Chronique de la quinzaine - 31 janvier 1857

Chronique n° 595
31 janvier 1857


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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31 janvier 1857.

Telle est la marche des choses : les grandes affaires ont d’inévitables et périodiques intermittences. Elles se pressent tout à coup, elles créent une sorte de fiévreuse animation, puis elles s’effacent, elles se dispersent pour ainsi dire, et le monde rentre dans le repos après quelques jours passés à voir s’agiter les plus graves intérêts. La politique générale ne se concentre plus dans un congrès, dans une négociation ; elle est un peu partout, reprenant son allure indépendante, se dissimulant souvent sous une fête, se retrouvant toujours dans l’effort de tous les peuples, de tous les gouvernemens, pour arriver à des combinaisons qui s’élaborent lentement, qui sont loin d’être réalisées encore. Un fait visible et reconnu plus que jamais aujourd’hui, c’est l’influence qu’a eue la dernière guerre sur l’ensemble des relations européennes. Il y a toujours sans doute des rapports réguliers, empreints de bienveillance, arrivant peut-être parfois à l’intimité ; il n’y a plus d’alliances permanentes érigées en dogme et réglant les mouvemens des cabinets. On le disait il y a peu de jours en Autriche, tout est devenu possible dans l’ordre des relations internationales en Europe, et c’est ce qui fait qu’on hésite, on cherche à deviner, parmi tant de choses possibles, celles qui deviendront réelles. En attendant, il y a des rapprochemens accidentels, des antipathies mal déguisées, des intérêts qui se heurtent. Il en résulte une situation générale des plus compliquées, assez curieuse à observer en elle-même, et qui reparaît toutes les fois que l’Europe est jetée en présence de quelque incident nouveau : elle s’est montrée encore dans ces derniers débats diplomatiques dont le bruit expire en ce moment à peine. Il est évident, en effet, que dans les questions qui viennent de s’agiter, il y a ce qu’on peut appeler la part des causes générales réagissant sur la politique des divers cabinets, et l’intérêt local, restreint, propre aux affaires mêmes qui étaient en jeu.

Tout l’art de la diplomatie consiste à dépouiller de telles questions de ce qu’elles ont de général et par conséquent de plus périlleux, pour les ramener à ce qu’elles ont de particulier ou de pratique. La question d’Orient est donc sortie heureusement encore une fois de la région des complications. Ce n’est plus à Paris qu’elle s’agite ; après bien des détours et des voyages, elle est revenue à Constantinople. C’est là qu’une conférence spéciale vient de préparer, d’accord avec le gouvernement du sultan, l’exécution d’une autre partie du traité du 30 mars. Des délibérations de cette conférence est déjà sorti le firman qui doit convoquer les divans dans les provinces de Moldavie et de Valachie. En un mot, c’est ici la question de la réorganisation des principautés qui commence. Une chose à remarquer dans ce firman, préparé par les commissaires européens et adopté par la Porte, c’est qu’il ne préjuge rien sur le principe de l’organisation des provinces du Danube ; il n’interdit aucune combinaison, pas même celle de l’union des deux principautés. Des règles assez libérales présideront aux élections pour la composition des divans. De plus, bien que cela ne soit point spécifié dans le firman ; le grand-vizir s’est engagé à respecter l’expression de tous les vœux, les manifestations électorales des candidats, et ici la surveillance de l’Europe sera, on doit le croire, assez forte pour maintenir l’efficacité pratique de cette garantie contre le mauvais vouloir trop évident des caïmacans actuels, qui n’ont d’autre pensée que de se transformer en hospodars définitifs. Cela ne signifie point assurément que la Turquie ait renoncé à combattre le principe de l’union des provinces danubiennes ; mais la question reste entière en ce qui touche la libre expression du vœu des populations, et c’est là le point principal. La solution définitive appartient à la conférence qui se réunira à Paris, et prononcera en dernier ressort. Ce n’est point sans luttes, on le conçoit, que le dernier firman a été adopté dans sa forme assez large ; il a rencontré notamment la résistance de l’internonce autrichien. Il n’est pas moins vrai que si le débat s’est particulièrement animé et même irrité, c’est surtout entre lord Stratford, qui continue à ne pas comprendre que sa volonté puisse trouver des limites, et le commissaire spécial anglais, sir Henry Bulwer, dont l’humeur ne paraît point s’accoutumer au joug de l’irascible ambassadeur. Bref, les deux représentans de l’Angleterre ont échangé des paroles assez dures, et le firman qui convoque les divans dans les deux principautés a fini par sortir intact de ces discussions.

Du reste, dans cette phase nouvelle où elle vient d’entrer, la question d’Orient s’agitera plus d’une fois encore à Constantinople, non-seulement parce que c’est là surtout que s’élèvent les luttes d’influences, mais encore parce que du gouvernement ottoman dépend l’exécution d’une des clauses les plus essentielles de la paix, celle qui concerne l’émancipation civile des populations chrétiennes de l’empire. Le chef actuel du cabinet turc, Rechid-Pacha, se montrera-t-il à la hauteur de cette œuvre ? C’est là un autre problème. On a dit à l’origine, que l’avènement de Rechid-Pacha avait été une défaite pour la France : il n’en était rien. Le prédécesseur du grand-vizir actuel, Aali-Pacha, ne tombait si facilement que parce qu’il avait hésité à se prononcer sur l’occupation des principautés et du Bosphore, et que dès-lors l’appui de la France lui manquait. Si Rechid-Pacha montait au pouvoir par le concours de lord Stratford de Redcliffe, cette intervention du ministre britannique ne rencontrait nullement l’opposition de la France. En réalité, cet appui trop ostensible de lord Stratford n’a cessé depuis de peser sur le grand-vizir. C’est ce qui a expliqué dès le premier instant la peine qu’a eue Rechid-Pacha à former son ministère ; c’est ce qui a le plus contribué à le placer dans la situation difficile où il se trouve vis-à-vis du sultan, dont le choix a été contraint, vis-à-vis du corps diplomatique, qui fait peser sur lui des soupçons souvent immérités, vis-à-vis des personnages les plus considérables de l’empire ; tels que Aali-Pacha, Fuad-Pacha, Méhémet-Ali-Pacha, Méhémet-Kiprisli-Pacha et bien d’autres, qui ne veulent point se résigner à subir l’influence de l’ambassade d’Angleterre, et sans le concours desquels il n’est point cependant de combinaison politique possible. Il s’ensuit que Rechid-Pacha est réduit à mesurer chacun de ses pas, à calculer ses actes ; telle est même la force des choses, qu’il semble plus soumis à l’influence de lord Stratford qu’il ne peut l’être réellement, car c’est une loi de sa position de ne point incliner exclusivement vers l’une des deux grandes puissances qui ont préservé en commun la Turquie. La tâche n’est point facile, elle deviendra plus épineuse encore lorsqu’il s’agira d’appliquer le firman qui règle les conditions nouvelles des chrétiens. Rechid-Pacha a toujours travaillé soigneusement à sa popularité en Europe ; il a passé pour l’homme de la civilisation en Turquie. Il reste à traduire en réalités ces hommages si fréquens : au génie, aux mœurs, à la civilisation de l’Occident. Voilà la difficulté. C’est là, il est vrai, une affaire d’avenir. Pour le moment, la question d’Orient entre dans une phase d’enquêtes, de consultations et de vérifications. Pendant quelque temps encore, elle va être à Bucharest, à Jassy, avant de revenir à Paris, où sera souverainement décidé le sort des principautés.

Maintenant où en est cette autre question qui a également agité l’Europe, la question de Neuchâtel ? Elle est dans le demi-jour diplomatique, entre une crise qui finit et une négociation qui n’est point encore commencée. Quelle forme prendra cette négociation ? aura-t-elle le caractère d’une entente directe entre la Suisse et la Prusse, ou d’une délibération collective à laquelle toutes les puissances prendront part ? Dans ce dernier cas, où se réunirait la conférence européenne ? Ce sont des points sur lesquels rien ne semble encore résolu. La Prusse tiendrait à ce que la conférence se réunît à Paris ; la Suisse partage aussi cette opinion. Le choix de Paris semble devenir de jour en jour plus probable, quoique les antécédens de la question eussent pu naturellement désigner Londres. L’essentiel pour le moment, c’est que l’assemblée fédérale de Berne a sanctionné l’acte du pouvoir exécutif de la confédération, mettant en liberté les prisonniers royalistes de Neuchâtel et acceptant les bons offices de la France pour le règlement définitif de l’affaire. La Suisse, on ne peut le nier, s’est montrée animée de l’esprit patriotique le plus résolu durant toute cette crise. Elle n’a point hésité à accepter d’avance les rudes chances de la guerre, et elle s’y est préparée avec une singulière unanimité. Il est pourtant une chose qui s’est trouvée subitement aussi populaire que la guerre, c’est la paix, parce qu’après tout, le peuple suisse s’est senti délivré d’une lourde difficulté. Les seuls mécontens ont été quelques radicaux, parmi lesquels est M. James Fazy, qui a mis tout son zèle à rendre impossible cette issue si naturelle et si simple. Le jour où les conseils délibéraient à Berne, M. Fazy a eu la fantaisie bizarre de faire réunir une assemblée populaire à Genève pour attendre la décision qui serait adoptée et juger si elle était conforme à la dignité helvétique. Les pouvoirs publics de la Suisse ont été mieux inspirés que M. Fazy. Par un acte de bon vouloir, par la libération de quelques prisonniers, ils ont rattaché la France à leur cause, et ils ont mis la Prusse en demeure de montrer le même esprit de paix, de mettre le sceau de sa propre sanction à l’indépendance définitive de Neuchâtel. Si c’est à ce but qu’aspire M. de Gasparin dans deux brochures qu’il a successivement publiées, s’il veut arriver à la consécration irrévocable de l’indépendance du canton suisse, le résultat répond à sa pensée. Pourquoi demander alors à une politique cassante et belliqueuse ce qu’on peut obtenir par la paix et par des négociations qui n’ont certes rien d’humiliant pour la fierté de la Suisse ?

