vers dans la traductlon. N Page 188 : N (•) Il y a ici un jeu de mots sur sotoba, · stnpa •, qui peut sc N lire aussi solo wa, · hors de IA •. Le sens est celui-ci : au paradis, il serait tres mal de s’asseoir sur le corps du Buddha. mais hors de la et lorsque ce corps est simplement represente par un stupa, cela ne saurait tirer A consequence. N (’) Raillerie de Komachi A Padresse des moines. La phraS¢ N est en effet susceptible d'un double sens : leur doctrine est ~ dlfdcile A comprendre. ou, il est difncile de leur hire com- N prendre la doctrine. I Page 184 : N (*) Un des luxes de cette epoque consistait A porter un grand nombre de robes tres fines, comme le montrent d’anciennes peintures ou la femme semble ensevelie dans leurs longs plis multicolores, ceux—ci · debordant · en eiet le seull alors qu‘elle est assise A Pinterieur de l'appartement. I (‘) Tcl est du moins le sens que l’on peut trouver A ces dev! N I I I · I I


vers dans l'ignorance de la poésie chinoise à laquelle mani- festement ils sont empruntes. Le second doit s’entendre de la crainte qu’avait Komachi de ne pas être assez élégante.

Page 185 :

(') La traduction suit le sens du texte original, le Tamatsu- kuri Komachi sôsui sho, auquel il faut recourir ici, car l’auteur du nô l'abrège et le modifie de telle façon que sa phrase est peu intelligible par elle-même.

(’) Ses cheveux embroussaillés et qu’el1e ne soigne plus sont comparés aux filaments raides et emmêlés de l’armoise.

(’) Les femmes se rasaient les sourcils et s‘en peignaient d’autres plus haut sur le front, pour accentuer l’étroitesse du haut du visage qu’amincissaient les cheveux séparés en deux bandeaux tombant sur les joues et ramenés sur les épaules. L'expression sôga, « deux fourmis », est d’origine chinoise; elle ne parait répondre à rien de spécial dans la forme de ces faux sourcils, tels au moins qu’on les dessinait au Japon.

Pai Lo-t’ien avait dit dans un charmant petit poème : « Les deux bandeaux gracieux de ses cheveux sont des ailes dc cigale d’automne; ses deux fourmis arquées ont la teinte des montagnes lointaines. »

(‘) Expression tirée d’une poésie de l’Ise monogatari, mais n'ayant rien ici du sens désobligeant de l'original. Le héros, s'apercevant qu'une femme par laquelle il s’est laissé aimer, le guette à travers une haie, la prend en pitié et, pour lui faire perdre un espoir ridicule, murmure de façon à être entendu d’elle :

Momo tose ni Ils ont cent ans, Hilo tose taranu Il s‘en faut d’un an, Tsukumo-gami, Ces cheveux crêpelés comme des algues; · Ware wo kou rashi, Elle semble me désirer; Omokage ni miyu. Je crois l'apercevoir devant moi.

Page 186 :

(*) Petit tubercule qui pousse dans les rizières et les endroits marécageux.

(’) Le grand développement de la manche permettait de s‘en servir pour se voiler le visage et cacher les larmes, comme

d’al1leurs aussi le rire. I

i ig ctwo NO Page 187 : (•) Cette division n’a d’autre raison d’etre que d’indiquer le commencement de la deuxierne partie de la piece au point de vue dramatlque; sceniquement, cette partie ne commence qu‘un peu plus loin. Page 188 : (•) C’est un costume de cour masculin, celui que portait le general de Fukakusa, dont ll evoque le souvenir et materialise pour alnsi dire la presence. (°) Large pantalon dont on relevait Pextremite pour faciliter la marche. (') Voir l’exp1ication de ces mots dans l’Introduction, p. Si-52. Page 189 : (*) L’acteur execute les gestes ct les mouvements que le texte decrlt. (') L’onomatopee du texte imite le brult des gouttes d’eau. et c’est en meme temps un adverbe s’appliquant A la rapidite de la marcbe du general. (•) Cette enumeration n’a d’autre but que d’amener, par le · report- des mots to Yo, · dix nults ··, la mention de la ·fete des lumieres de Pabondance ·, toyo no akari no sechie. Ce nom, qui s’appliquait d’une maniere generale A toutes les fetes de la cour, designait plus speclalement celle qui se celebrait de nuit, A la lumiere des torches, apres le Nibname matsuri ou Shimm- sai, lorsque l’ernpereur, apres avoir goute le riz nouveau, 1e faisait gouter A toute la cour A laquelle il donnait un festin. Pour se rendre A l’endrolt Exe par Komachi qu’il ne devait pas voir, le general a manque cette fete. Les mots ¢ sans la voir • s‘appliquent A la fete et A Komachi. (•) Rappel des soutfrances des derniers moments du general. (•) Komachl est revenue A elle. Page 190 : (•) Citation d’un passage du Dajikyo, petite collection de maximes religieuses et morales composee au rx' siecle par le moine Annen, prlnclpalement A l’aide d’extraits des livres sacres du bouddhisme et des classiques chinols. Elle tut long- temps employee dans les terakoya, ecoles oiivertes par les temples, et d’ailleurs les seules qui existassent autrefols pour


le peuple ; elle était, pour cette raison, très connue et jouissait d’une grande autorité. M. Chamberlain en a donné une traduction dans le volume IX des Transactions of the Asiatic Society of Japan. Le passage cité ici semble inspiré d’une stance du Saddharma pundarika sûtra : cf. Burnouf, Le Lotus de la bonne loi. p. 32, stance 81. D’après les commentateurs, les galets symbolisent ici les actions vertueuses ; et on sait qu’au paradis les corps des bienheureux brillent d’un éclat doré. il l i` . ` W qi--

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" ' •*’•••• • sv ` _— I-_ 1% ' n L l . °'·,, ¢ .‘|• O ‘ : N ' I .5-°-¤· .••··.`L—' A LA VISITE IMPERIALE A OHARA un ` KWANZE BEAM! M0'I‘0KIY0 N 0 T I C E `vac Ohara_g0 k6, ec La V isite imperiale ei Obara », nous abordons la classe de no dits as pieces de cboses actuelles », genzai-mono, c’est-a-dire pieces sans aucun melange de merveilleux, sans intervention de divi- E nités, de demons ni d’esprits, ne retracant que des eve- A nements analogues a ceux qui se passent dans la ·vie ordi- R naire. Ce no est de plus un tvpe parfait de << piece tiree d’un 5 1"0md1Z >>_, Ou du m0iHS, Cdf [8 110171676 70mdh convient md] . au Heike monogatari, ne consistant ci peu pres que dans q le transport zi la scene d’un passage d’un ouvrage existant . K auquel est enzpruntee presque toute l’a_y’abulation de la i ' E A · m E I · m N


0 H A R A G 0 K 0 199 piece. Le Heike monogatari, comme plusieurs autres ouvrages d’ailleurs, a été largement mis d contribution par les auteurs de nd; mais géneralement, ainsi qu’on a pu le constater _ par Atsumori, ceux-ci n’empruntent guere que les grands traits de l’épisode, la trame du sujet qu'ils mettent d la scene. Ce sujet ensuite ils le traitent librement ; c’est de leur propre fonds qu’ils tirent les omements et les couleurs qu’ils étendent sur cette trame; et littérairement comme dramatiquement, texte et struc- ture, leurs pieces sont bien des ceuvres originates. Il n’en ·va pas ainsi pour Ohara go k6 .· si la partie dramatique, la construction de la piece, la répartition des formes, la mise en scene lui appartiennent, Seami Motokiyo njr peut revendiquer que relativement peu de chose pour la partie littéraire : le texte presque en son entier en est emprunte, le plus sou·vent mot pour mot, — et quoi qu’on en ait dit, des emprunts aussi considérables, aussi sui·vis, sont rares, — aux trois ou quatre derniers cbapitres du dougieme et dernier li·vre du Heike mono- gatari. Q? En ·voici la substance. Lorsqu’il quitta K yéto de·vant l’approcbe des Minamoto triompbants, le clan des Taira emmena avec lui zi tra#vers toutes ses pérégrinations les grands personnages qui lui appartenaient et faisaient une partie de sa force. C ’etaient d’abord Tokiko, ·veu·ve du grand Kqromori, l’ancien chef de ce clan et le fondu- teur de sa puissance épbemere; elle a·vait été éle·vee au deuxieme rang de cour, et on l’appelait pour cette raison la << princesse de deuxieme rang », Nii-dono. C ’etait ensuite l'impératrice-douairiere Toku-ko, jille de K bro- mori et de Tohi-ko, et ·veu·ve de l'empereur Takakura,


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mort ci vingt ans; elle portait le titre de Kenreimon-in. C ’était enjin et surtout le jeune empereur Antoku, égé de quelques années a peine, fils de Tahahura etde Toku·Iw, et qui avait été intronisé trois ans auparavant. Au soir de la grande bataille navale de Dan-no-ura, au débouebé du détroit de Sbimonosehi dans la Mer Intérieure, ou le { parti des Taira fut definitivement anéanti par Yosbi- tsune, l’énergique Nii·dono, ne voulant pas tomber aux mains de ses ennemis, se jeta ci la mer, tenant dans ses bras l'empereur son petitjils, et tous deux se noyérent. _ Sa jille, l’impératrice~douairiére, sy précipita d sa suite; mais elle fut sauvée par les soldats de Yosbitsune. Ramenée ci Kyoto, elle s’installa au Nord·Est de la ville, ci Yosbida, et _;v prit l’babit de nonne bouddbzque, le premier jour du cinquiéme mois de l’année 1 185. Elle n'avait pas trente ans.

