Chronique de la quinzaine - 31 octobre 1833

Chronique no 38
31 octobre 1833


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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31 octobre 1833.



La situation de l’Espagne occupe toujours les esprits. De grands paris avaient été ouverts à Paris et à Londres en faveur de don Carlos, et don Carlos ne se montre pas. Ses partisans eux-mêmes ne lèvent encore la tête que fort timidement, et la fin malheureuse du seul d’entre eux qui a déployé un peu d’audace, du vieux Santos-Ladron, fusillé dans la Navarre, n’a pas été suivie des sanglantes réactions auxquelles on devait s’attendre. Jusqu’ici le parti de Charles v ne compte de noms populaires que ceux de Santos-Ladron, enterré maintenant dans les fossés de Pampelune ; du faux curé Mérino, spectre encore moins redoutable que celui de Ladron ; et du marquis de Valde-Espina, plus connu par ses richesses que par sa capacité et son courage. La reine a pour elle des hommes qu’il suffit de nommer : Saarsfield, Murillo, El Pastor et Castagnon.

Les troubles de l’Espagne sont cependant loin d’être terminés, car la Péninsule n’est pas seulement divisée, comme on le pense, en carlistes et en constitutionnels, en partisans de la régente et en partisans de l’infant ; il existe dans la nation espagnole des germes de division assez nombreux pour entretenir une guerre civile aussi longue que celle des Maures. Déjà du temps des cortès, en 1822, les partis étaient très nombreux en Espagne, et chacun de ces partis se divisait en sectes qui commençaient à guerroyer les unes contre les autres. Les deux principales divisions du parti constitutionnel se composaient des francs-maçons et des communeros. Les chefs du parti maçon étaient Riégo, Mina, Galiano, Isturitz, Évariste San-Miguel, qui s’étaient emparés des affaires, et représentaient, dans la révolution espagnole, ce qu’on nomme aujourd’hui le parti de la résistance. À leur suite se traînaient les indifférens, les hommes à places, les vieux royalistes convertis à la constitution par l’appât d’un traitement ou des distinctions, gens que l’opinion confondait tous dans le même mépris, sous le nom d’anilleros, de camilleros et de pastelleros, pâtissiers ou ventrus.

Les communeros étaient le parti du mouvement, parti énergique qui n’osait cependant pas rompre avec la monarchie, qu’il voulait fonder sur la souveraineté du peuple. Dans leurs réunions, qu’ils nommaient torres ou tours, par opposition aux loges des francs-maçons, ils prêtaient le serment de combattre jusqu’à la mort pour la liberté des communes et les franchises des anciens communeros de Castille, détruits par l’empereur Charles-Quint. Ces associations se composaient non pas seulement de bourgeois des villes et d’officiers de l’armée, mais d’un nombre infini d’ouvriers et de paysans. Palaréa, le duc del Parque, Ballesteros, Romero Alpuente, Reillo, Morales, Bertran de Lys, le malheureux Torrijos, figuraient dans ce parti, qui, plus que tous les autres, fut en butte aux réactions et aux persécutions des apostoliques.

Nous ne parlons pas des afrancesados, reste du régime du roi Joseph, parti qui s’efface chaque jour, et que remplace une autre nuance, celle des partisans du régime actuel de la France. L’ancien parti afrancesado comptait beaucoup d’hommes de talent ; quelques-uns d’entre eux figurent dans le nouveau parti francais. El Pastor, le colonel Moreno, le colonel Valdès, de Pablo, Graces, faisaient partie des communeros.

Mais tous ces partis se sont usés dans l’émigration ; le meilleur de leur sang a coulé dans les expéditions tentées contre l’Espagne, où Pinto, Torrijos et tant d’autres ont péri. Les uns se sont énervés dans les petites intrigues de Londres et de Paris ; les autres ont été oubliés en Espagne, où, pendant ce temps, se sont formés d’autres partis. Celui qui paraît devoir dominer aujourd’hui, et attendre la chute des Zéa-Bermudez, des Ofalia, pour se placer à la tête des affaires, est représenté par le marquis de Las Amarillas, homme jeune encore, puisqu’il a tout au plus quarante ans, et l’une des premières capacités de l’Espagne. Il a pour principaux soutiens le comte de Punon-Rostro, les ducs de San-Lorenzo, de Frias, San-Carlos, Casa-Irujo et le marquis de Santa-Cruz, qui a épousé la nièce de Mme Brunetti, femme de l’ambassadeur d’Autriche. Cette circonstance n’est pas aussi indifférente qu’on pourrait le croire.