Un des côtés les plus curieux à observer dans cette affaire de Neuchâtel, qui a été sur le point de devenir une affaire européenne, c’est le rôle de l’Allemagne. Parmi les états à qui la Prusse avait à demander le droit de passage pour son armée, il en est qui ont déféré aussitôt à cette demande. Le grand-duc de Hesse offrait même d’aller au-devant des Prussiens quand ils entreraient sur son territoire. Les états plus voisins de la Suisse, et qui pouvaient devenir le théâtre de la guerre, y ont mis plus de réserve ; ils ont attendu avant de se prononcer, et l’événement leur a donné raison. Quant à l’Autriche, elle a ressenti, dit-on, quelque froissement de voir la France exercer cette sorte de médiation à laquelle elle se croyait peut-être quelques titres. Du reste, on ne peut pas dire que le cabinet de Vienne soit venu en aide à la Prusse en cette conjoncture ; il lui a plutôt créé des embarras, tout comme la Prusse créait des difficultés à l’Autriche pendant la guerre d’Orient. Une bonne manière d’arriver à ses fins en Allemagne quand on veut tout arrêter, c’est de vouloir mettre en mouvement la confédération tout entière, représentée par la diète. C’est ce qu’a essayé de faire l’Autriche, bien moins certes par un sentiment de libéralisme ou de protection à l’égard de la Suisse que par un sentiment de rivalité à l’égard de la Prusse, et pendant ce temps la crise se précipitait, l’affaire marchait à son dénoûment.

Voilà donc deux questions qui disparaissent à la fois et qui ne se survivent en quelque sorte que par ces suites inévitables qu’ont tous les incidens diplomatiques d’une certaine importance. Or, dans cette éclipse des grandes affaires, c’est la vie intérieure des peuples qui passe au premier rang. L’activité de la diplomatie, en se ralentissant, laisse apparaître cet ensemble d’institutions, de mœurs, de faits ou d’idées dont le travail incessant remplit et anime l’existence d’un pays. Quant aux faits en eux-mêmes, ils sont d’habitude peu nombreux en France, et, même quand ils se multiplient, ils conservent encore le plus souvent aujourd’hui un caractère administratif ou économique ; ils touchent à des intérêts spéciaux, quand ce ne sont point des faits exceptionnels qui troublent et attristent le cours simple des choses. Politiquement, dans quelques jours le corps législatif va se réunir ; ce sera la sixième session législative depuis l’établissement des institutions régnantes et la dernière de la législature actuelle. Puisque, dans un délai prochain, des élections nouvelles doivent avoir lieu pour la formation d’un nouveau corps législatif, puisque le pays ne peut rester indifférent à un acte de la vie publique aussi grave, il est tout simple aussi que bien des esprits se soient préoccupés d’une affaire déjà soumise à divers tribunaux, et qu’on a appelée l’affaire des bulletins électoraux. Les bulletins d’élections portant le nom des candidats peuvent-ils être librement distribués avant le scrutin ? Doivent-ils au contraire être soumis à l’autorisation préalable des pouvoirs administratifs ? La loi de 1850, qui prescrit cette autorisation pour la distribution et le colportage des livres, écrits et brochures, a-t-elle voulu comprendre dans ce mot d’écrits de simples bulletins de vote contenant un nom ou plusieurs noms, et rien de plus ? Voilà la question litigieuse qui a été déjà l’objet de plusieurs arrêts, qui a divisé la magistrature elle-même, que des jurisconsultes éminens ont traitée avec une grande force dans une lumineuse consultation, et que la cour de cassation à son tour vient de trancher souverainement dans le sens de la nécessité d’une autorisation préalable pour la distribution des bulletins électoraux, La difficulté que cette jurisprudence éprouve à s’établir indique assez la gravité de ces débats, auxquels s’attachait un intérêt politique de premier ordre, puisqu’il s’agissait de tracer les limites de la liberté électorale et de l’action discrétionnaire du pouvoir administratif.

La vie publique est un composé de bien des élémens dissemblables, de tous les faits qui se groupent, se succèdent et passent. À travers cette succession de choses qui ont un sens profond, qui sont le produit d’un esprit général, et qui finissent par former l’histoire d’une époque, n’y a-t-il pas un moment où on est tenté de se demander d’où on vient, quel chemin on a parcouru, où on est arrivé, et vers quel but on se dirige ? Le difficile est parfois de faire la réponse. — Où en sommes-nous ? C’est la question que M. le docteur Véron s’adresse à lui-même dans un livre auquel il a donné cet autre titre de Quatre ans de Règne, sans doute pour circonscrire ses recherches et leur donner un but précis. M. Véron est un homme heureux, qui protège la politique et les lettres, et qui se sent trop porté peut-être à donner des consultations avant qu’on ne les lui demande. Ces consultations ont du reste le mérite d’être désintéressées et de venir d’un praticien d’expérience. Où en sommes-nous ? se dit à lui-même M. Véron, et il promène son regard sur ces quatre années. Il compte les choses accomplies, il énumère les lois votées. La presse, le corps législatif, le sénat, le conseil d’état, les ministères, M. Véron passe tout en revue. On a là un résumé de la situation actuelle avec la biographie des hommes, avec le degré de température de chaque corps public, avec la décomposition du mécanisme des institutions et des lois. L’auteur de Quatre Ans de Règne décrit surtout, pour les avoir éprouvées, les anxiétés d’un directeur de journal, toujours obligé de savoir ce qui est permis et ce qui n’est point permis. Ces esquisses sont assez curieuses par un certain mélange d’optimisme et d’indépendance. Le livre de M. Véron eût peut-être fait moins de bruit sans une bonne fortune qu’il doit apprécier : il se trouve tout à coup l’objet des railleries et des critiques, qui lui arrivent parfois des points les plus imprévus. Pourquoi donc ces rigueurs inexpliquées ? Est-ce parce que M. Véron a écrit un livre de plus, un chapitre de plus de ses Mémoires d’un Bourgeois de Paris ? Ce n’est pas probable ; c’est peut-être alors parce que dans ces pages de Quatre Ans de Règne le bourgeois de Paris exprime respectueusement l’opinion que, toute garantie laissée à l’ordre public, il n’y aurait qu’avantage à alléger les conditions de la presse, à donner un peu de jour aux discussions du corps législatif. C’est là en définitive la moralité de ces pages, et M. Véron n’a écrit son livre, selon toute apparence, que pour dire ces quelques mots. Qui sert le mieux le gouvernement, de M. Véron, qui parle ainsi, ou de ses contradicteurs, qui, sans aller droit à la difficulté, l’attaquent parce qu’il a ainsi parlé ? C’est certainement M. Véron. La liberté, non la liberté licencieuse et violente, mais la liberté réglée par les lois, dirigée par un sévère sentiment moral, et invoquée un jour par l’empereur lui-même comme le couronnement de tout édifice social, — cette liberté a un grand mérité, elle fortifie le pouvoir qui s’appuie sur elle. La liberté politique mesurée selon les temps a un autre avantage : elle assainit l’air, elle donne un but aux esprits, qu’elle relève à la hauteur des nobles spéculations. Quand elle disparaît, les esprits, ou du moins une multitude d’esprits, se laissent aller à toute sorte de malsaines occupations. Ils ne touchent pas à la vie publique, aux hommes publics, il est vrai ; ils se tournent vers la vie privée, vers tout ce qui est du domaine le plus intime. On se repose de la fatigue de penser par la facilité de la diffamation et de l’injure. Il se propage on ne sait quel goût de travestissemens, de biographies équivoques, de divulgations hasardeuses qui ne respectent rien, et la morale publique n’est pas moins atteinte à coup sûr par ce travail injurieux appliqué à la vie privée que par une injustice dans la discussion des intérêts politiques.