Mais elle se trouvait la trop prés de la capitale ou triompbaient les ennemis de son parti; elle redoutait aussi, pour les avoir connus des son arrivée, d’avoir a subir d’autre part des sympathies importunes, des empressements plus curieux que sincéres, des ojfres de service bumiliantes pour sa fierté d’impératrice. Elle se retira donc plus au Nord, dans la vallée que dominent les hauteurs du Hiei-an, au petit temple _lahko—in, sur le terri- toire du village d’Obara, ou rien ne devait la distraire du souvenir de ses morts, de la priére et des wuvres pus auxquelles elle avait voué sa vie pour leur salut. Elle n’emmena avec elle que deux suivantes préférées. Awa no naisbi, jille d'un seigneur qui lui aussi avail quitté le monde, et Dainagon no tsubone, qui avait été la nourrice d'/tntohu. Elle vécut prés de trente ·a_ns dans cette retraite ou elle mourut en 1213, zi l’dge de 59`22I§· Le temple illustré par son sqour existe toujours. Il'f#l K


f I 1 l E i . 1 » 0 H A R A G 0 K 0 mx dailleurs restauré au commencement du xvu° siécle par E g Yodogimi, veuve de Hideyoshi. On y conserve une intéres- E

  • sante statue de l’impératrice Tohu-iw en costume de é

j nonne, et une autre d’A·wa no naisbi. ? C’est en 1 186, l’année qui suivit la retraite d Obara de 5 la Kenrei-mon-in, ou, pour lui donner le titre réservé aux

 impératrices-douairiéres ayant pris l’babit religieux, de

i le Nyoin, qu’elle y recut la visite de son beau-pére, l’em: i pereur retiré Go-Sbirakawa no in, qui, aprés un régne i tris court, avait abdiqué et pris lui-méme l’babit religieux » Q vingt-buit ans auparavant (1 1 58), mais dont cependant ' le forte main avait vigoureusement et avec succés tra- vaillé a la cbute des Taira. L’entrevue de ces deux bauts . personnages, qui s’étaient connus de si pres autrefois dans des circonstances si dijérentes de celles ou its se retrouvaient, a été contée longuement par le Heike mo- nogatari, dont le Gempei seisui ki a encore eevezeppe le récit. ta'5 C’est cet épisode que Seami a mis a la scene dans 4 La ( Visite impériale a Obara »; et il l’a fait avec bonbeur, g cer malgré les quelques critiques que l’on lira plus bas, ce i no est assurément l’un de ceux qui laissent l’impression I la plus profonde aux spectateurs. Il a fait un cboix dans 1, le texte qu’il avait sous les yeux, il l’a abrégé, n’en a pris f que les parties les plus belles et a supprimé beaucoup de 1 répétitions qui l'alourdissent. Il a mis en dialogue, ou au mains dans la boucbe de ses personnages, ce qui n'était L qu’en narration; il lui arrive méme de transposer des répliques et de les donner a un personnage dijférent de eelui auquel les attribuait le texte original. Le dainagon Madeno-hoji, dont il fait le waki, n’est mentionné dans la suite de l'empereur ni par le Heike monogatari ni par le ( E 9


m c 1 N Q N 0

Gempel seisui kl, qui nomment cependant plusieurs de . ceux qui en faisaient partie. On ne sait pas d’ailleurs pour quelle raison l’auteur a choisi ce nom; peut-etre q a-t-il simplement chercbe d etre agreable d une famille asse.{ puissante zi la cour, en attribuant d l’un de ses H membres un role de choix dans un episode celebre de l’histoire des temps beroiques. H D’autre part, il a considerablement abrege la celebre { an description des six ·voies » (rokudb no sata) du Heike monogatarl; et il en resulte une impression de recherche ajectee, presque de jeu d'esprit peu naturel, impression que ne donne pas, au moins au meme point, le recit plus long, plus detaille, mais aux assimilations moins precises, moins serrees, et pour autant moins forcees, du n texte original. En quelques endroits, il semble avoir eu gene par le desir d’introduire un passage interessant de ce texte sans recourir d une preparation qui edt trop allonge sa piece ,· parfois, au commencement du rongi par exemple, il s’est contente pour cela d’une courte pbrase, qui, il faut le reconnaitre, n’est pas tres adroite et pourrait meme faire croire d une oeuvre bdtive et quelque pm g N negligee, si l’babilete a·vec laquelle certains ejets sont menages ne venait efacer cette impression.

Ohara go kb merite de retenir Fattentzbn ei un autre ` titre. On y retrouve d la ·verite les diverses formes litteraires et musicales qui entrent normalement dans la composition du ne; mais sa structure generale n’est plus celle , des pieces que nous a·vons vues precedemment. Il sy marque un efort vers une forme plus souple, un art plus libre : efort qui fut beureux dans ce cas et dans quelques autres, mais ne le fut pas toujours, et aboutit parfois e. rompre l'unite de l’aeu·vre. Bien que la sortie et la rentree 0 H A R A G 0 K '0 ma du shite permettent de di·viser ce nd en deux parties, cette I division est ici accidentelle en quelque sorte; elle n’est , qu’un episode fourni par le texte sui·vi, et non l'art9€ce 5 dramatique si caracteristique, impose par l'essence meme et les lois particulieres de ce genre. Elle n’a plus ici la signqicatrhn qu’elle re·vet generalement : aucune trans-_ formation n'inter·vient dans le réle du shite, et lors de sa reapparition, celui-ci ne manifeste aucun caractere nou- veau. D’autre part, le role du waki est fort diminue et ` semble n’etre conserve que pour le principe; non seule- ment il n’est qu’un suivant de l’empereur, ce qui se pre- sente en d’autres pieces, mais son rdle a beaucoup mains dimportance que celui du personnage qu’il accompagne ,· et l'auteur en a encore retranche, sans qu’on en voie d’ail- leurs la raison, l'annonce de la piece qu'il fait faire per un autre seigneur de la cour. Au reste, des particularites de ce genre se remarquent asseg frequemment dans les no de la classe des genzai- mono. Les sujets, plus voisins des eoenements de la vie ordinaire, et soumis aux conditions qui s’imposent ci elle, ne s’y plient pas touiours ci la forme stricte du nd, en font jlechir les regles, en debordent les limites; et comme nous ` l’a·vons dit dejd, ce genre de pieces semble annoncer et preparer le tbedtre moderne. Ohara go kb est certaine— ment l’une de celles ou ce caractere est le plus apparent. Le nd y conserve sa distinction un peu raffinee, ses formes litteraires et musicales; mais d’autre part la piece de ` tbezitre y est dejd pour ainsi dire toute faite : le scenario du moins y est complet et de caractere asseg moderne pour pouvoir etre transporte sans grands changements sur une scene ordinaire. Notons enfin que, le shite etant un personnage feminin, Ohara go kb peut egalement etre considere comme un


kazura-mono, et à ce titre vient souvent en troisième lieu sur les programmes.


Par concordance avec l’époque à laquelle eut lieu la visite impériale qu’elle représente, cette pièce n’est généralement exécutée que pendant le quatrième mois, qui correspondait autrefois à notre mois de mai. Elle n’existe pas dans le répertoire de l’école Komparu.

Notre traduction suit le texte de l’école Kwanze.
OHARA GO KO




PERSONNAGES.


SHITE. — L’impératrice-douairière Kenrei-mon-in (Nyôin).
SHITE-ZURE. — Awa no naisbi.
SHITE-ZURE. — Dainagon no tsubone.
WAKI. — Le chûnagon Made-no-kôji.
WAKI-ZURE. — Un seigneur (daijin).
L’empereur-moine Go-Shirakawa no in.


La scène est d’abord au palais impérial, puis au Jakkô-in. PREMIERE PARTIE

On apporte et on place au milieu de la scene et un peu en arriere, au daisbd-mae, une cabane dont les montants et le toit de chaume sont garnis de plantes grimpantes. Un voile _ en fait le tour et en cache l’intérieur.

SCENE I.

Entree du daijin (*) en costume de cour, ebosbi, atsu·ita, ka1·i—gim¢, 6·gucbi (•). ll est suivi peu apres par un acteur comique, kydgen, qui va s’asseoir au pied de la colonne du . kyégen, a l’arriere·plan, tandis que lui·meme entre en scene et s’arrete au muon?a. .

_ DAl]lN.

je suis un seigneur au service de Go-Shirakawa no in. Or ga, le precedent Empereur, la Princesse-mere (’), et avec eux tout le clan des Taira trouverent leur fin en la mer de Hayatomo, au pays de Nagato. La Nybin aussi s’était jetée [dans les tlots], mais elle en fut retiree, et une existence infortunee lui fut conservee. Le gouver- neur de Mikawa, Noriyori, et son frere, le bdgwan (‘) Kurb dayu Yoshitsune, accomplissant les ordres de l’Empereur, rapporterent heureusement a la capitale les trois joyaux divins("). LaNy6in devalt, elle aussi, revenlr a la capitale; mais, dans le but de prier pour le salut du — precedent Empereur Antoku Tenne et pour les mines de la Princesse-mere, elle a renonce au monde et de- meure au _lakk6·in d’Ohara. L’Empereur-moine (‘) a fait connaitre sa volonté de s’y rendre et de lui faire une visite. En consequence, je vals donner des ordres concernant le chemin qu’il devra suivre a travers la montagne. Hola l y a-t-il quelqu’un ici? ’ 0 H A R A 0 0 K 0 wg Kyégmq (il se leve et vient saluer le daijin). Me voici. · 0Arjm. L’Empereur doit se rendre A Ohara; qu’on prepare la route qu’il doit suivre ct qu’on la mette en bon état. xvoosn. _ _|'obéis. Le daijin, suivi du kydgen, rentre dans le kagaini no ma. soismz 11. On enleve le rideau qui enveloppait la cabane. A l’intérieur, l’lmpératrice·douairiére, sbite, est assise, et ses suivantes, sbitequre, sont accroupies a ses c6tés. Toutes trois portent le costume tres simple des nonnes bouddhiques, ont la téte · enveloppée du bam: no bdsbi, grand voile qui retombe sur leurs épaules, et tiennent le rosaire a la main. Une corbeille it fleurs vide est posée devant elles. sums. ec En ce recoin des montagnes la solitude a bien des tris- [tesses; pourtant Bien plus qu’au milieu des tribulations du monde · SHITE et Tsuiua. ll est doux d’habiter ici » (‘), derriére cette porte aux - [rameaux tressés. De la region de la capitale les bruits ont loin in venir _lusqu’a cette haie claire de bambous et dc branches. Triste, in ces colonnes de bambous aux noauds pressés Appuyée, je m’absorbe en mes pensées ; pourtant


je suis dans la paix, car nul ozil humain ne me voit. Les seuls bruits qui parfois Viennent iusqu’§ moi n’enveloppent aucun sentiment: C’est la hache taillant quelque pauvre fagot (bis), Ou le vent dans les rameaux, ou le cri des singes; Ou bien, si ce ne sont ces voix, E Des lianes et des rotins ’ C’est le froissement. Rares sont les gens qui passent an Au sentier de Yen-yuan l’herbe |]usqu’ici. S’est épaissie »; comme elles se prcsscnt mes pensées Telle 1: ia pluie sur la porte de Yuan-hien » (‘), [qui, Mouillent ma manche de pleurs, hélas (bis) !

