Chronique de la quinzaine - 31 mai 1837

Chronique no 123
31 mai 1837


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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31 mai 1837.



Malgré les déclamations journalières de quelques esprits malades, et en dépit de leurs sinistres prédictions, le pays se montre parfaitement calme et rassuré après l’amnistie. Le roi est accueilli partout avec joie. Le mariage de M. le duc d’Orléans, dont les fêtes commencent à peine, se célèbre au milieu des transports d’enthousiasme des populations, et on semble avoir tout-à-fait oublié qu’il y a un mois, le gouvernement ou quelques-uns de ses membres proclamaient la nécessité d’entretenir une sainte terreur et de frapper de grands coups politiques, si l’on voulait conserver la tranquillité et l’ordre dans le pays.

Ces faits sont notoires. Les journaux du parti doctrinaire annonçaient chaque jour, en termes menaçans, cette fatale nécessité ; les deux lois politiques, de dénonciation et de disjonction, ne leur suffisaient pas ; une sorte de maladie sombre s’était emparée de tous les hommes de ce parti, même de ceux qui passaient pour avoir quelque modération ; et M. Guizot lui-même, entraîné par les déclamations de ses nouveaux amis, des derniers venus et des plus ardens, comme étaient les travailleurs de la parabole de l’Évangile, M. Guizot se montrait frappé d’inquiétude à la vue de l’état des choses, et semblait entièrement les méconnaître. On peut lire encore, dans les journaux qui ont égaré le parti à ce point, les accusations de poltronnerie et de lâcheté qui pleuvaient chaque jour sur ceux qui ne partageaient pas les frayeurs des doctrinaires. Le trône devait s’écrouler si on entr’ouvrait seulement la porte d’un cachot ; sans les lois de disjonction et de non-révélation, la monarchie allait périr ; il y avait hâte d’élever une prison au bout du monde, pour y envoyer tous ceux qu’on allait se voir dans la nécessité de condamner en vertu des lois de septembre. C’était un concert général d’effroi et de menaces au pays, dans le parti doctrinaire. Il retentit encore à toutes les oreilles, personne ne l’a oublié ; et maintenant que l’amnistie est faite, après avoir essayé d’en dénaturer les suites, et de les montrer comme fatales au repos public, le parti doctrinaire se plaint chaque jour qu’on l’ait exclu de cet acte de clémence ; il ne le trouve pas assez étendu ; il voudrait que les contumaces y eussent été compris ; il s’étonne qu’on ait frappé des citoyens d’une surveillance de police ; et quand on lui parle de ses faits passés, de sa volonté exprimée cependant bien haut, il s’écrie qu’on le calomnie. C’est le calomnier que lui parler aujourd’hui de ce qu’il voulait hautement hier. À la bonne heure ! Mais le Journal des Débats, qui élève contre nous cette accusation, a-t-il bien réfléchi qu’il calomnie lui-même ses amis en les accusant d’avoir changé si subitement d’opinion ?

Nous voudrions savoir qui exprime les opinions de M. Guizot et de ses amis, du Journal des Débats qui prononce hardiment le mot de calomnie, quand on prête aux doctrinaires la pensée de changer l’ordre légal qui ne leur semble pas suffisant, ou de deux autres feuilles, notamment admises aux confidences du parti, rédigées par des hommes pris dans son sein, et qui ne ménagent pas au Journal des Débats les termes que ce journal jette si durement à d’autres ? Que dirait-on si les rôles avaient été habilement distribués par le parti doctrinaire, et si, tandis qu’un ex-sous-secrétaire d’état, prudemment caché sous la responsabilité du Journal des Débats, comme il se cachait naguère sous la responsabilité d’un ministre, défend avec aigreur son parti d’avoir conçu de nouvelles lois d’exception ; un autre fonctionnaire, éloigné des affaires en même temps que lui, criait, dans une autre feuille, à l’insuffisance des lois actuelles ? Nous voulons croire que le Journal des Débats n’a été que l’instrument complaisant de ces petites intrigues ; autrement nous prendrions la peine de lui prouver, par mille exemples, pris dans sa propre rédaction, que s’il y a calomnie à tirer une conséquence des principes hautement avoués par un parti, le Journal des Débats se rend chaque jour coupable de ce délit.