C’est là un point que M. Véron a oublié de traiter dans son livre. Où en sommes-nous ? Cette question que l’auteur de Quatre ans de Règne s’adresse à lui-même en matière politique, on pourrait l’étendre et l’appliquer à d’autres faits. On ne connaîtrait point au juste certains phénomènes contemporains, si on ne voyait de temps à autre surgir quelques-uns de ces petits livres qui montrent comment certaines idées, filles des révolutions, survivent à travers tout, excellent à prendre toutes les formes, à saisir toutes les occasions de se produire, et en viennent à se croire inoffensives, parce qu’elles ne parlent plus le langage de la violence. Pourquoi des propriétaires à Paris ? Voilà une autre question qu’on se faisait récemment dans une brochure de quelques pages. Pourquoi des propriétaires à Paris effectivement ? pourquoi même des propriétaires en France ou ailleurs ? La propriété suppose du travail, de la prévoyance, elle est la source de mille ennuis. Elle met la haine entre celui qui possède et celui qui ne possède pas, elle crée l’antagonisme du locataire et du propriétaire. L’organisateur social inconnu a un remède bien simple pour tous ces maux. Il propose l’expropriation universelle de tous ceux qui possèdent à Paris. C’est la ville qui sera désormais l’unique propriétaire. Elle aura une légion d’architectes, d’entrepreneurs, de constructeurs. Les concierges seront élevés au rang de fonctionnaires publics. Les anciens propriétaires seront indemnisés au moyen d’obligations immobilières et seront ainsi délivrés de tout souci. Le prix des loyers baissera immédiatement, parce qu’il est bien clair que la ville de Paris se hâtera de mettre la main à l’œuvre et de loger chacun suivant ses ressources, et tout le monde sera content ! Ne dites point que c’est là un petit livre obscur, venu on ne sait d’où, écrit on ne sait par qui, et lancé un jour à l’aventure dans le tourbillon des billevesées humaines. Le mérite involontaire et très relatif de ce petit livre, c’est qu’il laisse voir cette tendance universelle à tout absorber, dans un pouvoir collectif anonyme, à chercher toujours un refuge dans l’état. Y a-t-il une crise monétaire, on demanderait volontiers au gouvernement de décréter le cours forcé des billets de la Banque. Les chemins de fer font-ils parfois trop sentir le poids de leur monopole, on en vient à penser que l’état devrait s’emparer de toutes les voies de communication. Si la vie devient difficile à Paris, c’est encore à l’état qu’on demande de décréter un maximum de location, ou, ce qui est bien mieux, de devenir le propriétaire universel. En tout cela, que devient la pauvre individualité humaine ? Elle disparaît dans une subordination vulgaire ; elle perd la conscience de son être, de ses droits et de son pouvoir, aliénant une à une toutes ses facultés. Et l’état lui-même, que gagnerait-il, si cette transformation pouvait se réaliser ? Ayant la responsabilité universelle, il deviendrait le point de mire de toutes les haines, de toutes les passions faméliques, qui lui demanderaient compte des souffrances qu’il n’aurait point épargnées. L’état a ses droits, qui sont des droits de gouvernement, et l’individu a les siens par le travail, par la prévoyance, par la pensée, qui constituent l’indépendance et la noblesse de la personnalité humaine.

Il y a depuis quelques jours en Italie un double et curieux spectacle. L’empereur d’Autriche a parcouru les états vénitiens, la Lombardie ; il est en ce moment à Milan. D’un autre côté, le Piémont vient d’avoir il y a peu de temps une brillante discussion parlementaire où les divers orateurs se sont efforcés d’expliquer de nouveau le rôle de leur pays au-delà des Alpes. Le voyage de l’empereur François-Joseph en Italie a cela de caractéristique qu’il a commencé gravement, froidement même, si l’on veut, et qu’il s’achève dans des conditions bien meilleures. À quoi cela est-il dû, si ce n’est au sentiment libéral dont le jeune souverain a laissé à chaque pas quelque témoignage, et qui vient de s’attester par une amnistie entière et complète ? En entrant en Italie, François-Joseph avait accordé quelques grâces partielles : il levait le séquestre mis il y a quelques années sur les biens des émigrés lombards. Arrivé à Milan, il a fini par promulguer cette dernière amnistie, qui dissout la cour spéciale établie à Mantoue et annule toutes les condamnations, toutes les poursuites pour causes politiques. Cette mesure semble avoir produit sur l’opinion une influence aussi soudaine que favorable, une influence qui serait sans nul doute plus durable, si l’empereur d’Autriche profitait de son séjour à Milan pour accomplir quelques réformes dans l’administration de la Lombardie. Rien ne peut faire certainement que l’Autriche ne soit point l’Autriche en Italie ; mais si les impériaux n’ont point la popularité, ils peuvent du moins désarmer dans une certaine mesure les susceptibilités nationales par un système d’administration équitable et intelligent. C’est un à-propos singulier assurément qui a mis en regard du voyage de l’empereur François-Joseph à Milan les discussions parlementaires récemment agitées dans le parlement de Turin. Une interpellation d’un député radical, de M. Brofferio, a provoqué le gouvernement à s’expliquer. Il ne s’agissait de rien moins que d’établir la position du Piémont après la guerre d’Orient. Le rôle qu’a joué le Piémont a-t-il été sans avantages pour lui ? Il a eu sa part dans la gloire commune, il a acquis le droit de se faire entendre sur les intérêts italiens, il s’est fait une grande situation. N’est-ce donc rien ? Il est vrai qu’après avoir parlé pour l’Italie, le Piémont n’a rien fait, c’est-à-dire que le cabinet de Turin est resté un gouvernement conservateur. Voilà justement ce que M. Brofferio lui reproche. — Quoi ! dit le député radical, une échauffourée a lieu à Modène, une insurrection éclate en Sicile, une souscription est ouverte pour offrir dix mille fusils à la première province qui s’insurgera, et vous ne faites rien pour appuyer ces manifestations ! M. de Cavour n’a rien fait vraiment pour seconder tout cela, et c’est justement pour cette raison que le cabinet de Turin reste un pouvoir conservateur dévoué à l’indépendance nationale, non à la révolution. Les dernières mesures adoptées en Lombardie, la levée du séquestre sur les biens des émigrés, semblaient rendre possible un rapprochement de convenance entre l’Autriche et le Piémont. Par malheur, un dernier incident est survenu : un sénateur piémontais, M. Plezza, a été expulsé de Milan. Cette rigueur outrée n’a point manqué d’être ressentie à Turin, et c’est ainsi que les nuages se succèdent entre les deux états.

L’Espagne à son tour rentre ou va décidément rentrer dans l’ordre constitutionnel. Après bien des épreuves, elle se replace par degrés dans les conditions où elle a vécu durant dix années jusqu’à la dernière révolution. Il y a quelques jours encore, une indéfinissable incertitude semblait peser sur toutes les situations au-delà des Pyrénées, et cette incertitude avait cela de grave, qu’elle pouvait entretenir les espérances des partis extrêmes. Le chef du cabinet espagnol, le général Narvaez, a senti la nécessité de ne plus laisser les esprits en suspens, et, avec autant de coup d’œil politique que de décision, il a proposé à la reine une mesure de premier ordre dans les circonstances présentes, la convocation des cortès. Le décret, qui a paru récemment, fixe au 1er mai la réunion des chambres. Si l’on remarque que les listes électorales qui servent à la nomination des députés doivent être en partie l’œuvre des municipalités, et que ces municipalités elles-mêmes n’existent pas encore, qu’elles vont être élues seulement d’ici à peu de jours, il sera facile de voir que l’époque fixée pour la réunion des cortès ne pouvait guère être plus prochaine, et cela seul indique à travers quelles difficultés le cabinet du général Narvaez a dû marcher depuis quelques mois. Il a fallu réorganiser l’administration publique, faire revivre en tous ses détails une légalité disparue, rajuster les pièces d’une machine mise en lambeaux par la révolution. Dans la pensée du gouvernement, la convocation des chambres n’est que le couronnement d’une série d’actes tendant à replacer l’Espagne dans un ordre régulier. Le sénat revient à la vie tel qu’il était en 1854, la veille de la révolution. C’est la loi électorale de 1846 qui va régler les prochaines opérations du scrutin pour la nomination des députés.

Qu’on ne croie pas que cette loi à laquelle on revient aujourd’hui soit une œuvre de réaction. En général, toute cette législation politique et administrative qui se rattache aux années 1845 et 1846, c’est-à-dire à l’une des périodes les plus actives du règne des opinions modérées, cette législation, disons-nous, est d’un esprit libéral autant que sage. La loi électorale en particulier n’est nullement restrictive. Il faut avoir vingt-cinq ans et payer 1,000 réaux de contributions pour pouvoir être nommé député. Un cens de 400 réaux ou 100 francs confère le droit d’élection, et ce cens est réduit de moitié pour les docteurs, licenciés, magistrats, professeurs, employés, officiers, en un mot pour tout ce qu’on nommait autrefois les capacités dans la langue politique. Le congrès se compose de trois cent quarante-neuf députés élus par districts, non par provinces. C’est sous l’empire de cette loi que va se rouvrir le scrutin. Ainsi, dans un court intervalle, les municipalités vont être reconstituées, l’élection des députés est fixée au 25 mars, peu après la session législative s’ouvrira à Madrid, et l’Espagne se retrouvera avec une représentation légale, régulière. La meilleure preuve que cette mesure répondait à une nécessité publique réelle et profonde, c’est que le décret de convocation des cortès a été en quelque sorte un soulagement pour tout le monde ; il a été universellement considéré comme un gage de raffermissement et de sécurité. On ne doutait point de la pensée véritable du général Narvaez, on croyait aux embarras de sa situation et aux difficultés qu’il rencontrait ; ces difficultés, le président du conseil les a tranchées en homme d’état qui sait prendre une résolution au moment voulu.