SHITE.

Holé, Dainagon no tsubone! je vais aller sur la montagne qui est lh, derriére, pour y cueillir de la badiane (‘).

DAINAGON NO Tsunous.

je vous accompagnerai; je couperai du bois et cueille· rai des fougéres pour préparer votre repas.

SHITE.

La comparaison est irrévérencieuse sans doute ; pour- [tant Le prince Siddhârta, lorsqu’il eut quitté la capitale du roi [Quddhodana, S’épuisa in parcourir ies sentiers abrupts du mont Dan- [taloka, Y cueillant l’herbe, y puisant l’eau, y ramassant le bois,

CHOEUR.

S’y livrant aux austérités de toute sorte, Et daignant y servir les ermites; il / /%//V/(/gg rr {_ ;%_»’r/ w

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0 11 a R o 0 K o 21 C’est ainsi, dit-on, qu’enfin il obtint [l’intelligence de] Et moi aussi, c’est pour le Buddha (‘), ` [l- voi ·. Que, portant en mes mains une corbeille a tleurs, . je vais m’enfoncant au plus profond des montagnes( s . Pendant ce chmur, la Nyoin est sortie de la cabane avec Dainagon no tsubone qui lui a remis la corbeille plaree devant elle; puis toutes deux ont quitté la scene lemement et sont rentrées dans le kagami no ma. _ l SCENE 111. i Introduction instrumentale. Entrée du cortege `impérial. } L’Empereur est coiffé du bam: no bdsbi ou du sbémo b . [ large bonnet a couvre·nuque, coiffure des hauts pers nna es bouddhiques. ll est vétu de l’atsu·ita et du sasbi-mak` pantr · lon bouffant serré aux chevilles. Par-dessus l’alsu-ita, il port un mips-gnromo généralement violet, et le kesa, insi ne . des moines, consistant en un rectangle d’étofl`e pr cieuse Q soutenu a hauteur de la poitrine par une bande de 2 rnéme matiére qui fait le tour du cou. Deux suiv ts n

tuniques de couleur et larges pantalons, la téte ceint de la

i bandelette appelée bacbimaki, soutiennent au-dessu · f téte un dais léger figurant le palanquin impérial. Lewn ` uit, portant le haut a chapeau noir ployé en coup d · t·· (ka(a·0ri ebosbi), l’atsu-ita et l’habit de chasse (kari-g` . _ ENSEMBLE. De la ville aux neuf enc i s Va·t-il donc cherchant ce qu’il peut subsiste des [tl u s ( ) Ce sentier de montagne courant sous le vert feuill P Sur l’herbe drue (') qu’écartent nos pas la ro es · épaiss ( '.·r · Vers Ohara hétons la marche de l’Empereur. Le chueur répete ces vers en sourdine. L’Empereur · retir


an C I N Q N O sur le pont a la hauteur du premier pin. Le waki, en scene, se tourne vers lui et se prosterne. wmu. _|'ai hate la marche de l'Empereur, et le voici arrivé in Ohara. Il se releve et se tourne vers le public. Puisque voici l'Empereur arrive A Ohara, Promenons nos regards sur le ]akk6·in. En ce jardin que couvre la rosée, les plantes d'été crois· , [sent luxuriantes: Les saules verdissants emmélent leurs fils ; Dans l'étang, les herbes tlottantes balancées par les Semblent laver leur brocart ; [vagues Sur les bords les corétes fleurissent a l’envi. Et par les interstices des nuages amoncelés, Voici que le cri solitaire du coucou sauvage g Retentit. Tout semble attendre la venue du Seigneur. 1.’em1>sn¤un. q L'Empereur-moine abaisse ses regards sur les bords dc [ [l`étang. 4 Sur l’eau de l’étang Les cerisiers des rives ont eifeuillé leurs pétales; [On dirait qu’]en vérité les vagues ont épanoui leurs [tleurs(‘). » cuosun. Par les fissures D’un rocher vénérable tombe en cascade (bis) Une eau dont le simple murmure parle au cceur. Cette haie aux vertes lianes, cette montagne ombréc [comme un sourcil ('), V


rFT" l‘E': 0 H A R A 0 0 K 0 ms I Ni par l’art du peintre en un tableau Ni par le pinceau (‘) ne sauraient étre égalées. Ici s’éléve une chapelle. I e Ses tuiles sont brisées, et le brouillard vient y bnhler A [un perpétuel en ns; Ses portes sont tombées, et la lune Y suspend une lampe éternelle (’). » N’est-ce pas Ce lieu méme [que décrivent ces vers] P Ah! qu'il est [émouvant (ifs) ! SCENE rv. wm; (se tournant vers la cabane). ll semble bien que ce soit lin la retraite de la Nybin. Au toit grimpent des lianes et des volubilis, Et des ansérines ferment solidement l’entrée ('). Ah! que l’aspect en est impressionnant l (Appelant) Holél je demande l’entrée de cette r t 't . Aw,A no mugm (de l’intérieur de la cabane). Qui étes-vous? wAK1. je suis le chunagon Made-no·k6ji. AwA no mus:-u. Est-ce possible? En ces montagnes ou les passants sont si rares, quelle raison vous améne? wzuu. La voici : l’Empereur·moine s’est rendu ici pour visiter la demeure de la Nyoin.


au cxuo NO AWA NO NA1s¤-u. La Nyoin est allée cueillir des fleurs sur la montagne qui domine; elle est absente en ce moment. WAKI (ll remonte et se prosterne devant l’Empereur). ]'ai annoncé la venue de l’Empereur; mais il m’a été répondu que la Nyoin est allée cueillir des fleurs sur la montagne qui domine, et qu’elle était absente en ce mo- » ment. Veuillez demeurer ici quelques instants en atten- dant son retour. ll se reléve et va s'accroupir un peu en avant du chuzur. L'Empereur va s'asseoir sur un siege au pied de la colonne du waki, tandis que les suivants vont déposer le dais a l’arriére·plan, ou ils restent jusqu’a la fin de la piece. Awa no naishi sort de la cabane et traverse vers la gauche. 5 ygmpgngug (l'aperc,evant). Oh! Hola, nonnel qui donc es·tu? AwA NO NA|sm. ( ll est bien naturel, en vérité, que vous m’ayez ou- N bliée._le suis la fille de Shinsei, Awa no naishi; voila l’ex- trémité ou je suis réduite. Mais bien que mon état soit aussi misérable, Pauvre étre incertain méme de son lendemain, je n’éprouve nulle rancceur (‘). L’em1>muzun. Ou est la Nyoin? AWA NO NAISHI. Elle est allée sur la montagne qui domine cueillir des fleurs. ¤.’zm>muaun. Et qui Yaccompagne?


0 H A R A G 0 K 0 ms AWA N0 NAISHI. Dainagon no tsubone. Veuillez attendre encore un peu; elle sera bientot de retour. DEUXIEME PABTIE SCENE v. Introduction instrumentale. Rentrée de la Nyoin et de Dainagon no tsubone. La premiere porte des fleurs dans une corbeille et tient son rosaire a la main ; la seconde porte un petit fagot de bois et de fougeres. Elles s’arrétent sur le pont, face au public. sums. Hier a passé; voici qu’aujourd’hui va finir inutile, Et de demain méme je ne suis pas assurée. En cet état Le visage du dernier Empereur [miserable], Pas un instant ne cesse d’occuper mon souvenir. _ es Pour les plus grands pécheurs il n’est pas d’autre re- [cours; Qui seulement invoque le nom d’Amit§bha obtient de s [naitre au Paradis (‘). ~ Pour le Seigneur souverain d’abord, ` Pour la Princesse-mere, pour tous ceux du clan, l’il1u- — [mination parfaite. Adoration a Amitabha Buddha! Oh! on entend des voix du coté de notre retraite. ¤Au~1AooN N0 Tsusoma. V Veuillez vous reposer un instant ici. On apporte un siege a l'Impératrice qui s’assied; Dainagon . no tsubone s'accroupit in coté d'elle. Qyelquefois toutes deu ~ restent simplement debout.


2r6 C I N Q N 0 AWA N0 NAISHI (signalant leur retour A l’Empereur). Voici justement la Nybin qui revient par ce sentier. 1.’smvznsun. Or cA, laquelle est la Nyoin, et laquelle est Dainagon no tsubone? AwA NO uA1s1·u. Celle qui porte une corbeille de fleurs suspendue A son C’est la Nyoin elle-méme; [bras, Et celle qui porte du bois et des brins de fougéres, C’est Dainagon no tsubone. Elle remonte vers l'extrémité du pont ou elle salue l'lmpé· ratrice et lui annonce : ‘l HolA! l’Empereur-moine s’est rendu jusqu’ici. · sums. Combien est fort encore mon attachement (‘) A ce monde ‘ [du jambudvipa (') ! je ne puis l’oublier. Et que le bruit de ma misére une fois [de` plus _ Vienne A se répandre (‘), alors se répandront encore mes [larmes, teignant Ma manche (‘). Ah! que i’ai honte de l’état ou je suis! Q cnczun. Mais quoi qu’il en soit de ces pensées, ceux qui appar- [tiennent A la Loi En la méme voie mettent leur espoir (‘). A la fenétre de l'unique invocation (bis) Ou je n'espérais que la lumiére du Sauveur, A la porte de rameaux tressés des dix invocations Ou je n’attendais que la venue des Saints (‘),

 I

l

I .


r 0 u A R A 0 0 K 0 ¤ , Oh! ce soir (‘) d’aujourd’hui que ie xfimaginais pas! f Suis-je donc revenue aux jours d’autrefois? A ces sou f [venirs mes larmes coulent enco ' E En vérité du Seigneur jusqu’en ces lieux

La pensée pitoyable s'est étendue.