M. de Las Amarillas représente un juste milieu entre le ministère de M. Zéa-Bermudez, qui voudrait conserver le statu-quo de l’Espagne, et le parti modéré de l’émigration espagnole, qui demande une constitution moins démocratique que celle de l’île de Léon. Ces derniers ont conservé beaucoup de ramifications dans la Galice, couverte de ses caliegos, petits propriétaires qui ont gardé de l’attachement pour la constitution des cortès ; dans la Catalogne, où Mina exerce encore de l’ascendant ; dans les Alpuxarras, à Carthagène, à Grenade, à Malaga, à Cadix et à Valence, où les paysans ont été affiliés aux communeros. Dans un avenir peut-être très rapproché, le ministère de M. Las Amarillas, qui ne peut tarder à se former, aura ce parti à combattre. M. de Rayneval, homme d’une haute habileté, a déjà compris que c’est sur le nouveau ministère de M. Las Amarillas que devra s’appuyer l’alliance de la France, et que le rôle de notre gouvernement, tel qu’il est aujourd’hui, sera de protéger ce parti de juste-milieu contre les communeros, alliés naturels de l’opposition libérale et du parti de la république dans tous les pays.

Il s’agit donc pour nos diplomates de former en Espagne un ministère, et de renverser au plus tôt M. Zéa-Bermudez, qui s’est placé par ses antécédens sous l’influence de la Prusse et de la Russie. Telle sera la nature de notre intervention en Espagne, et nous osons prédire qu’elle sera toute pacifique.

Il est vrai qu’à la nouvelle de la mort du roi Ferdinand, il y eut un mouvement d’enthousiasme belliqueux au château des Tuileries. On obéissait à la fois et involontairement à un instinct égoïste, national et révolutionnaire. Dans le premier moment, on se laissa étourdir par les vieux généraux de l’empire et de la restauration qui se voyaient déjà traversant au pas de course toute la Péninsule et pénétrant de nouveau dans ces belles cathédrales espagnoles où se trouvent encore tant de tableaux de Murillo, de Cano et de Ribeira. On voyait d’avance, dans l’héritier du trône, un second pacificateur de l’Espagne ; dans cette heureuse campagne qui s’ouvrait, un nouveau moyen d’entourer à peu de frais le trône de juillet de quelques rayons de gloire militaire. L’enivrement fut tel qu’on ne s’abordait qu’en parlant de cent mille hommes sur les Pyrénées, de subsides, de l’occupation des places fortes de Catalogne, etc. La loquacité de M. Thiers n’eut donc pas de peine à faire décider dans le conseil l’envoi de M. Mignet, chargé d’aller dire à Madrid tout ce qu’on avait pensé et senti à la cour de France, et d’offrir à la régente, de la part de son bon voisin le roi Louis-Philippe, des soldats, un gendre en expectative, et, ce qui est bien plus fort, de l’argent.

Cependant, M. Mignet était à peine parti, que les ambassadeurs qu’on avait eu le temps d’amuser, en gardant secrète jusqu’au 4 la dépêche télégraphique de la mort de Ferdinand, reçue le 2, s’assemblèrent et vinrent troubler par quelques paroles d’aigreur les innocentes joies du château. M. Pozzo donna à lui seul plus d’inquiétudes que tous les autres. Il ne se plaignit pas, il n’accourut pas avec des remontrances, il ne fit pas le moindre bruit de ses courriers et des dépêches qu’il adressait à sa cour ; au contraire, il se tint coi, et ne parut, pendant deux grands jours, ni chez M. de Broglie, ni chez le président réel, ni chez le président postiche du conseil. Le troisième jour au matin, l’anxiété de nos ministres était déjà si grande qu’ils eussent volontiers rappelé M. Mignet, s’il eût été possible, et que M. Thiers, le promoteur de cette mission, eut à essuyer quelques reproches fort amers pour un homme qui se prépare à franchir le seuil de la lune de miel. Il faut tout dire, M. Pozzo ne boudait pas seul. Le représentant d’une puissance bien autrement redoutable s’était retiré sous sa tente. M. Rothschild avait déclaré que, si on intervenait en Espagne, la rente éprouverait une forte baisse. Tout fut dit alors. On était bien préparé à résister quelques jours à l’empereur Nicolas, mais on ne tint pas une minute contre M. Rothschild.