Maintenant est-ce à dire qu’il ne reste plus rien d’épineux et de problématique dans les affaires actuelles de l’Espagne ? Le gouvernement a pris une heureuse initiative en faisant appel aux conseils légaux du pays pour donner une sanction définitive au rétablissement de toute une légalité brisée par la dernière révolution ; mais cette situation, il est évident qu’elle ne peut s’affermir et redevenir durable que si elle s’appuie sur une force politique compacte, sur un parti puissant et organisé. En un mot, c’est ici la question de l’union de toutes les forces conservatrices de l’Espagne. Malheureusement il n’est point certain que cette union existe. Toutes les divisions accumulées depuis quelques années dans le sein du parti modéré semblent au contraire se faire jour de temps à autre par de curieuses polémiques, Récemment un journal qui passe pour être inspiré par M. Gonzalez Bravo entreprenait la plus singulière campagne contre ce qu’il appelait le santonismo, les santones, ou en d’autres termes les burgraves, qui ne sont autres que les anciens, les hommes les plus considérables du parti. Cette diversion assez excentrique, tentée au profit de ce qu’on nommait, il y a quelque dix ans, la Jeune-Espagne, paraît avoir été motivée par la crainte de voir le général Narvaez se rapprocher trop intimement des anciennes notabilités du parti conservateur, de M. Mon par exemple. Il s’est élevé il y a peu de jours, dans la presse modérée de Madrid, une polémique bien plus sérieuse. Il ne s’agit ici de rien moins que de la réforme de la constitution de 1845, de cette constitution à peine rétablie depuis quelques mois. Toutes les fractions de l’opinion modérée ont pris part à cette polémique, et sous les paroles des journaux, à travers leurs indications ou leurs réticences, il est facile de distinguer les tendances et les vues des principaux hommes publics. Si les mêmes luttes ont existé au sein du ministère, elles se sont dénouées au profit des idées constitutionnelles par la réunion des chambres. Il est vrai que, dans l’exposé des motifs qui précède le décret de convocation des cortès, le gouvernement parle de la nécessité d’adopter, d’accord avec les chambres, diverses mesures qui touchent à la législation politique actuelle. Ces mesures auraient pour objet de rehausser l’éclat du trône, de garantir la conservation des noms illustres de l’Espagne, de régulariser les discussions parlementaires sans en affaiblir l’efficacité. Quelque vagues que soient ces indications, ce serait évidemment en outrer le sens naturel que d’y voir la pensée d’une réforme constitutionnelle complète, que rien ne nécessite dans l’état de la Péninsule, et qui serait la contradiction de tous les antécédens des membres les plus important du ministère. En définitive, ce qui paraît le plus clair en tout cela, c’est que les règlemens intérieurs des chambres seront modifiés de façon à empêcher des discussions oiseuses et des interpellations trop fréquentes. Il est possible aussi que l’élément de la grandesse soit fortifié dans le sénat, ce qui n’a certes rien de contraire à la liberté vraie. Ces modifications, dans tous les cas, ne seront faites qu’avec le concours des chambres : là est l’essentiel. En procédant ainsi, le général Narvaez compte sans doute offrir une satisfaction aux partisans d’une réforme tout en maintenant dans leur intégrité le principe et les garanties du régime constitutionnel. S’il réussit, il aura eu le mérite une fois de plus de rallier toutes les fractions du parti conservateur sur un terrain commun, dans une œuvre commune. Cette union des forces modérées est aujourd’hui la première condition de l’affermissement d’un régime régulier au-delà des Pyrénées.

Les grandes questions ne sont point certainement absentes dans l’histoire contemporaine du Nouveau-Monde, mais elles disparaissent tellement dans les petites convulsions, dans les mille péripéties de conflits obscurs, qu’elles semblent ne plus exister ; elles ne se font jour qu’entre deux révolutions, entre deux éruptions d’anarchie. Pendant quelque temps, on n’a vu dans les affaires de l’Amérique centrale que la querelle survenue tout à coup entre les États-Unis et l’Angleterre. Cette querelle s’est apaisée comme tant d’autres, des traités ont été signés, l’Angleterre vient de renouer ses rapports diplomatiques avec les États-Unis par la nomination d’un nouveau ministre à Washington, et la pauvre Amérique centrale reste avec son désordre, ses guerres civiles, surtout avec cette domination étrange qui est allée s’établir au cœur du pays, il y a bientôt deux ans. Depuis deux ans, il n’y a point d’autre question que celle de savoir comment se dénouera cette bizarre aventure de William Walker. Au demeurant, en plein XIXe siècle, à la lumière de la civilisation moderne, c’est une de ces invasions de bandits comme on n’en vit jamais au temps de la découverte de l’Amérique. Voici en effet quelques hommes qui, sans motif, sans mandat, poussés par leur seule audace, tombent sur un petit état, et lui font subir tous les outrages de la conquête sans être des conquérans. Walker, on s’en souvient, se glissait dans le Nicaragua comme auxiliaire de l’un des partis intérieurs ; bientôt il levait le masque, il procédait à un simulacre d’élection populaire qui lui décernait la présidence et il restait seul avec ses compagnons d’aventures au milieu du pays, dominant par la force, abandonné des quelques nationaux auxquels il avait d’abord fait illusion. C’est alors que la résistance a commencé. Costa-Rica a déclaré la guerre aux flibustiers campés au milieu de l’Amérique. Les autres états, Guatemala, Salvador, n’ont point tardé à joindre leurs armes à celles de Costa-Rica. Dans le Nicaragua même, des insurrections se sont organisées, et si cette situation se prolonge encore, cela ne s’explique que par les difficultés qu’éprouvent ces petits états à combiner leurs mouvemens, à faire agir leurs forces avec ensemble pour frapper un coup décisif sur l’ennemi. Dans cette lutte où des armées de cinq cents hommes sont occupées à se poursuivre, Walker n’a évidemment montré aucune espèce de talent supérieur, il n’a montré que de la ténacité et une certaine habileté à réparer ses pertes, à dissimuler ses faiblesses. Ses compagnons eux-mêmes ne se font point illusion sur sa capacité ; mais ils sont associés à sa fortune, ils sont cernés au centre de l’Amérique, et ils sentent qu’ils n’ont d’autre moyen de salut que la discipline sous cet étrange chef. Quant à la nature de cette domination, elle se laisse voir dans tous les actes de la dictature yankee. Walker, resté seul maître, a rétabli l’esclavage au Nicaragua. Il fusille ses adversaires et il confisque leurs propriétés. Il s’empare des fermes qui sont à sa convenance pour les livrer à quelques spéculateurs américains qui lui fournissent des ressources ; il livre le reste au pillage, et il ne peut demander, on le conçoit, plus de scrupules à ses soldats qu’il n’en montre lui-même. Quelle était la pensée de Walker dans cette violente entreprise ? On a cru qu’il n’avait d’autre dessein que de s’emparer du Nicaragua pour l’annexer aux États-Unis. Voici cependant que d’indiscrètes révélations d’un de ses complices le laissent voir préoccupé d’idées beaucoup plus personnelles. Il aurait songé à créer sous sa domination une république intermédiaire avec l’Amérique centrale et Cuba, qu’il s’agissait toujours bien entendu d’enlever à l’Espagne. « Non, disait-il assez bizarrement en parlant de Cuba, cette belle contrée n’est pas faite pour ces barbares Yankees. Qu’est-ce que ces chanteurs de psaumes feraient de cette lie ? Les chanteurs de psaumes n’ont point goûté beaucoup la révélation, et il est certain que Walker est tombé dans un notable discrédit aux États-Unis, tandis que d’un autre côté cette incroyable aventure semble toucher à sa dernière période sur le sol même de l’Amérique centrale. Les forces coalisées des divers états centro-américains ont occupé successivement les principales positions, les villes de Léon, de Rivas, de San-Juan del Sur. Walker s’est vu bientôt cerné de toutes parts ; il a essayé de briser le cercle en marchant sur Masaya, où il comptait rencontrer les armées alliées ; mais il a été battu, et il a été obligé de se replier vers Granada, le seul point qui lui reste. Il s’est enfermé dans une sorte de citadelle, après avoir brûlé la ville elle-même par un dernier acte de vandalisme, et c’est devant les ruines de Granada que semble devoir se décider aujourd’hui la question. Il est douteux que Walker parvienne à se relever des défaites successives qui l’ont frappé, et qui ont déconsidéré sa cause aux yeux de ceux-là mêmes qui ne voient que le succès. Quant à l’Amérique centrale elle-même, il y a toujours un fait à noter : jamais, à coup sûr, une entreprise de ce genre n’eût été possible sans la misérable anarchie qui désole et énerve ces contrées. Maintenant, que Walker disparaisse, cette anarchie ne se montrera-t-elle pas de nouveau ? Cette incurable faiblesse de populations incohérentes ne restera-t-elle pas l’éternel appât des envahisseurs ?

C. de Mazade.


REVUE MUSICALE

Si, comme le dit un vieux proverbe, — et tous les proverbes sont vieux, — tout ce qui brille n’est point de l’or, on peut affirmer également que tout ce qui retentit et résonne dans les théâtres lyriques de Paris n’est pas toujours de la musique. Ce mot de musique, sous lequel les Grecs entendaient tant de choses, c’est-à-dire presque l’ensemble des connaissances humaines, a aussi chez les peuples modernes des significations très diverses. Il en est de la musique comme de la poésie, sa sœur ; il y en a pour tous les âges, pour toutes les conditions et pour toutes espèces d’oreilles. Tel qui se délecte aux flons flons d’un pont-neuf restera insensible à une symphonie de Beethoven, et celui qui s’extasie à une représentation du Trovatore de M. Verdi pourra bien n’éprouver qu’un mortel ennui à écouter Guillaume Tell de Rossini, le Freyschütz de Weber, ou mieux encore les beautés suprêmes du plus parfait des chefs-d’œuvre, nous avons nommé le Don Juan de Mozart. Et pourtant, sous la diversité de ces goûts mobiles, il y a un goût permanent ; sous ces sensations transitoires de la nature humaine, il existe une loi du beau qui ne vit pas, comme la rose, seulement l’espace d’un matin. C’est donc avec raison, dit La Bruyère, qu’on dispute des goûts, car il ne peut pas y avoir de vérité sans erreur, et le beau suppose l’existence de son contraire, monseigneur le laid. C’est ce que les philosophes appellent la simultanéité du fini et de l’infini, dualité inévitable dans l’esprit humain, clair-obscur qu’on retrouve dans toutes les manifestations de la vie. Pour nous qui supportons le poids du jour à travailler humblement à la vigne du Seigneur, sans méconnaître le prix des choses qui passent et qui durent plus d’une semaine, nous ne cachons pas que nous avons un grand faible pour ce genre de musique et de poésie qui, comme dit la chanson, est de toutes les saisons. »