Que sa bonté est grande l Et Ohara, Et l’étr0it sentier de la campagne de Seriu, Et la source d’Obor0 (’), ce n’est plus l'éclat de la lune Mais celui de sa presence qui les illustrera. Pendant ce chmur, Awa no naishi a pris la corbeille do ` fleurs que l'lmpératrice avait déposée devant elle et est all" T s’accr0upir a droite devant le chmur. Puis Ylmpératrice t ` Dainagon no tsubone commencent a descendre lentemem at L avec des arréts vers la scene, ou elles entrent pendant le r suivant. cucxaun. Or ca, cette visite impériale, i En quelle saison eut-elle lieu? sum;. Le printemps est passé; déja l’été Est venu. C’est le temps de la féte du Nord ('). Les arbres d’été tout semés de feuilles vertes Gardent encore un reste du printemps regretté. cr-maun. Aux montagnes lointalnes ces blancs nuages accroch 's, sr-frm. Ne sont·ils pas un dernier souvenir (‘) des fleurs effeuil- [lées?


¤w cxuo NO cuoaun. L’herbe d’été · Pousse drue sur la lande, ou ca et la Serpente a travers elle le chemin suivi, dont le terme snrre. Est ici, oui, est ici, En [ce temple de] la paix et de la lumiére (’). Cette splen- [deur lntroublée de la lumiére, ah l comme il faut s'y attacher! cnoaun. { De cette lumiere l’éclat est brillant I Comme celui d'une perle. Aux branches des pins mer- I [veilleux enlacée, fleurit I I snrrz. I Au-dessus de l’étang l’ondulation des glycines s'allon- [geant vers l'été (‘); Cl-l(EUR. · N Elle aussi a la venue de l'Empereur 1 sr-um. Semble s’€gtre préparée. ` cuoaun. Cachées sous les feuilles vertes, les [fleurs des] cerisiers [tardifs I Ont plus de grace méme que les premieres fleurs. Ah l comme tout icl revét un aspect singuliér (‘)! I O merveille! daigne admirer l’Empercur. Oserai-je dire I I I I I I I ° I

I I


‘ "F?-?"“`”S” it OHARA G0 KO `ang N loute ma reconnaissance pour sa visite P Mais cette porte de rameaux tressés! Meme un court . [instant , Est·il donc possible que vous daigniez demeurer la (‘)? (bis). Ulmpératrice et Dainagon no tsubone sont entrees en scene. Celle-ci va se placer devant le chceur, e coté d’Awa no naishi ; la premiere reste au milieu de la scene oi: elle Q s’accr0upit tournée vers l’Empereur. i surre.

 cje ne l’avais pas pensé, qu’au fond des montagnes éta- ‘
 [blissant ma demeure,

[ A la lu ne du séjour des nues ie dusse jamais dire adieu (’) ! » I Au rappel de ces souvenirs, I Pour votre visite impériale jusqu’en ce pays de monta- - 3 [gms.

 je me sens de plus en plus pénétrée de gratitude.
 1.’1zMr>muzuR.
 Quelqu’un disait dernierement que la Nyoin avait pu

[ contempler de ses yeux le spectacle des six voies (‘). C’est

 liz, certes, une chose fort étonnante, car on ne saurait voir

p cela a moins d’avoir atteint au rang de buddha ou de . Q bodhisattva. sr-irre. I ll plait a l’Empereur de parler ainsi; mais si je réfléchis i es Si je considere mon étre, [a ce que ie suis. i C’est une herbe dont les racines ont été arrachées du

 [front de la rive;

Q CHGEUR.

 Si je recherche ce qu'est ma vie,

C’est une barque qu’aucun lien ne retient au bord du l [fleuve (‘). » & l


m c 1 N Q N 0 sum. Eh bien, les ioies des demeures célestes, je les ai connues(‘); mais, perle de rosée sur une liane - cuoaun. R Qui ne saurait durer longtemps, les années et les mois Ont enfin amené les cinq faiblesses du déclin ('); K sums. Et c’est durant ma vie qui n’a pu y trouver son terme R i _ cnuaun. ` Que j’ai erré dans les carrefours des six voies. D’abord tout notre clan fut longtemps secoué sur les § _ [flots de la mer occidentale. l Dans ces bateaux qui ne savaient plus ou aborder, q Nous nous penchions en vain vers la mer; a L'eau était salée, et nous ne pouvions [méme] pas boire. [ Et ce fut semblable aux [tortures de] la Voie des Pretas(’). Puis certaines fois, 5 Par Ia violence des vagues au rivage, contre les rochers ; Nous avions l’angoisse d’étre lancés. [de la gréve § De tous les bateaux s’élevaient alors des cris et des [pleurs, Et ces clameurs étaient aussi effrayantes que celles des ” [pécheurs dans Ie Réurava (‘). surrs. Lorsqu’on se battait sur terre, ci-nozun. [ Alors en vérlté on avait devant les yeux Les combats de la Voie des Asuras ('). , i E §


0 H A R A G 0 K 0 em · Oh! quelle chose terrifiante ! D’innombrables Chevaux on entendait retentir les sabots; Et c’est le spectacle méme de la Voie des anlmaux (‘) Qn’on apercevait. Mais voir, entendre ces choses, de I [Voie méme des hommes Devenait le comble des douleurs. Oh! lamentable extrémité ou tut réduite ma triste vi ! 1.’eM1>BmsuR. En vérité, que tout cela est intéressant! Mais veuille me raconter ce que furent les derniers moments du pr cédent Empereur. surre. Ah! qu’il m’est pénible de vous dire ce qui se passa alors ! Nous étions in Hayatomo — c’est le nom, je crois — au pays de Nagato. Tout le clan avait résolu de s retirer pour le moment en Tsukushi (‘). Mais le cceur d'Ogata no Saburo (') avait change. On décida alors de se retirer in la cote de Satsuma. Mais on en fut empéch par la marée montante (‘). Voyant que le moment su- preme était arrivé, Noritsune, gouverneur de Noto, s tisu Aki no Taro et son frére ('), et les tenant serrés sous ses aisselles l’un a droite l’autre a gauche, s’élance a la mer en criant : << Soyez les compagnons de mes derniers instants! » Le nouveau chunagon Tomomori saisit !’ancre de son bateau qui était au large ('), la charge sur son casque (’), et lui et son frére de lait lenaga échangeant leurs arcs (’), se iettent at la mer. Alors la Princesse-mere, sur sa double robe sombre () Relevant haut et passant in sa ceinture l’extrémité de son [balzama (‘°) de soie cuite (' [S'écrie] : or je ne suis qu’une femme, mais


m c 1 N Q rx 6 je ne tomberai pas aux mains de mes ennemis; Et faccompagnerai le Seigneur souverainl » Prenant par la main l’Empereur Antoku, elle s’approche [du bofdage; Et comme l’Empereur demande : 4: Ou allons-nous ? » 4: En ce pays, [dit-elle,] les sujets sont en trop grand Voyez combien ces lieux sont etfrayants. [nombre: Le Paradis, comme on appelle Ce séjour de délices, c’est la sous ces vagues : C’est la que je vais vous conduire. » Ainsi elle parle en versant d’abondantes larmes. Alors: 4: Eh bien, je suis prét », dit [l’Empereur]. Elle le fait se tourner vers l’Est (‘) Pour prendre congé de la grande déesse Amateru; cumun. Puis vers l’Ouest pour faire les dix invocations ('). snrrs. as je le sais maintenant : 4 cuazun. Dans le courant de la rivlére Mimosuso, Sous les vagues, tout au fond, il est aussi une capitale (') », r Ce fut sa poésie supreme ; [dit-elle. = Et ils s’enfoncérent dans l’abime de mille brasses (‘). 1 Moi aussi je m’y suis jetée a leur suite; r Mais des soldats des Minamoto m’en ont retirée, § Et ma vie se poursuit lnutile. En revoyant une fois encore le visage de l’Empereur, H Des larmes m’échappent hors de propos, et je suis hon- . [teuse de tordre ainsi mes manches (‘)- H Elle se voile la figure des extrémités de son bam no bésbi. i


I I I R A G 0 it 6 m` ` Ah I comment unc- Ces regrets pourraient-ils jamais s’éteindre? Mais déja voici qu’0n invite l’Empereur au retour ( 's) On presse la marche de son palanquin; ll a quitté le _lakk6-in; il s’él0igne. ` Pendant le chant de ces vers, le cortége s’est refnrmé comme a l’entrée de l’Empereur, et s’est mis en ma ehe ll disparait peu a peu dans le kagami no ma, tandis qu les trois femmes debout devant la cabane — quelquefois Ic sbf s’avance lentement jusqu’a l’extrémité gauche de la scene — le suivent des yeux. SHITB. La Nyéin at la porte de rameaux tressés Cl—l(EUR. Quelque temps le regarde s’él0igner; ' Puis elle rentre dans sa retraite (bis). { '· _ " a I l I lil I ' E · l " n E

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NOTES

Page 206 :

(1) Ce personnage prend_le titre de daijin, parce qu’i1 est au service direct de l’Empereur ; techniquement parlant, c’est un waki-sure.

(2) Les différentes parties de ce costume ont été décrites précédemment, sauf l’atsu-ita, sorte de tunique de soie brochée ou de brocart, formant vêtement de dessous.

(3) Pour la commodité de la traduction, nous remplaçons par cette expression le titre officiel de « princesse de deuxième rang » .

(4) Titre officiel de Yoshitsune.

(5) L’épée, le miroir et la perle. Les Taira les avaient emportés en emmenant l’Empereur Antoku, et il était de toute importance pour le nouvel Empereur Go-Toba, intronisé par les Minamoto, de rentrer en possession de ces insignes sacrés du pouvoir impérial.

(6) Hôô, titre donné aux empereurs ayant pris l'habit religieux après leur abdication.


Page 207 :

(1) Le Heike monogatari reproduit ici littéralement, à deux mots près, une poésie anonyme du Kokinshû, l. XVIII, inséré aussi dans le Wakan rôei shû.