Non, ce n’est pas en cela que consiste la calomnie, et il ne faut pas porter avec tant de légèreté une accusation si grave. Une véritable calomnie, par exemple, ce serait de supposer, d’écrire, de publier dans un journal aussi répandu que le Journal des Débats, le tout sans en avoir les preuves, qu’un ambassadeur étranger aurait écrit à sa cour une dépêche remplie de faits injurieux pour le gouvernement français ; ce serait de donner la teneur même de cette dépêche, d’en signaler les phrases les plus remarquables, et de ne répondre que par des paroles ironiques au démenti formel et public donné par l’auteur supposé de cette lettre. Nous citons cet exemple, uniquement pour montrer au Journal des Débats la différence qu’il y a entre une calomnie et un jugement porté de bonne foi, d’après des opinions hautement émises ; c’est un simple cas de politique légale, dont nous le faisons juge, afin que ses propres jugemens sur les autres soient, à l’avenir, un peu plus chrétiens.

Nous nous consolons un peu de la rigueur que le Journal des Débats a montrée à notre égard, en songeant que ses amis les meilleurs ne sont pas mieux traités par lui que ceux qui ont le malheur de ne pas partager toutes ses opinions. Ainsi, M. de Salvandy, l’un des plus anciens rédacteurs du Journal des Débats, l’un de ses collaborateurs les plus actifs, n’a pas obtenu de ce journal une seule marque d’intérêt, même la plus faible, pendant la lutte cruelle qu’il a soutenue pour sa réélection. Quelques mots du Journal des Débats eussent cependant opéré une diversion dans le collége électoral d’Évreux, où les doctrinaires ont, dit-on, voté avec les carlistes et les républicains. Il est vrai que la défaite de M. de Salvandy étant bien avérée et le résultat du scrutin électoral bien connu, le Journal des Débats a pris dès-lors la défense de M. de Salvandy contre les calomnies dont il avait été l’objet près des électeurs. Pourquoi donc le silence qui avait régné jusqu’alors dans le Journal des Débats ? ce champ de bataille où M. de Salvandy a si long-temps combattu, avait-il, en quelque sorte, autorisé ces calomnies ? Et le panégyrique tardif de M. de Salvandy, inséré dans le Journal des Débats, n’est-il pas une dérision bien amère ? Les regrets même étaient-ils de nature à satisfaire M. de Salvandy, et à le dédommager du long silence qu’on avait gardé ? Quelques mots honnêtes ne suffisaient pas en pareil cas, et le Journal des Débats, rédigé par des hommes si versés dans les affaires, aurait pu offrir à ses lecteurs quelques exemples de défaites pareilles, qui les auraient frappés. En Angleterre, on a vu plus d’une fois un ministre soumis à la réélection, perdre son mandat, sans qu’il en ait rejailli sur l’homme une défaveur publique, et sans qu’il se soit cru obligé de sortir du cabinet. Pour ne citer qu’un fait récent, à l’époque du ministère Grey, sir John Hobhouse, ministre de la guerre, échoua dans les élections de Westminster, où il avait pour concurrens sir Francis Burdett et M. Evans ; et le ministre actuel des affaires étrangères en Angleterre eut à subir un échec à Hampshire avant de prendre une place permanente dans le parlement. Ce sont là les chances du gouvernement représentatif ; les localités sont souvent influencées par des faits indépendans de la politique générale, et tout en attachant à l’élection l’importance réelle qu’elle a, et qu’elle mérite assurément, il n’est pas juste de faire uniquement dépendre la vie d’un homme politique des suffrages d’un collége électoral.