Voulez-vous des succès ? Nous en avons les mains pleines. Depuis l’Opéra jusqu’aux Bouffes-Parisiens, où M. Offenbach vient de donner une nouvelle édition de Robert le Diable, approprié à la taille de ses fantoccini, on n’entend qu’applaudissemens, ovations triomphales, où les virtuoses et les compositeurs sont traînés à la barre de l’admiration publique. Heureux pays, heureuse époque qui ne sait plus à quel chef-d’œuvre se vouer ! Mais procédons avec ordre, et puisque c’est M. Victor Massé qui est venu le premier au moulin, prenons d’abord son sac portant l’étiquette de la Reine Topaze. Qu’est-ce donc que la reine Topaze ? D’où vient-elle ? quels sont ses faits et gestes pour faire tant de bruit dans le monde ? Elle vient du fond de l’Orient, et c’est l’une des mille métamorphoses d’un type de bohémienne suffisamment connu, qui a été créé et mis au monde par Cervantes dans une charmante nouvelle, que M. Victor Hugo a baptisé du nom d’Esmeralda, et que M. Scribe a reproduit ensuite sous toutes les formes. Dans les Diamans de la Couronne, elle se nomme Catharina, et M. Clapisson l’a particulièrement connue sous le nom de Fanchonnette. La reine Topaze est comme le solitaire de feu M. d’Arlincourt, elle voit tout, elle entend tout, elle est partout. Elle règne en souveraine dans Venezia la bella à la barbe de l’inquisition et du conseil des dix. Recueillie et protégée par un certain capitaine d’aventure qui se nomme Rafaël, elle lui a voué une reconnaissance si vive que cela peut bien passer pour de l’amour. Sur ce fond de légende ajoutez tous les incidens et toutes les intrigues que vous pourrez imaginer pour égayer le public pendant trois mortels actes, et vous connaissez l’histoire de la reine Topaze, qui n’est rien moins que la dernière des Salviati, grande famille vénitienne. Elle épouse, comme vous le pensez bien, le capitaine Rafaël, au grand déplaisir d’une méchante rivale, la comtesse Filomèle de Vicence. Tel est le conte bleu de MM. Lockroy et Léon Battu, qu’on assure être des gens d’esprit.

Il y a longtemps que M. Victor Massé joue du chalumeau le long des ruisseaux limpides, et qu’il fait retentir les bois d’alentour de ses rustiques roucoulemens. Il y a longtemps qu’il aspire à l’honneur de pouvoir s’écrier avec le poète de Mantoue :

Ille ego, qui quondam gracili modulatus avena
Carmen…

et tout ce qui s’ensuit. L’auteur gracieux de la Chanteuse voilée, de Galathée, des Noces de Jeannette, de la Fiancée du Diable et des Saisons a-t-il enfin réussi à courir pendant l’espace de trois actes sans perdre haleine ? La musique de la Reine Topaze est-elle plus neuve et d’une distinction moins maniérée que celle qui lui a voulu déjà tant de jolis succès tempérés par un peu d’ennui ? C’est ce qu’il nous reste à voir.

Passons vite sur l’ouverture, qui n’a rien qui mérite de fixer notre attention. Aussi bien ce qu’on appelle la jeune école moderne en est arrivé à ne plus pouvoir écrire une de ces petites préfaces de musique instrumentale qui disposent l’auditeur à écouter patiemment l’ouvrage qu’on lui a promis. Six jeunes seigneurs qui, par un beau matin de printemps, débusquent sur une petite place de Venise, chantent un léger sextuor : Ah ! quelle fête ! ah ! quel plaisir ! d’une harmonie suave, et que nous préférons au morceau qui vient après, un chœur à deux parties, dont la cadence à l’unisson soulève l’enthousiasme prémédité du parterre :

Nous sommes six seigneurs qui, pour la même femme,
Brûlons des mêmes feux…

Après cette introduction, heureusement disposée, le capitaine Rafaël, qui vient à la rencontre des beaux seigneurs vénitiens, raconte son histoire sur un rhythme saillant : Je suis capitaine d’aventure ! La réponse du chœur et l’accompagnement de l’orchestre encadrent ces couplets de manière à en atténuer la vulgarité. Nous préférons la romance que chante encore le capitaine Rafaël :

Beau cavalier, marche toujours !

dont la mélodie et l’accompagnement sont très recherchés, comme tout le premier acte. La prière nasillarde des deux bohémiens dont la reine Topaze se fait suivre ne manque pas d’une sorte de caractère. Il y a dans l’accompagnement une spirale dessinée par le basson qui est d’un effet piquant. La fantaisie vocale où la reine Topaze donne une définition allégorique du vol de l’abeille est charmante, finement accompagnée et bien supérieure aux vocalises prodigieuses que Mme Miolan débite sur l’air du Carnaval de Venise. Le trio syllabique entre les deux bohémiens et la reine Topaze, dont ils viennent d’exécuter un ordre difficile :

Il est là, le voilà,

est ingénieux, bien en situation et toujours élégamment accompagné. Dans ce premier acte, qui est le plus long et le mieux réussi de l’ouvrage, nous pouvons encore signaler quelques jolis détails d’un duo de soprano et ténor entre Rafaël et la reine Topaze, le chœur des gondoliers, qui se chante derrière les coulisses, et qui ne vaut pas certes celui de la Reine de Chypre, un vrai chef-d’œuvre, et l’andante plein de distinction de l’air de soprano que chante toujours la reine. Topaze :

Adieu, rêve de bonheur !

et dont l’allegro pourrait être supprimé sans grand dommage pour la gloire du compositeur.

Le second acte s’ouvre par un dialogue en deux couplets :

Rira bien celui-là
Qui le dernier rira,

que la reine Topaze et Rafaël chantent tour à tour en exprimant leur gaieté par des éclats de rire heureusement enchâssés dans quelques notes chromatiques bien choisies. Le duo pour soprano et baryton entre Annibal, un viveur riche, sot et prétentieux, qui sert de pivot à toute l’intrigue de la pièce, et la comtesse Filomèle, une franche coquette dont il est amoureux, ce duo pourrait être aussi supprimé, ce qui ferait ressortir d’autant l’espèce de septuor syllabique pour voix d’hommes, et qui est détaillé avec beaucoup d’adresse. C’est au milieu de la fête que donne le vaniteux Annibal dans un palais magnifique, où l’on reconnaît l’imitation du tableau de Paul Véronèse qui est au musée du Louvre, que Mme Carvalho chante les variations sur l’air du Carnaval de Venise, où elle jette toutes les notes de son gosier et plus encore. Dans la troisième de ces variations, la cantatrice oppose avec un art infini les quelques notes de poitrine qu’elle possède avec celles qui forment le registre supérieur. C’est par ce jeu de bascule que se termine ce divertissement vocal au milieu d’applaudissemens frénétiques. Ce que c’est que de nous pourtant ! Enfin le finale du second acte, beaucoup trop long, commence par un chœur de bohémiens qui envahissent le palais du fastueux Annibal. On ne remarque dans cet ensemble un peu confus que la complainte des deux bohémiens qui sont les loustics de la pièce. Au troisième acte, on peut encore signaler la scène originale entre les deux bohémiens qui se dévoilent aux yeux de l’imbécile Annibal, et le duo pour soprano et ténor entre Rafaël et la reine Topaze, duo chaleureux, mais décousu et trop long.

Assurément la musique de la Reine Topaze, dont nous ayons signalé les morceaux importans, n’est pas un chef-d’œuvre et ne renferme rien qui ne fût déjà plus ou moins connu d’avance ; mais c’est une partition distinguée, écrite avec un très grand soin, et qui mérite en partie le succès réel qu’elle obtient au Théâtre-Lyrique. M. Massé a fait de louables efforts pour agrandir la sphère de son talent, et souvent il a atteint le but qu’il se proposait. Il y a dans l’opéra de la Reine Topaze plus de relief dans les idées et plus de souffle dramatique que dans les autres ouvrages du même auteur. L’éclat de la mise en scène, l’ensemble de l’exécution et surtout le talent de Mme Carvalho ont puissamment contribué au succès de la Reine Topaze.

Il y a longtemps que nous avons signalé ici les qualités remarquables de Mlle Miolan, devenue depuis Mme Carvalho. Mme Carvalho représente le triomphe vivant de l’art sur la nature. D’un physique grêle où respire l’intelligence honnête, elle possède une voix de soprano non moins fragile que sa personne. Cette voix pointue, d’un timbre peu agréable, est coupée en deux tronçons d’inégale longueur qu’elle est obligée de souder ensemble per fas et nefas. Industrieuse comme une fée, Mme Carvalho jette sur ce précipice de son organe un pont suspendu qu’elle traverse aussi légèrement qu’une abeille. Il n’y a que les malins qui frissonnent en la voyant s’exposer de’ gaieté de cœur à un danger de mort. Mm8 Carvalho possède deux qualités qu’on trouve rarement réunies dans le même talent : une flexibilité merveilleuse et du style quand elle chante la musique des maîtres. Mme Carvalho, Mme Frezzolini et Mme Duprez-Vandenheuvel sont les trois seules cantatrices de Paris qui connaissent cet art de phraser, qui est pour l’oreille ce que l’horizon est pour la vue. Comme il faut que la critique ait toujours son petit mot a dire sur toutes les choses de ce monde, nous ferons à Mme Carvalho une observation. Dans ces mille broderies vocales qu’elle dessine si délicatement sur le thème du Carnaval de Venise, la cantatrice ne dépasse-t-elle pas le but ? Est-il prudent de laisser apercevoir aux indiscrets qu’on leur donne tout ce qu’on a, et que la plus belle fille du monde ne peut pas donner davantage ? C’est plus qu’une témérité de tarir par des prodigalités folles la source du désir. À part ces petites chicanes de puriste, Mme Carvalho mérite certainement qu’on aille l’entendre dans la Reine Topaze, dont elle fait la moitié du succès.