Page 208 :

(1) Allusion à un rôei de Tachibana Naomoto, inséré au Wakan rôei shû : ` Gourde et calebasse souvent sont vides, Et l'herbe est épaisse au sentier de Yen-yuan ; ! I ‘ H · 0 H A R A G 0 K O 225 1

 Des anserines ferment solidement l’entree,

Q Et la pluie moullle l’entree du Yuan-bien. I Yen-houei, surnom Tseu-yuan, et Yuan-sseu, surnom Hien-san, N sont deux disciples de Confucius dont le Maitre eut occasion de . louer le mepris des biens du monde et la pauvrete supportee avec une parfaite egallte d’Ame. Le premier n’avait qu‘une gourde et une calebasse pour mettre sa nourriture, et il lui arrivait d’en _ manquer ; il demeurait A Pextremite d’un sentier o1`1 l’l1erbe avait pousse parce que personne n’y passalt. Quant au second, indif- ferent au delabrement de sa maison, dont la porte etait pourrie par Pbumldite, il se delectait A iouer du kin. C’est leur misere ` surtout que Naomoto voulut evoquer, tandis que le Heike mono- gatari falt plutot allusion A l’abandon dans lequel le monde les laissait. (') Shikimi; ses rameaux sont employes dans la confection des bouquets rltuels offerts sur les autels. i Page 211 : E (•) Pour l’imiter et obtenir Pillumination et le salut. ‘

(’) Quelques commentateurs volent lcl une allusion A la jeu- -

Q uesse de Plmperatrice qui, fuyant la capltale, s’est allee cacher E dans les montagnes. g (°) Fukami-gusa a en poesie le sens de • pivoine ·; ll ne seralt § pourtant admissible ici qu’A titre de • rappel » des fleurs dont il [ vient d’etre parle. 5 Page 212 :

 (*) Poesle de l’Empereur Go-Shlrakawa, lnseree au l. II du

{ Senzaishfl. D’apres cet ouvrage, elle aurait ete composee A l’oc- _ E casion d’une vislte A la residence lmperiale de Toba. Le Heike

monogatari et le Gempei seisui ki la rapportent A la visite A Ohara.

{ (’) Au sujet de cette comparaison, voir ci-dessus, p. 195, n. 3 Q de la p. 185. Page 218 : I

 (•) Par une description ecrite, par les ressources du style;

I nous dirions : · par la plume •. 1 (’) Le Gempei seisui ki donne ce passage en chinois, ce qui porte A crolre qu’il s‘agit d’un roei; mais on n’en connalt pas Yorigine. (') Voir plus haut le roei de Naomoto, p. 224, n. 1 de la p. ao8. I5


ns c 1 N Q N 0 Page 214 : (•) Ni regret du passe, ni haine contre ceux equi ie dois d'avoir tout perdu. Page 216 : · (•) Texte sacre recite en guise de priere. Sous cette forme, il est tire directement du Ojo yoshn, recuell compose par le rnoine Genshin (971-1046), en grande faveur A l’epoque, plus connu et plus repandu que les ouvrages canonlques dont ll s°inspire er fait des extralts. _ Page 216 : ( (•) Uattachement A ce monde et A ses apparences est un des grands obstacles A la delivrance de Plllusion, au salut, et tant I qu’il n’est pas detruit, soumet l’etre A la succession des exis- I teuces. I (•) Nom bouddhique de la partie du monde que nous habitons, au sud du mont Meru. I - (•) Qu’on vienne A parler encore d’elle et de ses malheurs A I propos de cette vislte. I (•) La couleur sombre de ses vetements de nonne est attribuee I aux` larmes qu'ont fait couler les infortunes A la suite desquelles I elle a quitte le monde. I _ (•) L’Empereur lui aussi a quitte le monde et s’est fait moine; I il n'y a donc pas de raison de ne pas le voir. I (°) Neu, que nous traduisons par · invocation ·, est employe I par le bouddhisme dans le sens de pensee dirigee vers le Buddha, amenant A prouoncer son nom, A Pinvoquer. Une I seule invocation suftit A procurer le salut ; la repetition frequente de ces elevations de la pensee prend le nom de tanen, • nombreuses invocations ·, ou james:. · dix invocations · ; leur multlplicite est comparee ici A Pentrelacement des rameaux tresses formant la porte de la maison. D’autre part, c‘est une pieuse croyance qu’a la mort des lideles, Amitebha, le Sauveur, et son cortege de bodhisattvas et d’elus descendent au-devant d’eux pour les conduire au Paradis. Dans sa vie de recluse toute consacree Ala priere, l’Imperatrice n’esperait, n’attendait plus ` . que cette seule ioie; elle l’attendait par la grace de ces invoca- tions, comme on attend, on guette de la fenetre ou de la porte l’arrivee d’un heureux message; et c‘est l‘Empereur. la cour et tous les souvenirs de sa vie d’autrefois qu’e1le volt venlr A elle. , I I I


Page 217 :

(*) Kure, fin du jour, de l'annee, par extension, terme, aboutissement. C’est en ce sens qu°il faut le comprendre ici, car le texte indique assez que la scene ne se passe pas au crepuscule.

(’) Environs d’Ohara célébrés en diverses poésies pour le calme et la limpidité de leurs nuits.

(’) La grande fête du temple de Kamo, qui se célébrait vers le milieu du quatrième mois.

(•) Katami, l’objet que laisse un mourant ou un partant pour se rappeler au souvenir de ceux qui restent.

Page 218 :

(*) I1 y a ici un ieu de mots entrainant un double sens de toute la phrase, sur le nom du temple, Jakk0(-in), et celui de la plus aevee des quatre terres mystiques entre lesquelles l’ecole Tendai repartit les progres dans la voie de le perfection, Jakko-do, terre de la pnix et de la lumiere ·. Au Jakm-do ne resident que les buddhas accomplis; suivant une formule technique, c’est le lieu du g dharmakaya; c’est A proprement parler le nirvana. A cette terre, ou pour employer une expression plus litteraire, A cette · cite de la paix et de la lumiere •, on ne parvient que par la voie d’une longue pratique de toutes les vertus, voie dont le chemin qui couduisith ce temple autrefois Ylmperutrice et aujourd’hui l’Empereur — car la phrase est ainsi construite qu’elle peut se rapporter aux deux personnages — evoque le souvenir et devient un symbole. —

(’) Il est impossible de rendre le double sens de la phrase japonaise : ondulation des glycines semblable à celle des vagues de l’etang qui se propage et s‘etend sans cesse, floraison des glycines qui dure et se poursuit du printemps jusqu’à l’été.

(•) Dans ces montagnes les choses semblent nouvelles, et leur aspect est différent de celui qu’elles ont à la capitale.

Page 219 :

(•) Le texte indique assez qu’ici le choeur se substitue successivement aux deux interlocuteurs.

(’) Poésie que le Heike monogatari et le Gempei seisui ki attribuent à l’Impératrice lorsqu’elle se retira à Ohara.

(•) Les six voies ou modes d’existence entre lesquels se repartissent tous les etres, savoir : les dieux, les hommes, les asuras,les pretas, les animaux et les demons.

(•) Roei de Lo-wei, inséré au Walton roei she?. F j ns c 1 N o N o · Page 220 : _ (•) Au temps de sa splendeur, lorsqu’elle etait Imperatrice, I comme Pexpllque le Heike monogatari. · (•) L’Imperatrice s`est comparee aux dev! ou aux apsaras; de ` celles-ci la vie est tres longue; elle a pourtant un terme dont

 Papproche se revele par Papparition de cinq slgnes de decre-
pitude, go sui. Un instant aussi heureuse que celle des devi,

¤ Pexistence de Plmperatrice n’est pourtant pas plus durable que celle de la rosee. et deja elle a connu le declin. La mention de • la liane n’a pour but que de fournir une transition entre la N rosee qu’elle porte et la duree de la vie, la liane • appelant » la N longueur, et ce1le·ci etant · reportee · sur la duree. I (°) Fantomes soutfrant de la faim et de la soif, et qui durant leur existence · n’entendent meme pas le nom de l’eau •. I (•) L’un des huit grands enfers bouddhiques, dans lequel les N tourments arrachent sans cesse d’horrlbles cris aux damnes. I (’) La Vole des Asuras, sortes de genies d’une taille gigan- tesque, n’est qu’un combat acharne et sans repos. I rep 221 : N _ (•) Il ne s‘aglt pas ici des seuls chevaux, et la comparaison a N un sens plus large. Les animaux, esclaves des hommes, sont obliges de travailler, de souflrir, de mourir pour leurs maitres: tels ces malheureux soldats qui se battaient et mouraient pour obelr a leurs chefs. (*) Partie nord-ouest du Kyushu. N (') Puissant seigneur de ces regions qui abandonna le parti N des Taira et passa aux Minamoto. N (*) La maree determine dans le detroit de Shlmonoseki des I courants extremement vlolents qui durent exercer une grande N irmuence sur l’issue de la bataille. Yoshitsune ne manqua pas N de cholsir pour attaquer l’heure A laquelle le courant le favori- salt et genait les manoeuvres de ses adversaires. E (‘) Qui Passaillaient des deux cotes a la fois. ‘ (°) C’est-a-dire qui n’était pas echoue sur le rivage, comme I Petaient a ce moment un grand nombre des bateaux des Taira. I (') Pour etre sur de couler a fond et de ne pas etre fait pri- sonnier. - . N (°) Ou se tenant par leursf arcs, comme le proposent quelqucs N commentateurs. ` (’) De couleur de deuil. N I I ‘ I I I I


D 1 0 H A 11 A 0 0 K 0 ng (*°) Large pantalon b0uHant que les femmes de qualite por- taient par dessus leurs robes. (••) L’operation dite ·cuisson · de la soie a pour effet d’ass0u- plir le tissu. Page 222 : (*) Dans la direction du temple d’Ise. (') Direction du Sukhavatl, le paradis d’AmitAbha. (°) La rivlere Mimosuso est celle qui coule devant le templ d’Ise. Cette poesie, donnee par le Heike monogalari et le Gempc seisui ki, ne peut s’entendre du palais du Dragon, comme on l’a propose. L’interpretation parait devolr en etre cherchee moins loin : la princesse a vu autrefois se retieter dans l’eau claire de la Mimosuso le temple d’Ise et le cortege imperial qui s’y ren- dait; ce souvenir lui revient au moment ou elle parle d’un pays de delices cache sous les vagues. (‘) Nom poetique de la mer. (’) Expression assez frequente, signidant que les larmes cou- lent avec assez d’ab0¤dance pour tremper les longues manches qui les essuient. · §. ‘ w ·i.