La session se terminera par quelques questions d’intérêt matériel, discutées sérieusement. Les séances des chambres, suspendues aujourd’hui par les fêtes de Fontainebleau, ont été marquées par des discussions saines et presque dépouillées d’aigreur, bien que quelques doctrinaires aient essayé d’envenimer la question des sucres, ce qui est, tout jeu de mots à part, pousser l’amertume un peu loin. À la chambre des pairs, un spirituel discours de M. Molé, spirituel surtout par l’appréciation des choses, par la manière digne et calme d’envisager la situation des affaires, a obtenu beaucoup de faveur. Le succès du dernier discours de M. Thiers tenait également à ce genre d’esprit. L’acrimonie et la rudesse ne sont justifiées aujourd’hui par aucun danger, par aucune attaque violente contre le pouvoir, et ceux qui ne parlent pas comme font M. Molé et M. Thiers n’ont, malgré toute leur éloquence, que bien peu de chances d’être écoutés.

Nous recueillons un fait curieux qui prouve que cette pensée germait bien haut avant de faire en quelque sorte partie du programme politique du gouvernement, et que la clémence royale, comprimée quelque temps par les circonstances, par la nécessité, avait marqué de loin le jour où elle pourrait s’accomplir. Un de nos peintres déjà les plus célèbres, M. Ziegler, avait composé, il y a plus d’un an, par ordre du roi, le carton d’un admirable vitrail pour la chapelle de Compiègne. Sur ce vitrail, exposé aujourd’hui à Sèvres, on voit deux anges. L’un figure l’amour ou le pardon ; l’autre la justice. L’artiste avait mis dans les mains du premier une croix, et une épée dans les mains du second. Sous les pieds de l’un on lisait : ama ; sous ceux de l’autre : time. Celui-ci était le système de l’intimidation en personne. Il y a un an, quand ce dessin fut soumis à son examen, le roi exigea qu’au lieu d’épée, on mît un livre dans la main de l’ange de la justice, et ajouta qu’il avait eu l’espoir de voir la peine de mort disparaître sous son règne. — Voilà ce que disait le roi, tandis que les assassins s’armaient contre lui !

Les affaires extérieures prennent quelque gravité par la maladie du roi d’Angleterre, qui paraît plus dangereuse qu’on ne pensait d’abord. Nous en parlerons prochainement.


— L’évènement de ces jours-ci, l’évènement politique et plus que politique, celui qui absorbe toutes les curiosités et défraie toutes les conversations, est, à vrai dire, le mariage de M. le duc d’Orléans. Les détails qui arrivent à chaque instant sur les moindres circonstances des solennités de Fontainebleau, et qu’enregistrent les feuilles quotidiennes, nous dispensent de venir ici un peu tard en reproduire le récit. Ce qui ressort à travers toutes les descriptions de ces pompes et l’enthousiasme d’usage en pareille occasion, c’est le véritable intérêt que la jeune princesse a su faire naître et justifier déjà par d’heureuses paroles, par une attitude pleine d’émotion et de convenance intelligente. Quoiqu’il soit un peu vulgaire et populaire de s’émouvoir au sujet des hyménées illustres et d’en concevoir de soudaines espérances, il est bien certain qu’aujourd’hui il ne saurait être indifférent à aucun ami de l’ordre et du pays que l’épouse que M. le duc d’Orléans vient de placer à côté du trône soit une personne d’esprit, d’intelligence et de cœur ; et les rapports les plus divers tendent à assurer que la princesse Hélène est tout cela.