Enfin le théâtre de l’Opéra s’est passé l’envie qu’il avait depuis longtemps d’entendre il Trovatore de M. Verdi. Ce merveilleux chef-d’œuvre a été accommodé au goût de la scène française par un homme d’esprit, M. Émilien Pacini, et la première représentation du Trouvère a eu lieu devant une nombreuse et brillante assemblée. Le compositeur n’a ajoute que fort peu de chose à la partition originale : un divertissement qui est au-dessous du médiocre, et un petit air pour Azucena au troisième acte. Nous n’avons point à faire notre profession de foi sur le talent de M. Verdi, ni à nous prononcer sur le mérite particulier de la partition du Trouvère. Nous l’avons apprécié ici ; il y a quelques années, avec un scrupule d’équité qui ne nous permet pas de changer d’avis. Il ne nous en coûte même pas de dire que le Trouvère a été accueilli à l’Opéra presque aussi favorablement qu’au Théâtre-Italien. Le contraire nous eût fort étonné. La musique de M. Verdi a toutes les qualités qu’il faut pour réussir dans ce temps-ci : elle est violente, grossière, passionnée, et produit sur la masse d’un public affairé cet ébranlement nerveux qu’on cherche aujourd’hui à la bourse, comme on la cherchait autrefois dans un cirque du bas-empire.

Les œuvres de l’esprit ont leur destinée, et les succès qu’obtiennent certains opéras de M. Verdi sont d’autant plus légitimes qu’ils sont en parfaite harmonie avec tout le reste. Il ne manque plus à Paris qu’un combat de taureaux pour achever le tableau de l’art contemporain. Il faut convenir aussi que l’exécution du Trouvère est presque aussi bonne à l’Opéra qu’au Théâtre-italien. Il n’est pas nécessaire de savoir chanter pour rendre les effets de la mélopée dramatique de M. Verdi. Avec une voix forte, un tempérament sanguin et de grands poumons, on parvient à satisfaire le public et le compositeur. Autrefois, avant que la loi du progrès continu de l’esprit humain fût aussi démontrée que de nos jours, il fallait passer dix ans dans une école de chant pour qu’un virtuose put aborder le théâtre sans craindre des mésaventures. Nous avons, heureusement changé tout cela, comme dit Sganarelle, et, après six mois de leçons, c’est-à-dire un peu plus qu’il n’en faut pour apprendre la charge en douze temps, on peut lancer sur la scène le premier paysan venu qui aura de la voix et une bonne santé. Toutefois M. Bonnehée, qui chante dans le Trouvère la partie du comte de Luna, crie bien plus fort que M. Graziani, dont l’admirable voix de baryton est si goûtée au Théâtre-Italien, et il est vraiment impossible de ne pas préférer M. Mario, dans le rôle de Manrique, à M. Gueymard. Les chœurs, le spectacle et la mise en scène sont naturellement plus soignés à l’Opéra qu’aux Italiens.

L’apparition du Trouvère sur la scène de l’Opéra, qui ne s’en tiendra pas là, car on assure qu’on prépare déjà la traduction d’Attila de M. Verdi, cette apparition aura servi à mettre en évidence une jeune cantatrice belge, Mme Lauters, dont nous avons des premiers loué ici la belle voix et l’heureuse nature. Nous l’avions même signalée à l’attention de Meyerbeer et de la précédente administration de l’Opéra, tandis que M. Berlioz, avec le goût et le jugement qu’on trouve aussi bien dans sa littérature que dans sa musique, n’a eu que de mauvaises paroles pour la jeune débutante. Toutefois, si la critique propose, messieurs les directeurs disposent seuls de l’avenir des théâtres lyriques. Quoi qu’il en soit, la voix de Mme Lauters est un mezzo soprano d’un timbre ravissant et d’une étendue presque de deux octaves. Cette voix, d’une égalité parfaite et assez flexible, rayonne facilement et répand dans la salle un parfum de jeunesse qui enchante l’oreille. Ménagez-la, dieux immortels ! cette voix qui ne saurait résister longtemps à ce pugilat de l’art moderne ! Mme Lauters déploie dans le rôle de Léonor, que M. Verdi lui a fait étudier lui-même, une intelligence et un sentiment dramatique dont on ne la croyait pas capable. Elle chante fort bien l’air du premier acte, la Nuit calme et sereine, la belle scène du miserere, ainsi que le duo vigoureux qui vient après, et où elle est bien secondée par M. Bonnehée. Le succès de Mme Lauters a été si spontané et si général qu’il a fait pâlir l’étoile de Mme Borghi-Mamo. Mme Borghi-Mamo, qui joue le rôle d’Azucena, qu’elle a créé en Italie, est une artiste d’un vrai talent qui se trouve là dans une position difficile. Elle est obligée de lutter contre les souvenirs de sa langue maternelle pour balbutier une langue étrangère qu’on lui a apprise de la veille. Il en résulte un déplacement d’accent qui gêne l’articulation de la cantatrice, dont on n’entend pas un mot. Cependant Mme Borghi-Mamo a repris, dans les représentations suivantes, une partie de son ascendant, et tout va au mieux pour le meilleur des trouvères connus.

Rendons justice aussi au Théâtre-Italien, qui fait tout ce qu’il peut pour varier le thème de nos plaisirs. S’il n’y réussit pas toujours, ce n’est ni la faute de Voltaire, ni celle de Rousseau. M. Calzado, le chef actuel de cette entreprise difficile, n’avait jamais manié les ressorts d’une direction de théâtre. Il ne savait pas ce qu’il en coûte de toucher aux vanités de ces êtres maladifs qu’on nomme des virtuoses. Puis l’art de nos jours est tellement enchevêtré dans les filamens de l’industrie et dans les subtilités du droit commun, que le Théâtre-Italien ne peut faire un pas sans rencontrer un procès. M. Calzado en a déjà subi et gagné plusieurs, et il est plus que probable qu’il finira par déblayer le terrain de tous les obstacles dont on cherche à entraver son exploitation privilégiée. En attendant, on peut demander à M. Calzado pourquoi il a cru devoir souscrire aux caprices de Mme Grisi, d’antique mémoire, qui nous est apparue dans Il Trovatore et dans la Norma sans que personne eût manifesté le désir de l’entendre ! Mme Grisi se tromperait beaucoup si elle prenait au sérieux les ovations de politesse que lui ont préparées quelques intrépides chevaliers. Il faut savoir accepter avec résignation les irréparables outrages dont parle le poète. Si, comme on nous en menace, Mme Grisi devait faire partie l’année prochaine de la troupe de chanteurs italiens, nous aurions à lui dire alors explicitement et tout haut ce que le public qui paie dit tout bas. La direction du Théâtre-Italien a été mieux inspirée en engageant un jeune ténor plein de grâce, M. Solieri, que le public a accueilli avec faveur. M. Solieri possède, avec un physique agréable, une voix douce et flebile qui ne demande qu’à être encouragée. Par le temps qui court, un artiste intelligent et docile, comme l’est M. Solieri, est une excellente acquisition.

Enfin le Théâtre-Italien vient de porter un grand coup, et de répondre à l’administration de l’Opéra, qui lui a enlevé traîtreusement le plus beau fleuron de sa couronne, par la première représentation de Rigoletto, qui a eu lieu le 19 janvier 1857. On dirait que M. Calzado, pénétré de cette vérité de la ballade allemande : « les morts vont vite ! » se hâte d’exploiter la veine de M. Verdi, comme s’il était convaincu que cela ne peut être de longue durée ! Si telle est l’opinion de M. le directeur du Théâtre-Italien, nous devons avouer que nous la partageons entièrement. De vingt et quelques opéras qu’on doit déjà à la plume trop féconde de M. Verdi, huit seulement ont été représentés à Paris. Ce sont : Nabucco, Ernani, I Due Foscari, Luisa Miller, I Lombardi (Jérusalem), les Vêpres siciliennes, la Traviata et il Trovatore. Parmi ces ouvrages, dont nous ne voulons pas médire pour le moment, un seul, Il Trovatore, a complètement réussi. Les Vêpres siciliennes n’ont obtenu qu’un succès de circonstance qui n’a pu se maintenir devant un public moins avide de plaisirs que celui qui fréquentait l’exposition universelle. Qu’on essaie de reprendre au Théâtre-Italien l’un des opéras que nous avons mentionnés plus haut, Il Trovatore excepté, et l’on s’apercevra de l’immense différence qu’aura à constater le caissier du théâtre. Si nous parlons ce langage digne de Turcaret, c’est pour répondre à cette horde de courtiers marrons qui, faute d’un meilleur métier, se sont faits entrepreneurs de succès lyriques. Il semble vraiment qu’ils ont tout dit d’une œuvre de l’art, quand ils ont proclamé à son de trompe qu’elle obtient les faveurs de la foule ! Eh ! mon Dieu, nous ne dédaignons pas le succès, mais nous tenons avant tout à en apprécier la valeur. Il y a des chutes glorieuses, comme il y a des victoires qui avilissent celui qui les remporte. Nous ne faisons pas, nous, de cette critique d’aventure qui s’incline devant tous les faits accomplis, et qui s’écrie au moindre buisson de la route : « Voilà le jardin des Hespérides ! » Nous avons des principes, et les principes obligent.

