Vers
composés
Par Madame Dorothée de Croy.
Duchesse Douairière
Du Croy et d’Arschoth.
1637.
PERSONNAGES


Cinnatus.
Camma, sa femme.
Himen.
Sinorix.
Le Philosophe.
Le premie Gentilhomme de Cinnatus.
Le second.
Le Maistre d’hostel de Sinorix.
Le Conseiller de Sinorix.
Le Diable.
Le Confident de Sinorix.
Son camarade.
Le Dieu Morphée.
La première demoiselle de Camma.
La Seconde.
Le Sacrificateur.

Cinnatus et Camma,
Tragi-Comédie

Chanson.

Amour est un beau servage
Il n’y a rien de si doux
Ny d'estimable entre nous
S'il pousse notre esclavage
En un subiect glorieux
En des vertus desireux.

Que c’est une douce chaisne
A Cinnatus amoureux
De se pouvoir dire heureux
Dans la fortune certaine
Le reste ne luy est rien
Au respect de ce cher bien.

La fortune quy se jouë
Rend le fort commun à tous
Et lorsquelle est en courroux
Elle sçait tourner sa rouë
Pour terrasser nos amours
Et les finir à tousiours.

Prologue

Comment pourrois-ie assez vous dire les merveilles
Des vertus de Camma qui n’ont point de pareilles,
Pour la sincérité de ses divins appas
On ne sauroit assez les chanter ici bas.
Vous verrz les progrès d’une belle alliance
Faire esclatter partout sa divine constance
Elle brave la mort, terrasse les pervers
Qui ne méritent pas que l’on nomme[illisible] ces vers
Et fait voir à chacun que son amour sans feinte
Est gravée en l’honneur d’une affection saincte
Pour suivre son mary : et sa pudicité
Le veut accompagner en l’immotalité
Affin de se venger de l’audace cruelle
D’un tyran qui vouloit sans raison jouir d’elle.
Et sans aucun respect assouvir ses desirs
Pour la donner en proye[illisible] à tant de desplaisirs
C’est ce que vous dira cette histoire admirable.
Je vous prie escouter et m’estre favorable
Vous verrez qu’une femme a ressenty le tort
Qui pointe son dessein au dela de la mort.

ACTE premier.


Scène première.

Cinnatus, Camma.
Cinnatus.

Jouyssant de l’aspect de cette belle aurore
Cette aymable Camma que sainctement j’adore
Et que j’estime plus que je ne sais[illisible] mes yeux
N'y que tous les trésors que nous versent les cyeux
Doy-je pas exalter cette bonté divine
Pour la remercier ? En ce lieu je m’incline
Et j veux reconnoistre en mon contentement
Que je suis en effect le plus heureux amant.
Qui soit en l'univers pour jouyr n cet age
Despotes savoureux fruicts permis au mariage
Etant tous deux liés par une volonté
Qui unit nos desirs dans la conformité
Que tout ce que je veux, elle le veut de mesme
Pour me davoriser elle dit qu'elle m’ayme
Un bonheur qui ne peut assez s'exagerer
Tout ce quy est en elle indigne d'honorer
Dans ce ravissement à plus rien je n’aspire
Puisque la possédant j’ay c que je desire
Qui peut on égaler à ce bien souverain

De se voir caressé d’une si belle main ?
Rencontrer le subiect d’une si saincte amante
Quy est dans son debvoir et fidelle et constante.
N’en dois-je pas louer nostre bon Jupiter
Et tous les autres Dieux que je dois respecter,
Nous les devons benir dans la recognoissance
Au milieu des succès[illisible] de noste jouyssance.
Vous me favorisez de vostre affection
Je vous ouvre mon sein sans nulle affliction[illisible]
Puisque vous possédez l’intime de mon ame
Faictes moy part aussy d’une pareille flamme

Camma.

D'atterrir vous de moy, vous dois-je conjurer
De croire mon amour pour vous en asseurer ?
Auriez vous des soupçons de celle quy ne pense
Qu'à vous servir en tout sans autre récompense ?
Plutôt l’aube du jour à jamais voilera
Son agréable tein, plus tôt ne brillera
Ce grand flambeau des cieux et [illisible] nostre Lune
Ternira sa clarté pleurant mon infortune
Que je vienne à manquer de garder le serment
Que je vous ay juré sy solennellement

Vous estes asseuré que je vous abandonne
Tout ce quy est de moy, mes biens et ma personne
Mon esprit résolu ne fleschira jamais.
Sur cette vérité vous devez vivre en paix.

Cinnatus.