— Sans entrer dans le détail des circonstances assez obscures et des manœuvres toutes locales qui ont fait échouer la réélection de M. de Salvandy à Évreux, il nous semble à regretter que la majorité des électeurs se soit laissée aller à des sentimens d’hostilité, qu’aucune raison politique avouée ne justifiait, contre un ministre qui a participé à de bons actes dans le conseil, et qui, dans l’intérieur de son département, a déjà su manifester mieux que de bonnes intentions. Nous savons plusieurs traits d’une bienveillance efficace, et où il n’entre pas, comme trop souvent, de l’arrière-pensée politique, qui honorent vraiment le ministère si récent de M. de Salvandy. On est heureux, on est presque surpris (tant il y a eu d’abjurations des anciens rôles) de retrouver dans un ministre, qui a écrit autrefois des pages généreuses, une chaleur tout d’abord et une générosité de cœur qui répond à l’idée qu’on s’en serait faite naturellement. En ce qui concerne les commissions d’histoire et de beaux-arts attachées à son département, le nouveau ministre a montré déjà qu’il les accueillait avec zèle, qu’il était ouvert à toutes les idées de développement utile, et qu’il tenait à perfectionner et à faire vivre ce qu’un autre avait posé. Cette faculté d’exécution prompte, dont M. de Salvandy a fait preuve lorsque étant écrivain, il représentait, en quelque sorte, à lui seul, la presse politique contre le ministère Villèle au temps de la dernière censure, cette faculté, s’employant au pouvoir, ne devra pas s’en tenir aux ajournemens et aux promesses vaines. Nous regretterions donc que l’échec d’Évreux empêchât le ministre actuel de l’instruction publique de faire le bien qu’il veut, et de vivre de toute la vie d’un cabinet où il est à sa place, et qui s’honore d’intentions louables et de procédés concilians.


— La séance académique du jeudi 25 mai a été l’une des plus brillantes et des plus courues. La même foule qui se pressait aux réceptions de M. Thiers et de M. Guizot, venait assister à celle de M. Mignet, et la plus aimable moitié de l’assemblée avait encore redoublé, cette fois, de curiosité flatteuse. M. Mignet a dignement répondu à cette attente, et comme il convient à un historien politique, par une parole grave, solide, et qui ne cherchait l’éloquence qu’avec la pensée : son discours, qui a justifié la faveur de l’auditoire, ne satisfait pas moins la raison. Il a su peindre à grands traits le caractère et le double mérite de M. Raynouard comme poète et comme érudit, sans trop entrer dans les détails qui iraient mieux à des lecteurs qu’à une assemblée. Les pensées sérieuses et élevées, le ton simple et convenablement sévère, étaient une partie du bon goût de ce morceau. Lorsque M. Mignet, après une courte discussion de la réalité historique, telle que l’avait observée ou plutôt négligée l’auteur des Templiers, en est venu à déclarer le caractère propre du drame et à le séparer de l’histoire, il a été noblement éloquent ; et cet hommage, cet appel à l’idéalité de l’art, dans la bouche d’un des principaux organes de l’école historique, acquérait plus d’autorité encore. Nous ferons comme l’assemblée, et, après avoir applaudi au discours de M. Mignet, nous nous garderons de dire mot de celui qu’on lui a adressé en réponse, et que nous n’avons guère entendu.


— Sous le titre, la Cape et l’Épée, M. Roger de Beauvoir a publié[1] un recueil de ses poésies qui se distingue par de vives et piquantes qualités. Ce sont de petits romans espagnols comme Svaniga, ou fashionables comme les Nuits de Zerline, ou des pièces diverses de moindre dimension et que je préfère, tout-à-fait bien tournées, et bien troussées comme on peut dire, d’un ton cavalier et familier, et qui représentent à merveille les fantaisies, les élégances, les goûts, et même les travers poétiques de ce temps-ci. Si la poésie tout entière de notre époque disparaissait par hasard, et qu’on n’en retrouvât, après quelque cent ans, que ce volume mondain, il suffirait presque au critique pénétrant, avec ses échantillons encore frais et un peu bigarrés, pour l’aider à recomposer les caractères divers et les modes de nos inspirations évanouies. Des voyages en maints lieux pour remettre en frais l’imagination avide de couleurs, une Espagne, une Italie où l’on cherche à retrouver le rêve, beaucoup de souvenirs du Don Juan de Byron, un peu de religion par accès et la croix revenant à propos dans l’intervalle des coquets adultères, la Florence des vieux peintres et des sculpteurs chevaleresques regrettée du milieu de la vie du boulevard ou du bois, des chasses aussi féodales qu’on le peut sous le régime parlementaire, et la poésie de tous les jours autant qu’elle est loisible de par la loi Jacqueminot ; voilà ce qui se reflète en mille facettes dans le recueil de M. Roger de Beauvoir. Lui-même il est le premier à railler son inspiration, à déjouer sa description, quand elles deviennent un peu sérieuses. Il se montre souvent un touriste plein de désinvolture, un Puckler-Muskau de la poésie. À travers ce cliquetis attrayant qu’il affecte, on pourrait citer plus d’une jolie pièce comme Tristesse, où perce un coin de sensibilité de cour. Le tout est en rhythme excellent, fort bien manié, et qui, aux conditions sévères qu’il remplit, ne sent pas l’amateur et charme nos poètes. Mais ce qui nous a surtout frappé et ce que nous recommandons, c’est une qualité qui depuis long-temps semble avoir fait place dans notre poésie à l’éclat, à l’imagination, à la religion, au sentiment ; une qualité que M. Alfred de Musset a heureusement réintroduite dans les vers, et dont M. Roger de Beauvoir à son tour vient de faire preuve dans les siens, l’esprit.