Parlons enfin de Rigoletto, l’événement de la saison, qui a donné lieu à un procès que le Théâtre-Italien vient de gagner. On devine que le sujet de l’opéra italien est tiré du Roi s’amuse de M. Victor Hugo, drame plus fameux dans l’histoire de la politique et de la justice commerciale que dans celle du théâtre. Le Roi s’amuse n’a été représenté qu’une seule fois à la ComédieFrançaise, en 1832, et fut suspendu le lendemain, bien moins par l’initiative du gouvernement de Louis-Philippe que par les protestations énergiques du public. Alors comme aujourd’hui, le drame de M. Hugo fut la cause d’un procès devant le tribunal de commerce, où le poète parut en personne et prononça un discours pour réclamer la liberté indéfinie de la fantaisie. Dès cette époque, M. Hugo faisait partie de l’école géométrique de M. Émile de Girardin.

Libéra nos, Domine, à malo.

L’arrangeur du libretto italien, M. Piave, ne s’est pas mis en grands frais d’invention. Il a pris tout simplement les principales situations de l’œuvre du poète français, qu’il a distribuées en quatre actes, en se tenant aussi près que possible du texte original. François Ier est devenu un duc de Mantoue quelconque, Triboulet s’est transformé en Rigoletto, et sa fille Blanche a pris le nom de Gilda. Il n’y manque rien, pas même le personnage équivoque de Saltabadil, sous le nom de Sparafuccile, et sa digne sœur Maguelonne, qui s’appelle Maddalena. L’opéra italien commence et finit absolument comme le drame français.

Il n’y a pas d’ouverture à Rigoletto, pas plus qu’au Trovatore. Ces sortes de hors-d’œuvre ne sont plus accessibles à l’école moderne. Après un prélude symphonique de quelques mesures, le rideau se lève sur une scène de bal qui a lieu dans le palais du prince. Le duc, entouré de toutes les beautés de sa cour, exprime, comme don Juan, le plaisir qu’il trouve à courir de belle en belle dans une ballade légère qui ne manque pas d’agrément :

Questao quella. Per me pari sono.

La situation où se trouve le duc de, Mantoue ressemble tellement à celle du premier finale de Don Juan de Mozart, que M. Verdi en a copié le délicieux menuetto. C’est tout ce qu’on peut signaler dans cette introduction, où abondent les unissons et les contrastes heurtés du mélodrame. Le second acte représente la plage déserte où se trouve la petite maison de Rigoletto, c’est-à-dire la scène du second acte du Roi s’amuse, dans le recoin le plus désert du cul-de-sac Buci. Rigoletto, sous le coup de la malédiction que lui a lancée M. de Saint-Vallier, rencontre Sparafuccile qui lui fait ses offres de service ; il en résulte un duo pour basse et baryton, où M. Verdi a visé à la profondeur et n’a produit que de la confusion ; on y remarque un accompagnement de violoncelle qui est un souvenir de Meyerbeer. Le duo qui vient après, entre Rigoletto et Gilda, sa fille, est beaucoup plus heureux. La phrase de l’andante en la bémol que chante Rigoletto :

Deh ! non parlar al misero Del suo perduto bene,

est touchante et appartient bien à M. Verdi, car on la trouve déjà dans Nabucco. L’ensemble de l’andante est trop tourmenté, surtout pour le soprano, qui est presque toujours juché dans les notes élevées, où Mme Frezzolini a de la peine à se maintenir. Le second mouvement de ce même duo,

Donna questo flore Che a te poro confidai, accompagné en accords plaqués, formule d’accompagnement de guitare dont M. Verdi ne peut se dépêtrer, et pour cause, ce mouvement moderato, sans avoir rien de saillant, achève de compléter le duo, qui est en situation. Un autre, duo pour soprano et ténor, entre le duc de Mantouùe, qui, sous un nom inconnu, s’est introduit nuitamment dans la maison de Rigoletto, et sa fille Gilda, succède aux duos précédens. Le premier mouvement n’est qu’un récit tourmenté qui rend assez bien la surprise de Gilda et la fausse tendresse de son séducteur. L’andante, qui forme la seconde partie du morceau, est à trois-huit, rhythme qu’affectionne beaucoup M. Verdi, car presque toute la partition de Rigoletto est écrite dans ce mouvement.

È il sol dell’ anima
La vita è amore, etc.

Ces paroles ont inspiré au compositeur un chant heureux, plein de jeunesse et de passion, que M. Mario rend à merveille, surtout le passage qui précède immédiatement la réponse de Gilda, qui est aussi remplie d’élan, et qui exprime avec délicatesse le délicieux abandon d’un cœur virginal. L’accompagnement de cet andante est ingénieux et plus varié que d’ordinaire. L’allegro : Addio, addio, speranza ed anima, nous plaît moins, mais il est en situation, et forme un contraste nécessaire avec le chant suave qui précède. L’air de Gilda qui vient après est fort difficile à chanter, et c’est là son principal mérite. Les courtisans du duc de Mantoue ont résolu de se venger des railleries insolentes du bouffon Rigoletto ; ils se réunissent devant la porte de sa maison pendant la nuit. Rigoletto survient, comme s’il était averti par son cœur paternel qu’il se trame quelque complot infâme contre l’honneur de sa fille chérie. Cette scène donne lieu à un chœur assez original : Zitti, zitti, moviamo vendetta, qui termine le second acte.

Le troisième nous introduit dans un salon du palais ducal. Le prince se rappelle avec bonheur son entrevue avec Gilda, et il exprime son ravissement en chantant un air que nous mentionnons seulement pour ne rien omettre. Surviennent les courtisans qui racontent au duc comment ils ont enlevé à Rigoletto une jeune femme qu’ils croient être sa maîtresse. Après ce chœur de voix d’hommes presque toujours à l’unisson, mais très incidente de rhythme, nous arrivons à la grande scène où Rigoletto, ayant connaissance de l’enlèvement de sa fille Gilda, cherche à deviner dans quel lieu les suborneurs ont pu cacher son cher trésor. Cette situation éminemment dramatique, où Rigoletto dérobe aux yeux des lâches courtisans sa douleur profonde sous le ricanement hébété d’un bouffon, est vigoureusement rendue, particulièrement l’indignation du pauvre père désespéré :

Cortigiani, vil razza dannata,
Per quai prezzo vendeste il mio bene !

Cela forme un récit plein d’agitation fiévreuse que M. Corsi exprime avec talent, mais non pas avec la puissance et l’énergie qu’il faudrait. Dans une matinée musicale que M. Duprez a donnée sur le théâtre qu’il a fait construire dans sa maison pour aider à l’éducation dramatique de ses nombreux élèves, nous avons entendu le grand artiste chanter et jouer la scène que nous venons d’analyser avec une supériorité d’accent qu’aucun virtuose ne saurait égaler. Le troisième acte se termine par un duo de soprano et basse non moins vigoureux que la scène précédente. Rigoletto a trouvé sa fille qui s’échappe tout effarée, comme Zerlina dans le finale de Don Juan, des appartenons du duc. Le père la questionne avec une anxiété douloureuse, et Gilda lui raconte alors son amour pour un jeune inconnu qu’elle rencontrait tous les dimanches à l’église :

Tutte le feste al tempio
Mentre pregava iddio,
Bello e fatale un giovane,
Offriassi al guardo mio.

Après ce récit touchant de Gilda, Rigoletto et sa fille expriment leur mutuelle douleur dans un ensemble un peu tourmenté, mais qui produit de l’effet. Le duo s’achève par une stretta encore plus énergique :

Si vendetta,
Tremenda vendetta, etc.

La phrase musicale qui traduit ces paroles que chante Rigoletto indigné rappelle sans doute le duo du second acte d’Otello, mais elle n’en est pas moins belle et bien appropriée à la situation du personnage, et l’ensemble du morceau est vivement applaudi par le public ému.

Le quatrième acte renferme la scène la plus intéressante et le morceau le plus remarquable de l’ouvrage. Le théâtre est divisé en deux compartimens. À droite du spectateur, on voit l’intérieur d’un bouge, une masure misérablement meublée, comme l’indique M. Hugo. C’est un cabaret, la demeure de Sparafuccile et de sa sœur Maddalena. Il fait une nuit sombre et orageuse. Le duc de Mantoue entre joyeusement dans l’auberge et demande

Deux choses sur-le-champ ;

une chambre et du vin, dit le libretto italien, qui ne brave pas l’honnêteté comme le texte du poète français. En attendant qu’on le serve, le duc chante une jolie ballade légère comme un caprice :

La donna è mobile,
Qual penna al vento,
Muta d’accento
E di pensiero…

et dont voici l’exacte traduction :

Souvent femme varie,
Bien fol est qui s’y fie !
Une femme souvent
N’est qu’une plume au vent.

Après avoir exhalé sa bonne humeur par cette agréable cantilène que M. Mario chante à ravir, le duc se met à courtiser gaillardement Maddalena, une plantureuse commère. Le duc lui fait une déclaration en bonne forme en lui donnant un gros baiser dont le bruit fait tressaillir le cœur de Gilda, qui observe, de la rue où elle se trouve avec son père, cette scène désolante. C’est alors que commence un quatuor pour soprano, mezzo soprano, ténor et basse, qui est un vrai chef-d’œuvre. Le duc continue sa déclaration à Maddalena par une phrase délicieuse :

Figlia dell’ amore,
Schiavo son de’ vezzi tuoi, etc.