` A , ' ‘ ?-· ~ -. so - · ' — H ` U ‘ _ ., ‘ E . l . ) * J. `¤. · H : I. — gl n .··"‘· K uw ‘ I H __ LE TAMBOURIN DE DAMAS _ Arrnmui A KWANZE SIIAMI M0’l'0KIY0 ` i N 0 T l L E u 0mm spécimen de la cinquiéme classe de no, nous p donnons Aya no tsuzumi, as Le Tambourin de { damas ». Ce cboix, a la oérité, préte a Ia critique. car si cette piece comporte burn en efet l’apparition d°un I demon, son manque d’animation scénique la rend peu p propre a terminer une séance, et elle figure généralement | a la quatriéme place sur les programmes. Toutefois. étant donné le but de ces études, cette consideration parait { secondaire; en lui-meme et de par sa composition, Aya no tsuzumi est bien un no d’apparition démoniaque; l L »


3 AYA NO TSUZUMI 231 { et il ofre en outre un zntéréi asseq grand pour meriter

une place ici.

Z En voici le sujet. Un vieux jardinier du palazs de. Ko-no·maru est tombe amoureux d’une des dames de la suite de l'empereur qu’il a apereue par basard durant E une promenade de la cour dans les jardins. Celle-ci fayant appris, ordonne de suspmere un tambourin aux brancbes d'un arbre et fait dire au vieillard qu’elle se montrera zi lui s’il parvient d faire entendre ce tam- bourinjusqu’au palais. Mais l'artq'icieuse femme avait

 fait tendre sur le tambourin une simple piece aezoye au

W hen de peau, et celui-ci avait perdu toute sonorité. le é malbeureux jardinier, apres quelques coups frappés inutilement, se suicide de désespoir. Aussitot son esprit, i ou plutot le ec fantome du mort », apparait, s’empare de j celle qui s'est si eruellement moquee de lui pour la cbdtier

 et lui faire expier sa legerete.

i C? _ Quelque ancienne légende a·t-elle fourni le sujet de ` _ ce no 2 C ’est peu probable, car on n'en connait auoune de » ce genre, et nulle part on ne trouve la moindre allusion e ee qu'auraitd1i étre son eontenu. L’Okugi shorapporte que fempereur Tencbi (661-671), avant son avenement, babita quelque temps en Cbihuqen (K ) un-e residence provisoire construite en troncs d’arbres non equarris, et qui pour cette raison avait recu le nom de Ko-nomaru; mais il ne dit pas ‘autre ebose, et tout ce qu’on en peut tirer, c'est que la scene se passed cette epoque. Quelque souvenir de la vieille littérature de Nara a-t-il plus ou moins inspire ou guide l'auteur et a-t-il eu quelque part d l'invention du detail caracteristique de cette piece P On ne le sait. On a essayé de la rappro- “ {


gse c 1 N Q N 0 1 cber d’une poesie anonyme qu’on lit au livre XI du Manybshfn, dans laquelle l’auteur se plaint de ne trouver personne au rendeq-vous assigne : Toki—mori no Le veilleur Ucbinasu lsu(umi A frappé son tambourin; , Yami-mireba, _|‘en ai compte les coups: ? Toki ni wa narinu; L’heure est venue; [pas! Awanaku mo ayasbi. Comme il est étrange que je ne la voie Le veilleur, t0ki—m0ri, etait autrefois un fonctionnaire cbarge de faire connaitre l'beure ; zi cet efet, il disposait d’un tambourin d’asse{ grande dimension sur lequel il rrappaiz les beures d’apres les indications de la clepsydre. g Le rapport est, on le ·voit, fort lointain entre cette poesie et la piece; surtout, on ne saurait tirer de la premiere le caraetere symbolique que la seconde attribue d ce tam- bourin muet, et qui en est zi vrai dire la substance meme. La litterature japonaise ne fournissant rien d’autre en ce genre, c'est donc bien d l’auteur du n6 lui-meme que doit revenir tout l’bonneur de l’in·vent1bn. ;

 '

Son oeuvre parait de plus remarquable par la facon large et sobre dont elle est traitee ; si elle contient diverses allusions et citations, comme l’exigeait la poetique de l'epoque, on ny remarque ni digressions de pure erudi- tion, ni episodes ou developpements d cdte du sujet. L’exposition est tres breve, et des les premiers mots du shite nous sommes en plein drame; des ce moment aussi apparait Ie symbolisme original et profond qui caraete- rise cette piece. · Le symbolisme du xv° siecle ? dira·t-on peut-etre. , Sans doute il ne montre pas beaucoup d’aeu·ores aussi

 fortes qu’Aya no tsuzumi; mais il a une place plus ou
 moins grande en nombre d’autres. E t quant d celle-ci, le


I s I I ` _ I I AYA N0 TSUZUMI as l symbolisme a toujours si bien paru en etre l’essence meme ` que, l0rsqu’un auteur postérieur voulut un jour la trans- I ~ former et l’adapter au gout de son temps, il en changea a l I peu pres tout, l'époque, le lieu, fajabulation, l’objet maté- I riel meme autour duquel tourne toute la piece et dont elle tire son nom ,· il enleva au personnage principal son I caractere de vieillard qui le rend si émouvant, et en cela son inspiration ne parait pas a·voir été beureuse; de l’oeu·vre premiere il ne conser·va autant dire que le sym- . bolisme; et il ne crut pas, ce faisant, a·voir écrit une piece vraiment nouvelle ou originate, mais simplement avoir remanié en un sens plus moderne une oeuvre ancienne. as Pour beaucoup d’aeu·vres récentes, la forme nouvelle a emprunté et copié en une certaine mesure la forme ancienne », dit Seami dans son es Traité de la com- position des no », Nésaku sho; il en cite plusieurs egcem- ples, entre autres le suivant : Koi no omoni, as Le lourd E Fardeau d’amour », était autrefois Aya no taiko, or le E Tambour de damas ». Koi no 0m0ni nous présente en

 efet un jardinier du palais amoureux d’une dame de

, la cour, succombant sous le faix qu'elle lui a ordonné de ‘ porter en lui faisant espérer de la re·voir, et dont l’esprit revient tourmenter celle qui fut la cause de sa mort ,· c'est manifestement une tampa réplique d’Aya no tsuzumi. Mais combien le symbolisme, plus comprébensrf pent- étre, mais trop facile et un peu vulgaire, du 4 lourd far- deau d’amour » est in férieur zi celui du as tambourin de da- mas », ce tambourin muet, incapable d’é·veiller le moindre écho, derision d’autant plus cruelle qu’elle s'adresse a la faiblesse d’un vieillard! Combien il est mains riche I aussi, a moins d’arriere-plans, pour ainsi dire! Car le I tambourin est l'instrument qui marque les beures pour tous les bommes, et le vieillard, malgré ses ejforts, njr enten- I I


¤s4 c 1 N Q N O dra pas sonner celle qu’il attend ,· sa voix les tire des songes de la nuit, et elle n'éveillera paste vieillard de l’illusion sous le poids de laquelle il va mourir. ll meurt, mais son shiryb, an fantome d’un mort », apparait bientdt pour le venger et punir celle qui s'est jouée de lui. Fantome d’un mort, disons-nous, car il ne s'agit pas ici proprement d’un an revenant » au sens que les légendes occidentales donnent a ce terme. Le shiryb, comme l'ikiry6, afantome d'un vivant », conception asse{ étrange au premier abord, mais que les légendes japo- naises connaissent bien, est moins une manifestation pre- ternaturelle d’une personne existante ou ayant qu'un étre distinct, individualisant pour ainsi dire, incarnant, si ce mot pouvait étre employe ici, une ` passion ou un sentiment violent, étre produit en qualiti E d’ep'et par cette passion ou ce sentiment agissant comme i causes au sens bouddbique etdans lequelceux-ci atteignent [ a une existence propre et indépendante. Cet étre singu· “ lier est évidemment de nature mauvaise; il est redou- table, car il a toute la violence du sentiment qui lui a donné nazssance — c'est le terme propre — ; et de plus, son action ne connait aucune des restrictions que l'exiS- tence bumaine imposait d la manifestation de ce senti- ment. La scéne jinale, dans laquelle ce shiryb afole et tourmente la dame qui a causé la mort du vieillard. rappelle celle de Sotoba-Komachi .· toutes deux nous Q ojrent le spectacle de la vengeance postbume de l’amour 1 méconnu. Mais tandis que, dans ce dernier no, nous n'en apercevions que l’extérieur pour ainsi dire, l’esprit ‘ne manifestant sa présence que par les efets qu’elle produit. ici il apparait comme un personnage distinct, et nous voyons l’un en face de l’autre le bourreau et sa victim:. O./'I t


I ’ AYA NO TSUZUMI ass

C ’est aussi d Seami Motohiyo que la tradition attribue
 . la composition de cette curieuse piece ,· mais nous sommes

portés d la croire antérieure d lui. On vient de voir qu’il _ . la ccmsidérait comme de caractére ancien, et qu'elle avail été remaniée de son temps sous* le nom de Koi no 0m0ni. E Bien que celle-ci lui soit aussi généralement attribuee, une tradition conservée dans la famille Kwanre veut que le texte en ait été écrit par l’empereur Go·Hana{ono ( r 428-1464) et conjié par lui d Seami, qui en aurait com- posé la mussque et réglé la mise en scene. Mais si, comme tout semble l’indiquer, la rédaction du Nosaku shb doit se placer vers I4 3 5, Go-Hana{ono etant né vers 1419, il est bien impossible qu’il ait été l'auteur d’une piece dont parle cet ouvrage. D'autre part, Aya no tsuzumi a une é _ sorte de simplicité un peu rude et fruste qu'on ne trouve 2 pas dans les oeuvres de Seami, et non plus dans Koi no omonl. Quoique le plan et la marcbe de la piece soient . identiques dans les deux cas, les dialogues plus longs, les explications plus détaillées de la secondeseforcent de rendre plus aisé et presque naturel l'encbainement des · faits. De plus, le style concentré, surcbargé de sens et d’allusi¢ms parfois forcées d’Aya no tsuzumi, semble asser éloigné de la souplesse et de la facilité élégante et un peu précieuse de celui de Seami. Ces dijérences s’accusent d’ailleurs avec d'autant plus de netteté que la · ressemblance est plus grande et les points de contact plus nombreux entre les sujets de ces deux pieces. Pour toutes ces raisons, nous inclinons dpenser que c’est Seami lui·~méme qui a refondu sous la forme de Koi no omoni l'ancien Aya no tsuzuml, que celui-ci n'est pas de sa composition et doit remonter aux premieres années du xv° siécle, et probablement meme un peu plus baut. Mais, jusqu'd present du moins, rien ne perm: meme


. ssa c 1 N Q N 6 d’essayer d’en déterminer plus précisément le veritable auteur. QA La structure de la piece ojre certaines irrégularités. L’entrée des personnages sy fait sans Paccompagnement des formes ordinaires, shidai, michiyuki, issci, etc.; les quelques pbrases bréves qu’écbangent a la scene ll le shite et le waki ne rappellenl que de loin le long dialogue en partie cbanté et terminé par un uta du cbaeur, dans le- quel les auteurs se plaisent ordinairement a déployer leur érudition el les jinesses de leur langage et qui tient géné- ralement une grande place dans les no. Un shidai appa- rait, il est wai, mais d une place un peu inattendue ; il esl cbanté par le cbceur comme introduction aux plaintes du vieillard. V} Cette curieuse piece n'existe plus actuellement que dans les répertoires des écoles Hosbé et K ongé. L’école K wanre, i suivant évidemment sur ce point la tradition laissée par Seami, la remplace par Koi no omoni, qu’elle est d'ailleurs seule d posséder. Komparu et Kita n’ont ni l’une ni l’autre. Nous suivons ici le texte de Hésbd. §' ` * _ u


AYA NO TSUZUMI




PERSONNAGES.