Une lettre de M. Thiers, on dit même une lettre du roi, fut adressée en toute hâte à M. Mignet. On lui écrivait d’engager M. de Rayneval à ne pas suivre trop littéralement les instructions de M. de Broglie, honnête homme, savant homme, mais non pas toujours habile homme, qui se cantonne trop rigoureusement dans ses principes, dans les intérêts du pays, et dont l’inflexibilité et la droiture embarrassent souvent nos grands hommes d’affaires. M. Mignet fut donc prié de se modérer, de n’annoncer qu’une intervention pacifique, et de ne promettre ni soldats, ni surtout un écu. On lui recommandait, comme aux fils de famille, de ne pas se montrer crâne et tapageur, et surtout d’être économe.

Le courrier qui porta cette dépêche à Madrid trouva M. Mignet entouré par quelques femmes d’esprit qu’on avait jugées propres à deviner la mission du jeune diplomate. Mme de Santa-Cruz, dont nous avons parlé, confidente et amie de la régente, fêtait surtout M. Mignet. Toute cette jeune cour féminine, déconcertée par le visage vraiment diplomatique du profond et sérieux M. de Rayneval, semblait heureuse de trouver à qui parler.

C’est donc par l’intermédiaire de Mme de Santa-Cruz que M. Mignet a rempli la mission dont il était chargé directement pour la reine-régente. La reyna gobernadora a agi dans cette occasion comme le feu roi Stanislas, qui laissait certaines choses à dire à son chancelier. Tout en se rapprochant des partisans du marquis de Las Amarillas, M. Mignet n’a pas laissé que d’avoir accès près de M. Zéa, à qui il a prêché, avec beaucoup de conviction, des mesures de rigueur contre les partisans de don Carlos. M. Mignet, historien assez vert de notre révolution, s’est un peu ressenti, en cette circonstance, de ses études sur le comité de salut public. M. Zéa, homme fort obèse et par conséquent conciliateur et prudent, a paru fort étonné, dit-on, d’entendre justifier l’exécution de Santos-Ladron par une bouche aussi fleurie et aussi élégante. Au reste, les succès du parti de la régente, confirmés par les dernières dépêches, ont singulièrement aplani les difficultés de cette mission, et notre cabinet ne sera probablement pas forcé de nier les promesses et les offres chaleureuses faites en son nom par M. Mignet.

Voilà l’histoire de notre intervention en Espagne. Elle se bornera là sans doute, et le trône d’Isabelle s’affermira sans nous ; mais on voit que nous l’avons échappé belle. Le roi des Français avait failli se brouiller avec M. Rothschild.

— En Angleterre, les associations pour le refus de l’impôt des accises causent quelques inquiétudes. Le conseil a décidé que ces rébellions seraient réprimées avec énergie. De telles résolutions veulent être justifiées par le succès : elles le seront sans doute ; mais le gouvernement anglais ne sera pas moins forcé de changer complètement, et avant peu, le système de ses taxes, qui pèsent trop lourdement sur le peuple. À la veille d’une pareille réforme, et des évènemens qui se préparent dans quelques-unes de ses plus importantes colonies, l’Angleterre doit renoncer à jouer un rôle bien actif sur le continent, et fût-elle pour nous un allié fidèle, cette alliance nous sera peu utile au moment du danger. Il est vrai qu’il nous restera le roi Léopold, qui disait, en réponse au discours de M. de Rambuteau : « Soyez certain que je suis l’ami de la France, et peut-être son ami le plus sincère ! » Voilà certes de quoi empêcher de dormir le pauvre empereur Nicolas.

Le malheureux accident qui a marqué au Bourget l’arrivée du roi et de la reine des Belges, sera long-temps le sujet des conversations du château, et déjà bon nombre de pièces de vers et de tableaux ont été commandés par M. Thiers pour éterniser l’action du roi Louis-Philippe en cette circonstance. Le courrier Verner, secouru et saigné par Louis-Philippe, au moment où, renversé de cheval, l’énorme diligence de famille vient de lui passer sur le corps, fournira plusieurs grandes pages à la prochaine exposition. On s’accorde généralement à louer la présence d’esprit et le sang-froid du roi, et un journal le félicitait assez maladroitement d’être le seul souverain phlébotomiseur de l’époque. Ce journal se trompe, et sans vouloir affaiblir le trait d’humanité du roi que nous apprécions mieux que personne, nous ferons observer que don Pédro et son frère don Miguel possèdent à un haut degré le talent de saigner ; que tous deux ils ne sortent jamais sans être munis de lancettes, et que don Miguel a souvent ainsi sauvé la vie à ses écuyers ou à ses piqueurs frappés par le taureau.

Au reste, on annonce la mort de ce pauvre don Miguel, tué, dit-on, devant Santarem.