Maddalena lui répond en riant qu’il veut se moquer d’elle, et sa réponse forme un contraste piquant avec la belle phrase du ténor. Gilda et Rigoletto, qui écoutent au dehors ces propos de basse galanterie, expriment la douleur qu’ils en éprouvent, et ces quatre voix, groupées avec un art qu’on n’est pas habitué à trouver dans les partitions de M. Verdi, forment un ensemble parfait où la diversité des caractères est rendue par une variété de dessins qui ne trouble pas l’unité de l’impression. Après ce morceau, le meilleur peut-être qu’ait écrit M. Verdi, viennent un orage et un trio entre Sparafuccile, Maddalena et la pauvre Gilda, qui, habillée en homme, se dispose à pénétrer dans le bouge pour sauver la vie de son indigne amant. Cette scène est accompagnée d’un chœur invisible qu’on entend de loin. Rigoletto, qui a formé le projet de faire assassiner le duc par le bandit Sparafuccile, vient réclamer le cadavre de son ennemi qu’il a payé à beaux deniers comptans, et il reçoit en sa place le corps de sa fille expirante. Cette scène dialoguée termine l’ouvrage.

Nous croyons avoir signalé tout ce que renferme de remarquable, selon nous, la partition de Rigoletto, qui a été composée à Venise et représentée sur le théâtre de la Fenice le 11 mars 1851 : au premier acte, une jolie ballade de quelques mesures et le menuet qu’il faut restituer à Mozart ; au second acte, le duo entre Rigoletto et sa fille, celui pour soprano et ténor entre Gilda et le duc, et le chœur qui le termine ; la scène de Rigoletto avec les courtisans au troisième acte, le duo qui suit entre Rigoletto et sa fille ; la cavatine et le beau quatuor de la fin.

C’est par le style que vivent les œuvres de l’esprit, et c’est par la forme que durent aussi les œuvres de l’art. Prenez un motet de Palestrina, un madrigal de Scarlatti, un air de Jomelli, une scène de Gluck, une fugue de Bach, un oratorio de Handel, ou bien une symphonie de Beethoven ; pénétrez jusqu’au fond de ces œuvres, aussi diverses que les génies qui les ont conçues, et vous trouverez facilement que c’est par la forme qui recèle l’esprit divin qu’elles sont arrivées jusqu’à nous. La passion éternelle dans sa source, mais variable dans son objet, le sentiment, sont des élémens précieux et comme la matière première dont se créent les chefs-d’œuvre ; mais il faut la main de l’ouvrier pour façonner la coupe qui doit contenir et conserver l’essence, le souffle passager d’un cœur ému. Entre une oraison funèbre de Mascaron et un chef-d’œuvre de Bossuet, entre une tragédie de Pradon, qui a eu du succès dans son temps, et l’Athalie de Racine, il n’y a souvent que la différence du style, c’est-à-dire de l’homme tout entier, un abîme ! Le malheur de la musique, c’est que le public qui en jouit n’admet pas que ce caprice d’un matin puisse être soumis aux mêmes lois de perpétuité que les autres arts. Presque aussi ignorant dans ces matières délicates que ceux qui se donnent la mission de l’éclairer, le public, tout entier à la sensation présente, traite la musique comme il traite les femmes : plus elles sont jeunes, plus elles lui plaisent. Cependant on voudra bien nous accorder que les sensations que procure la musique peuvent être aussi différentes que celles que nous donnent la poésie, la peinture et les autres arts. On ne confondra jamais l’émotion réelle qu’on éprouve à un bon mélodrame de la Gaîté avec celle qu’on emporte d’une représentation de Polyeucte, quand une artiste comme Mlle Rachel prête son talent au personnage de Pauline. Eh bien ! la même hiérarchie d’émotions se produit également dans l’art musical, et il ne faut pas être un bien profond connaisseur pour ne pas sentir quelle prodigieuse distancé sépare un morceau comme le finale du troisième acte de Moïse que nous avons entendu exécuter dimanche dernier au concert du Conservatoire, où il a excité des transports d’enthousiasme ; quelle distance, disons-nous, sépare cette conception sublime de la scène touchante, mais médiocre, du miserere au quatrième acte du Trovatore. On ne discute pas avec les marchands de fausses notes qui peuvent confondre dans leur sotte admiration un mélodrame de M. Bouchardy avec le Don Juan de Mozart ou le Guillaume Tell de Rossini.

L’opéra de Rigoletto, qui est exécuté avec soin au Théâtre-Italien par MM. Mario et Corsi, par l’Alboni, qui est aussi bonne à entendre qu’à voir dans le rôle de Maddalena, mais surtout par Mme Frezzolini, qui déploie dans le personnage de Gilda la grâce d’une créature d’élite qui survit à l’affaiblissement de ses organes, Rigoletto n’est pas de nature à modifier l’opinion que nous avons émise ici depuis dix ans sur l’œuvre de M. Verdi. Ce n’est point une école nouvelle que le compositeur lombard est venu inaugurer, comme l’écrivent étourdiment ses sectateurs ; ses ouvrages témoignent plutôt de l’absence d’une école quelconque. Sans vouloir contester le moins du monde le succès qu’obtiennent en Europe certains opéras de M. Verdi, nous nous efforçons d’en peser la valeur, et les acclamations de la foule ne suffisent pas pour ébranler notre conviction. On assure que M. Verdi, dans ses momens d’épanchement, a l’habitude de s’écrier avec bonhomie : Io sono un paesano. Nous serions presque tenté de prendre M. Verdi au mot, tant ce cri de la conscience nous paraît significatif et vrai. Oui, le compositeur qui pendant un interrègne du génie est venu surprendre la sensibilité oisive de l’Italie est une nature agreste et fortement trempée, qui a importé sur la scène lyrique d’un peuple délicat les accens passionnés, mais frustes de son village. On dirait que l’inspiration de M. Verdi a quelque chose de la sève acre du sauvageon. On sent que la main d’un jardinier habile fait défaut dans ces étranges partitions, remplies de grands coups d’épée et de sonorités grossières, mais souvent pittoresques. M. Verdi possède à un très haut degré le sentiment des situations dramatiques ; seulement l’art suprême de les préparer, de les développer et d’économiser les effets de la passion lui est inconnu. Ses amoureux sont comme les amoureux de village, ils se font la cour à coups de poing, et au moindre mot équivoque, ses héros tirent le couteau et s’éventrent comme des Calabrais. Aucune flexibilité de style, point de grâce et d’imagination, des mélodies courtes, mais colorées et très expressives, des ensembles vigoureux qui rendent avec puissance la mêlée des passions violentes, des chœurs bien rhythmés, une instrumentation bruyante et vide tout à la fois, remplie de grosses couleurs et de placages d’écolier ; enfin les qualités et les défauts d’un Claudien et d’une œuvre de transition. Pour mettre le comble à notre confusion, nous dirons encore que le beau quatuor de Rigoletto, dont le modèle existe depuis longtemps dans l’inimitable chef-d’œuvre du premier acte de Don Juan :

Non ti fidar,
O misera,
Di qual ritaldo cor ;

que ce beau quatuor, qui est fort bien chanté au Théâtre-Italien, est pour nous la première page de bonne musique que nous entendons de M. Verdi.

Voulez-vous, voir ce que deviennent les succès brillans qui, par un beau jour d’été, s’élèvent dans la bonne ville de Paris, allez entendre Mme Cabel dans la Fille du Régiment. Mme Cabel n’est pas changée, elle est tout aussi jolie femme et chante aussi bien aujourd’hui qu’il y a six ans, alors qu’elle faisait courir tout Paris dans le Bijou perdu de ce pauvre Adam ! Les temps seuls sont changés, ainsi que le goût du public. Cependant l’Opéra-Comique vient de donner tout récemment un nouvel ouvrage en trois actes, Psyché, dont la musique est de M. Ambroise Thomas. Le sujet de la pièce est suffisamment connu, ce nous semble, et comme MM. Jules Barbier et Michel Carré n’ont ajouté au mythe adorable d’Apulée que le personnage comique de Mercure, qui vaut son pesant d’or, nous jetterons un voile charitable sur tout le reste. La musique de Psyché renferme des choses délicieuses qui ne peuvent être sorties que de la main d’un maître : au premier acte, un hymne à Vénus, un chœur de femmes d’un très beau stylé ; un autre chœur pour voix de femmes au second acte, où les éclats d’un rire discret de nymphes sont rendus avec un bonheur extrême ; une chanson bachique de Mercure :

Le nectar qu’on verse aux dieux,

un troisième chœur pour voix de femmes invoquant la protection de Vénus, de jolis détails dans la première partie du duo entre Psyché et l’Amour ; enfin l’invocation au sommeil :

Sommeil, descends des cieux !

que Mme Ugalde, qui représente l’Amour dans le goût du XIXe siècle, chante avec beaucoup de sentiment. On peut encore signaler au troisième acte un trio plus distingué par la manière dont il est écrit que par l’abondance des idées. Si, malgré la fraîcheur des costumes, l’éclat de la mise en scène, la beauté des décors et la distinction de la musique, l’opéra de Psyché n’obtient pas tout le succès que nous lui souhaitons, ce ne sera pas non plus la faute de Voltaire ni celle de Rousseau. Terminons cette chronique, comme nous l’avons commencée, en disant que le petit théâtre des Bouffes-Parisiens se débat comme un Robert le Diable dans un bénitier. Affirmons aussi, envers et contre tous, que l’Orgue de barbarie, opérette de M. Alary, renferme un charmant quatuor.

P. Scudo.