MAE-JITE. — Un vieux jardinier du palais.
NOCHI-JITE. — L’esprit ou fantôme du précédent.
TSURE. — Une dame du palais.
WAKI. — Un seigneur de la cour.


La scène est dans les jardins du palais de Ki-no-maru sur les bords de l’étang du Cannellier. A E ass c 1 N Q N 6 PREMIERE PARTIE - u On place sur le devant de la scene un arbuste auquel est attaché un tarnbourin. scENE-L l Entrée du wdki en costume de cour analogue in ceux qui i ont été décrits précédemment. ll est suivi peu apres, comme K dans Obara gv kd, par l’acteur comique charge de Yintermede, R ai, qui s'assied au pied de la colonne du kydgen. Le waki entre en scene et s’arréte au mmaria. _ R wax!. ] je suis un seigneur en service a la residence impériale I de Ki-no-maru (·) au pays de Chikuzen. Or ca, ily a ici ] un étang célébre nommé l’étang du Cannellier, et l’em— i pereur va souvent s'y promener. Un vieillard charge de balayer le jardin a apercu un jour le visage d’une dame du palais, et a concu [pour elle] un amour qui trouble ] son cozur. La chose est venue aux oreilles [de cette dame], et parce que la loi de l'amour est d’ignorer la distinction des rangs, elle a eu compassion. 4: Qy’0n suspende un tambourin aux branches du cannellier qui ; est au bord de l’étang, et qu’on le fasse battre par ce E vieillard; si le son de ce tambourin se fait entendre ius- I qu'au palals, alors je lui laisserai [de nouveau] apercevoir l mon visage », a—t-elle dit. Aussi vais-je appeler ce vieil- E lard et l’informer de ceci. Hola! Y a-t·il quelqu’un ici? Al (il se léve et vient saluer le waki). Me voici. i a I


` I AYA NO TSUZUMI zag wA1c1. Dis au vieillard chargé de balayer le iardin de venir de suite. A1. . · ]’0béis. (ll va 21 Pextrémité du pont et appelle.) Hola, vieillard chargé de balayer le jardinl On a besoin de toi et on te fait dire de venir de suite. Hate-toi de te rendre ici. (ll revient devant le waki.) Voici le vlcillard chargé de balayer le jardin. (ll retourne a sa place.) - SCENE 11. Entrée du shite. Il porte la perruque et un masque de vieillard; il est vétu du nosbimz et du mi{u·gvr0m0, vétement de travail en forme de blouse de couleur sombre, dont les _ · manches sont relevées jusqu’a l’épaule, et il tient un balai a la main. ll entre en scene et se place un peu en avant de la colorme du sbite. wA1<1. Hola, vieillard! Ton amour est venu in la connaissance de [cette dame], a qui toute révérence, et elle a compas- sion de toi. Viens donc battre le tambourin suspendu aux branches du cannellier de l'étang du Cannellier; si le son de ce tambourin se fait entendre jusqu'au palais, la dame te laissera une fois encore apercevoir son visage, a·t-elle dit. Viens donc en toute hate battre ce tam- bourin. " surrna. . ’ · _le recois cet ordre avec respect; et puisqu’il en est ainsi, j'irai battre ce tambourin.


no c 1 N Q N 6 WAR!. Viens par ici. (ll se dirige, suivi du sbin, vers le tam- bourin.) Voila le tambourin dont il s’agit; hite·t0i de Ic battre. ll va s’asseoir au pied de la colonne du waki. sum:. En vérité, je l’ai entendu dire, le cannellier de la lune ('), celul qul est au palais de la lune, est célébre entre tous les cannelliers. Mais celui-ci est [pour moi] le [seul] vral; et voici juste au bord de l’étang le tambourin suspendu in ses branches. Que le son s’en fasse entendre, et qu’il soit un frein [aux troubles] de mon amour (‘). Et voici Qp’a ma voix se méle celle de la cloche du soir; Comme ses tintements, se pressent les jours se succé· [dant l’un a l'autre; ‘ cuaaua. Et [toujours] c'est au soir qui va sulvre que je reporte [mon espoir (bis)! Ah! je veux frapper le tambourin [signal] de cette heure [attendue]! Répétition de ces vers en sourdine. SHITB (assis au daisb6·ma¢). Les conditions fussent—elles autres (‘), En un corps aussl vieux que la cigogne des nuits [obscures (‘), CH(EUR. Oh! la misére de nourrir des pensées d'amour! ‘


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A *1* A N 0 T s U *1 ¤ . surre. | L temps passe et `e ne le sais p s* et es v ues bl n [chissan es ¤.:1—11£1J11 uurqucai dum: Ie tambnurin ne res r1r1e·t-1l·pas(" su Ts. L pp cache mem de le V1 futu e ne m evenlle pas de [men réve]. cet su cmne *1, muu s' 1; ch n hm v'eilless uceua. iles r s mesl es tum Il nt; Et ces cuties qui Iissent une` une des tieurs den cm [cmu t nt eur t in [triste] su un vé d'he be (' . uespére dunc cet imuur a ssi tuurmente que l· _ [dawallie [‘ ? I surr crt ATI m Fl pcu Iuubli 1; mus. st un meu plu qu lui qui ’0ub1i s Mais 11 ce mcmde utes ch ses hum in s sont s mbl bles u cheval du [vi ii rd del b rriére(' . Les jnurs nuus éch ppent d une uite insziisissable. sannées *5s t et uzmdl tem sser venu, ch min qu 11 fau r suivre 111 sur es buisscns [s [d'puse] r¤see( , et le te rn de cett existe ce aussi b eve [ ue! r se du bu'ss0n I


W c 1 N Q N O A qui les demander? Ah! miserable chose! Pourquoi, puisqu’il en est ainsi, puisque si bien je sais tout cela, m'abandonner in ce point in l’illusion? sl-HTH (ll se léve). Réveillez·vous! » crie, de l'aube cnaaun. Chassant le sommeil, le veilleur En frappant in coups presses son tambourin . Qui résonne. Aux sons [de celui-ci], de celle que j’attends, Ah! si je pouvais entrevoir le visage ou seulement le [damas de ses vétements I De damas ll ne sait pas que ce tambourin est fait; De toute la force de ses mains de vieillard [ ll a beau frapper (‘); il ne pergoit aucun son. I 4: Serait-ce donc que Page [a durci] mes oreilles? » se Et il écoute, il écoute. [demande—t-il, I - Des vagues du lac, de la pluie aux fenétres Les chocs me font tous entendre leur bruit; I Seul ce tambourin ne résonne pas. Ah! l'étrange tambourinl Et pourquoi donc aucun son n’en sort-il? I Cet amour, en frappant [le tambourin] je l’oublierai peut- [étre, pensais-je; Mais de ce tambourin de damas aucun son ne sort. Et Attendrai·je ce qui ne doit pas venir? [moi-meme snrrs. q Elle ne se montre pas En une nuit de pluie, la lune anxieusement attendue; Et il ne résonne pas le tambourln marquant l’heure Qu! dissipera les ténébres obscurcissant le cctur [qui · [l’attend] ('), I - I I I


AYA N0 TSUZUMI gas `q cuazun. Aux coups frappés sur le tambourin des heures, les jours _ [passent; , C’était hier, c'est auj0urd'hui ; j’espére en vain; sum;. Celle in qui je me suis donné, pas méme en songe

 cr-razun.

Ne se laisse ivoir. Dans mes pensées secrétes matin et [scir (') sums. je reste plongé. Le tambourin ne résonne pas; _ cr-ruaun. Elle ne se montre pas. Qu’est-ce dcnc la? or Le dieu tonnant lui-méme Ne peut séparer ceux qui s’aiment (') »; oui, Cela je l’ai bien entendu. Pourquoi donc alors Trouvé-je si peu de recours? ll dit, Et détestant sa vie et maudissant cette femme : 4 Puisqu’il en est ainsi, a quoi bon Continuer a vivre? » [s’écrie—t-il]; et dans l’étang ll se précipite et meurt, ll précipite son corps miserable et meurt. Pendant le chant de ces derniers vers, le sbile quilt la scene et rentre dans le Icagami no ma.