L’aventure du Bourget n’a pas nui à la réception du roi et de sa famille à l’Opéra, pendant la représentation de lundi dernier. La royauté de juillet, qui avait déjà affecté de la pompe et de l’apparat dans le dernier voyage de Fontainebleau, avait déployé cette fois un grand appareil militaire. Plusieurs bataillons de troupes de ligne, avec armes et bagages, campaient dans la rue Lepelletier, sous le vestibule extérieur de l’Opéra, et poussaient leurs postes avancés jusqu’à l’escalier intérieur et à la porte de la loge royale. Un escadron de garde municipale, trompettes en tête, se déployait devant la façade principale, et des vedettes de cavalerie occupaient toutes les avenues. Les corridors du théâtre étaient garnis de sergens de ville, et quelques banquettes du parterre envahies par des fonctionnaires moins ostensibles, pour qui la préfecture de police avait envoyé galamment retenir un certain nombre de billets. De telles précautions, prises à la face d’un souverain étranger, étaient un peu injurieuses pour la population parisienne. M. Thiers disait, il y a peu de temps, en notre présence : « Avant deux ans nous serons plus forts et plus puissans que Napoléon ; et cela, sans la guerre ! » Mais en vérité, c’est un peu la guerre qu’un tel déploiement de soldats ; et le roi Léopold, à Paris, est assez loin des Hollandais pour n’avoir plus besoin du secours de l’armée française.

— Nous demandons pardon à nos lecteurs de parler encore du mariage de M. Thiers ; mais nous ne pouvons leur laisser ignorer que son second ban a été publié cette semaine. Tous les peintres dont M. Thiers encourage le talent, en sa qualité de ministre des travaux publics, s’occupent en ce moment à préparer un album pour Mme Thiers. On dit que cet album sera une merveille, et qu’il surpassera celui qui fut offert autrefois par les artistes à la duchesse de Berry. Les poètes se réuniront sans doute pour former de leur côté un album littéraire, dans le genre de la Guirlande à Julie, qui rendit jadis mademoiselle de Rambouillet si célèbre. M. Barthélemy, qui excelle dans le genre doux et galant, contribuera bien pour quelques madrigaux à cette œuvre. Au reste, M. Thiers n’encourage pas seulement les peintres et les poètes ; au milieu de ses graves occupations, entre ses affaires de cour et de cœur, il a trouvé encore quelques heures à donner cette semaine à la lecture d’une comédie nouvelle de MM. Empis et Mazères. Le duc de Bassano, M. de Celles et quelques femmes d’esprit assistaient à cette lecture, et nous savons de bonne source que cette pièce a été trouvée très plaisante et très spirituelle. M. Thiers lui-même a été de cet avis. On l’a entendu dire aux auteurs qu’il se souvenait d’une de leurs meilleures comédies intitulée la Mère et la Fille : « Je ne vous cache pas, messieurs, a-t-il ajouté avec beaucoup de grace, que j’ai dû à la Mère et la Fille mes plus agréables momens. »

M. le ministre des finances ne s’est pas montré aussi galant envers son collègue, M. Thiers, que les peintres et les écrivains. M. Humann avait émis plusieurs fois, en qualité de rapporteur du budget, le vœu de supprimer les deux recettes générales, voisines du département de la Seine, comme l’avait été celle de Paris, à la mort du receveur-général de la Seine, M. Lapeyrière. Les receveurs d’arrondissement de Melun et de Versailles eussent versé leurs fonds directement au trésor, comme font aujourd’hui les receveurs de Paris ; et cette économie qui avait paru fort juste et fort raisonnable à M. Humann, lorsqu’il était député de l’opposition, lui semble encore telle aujourd’hui qu’il se trouve ministre des finances. Il faut rendre justice à M. Humann. Il est peu d’hommes plus équitables et plus inflexibles que lui, quand ses intérêts ne sont pas en jeu dans une affaire. M. Humann avait donc déjà décidé que la recette générale du département de Seine-et-Oise, vacante par la mort de M. Saulty, serait supprimée, et qu’il en serait ainsi de la recette de Melun, à la mort de celui qui l’occupe. M. Humann avait oublié une chose. C’est que M. Thiers se dispose à devenir gendre de M. Dosne, nommé autrefois, par ses soins, receveur-général du Finistère. Or, les propriétés de M. Dosne sont situées près de Mantes, dans le département de Seine-et-Oise, dont la belle recette se trouve si à propos vacante, et M. Thiers avait à peu près promis la mutation à son beau-père. Cette promesse avait été même garantie en haut lieu, dit-on ; car on hésite encore à faire de M. Dosne un pair de France. M. Humann a été fort mal reçu, on pense bien, avec ses propositions d’économie, et l’on est fort occupé à lui faire entendre raison sur cette affaire. M. Humann est en général un peu opiniâtre ; mais on espère qu’il ne se montrera pas inexorable en cette circonstance, et qu’il ne voudra pas troubler la touchante union qui règne depuis si long-temps dans le ministère.