Vous estes le soleil qu’icy bas je révère,
Lorsque j’ay de l’ennuy pour par vous il se modère.
Beaux yeux, astres divins, sy doux, sy attirans,
Qui nous[illisible] pour vous nommer agréables tyrans.
Je ne vous voudrois pas changer à un Empire
Vous estes l’élément par quy seul je respire.



Scène deuxiesme.

Le Dieu Hymen.

Je n’ay point rencontré en cent lustres de tems
Deux amans plus parfaits ny quy soient plus contens.
On n’en sçauroit trouver quy s’ayment davantage
Ils sont très accomplys, l’un et l’autre fort sages.
En ce siècle pervers, en ce monde bisard,
Où le bien nous arrive ainsy que par hazard,
Nous devons estimr un si divin rencontre
Dans tous les bons succès le [illisible] à l’encontre,
Tel se dit satisfait quy n’en pense pas moins
Mais la nécessité aprend tout au besoing ;

Il faut dissimuler, on doit par force feindre
Car il n’est pas séant quelques fois de se plaindre.
Nos courtisans mocqueurs detourneroient le dos
Riroient de voir quelqu’un seicher jusques aux os.
Scavent gausser de tout, trouvent surtout à rire
D’eux mesmes s’ils pouvoient ils en voudroient mesdire
Sur ces amans icy on ne scauroit parler.
Il n’y a pas subjet de tant soit peu railler
Vous les voyez tous deux dedans la modestie
L’amour avec respect maintient les sympathies
De ces esprits unis quy sont dessus mes meurs
Quy est le principal pour jouyr des douceurs
De l’estat où ils sont, et passer cette vie
Sans desdains, sans soupçons d’aucune jalousie.
Tant de rapports hayneux qu’y rompent l’union
Parfaicte d’amitié et de discrétion
Sont bannis de chez eux, et quelque bon génie
Fait que ce que l’un veut, l’autre ne le dénie
Cette belle union de n’avoir qu’un vouloir
Nous doit faire estimer l’amour et son pouvoir
Quelle félicité dans la correspondance
Quy, unissant les cœurs par une confiance
N’en faict qu’une seule ame, esperant que je dis[illisible]

Que c’est treuver en terre un second Paradis
Dieu veuille prosperer cette amitié fidelle
Pour après cette vie jouyr de l’immortelle.


Scène troisième.

Sinorix et ses gens.

Celuy quy est sujiet soubs l’amoureuse loy
Doit servir en effet son tourment comme moÿ.

Sinorix

Promenant l’autre jour je treuvoy une belle
Soubs quy tout l’univers je dois mettre en tutlle,
Ses cheveux esclattans annelés et dorés
Et ses beaux yeux brillans dignes d’estre adorez
Peuvent assujetir l’homme le plus barbare
Esblouyr de ces traicts d’une beauté si rare.
Pour moy j’en suis espris je le veux confesser
Car on ne doit jamais ses vaincqueurs mespriser
Je n’y veux pas cacher les peines que j’endure
Je ne sçaurois nier l’honneur de ma blessure
Quoy que l’on puisse dire, je l’ayme infiniement
Encor que l’on mesdit de mon aveuglement,
Et que quelques raisons font croire que je dois craindre
De n’y pouvoir jamais en si beau lieu attendre
Je combats contre moy, et ma témérité

Me dit assez souvent que je n’ay mérité.
Vn subject si parfaict sans luy rendre service
Et ce triste penser m’est un cruel supplice.
Ne suis-je pas perdu au milieu de mes feux.
Je n’ay encor osé luy déclarer mes vœux.
Toutes fois bien aymer ce n’est pas une injure,
Je luy dois faire voir la peine que j’endure.
N’ay je pas bien mal fait de sy longtemps tarder ?
J’ay peu de hardiesse, Je ne veux amender,
La cause de mon mal mérite de le dire.
Et d’excuser encor ma plainte et mon martyre.
Cette face angelicque a sceu ravir mes sens
Quy pourroit résister à ses traits innocens ?
Quy pourroit regarder cette parfaicte image
Sans luy donner son cœur et son amour en gage ?
Ce sont les préjugés de ſes perfections
Quy peuvent m’apporter des consolations.
Et quoi[illisible] que pour cette heure il n’y ayt apparence
De quérir mon ardeur ny mon impatience
Si ne puis-je advouer dans mes ressentimens
Que je ne dois treuver aucuns soulagements.
On me dit c’est en vain, de tenter la fortune,
cette femme n’est pas une femme commune.

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La sympathie ou les fatalitez
Trompent[illisible] nos cœurs de ses feintes caresses.

Bien peu souvent l’amour nous est prospere,
C'est un moqueur[illisible] quy veut tout mespriser
Et rarement nous veut favoriser ;
Ses advouez le disent fort sort sévere.

Ad majorem dei virginisque
Gloriam.