Ms c 1 N Q N 0 INTEBDIEDE ‘ Al (ll s’avance vers le milieu de la scene). Oh! oh! que dit·on? Ne raconte·t-on pas que Ie vieil- lard charge de balayer le jardin, désespéré de ce que Ie tambourin ne donnait pas de son, s’est jeté dans l'étang i du Cannellier et qu’il est mort? Hola, hola! quelle pitoyable chose! La raison pour laquelle il a fini ainsi, la voici exactement. Un jour que l'empereur était venu sur les bords de l'étang du Cannellier, cet homme, en dépit de la bassesse de sa condition (‘), apercut un instant la beauté d’une dame du palais et en concut un amour qui l troubla son cceur. On parle bien sans doute d’amours l sans espoir, mais cependant les sentiments de ce vieil- 1 lard ne laisssaient pas que d’inquiéter vaguement ('). E C'est alors que la dame ayant appris ce qu’i| en était, a ` eu compassion des sentiments de ce vieillard, parce que g l’amour ne fait pas de difference entre les conditions. Elle a ordonné de suspendre un tambourin au cannellier de l’étang du Cannellier et de le faire battre par le vieillard; si le son de ce tambourin se faisait entendre jusqu’au palais, elle devait se montrer a lui encore une fois. On é · suspendit le tambourin et on le tit battre, comme elle g l'avait dit. ll arrive, dit—on, que suivant le temps ou l’état i du ciel, méme un tambourin ordinaire ne donne pas de son; a plus forte raison ce tambourin-ci tendu de damas ne pouvait-il aucunement résonner. Le vieillard s'ima· gina pourtant que le tambourin devait résonner, mais que, peut-étre a cause de son age, ses oreilles n'en per- cevaient pas. le son. Aussi, voulant a toute force l’en- tendre, il se mit in frapper en désespéré; mais aucun son [


AYA N0 TSUZUMI M7 n’en sortit. as Cette fois, tout est fini », se dit·ll alors, et il se jeta soudain dans l’étang du Cannellier ou il mourut. Vraiment il n’y a rien qui soit plus digne de pitié. C n’était sans doute qu’un homme de basse condition· cependant on ne peut laisser les choses en cet état, et je vais aller rendre compte de ce qui s’est passe. (ll s'ap· proche du waki, ou se tourne vers lui s’il s’est assis, et le salue.) Hola! je désire vous parler. Le vieillard charge de balayer le jardin, désespéré de ce que le tambourin ne résonnait pas, s’est jeté dans l'étang du Cannellier, et il est mort. wma. ` Qu’est·ce que tu dis? Tu dis que ce vieillard, désespér de ce que le tambourin ne résonnalt pas, s'estjeté dans l’étang du Cannellier P A1. Parfaltement; il s’est suicidé. l wax!. Alors je vals aller faire part de cette nouvelle. A1. Vous aurez bien raison. DEUXIEME PARTIE Entrée de la .Dame en costume ordinaire de femme, et portant un masque de jeune femme. Elle va s'asseoir a la place du waki, qui se retire d’abord en avant du chaaur, pui vient la saluer.


ua c 1 N o N 0 serine m. wA1cL Hola! je désire vous parler. Ce vieillard, désespéré de ce que le tambourin ne résonnait pas, s'est jeté dans l’étang du Cannellier et est mort. Uattachement (‘) de cette sorte [d’esprits] est extrémement redoutable. Hatez-vous donc de venir le voir (‘). LA DAME (se levant et s’avan¢;ant). Hola! vous tous, écoutez doncl Le bmit que font ces vagues en se heurtant Ressemble aux sons d’un tambourin. D’ou cela vient—il? Oh! quels charmants sons de tambourin I Oh! que c’est charmantl WAKI. O prodigel les maniéres de cette dame Semblent d’une femme qui a perdu la raison! I Quelle peut en étre la cause? l LA DAME. ll est bien juste que j'aie perdu la raison. » Un tambourln de damas peut·il donc résonner? i ]’ai ordonné de frapper ce qui ne devait donner aucun son ; C'est alors que j’ai commencé de perdre la raison. wA¤u. i Elle dit. A la surface du lac bruissent les vagues du soir; LA mma. Parmi leurs chocs - i . H


Y N 0 T S U z U M 1 wma. Un oix s'éléve. SCENE 1v. Le rusleau du gz ` a se leve, le nocbi-jitc commence ' h chanter de l'intérieur et s’avance peu in peu sur le pt nt. II porte la perruque blanche dite sbiro-gasbira, un masque de démon du genre aku-j6, l’atsu»-ita et l’6gu¢bi; il s’app i s r L une canne, et un ucbique, sorte de petit maillet Ea long . manche, arme ordinaire des démons, est passé dans sa cein- ture. uoc:-u-jrre. Du vieillard Devenu poussiére tlottante en cet étang, comme les [va u S cr-roauk. Reviennent sur elles-mémes, reviennent Yattachement et ¤ ' [la rancceur. ~ surrn. · De plalnte, de rancoeur, i ll serait insensé de parler ici. Combien insensé ll entre en scene, laisse tomber sa canne et saisit n maillet. cuaauk. Fut ce mauvais amour dont la colére me posséde. C tte [ran (Bur Ne s’éteindra pas, non, elle ne s’éteindra pas; Les nuages [qui ont obscurci] mon cozur ne se dissi ont

 Et me voici devenu un démon des enfers. pas*

~ Sum;. I oc Aux champs d’Oyama L’eau des riziéres méme vint-elle A tarir,


aso c 1 N Q N 0 Mon cceur est un lac, ie ne dirai pas la source ou il s’a!i· [mente (‘). » ]’y étais résolu. Pourquoi donc alors, avec tant de cruauté M'avoir ordonné de faire résonner ce tambourin muet? N’était-ce pas me dire d’y (‘) dépenser tout mon cczur? Mon cceur s'était donné tout entier a la lune apercue [entre les arbres (‘). cr-noaun. Ce tambourin de damas suspendu at ce cannellier surre. Peut·i! donc résonner? peut—il résonner?Essaie, frappe—le! ll met la main sur l'épau!e de la dame, et !’améne devant le tambourin. cuozun. •< Frappe, frappe! » ll la presse : •< Comme le tambourin A coups précipités, vite, vite (‘), [battant la charge Frappe, frappe donc! » dit-il; Et il Ia harcéle en brandissant son maillet. •< Le tambourin ne résonne pas! Malheurl ma!heur! » S’écrie la dame; et sa voix Est rauque. •< Eh bien! te repens·tu? te repens—tu?» Le sbite retourne au daisbd-mae, la dame au waki4. Du grand démon des regions obscures ('), Aho- [rasetsu (‘) (bis), Telles doivent étre les tortures; Les supplices mémes de la roue de feu (’) Qui écrase le corps et rompt les os, ! Ne sauraient étre plus grands que celui [que j'endure]. I [Ah! c’est horrible! Ah! quelle cause a bien pu produireun effet [si terrible] P I


AYA NO rsuzumt an s¤~u·n=:. [Uenchainement] de la cause et de l’effet est clair et [immédiat (‘); le voilh devant mes yeux. cuozun. i ll est clair et immédiat; le voilé devant mes yeux; je le reconnais. Sur le bord de l'étang Aux vagues blanchissantes, au cannellier Etait suspendu le tambourin. Sans connaitre l'heure [qu il [sonnait] ‘) je me suis épuisé :21 le frapper, j’y ai dépensé tout mon Puis je me suis jeté dans les flots de l’étang, [cmur; Et je m’y suis enfoncé, poussiére tlottant au gré des Qui soudain devenant fantome, [vagues. C’est moi Me suis emparé de cette dame pour la chétier, La frappant de mon maillet comme se heurtent les vagues. 4: Dans Pétang, au bord oriental, la glace a fondu Sous le souflle de la brise » ('); sous la tombée de la pluie S'ouvrent les [lotus,] Lotus rouge et Grand lotus rouge [ . Tous les poils de mon corps se hérissent. Par dessus les [vagu s La carpe a bondi, et elle est devenue un horrible se - je le comprends, tels doivent étre [pent ('). En vérité les démons des régions obscures ("). 4: Ah l je la déteste, je la déteste! Ah ! je Ia déteste, cette femme, je la déteste !» s’écrie-t-il. Et il s’enfonce au gouffre de l’amour. ___


NOTES

Page 238 :

(*) La prononciation ancienne etait Ko-no-maru, et c’est ainsi que Sei Shonagon écrit ce nom dans son Makura no soshi ; nous nous conformons ici au texte du nô qui donne Ki-no-maru.

Page 240 :

(*) Il a ete fait allusion a cette vieille legende chinoise a propos du no de Sotoba-Komaclu. Cf. ci-dessus, p. 192, n. 7 de la p. 176.

(‘) Expression tiree d’une poesie anonyme du livre XI du 1 xeumm : {

Aware cho La compassion ! Koto dani nakuba, Si ce mot au moins n’existait pas, Nani wo ka wa Où donc Koi no midare no Aux troubles de l’amour Tsukane-o ni sen ? Trouverais-je un frein ?

(•) Si la distance des rangs ne crealt pas entre celle que i’aime et moi d’aussi lnfranchlssables obstacles.

(•) La longevité de la cigogne est proverbiale. La cigogne crlant dans la nuit est assez souvent un symbole d’amour maternel et paternel; mais ici les « nuits obscures » ne sont sans doute qu’une epithete poetique de sens general, a moins qu’0n ne veuille y trouver insinue le sens : a un age ou il ne convient d’aimer que ses enfants.

Page 243 :

(*) Nami se dit aussi bien des « vagues » que des « rides », et c‘est le second sens, celui des « rides » symbolisant la vieillesse, qu’amène la suite logique de la phrase. Mais l‘auteur y substitue a


  1. Les nô sont en effet imprégnés au plus haut point des théories du Ryôbu shintô, qui prévalurent au Japon durant tout le moyen âge, et furent la principale cause de la rapide diffusion du Bouddhisme dans le peuple. On sait que ces théories, sur lesquelles nous ne pouvons nous étendre ici, aboutissaient à identifier les dieux du Shintoïsme avec des êtres surnaturels ou de grands personnages du Bouddhisme. De là le mélange intime des deux religions dans la plupart des grands sanctuaires et dans la pensée et la dévotion du peuple.
  2. a et b Nous ne pouvons faire ici l’étude détaillée de ces genres; pour le moment, il suffit de savoir qu’il s’agit surtout de danses chantées.
  3. Les règles du nô exigent deux ou quatre waki-zure ; pratiquement, à moins de raisons particulières, on s’en tient au premier chiffre. Le waki et ses deux tsure sont souvent nommés les « trois ministres », san daijin, parce qu’ils paraissent fréquemment en en qualité d’envoyés impériaux.
  4. Il arrive pourtant que l’un d’eux ait quelques répliques au commencement de l’intermède ; mais elles sont sans importance, et ne constituent à vrai dire qu’une variante du rôle du seul waki. Ce n’est qu’assez tard et très rarement que le waki-zure reçut un peu d’individualité.
  5. Ce temple existe encore, mais il a été enlevé au bouddhisme et attribué au shintoïsme, et porte aujourd’hui le nom de Dazaifu-Tenjin-ja.