Nouvelle collection des mémoires pour servir à l’histoire de france, depuis le xiiie siècle jusqu’à la fin du xviiie, publiée par MM. Michaud et Poujoulat[2].

Peu de collections méritent plus la faveur publique que celle dont on vient de lire le titre. Nous souhaiterions pour notre compte, dans l’intérêt des lettres et des études historiques en particulier, que le jugement que nous en portons contribuât à la répandre. Pour ce qui est de l’utilité, le titre seul en dit assez. Aussi bien cette utilité n’est pas d’hier : on a compris, même avant ce premier quart du xixe siècle, que les élémens de l’histoire véritable étaient les chroniques et mémoires, pourvu qu’ils fussent, non pas feuilletés dédaigneusement comme ils l’ont été par beaucoup d’historiens, mais lus avec patience et comparés avec sagacité. Ç’a été l’un des mérites de notre temps. Il en est résulté une manière d’écrire l’histoire plus exacte, plus profonde, et, si nous pouvons dire, plus familière. Nous y avons gagné, outre de bons livres, un goût très vif et très général pour notre histoire nationale, jusque-là sacrifiée, il faut le dire, à l’histoire de la civilisation, qui était le but et qui a été l’œuvre du xviiie siècle.

La meilleure manière d’entretenir ce goût, d’où sortira peut-être une histoire complète de notre France, c’est d’abord de multiplier les recherches et les publications de mémoires ; c’est ensuite d’accommoder ces publications aux facultés pécuniaires de notre époque, où les esprits éclairés sont si nombreux et les fortunes si réduites. La collection dont nous parlons a rempli cette double condition. D’une part, elle a ajouté à nos richesses existantes, et nous lui devrons, soit des restitutions, soit des complémens de mémoires qui avaient été mal imprimés ou seulement analysés dans les collections antérieures ; et d’autre part, sous ce format compacte, qui doit renouveler toute la librairie moderne, elle renferme en vingt-cinq volumes la matière de deux cents volumes dix fois plus coûteux.

Des notices dues à la plume savante et sûre de M. Michaud, ou à celle de son collaborateur, M. Poujoulat, précèdent chaque ouvrage, en exposent le sujet, le rattachent, soit à l’histoire générale, soit aux mémoires de la même époque, et font la biographie des auteurs. Ces notices sont exactes, simples, sérieuses, et écrites dans le style qui convient au sujet, ce qui est le plus grand éloge qu’on en puisse faire dans un temps où les sujets et les styles se contredisent si souvent.

Enfin, aucune des conditions matérielles qui recommandent et honorent une entreprise de ce genre, ne manque à cette collection. Sous ce rapport, comme sous tous les autres, elle est fort supérieure à certaines collections analogues, qui du même coup ont exploité et discrédité le format compact, et elle mérite toutes les préférences du public.


