Chronique du 7 juin 1873
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7 juin 1873
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► | 14 juin 1873
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CHRONIQUE
Isthme de Panama. — La question du percement de l’isthme de Panama est reconnue de plus en plus insoluble, à cause des difficultés énormes que présentent les terrassements. En présence de cette situation insurmontable, un ingénieur, M. A. Sébillot, a proposé de faire franchir aux navires les pentes du terrain au moyen de bassins mobiles remplis d’eau dans lesquels on les ferait entrer, puis, tout en y restant à flot, le bassin ou dock, monté sur six rails, serait hâlé par un certain nombre de locomotives sur des pentes pas plus forte que celles que l’on rencontre dans la pratique de la construction des chemins de fer. Ce projet, basé sur des systèmes analogues établis aux États-Unis, assurerait une grande économie et plus de rapidité d’exécution.
Service météorologique aux États-Unis d’Amérique. — Le ministère de la guerre a organisé aux États-Unis un service météorologique pratique, analogue à ceux qui ont fonctionné pendant quelque temps en France et en Angleterre. Le ministère, ayant tous les jours le télégraphe à sa disposition pendant un temps déterminé, a profité de l’excédant accordé aux ordres à transmettre pour communiquer tous les jours des télégrammes de l’état atmosphérique à 74 stations, réparties sur les divers points des États-Unis. L’administration centrale compulse tous les matins les indications reçues, sur une carte-type et fournit des prévisions en conséquence. Elles comprennent : les courbes isobares, l’état du ciel figuré par des signes conventionnels, une notice sur la situation météorologique d’ensemble et les probabilités qui en sont la conséquence et les observations thermométriques.
Le kauri. — Les essences des forêts vierges de la Nouvelle-Zélande sont multipliées à l’infini et les colons anglais savent déjà bien en tirer parti pour la charpente et l’ébénisterie ; mais ce que l’on recherche avec une égale assiduité, c’est la gomme de kauri, sorte de produit végétal enfoui dans la terre. On suppose qu’à une époque reculée, de grandes étendues de bois ont été brûlées et que la gomme, qui est une sécrétion naturelle suintant entre l’écorce et le bois, s’est écoulée jusqu’aux premières racines où elle vient former un amas. La terre qui recouvre le dépôt aurait suffi pour le protéger de l’action du feu. Il existe encore cinq à six millions d’arbres qui produisent le kauri à la Nouvelle-Zélande.
Le jardin de Kew. — Un jardin botanique gagne beaucoup en intérêt lorsqu’il est accompagné de collections technologiques qui mettent en évidence tous les usages des végétaux. Cette union de la théorie avec la pratique est parfaitement réalisée au jardin de Kew, près de Londres. On a eu l’idée de transporter à Londres même les collections de ce riche muséum, mais l’opinion publique, si puissante en Angleterre, a protesté par des adresses couvertes de signatures, et rien ne sera modifié dans les installations de ce remarquable établissement.
Le puits glacé de Vermont. — Il existe à un mille de Brandon (Vermont), un puits qui a 15 mètres de profondeur, dont l’eau reste gelée pendant toute l’année. Le propriétaire commença à le creuser en 1859 ; après avoir traversé une couche d’argile, il arriva sur le gravier, où l’eau était abondante. Quand l’hiver vint, la glace se forma graduellement chaque nuit, suffisamment pour remplir le fond. Le puits fut abandonné ; ensuite, des spéculateurs croyant pouvoir tirer parti de cette anomalie, creusèrent dans les environs d’autres puits, pour rencontrer une couche de glace, mais ce ne fut qu’à la cinquième tentative qu’on obtint satisfaction. Les géologues émettent, entre autres commentaires, l’opinion que d’anciennes moraines de glaciers existeraient encore sous les couches d’argile, qui les auraient suffisamment protégées de la radiation solaire. On doit continuer les investigations.
Tremblements de terre sous-marins. — Il existe sous l’équateur, dans l’océan Atlantique, entre le 20° et le 50° de long. O., une région où, depuis près d’un siècle, les navigateurs mentionnent des tremblements de terre sous-marins ; de secousses non équivoques ont été observées à plusieurs reprises différentes. Récemment, le navire-école des États-Unis, Mercury, a fait des sondages et des dragages dans ces parages ; on a constaté la présence de sable volcanique, qui, vu au microscope, avait tout à fait l’apparence de celui que l’on rencontre auprès des volcans en activité.