Nous ne dirons plus qu’un mot de M. Thiers. Le cocher qui a été la cause de sa chute, non pas dans un fossé, mais dans une carrière de Vaugirard, est, dit-on, celui qui sauva la vie à Casimir Périer, lorsqu’il se trouva engagé dans une émeute, au milieu de la place Vendôme, vers les premiers temps de la révolution de juillet. Bayard, c’est le nom de ce cocher, a failli faire tuer M. Thiers, mais il avait sauvé Périer. Il doit être absous ; car il y a là, ce nous semble, une compensation très ample.

— Les jeunes légitimistes voyageurs sont revenus de Prague. Ils se félicitent beaucoup de l’accueil qu’ils ont reçu de Henri v et de Charles x ; mais ils se plaignent beaucoup de la police autrichienne. Plusieurs d’entre eux ont été poursuivis comme des malfaiteurs ; mais partout ailleurs que dans la Bohême, ils ont reçu le meilleur accueil. On leur a montré au Hradschin la fenêtre d’où Rodolphe ii, aidé de son Ticho-Brahé, s’efforçait de lire dans les astres son destin, qui se termina presque aussi tristement que celui de Charles x, et une autre fenêtre d’où furent précipités, en 1618, les conseillers Martinez et Slebata ainsi que le secrétaire Fabricius. Tout parle de rois tombés et de ministres punis à Prague, et les notions qu’y ont recueillies les jeunes voyageurs produiront peut-être quelques utiles enseignemens.

M. Charles Nodier a été reçu à l’Académie en remplacement de M. Laya. C’est un acte de justice auquel on doit applaudir, quoiqu’il soit bien tardif. M. Salvandy était le concurrent de M. Nodier ; il s’était retiré de bonne grace au moment de l’élection.

— Les théâtres ont représenté quelques pièces nouvelles. Aux boulevarts, Struensée, drame de M. Gaillardet, ouvrage très faible et mal conçu ; au Gymnase, le Soupçon, vaudeville sans intérêt et Christophe farce plaisante où Bouffé joue plusieurs rôles. Le seul événement dramatique de cette quinzaine, c’est l’apparition de Mlle Giulietta Grisi dans le rôle de Ninetta, de la Gaza ladra, si bien chanté par Mme Malibran. Mlle Grisi a obtenu un plein succès. Nous reviendrons sur cette brillante actrice.

— Un officier polonais, M. Charles Forster, vient de publier la première livraison d’un ouvrage intitulé : la Vieille Pologne[1]. Ce bel ouvrage est un album historique et poétique, qui renferme les légendes célèbres de Niemcewicz, traduites et mises en vers français par nos poètes les plus distingués. Mme Desbordes-Valmore, Mme Tastu, Mme Ségalas, M. Alexandre Dumas, M. F. Soulié, M. de Pongerville, se sont hâtés d’offrir leur plume à M. Forster ; et nos meilleurs artistes lui ont promis leur coopération pour les dessins de cet ouvrage, qui représentent des sujets de l’histoire de Pologne. Nommer MM. Charlet, Deveria, Norblin, etc., c’est dire combien l’album polonais offrira de talent et de variété. La première livraison contient, outre un portrait de Niemcewicz, plusieurs de ces dessins dus à Charlet, une belle introduction de M. Forster, le chant de Piast, par M. de Pongerville, et d’autres morceaux distingués. Les livraisons suivantes offriront d’autres noms connus et estimés, et ajouteront encore à la vogue de cet ouvrage.

— Sous le titre de Rome souterraine, il doit paraître dans la première semaine de novembre, au bureau de la Revue Encyclopédique, rue des Saints-Pères, un roman de M. Charles Didier. De belles études sur l’Italie et sur la campagne romaine ont déjà classé M. Didier au rang des peintres fidèles et sévères ; nul doute que, dans la composition étendue qu’on annonce de lui, il n’ait porté le fruit de son long séjour à travers cette grande contrée, la chaleur et la mélancolie des souvenirs, et les inspirations d’une ame ouverte aux fortes leçons de l’histoire. Le roman de M. Didier sera de ces livres, à coup sûr, qui méritent d’être relus et médités.


  1. in-4o, chez l’éditeur, rue de Richelieu, no 12.