Œuvres philosophiques de Descartes, publiées d’après les textes originaux, par M. Adolphe Garnier, professeur de philosophie à l’École Normale[3].

Cet ouvrage fait partie d’une autre collection plus spéciale qui se publie sous le titre de Bibliothèque philosophique des temps modernes. Ce n’est pas un recueil d’œuvres choisies, suivant le goût plus ou moins arbitraire d’un éditeur, mais une publication de tout ce que Descartes a écrit de philosophie pure, dans le sens qu’on donne à ce mot, quand on l’oppose aux sciences philosophiques et mathématiques. L’admirable Discours de la méthode, les Méditations, les Principes de la philosophie, les Passions de l’ame, la polémique à laquelle ont donné lieu les méditations, enfin des lettres et quelques ouvrages posthumes de Descartes, composent les quatre volumes de ce précieux recueil. Chaque ouvrage est précédé d’un sommaire très étendu qui en est tout à la fois l’historique, l’analyse et le jugement critique. Des notes, rejetées à la fin des volumes, expliquent les difficultés du texte, assez nombreuses dans les traités écrits par Descartes, en latin, et donnent tous les éclaircissemens nécessaires. À la tête du recueil, une notice fort étendue et rédigée avec talent d’après la grande histoire de Baillet, la correspondance familière de Descartes, et les témoignages contemporains, nous fait connaître la vie de ce grand homme. L’introduction qui les suit résume sa doctrine, laquelle n’est exposée complètement dans aucun de ses écrits, et dont il a fallu que M. Garnier recherchât les élémens épars dans tous les ouvrages sortis de cette plume féconde.

De telles publications se recommandent d’elles-mêmes ; elles ne peuvent pas être l’ouvrage d’un homme médiocrement instruit ni médiocrement habile. Le public n’y peut jamais être trompé ; ce genre de travaux n’est pas de ceux qui tentent les charlatans ; il faudrait se donner beaucoup de peine même pour n’y réussir pas. Mais ici les lecteurs ont deux garanties : la nature même du travail, et, de plus, le nom de M. Adolphe Garnier, si justement estimé de tous les hommes qui s’occupent de philosophie. Le laconisme obligé de nos notes bibliographiques ne nous permet que de recommander un recueil où, après avoir lu des ouvrages où l’on ne sait qu’admirer le plus du philosophe ou de l’écrivain, on peut retrouver ses propres impressions résumées, éclairées, et quelquefois rectifiées, dans les travaux si judicieux et si solides du commentateur.


L’Histoire de la Marine du siècle de Louis XIV, que M. Eugène Sue vient de compléter par la publication d’un cinquième volume[4], est un livre plein d’intérêt, qui mérite de prendre place dans les bibliothèques. L’auteur, en fouillant dans les archives de Versailles, dans celles du département de la marine et les archives des affaires étrangères, a découvert des documens de la plus haute importance, qui donnent un grand prix à cet ouvrage, et font apprécier, sous un jour tout nouveau, les diverses luttes du règne de Louis XIV.


M. Auguste Barbier vient de réunir, en un fort volume, les divers poèmes qui lui ont fait une si belle place dans l’opinion publique. Les Satires et Poèmes, qui viennent de paraître, contiennent les Iambes, il Pianto, Lazare, et plusieurs pièces inédites. Nous reviendrons sur ce remarquable recueil.


— La quatrième livraison des Œuvres de George Sand, composée des deux volumes de Jacques, paraît aujourd’hui. Cette édition nouvelle, revue par l’auteur, est exécutée avec le plus grand soin.


  1. vol. in-8o, chez Suau de Varennes, rue Chabanais.
  2. Paris, chez Bobée, rue des Petits-Augustins, 24.
  3. Paris, chez Hachette.
  4. 5 gros vol.  in-8o, accompagnés de plus de 40 gravures sur acier, plans et cartes. Chez F. Bonnaire, rue des Beaux-Arts, 10.