Les arbres-bouteilles. — M. G. Bennet, de Sydney (Australie), a récemment signalé des arbres curieux ayant forme de bouteille, découverts dans la province de Queensland, dans des pâturages sur un sol sablonneux. Ils appartiennent à la famille des Sterculiacés et sont nommés par les botanistes australiens Delabechia rupestris. Les observateurs eurent occasion d’en voir un groupe de neuf, dont la hauteur avait environ de 10 à 20 mètres de haut ; la base, au tronc, qui a de 2 à 8 mètres de circonférence, est renflée, tandis que du sommet aminci il sort des branches disproportionnées par leur petitesse, par rapport au tronc de l’arbre. On remarque dans la structure interne une sorte de gomme mucilagineuse, dont certains pionniers font un usage alimentaire. On fait aussi des canots avec l’écorce.
Le coton aux îles Fidji. — La race anglo-saxonne, douée de cette aptitude naturelle à la colonisation, poursuit son œuvre dans toute l’Océanie, disputant pied à pied le terrain aux indigènes. La plantation du coton réussit bien aux îles Fidji ; commencée à l’époque de la guerre de sécession, elle se continue sous des auspices favorables. Le climat, le terrain et le mode de culture permettent d’obtenir des qualités en tout égales à celle si renommée de la Georgie. Depuis 1867, époque des premières expéditions pour l’Europe, les exportations ont quadruplé.
Chaleur maxima que peuvent supporter les poissons. — M. Lefèvre vient d’expérimenter sur des poissons rouges d’aquarium, en chauffant l’eau avec un thermosiphon, que les cyprins ne peuvent vivre dans un milieu dépassant environ 33°. Après avoir ouvert les clapets qui permettent la circulation de l’eau chaude, il trouva une température de 36° à la surface et de 31° au fond. Dix individus étaient morts sur 56 ; les survivants nageaient dans les couches d’eau inférieures, qui étaient plus fraîches. En laissant pendant quelque temps l’eau abandonnée à elle-même, pour juger de l’effet que produirait cet accroissement de la température, elle tomba à 28° à la surface et 22° au fond ; les poissons étaient très-vifs et venaient prendre leurs ébats à la partie supérieure, ce qu’ils évitaient précédemment avec soin.
Le poison des Pahouins, naturels du Gabon. — Deux savants physiologistes MM. Polaillon et Carville, ont pu se procurer par un voyageur émérite, M. Vincent, médecin de marine, des graines d’inée, plante remarquable et peu connue, dont le suc est employé par certaines tribus du Gabon pour empoisonner leurs flèches. Il résulte des nouvelles recherches de ces savants que l’inée (Strophantus hispidus) est un des poisons les plus énergiques.
« MM. Polaillon et Corville, lit-on dans les Archives des sciences physiques et naturelles de Genève, démontrent que l’extrait d’inée empoisonne les grenouilles par arrêt du cœur d’une façon tout à fait analogue à la digitaline ou à l’upas anthiar ; le cœur, après avoir subi des intermittences et une incoordination de ses battements, s’arrête ; les oreillettes sont gonflées par le sang, qui les distend en diastole, tandis que le ventricule est ordinairement contracté en systole ; cet effet se montre aussi chez les animaux curarisés. L’extrait que les auteurs employèrent produisit, à la dose de 4 milligrammes, placés sous la peau d’une grenouille, un arrêt complet du cœur en deux heures, tandis que la même dose d’anthiarine le produisit en 1 heure 26 m., et la digitaline en 1 heure 27 m. Ce poison produisit un effet semblable chez les animaux à sang chaud, comme le montrent des expériences faites sur des oiseaux, des lapins, des chats, des chiens et des souris. »
D’après ces recherches, il résulterait que l’inée est un poison des muscles, et que son action sur les autres organes serait nulle ou secondaire.
Les aérostats militaires en Prusse. — Les Allemands n’ont pas manqué d’étudier avec soin, d’examiner scrupuleusement, le service des ballons-poste pendant le siège de Paris. Ils ont publié, depuis un an, un nombre considérable de brochures, de livres, d’articles sur cette intéressante question, et connaissent généralement mieux que nos compatriotes eux-mêmes l’histoire récente de notre aérostation. Leurs journaux militaires ont attentivement passé en revue les expériences entreprises par nos aérostiers ; il y a déjà quelques mois, une des feuilles spéciales les plus estimées de l’Allemagne, le Jahrbücher für die deutsche Armee und Marine, publiait à ce sujet un travail très-étendu et très-complet. L’auteur y parle des services que nos aéronautes ont rendus, des efforts qu’ils ont tentés dans le but d’observer l’ennemi en ballon captif, pendant les campagnes de l’armée de la Loire, Ce long chapitre contient certaines révélations que nous reproduisons textuellement.
« La science allemande, dit le journal de Berlin, n’est pas non plus restée oisive devant les questions aériennes. Depuis longtemps déjà, une commission d’hommes de science, nommée par l’État, s’occupe, sous la présidence de M. Helmholtz, physicien bien connu, de recherches théoriques sur la résistance de l’air et les moyens de la vaincre par des moteurs suffisamment puissants. Bientôt peut-être seront-elles suivies d’une série d’expériences pratiques, entreprises de concert avec l’état-major et l’administration supérieure des postes. Leur but essentiel sera de résoudre la question de l’usage des aérostats pour le service de sûreté des armées. »
Un tel fait ne devrait-il pas nous décider à rompre avec notre coupable inertie ? faudra-t-il que nous soyons condamnés à assister de loin aux expériences d’aérostation de l’état-major prussien, avant que notre administration militaire ait à peine songé à en organiser de semblables. Nous n’ignorons pas que le ministre de la guerre se préoccupe sérieusement de la question des ballons, mais ne serait-il pas temps de transformer enfin le projet en fait accompli ?
Nouveau procédé de fabrication du sulfate d’ammoniaque. — Parmi les substances les plus propres à fertiliser le sol comme engrais, on doit citer le sulfate d’ammoniaque, dont l’effet sur les cultures est tellement efficace, qu’on a vu les récoltes doubler, quand on avait répandu 100 kilogrammes de ce sel sur un hectare, Le sulfate d’ammoniaque compte déjà beaucoup de sources de production : M. L’Hôte, chimiste distingué du Conservatoire des arts et métiers, vient d’en trouver une nouvelle. On conçoit qu’il est important d’augmenter le rendement d’une fabrication aussi précieuse,
M. L’Hôte utilise les déchets azotés d’un certain nombre de nos industries, tels que déchets de laine, de peau, de cuir, de corne, de plume, d’éponge, etc. ; il les traite par la soude caustique, qui est employée aujourd’hui industriellement depuis les travaux de M. Gossage ; par cette réaction, il transforme l’azote contenu dans ces substances, en ammoniaque, comme cela a lieu dans les dosages organiques opérés par la chaux sodée. Le gaz ammoniac obtenu est absorbé par de l’acide sulfurique ; le sulfate d’ammoniaque formé est purifié par voie de cristallisation.
Pierres musicales. — M. Richard Nelson, écrit au journal anglais Nature une lettre intéressante, où il parle de certaines pierres musicales, qui se rencontrent assez fréquemment aux environs de Kendal, ville voisine de Lancastre, dans le Westmoreland. « En me promenant aux environs de Kendal, dit cet observateur, à travers les monts et les rochers, il m’est souvent arrivé de ramasser certains cailloux que l’on appelle ici « les pierres musicales, » Elles sont généralement plates, usées par le temps, et offrent des formes particulières ; quand on les frappe d’un morceau de fer ou d’une autre pierre, elles rendent un son musical, bien différent du bruit sourd que produirait un caillou ordinaire. Les sons obtenus sont généralement assez analogues, mais je connais des personnes qui possèdent huit de ces pierres, qui frappées successivement, produisent une octave très-nette, très-distincte. Je ne suis qu’un amateur de géologie, ajoute M. Nelson, et je me sens incapable d’expliquer ce fait ; je serai heureux qu’un de vos nombreux lecteurs, prenne la peine de donner des renseignements sur la composition des pierres en question, et sur les propriétés qu’elles doivent offrir pour produire un son musical. »
Ce fait est, en effet, très-curieux, et n’est pas encore expliqué d’une façon suffisante. Nous nous rappelons avoir vu à Paris, dans une fête publique, un physicien en plein vent, qui jouait des airs de musique, en frappant d’une tige de fer, de gros cailloux de silex, pendus à des fils de soie. Les sons obtenus étaient limpides et purs : les pierres siliceuses avaient des formes très-irrégulières.