Chronique de la quinzaine - 31 janvier 1838

Chronique no 139
31 janvier 1838


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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31 janvier 1838.


Depuis le vote de l’adresse, l’existence des deux chambres se concentre en quelque sorte dans leurs bureaux. C’est là qu’on reconnaît et qu’on mesure ses forces. C’est là que les membres des deux assemblées font le mieux ressortir les qualités qui les distinguent, et déploient ou l’esprit de conciliation, ou le talent de résumer une discussion, ou les connaissances spéciales qu’ils ont acquises. La chambre des pairs a fait même un pas décisif qui donnera une plus grande importance à ses discussions. La chambre des pairs avait la coutume d’abandonner à son président la nomination des membres des commissions chargés de l’examen des projets de loi. Ces choix, il faut le reconnaître, étaient faits, en général, avec la sagacité et l’expérience qui distinguent le président de la chambre des pairs. Sans doute, la délégation était en de bonnes mains ; mais le seul fait de l’abandon d’un droit, qui peut avoir des conséquences bien graves, semblait manifester une sorte d’indifférence et d’inertie dont la chambre des pairs a repoussé même l’apparence, en prenant en considération une louable proposition de M. Cousin. Spirituellement faite, à propos de deux projets de loi tout-à-fait inoffensifs (les lois relatives aux tribunaux de commerce et aux vices rédhibitoires des animaux domestiques), cette proposition s’est trouvée adoptée sans obstacle, et ce précédent réglera sans doute désormais la conduite de la chambre des pairs. Peut-être l’examen des projets de loi ne sera-t-il pas confié à des hommes plus spéciaux que ne l’étaient les membres désignés par M. le baron Pasquier, pour faire partie des commissions ; mais le choix des membres de ces commissions sera l’expression de la majorité de la chambre, et l’on sait quelle influence exercent les commissions sur les décisions d’une assemblée. Le succès de la proposition de M. Cousin nous semble un fait d’autant plus heureux, que le système de M. Pasquier, qui rassemblait dans les commissions la totalité des hommes spéciaux sur la matière qui s’y traitait, offrait souvent le désavantage d’enlever à la discussion, dans la chambre, tous ceux de ses membres qui auraient pu le mieux l’éclairer. On doit, en même temps, rendre justice à M. Pasquier. Il a senti, comme pair de France, toute l’importance que l’exercice de cette prérogative donne à la chambre qu’il préside, et il la lui a remise avec une bonne grace qui tenait de l’empressement.

L’histoire des bureaux de la chambre des députés, pendant cette quinzaine, a eu tout l’intérêt que pourraient offrir des séances publiques. Le projet de loi sur les faillites a donné lieu à de bonnes et solides discussions, ainsi que le projet de loi sur les tribunaux de première instance, qui agrandit la compétence du dernier ressort, et diminuera la durée des procès en même temps que les dépenses des justiciables. On doit regarder ce projet de loi comme un commencement de réforme judiciaire en France, et comme le premier principe d’une organisation où dominera l’extension des tribunaux inférieurs. L’agrandissement de la compétence des juges de paix diminuera aussi le nombre des causes devant les tribunaux d’arrondissement, tandis que l’établissement des tribunaux de prud’hommes dans toutes les cités commerçantes diminuera à son tour la tâche des juges de paix, et procurera deux degrés de juridiction aux parties appelées en conciliation. La diminution des frais en justice sera la conséquence naturelle de cette réforme, qui figurera parmi les actes les plus louables de ce ministère, s’il l’accomplit, comme nous l’espérons. Le projet de loi sur les mines et les chutes d’eau renferme aussi d’importantes améliorations, et crée des ressources financières que l’industrie, plus favorisée, accordera sans peine. La commission a eu lieu de se convaincre encore, dans cette circonstance, de l’esprit de justice qui anime le ministère. L’état, grevé de tant de dépenses de navigation, qui tournent toutes au profit de l’industrie, propose de frapper d’une redevance les concessions de chutes et prises d’eau faites sur les fleuves et canaux qui dépendent du domaine public. Jusqu’ici ces concessions avaient été gratuites, et la commission ayant demandé si les anciennes concessions seraient révocables sans indemnités, il lui a été répondu qu’elles suivraient la loi de leur établissement, et que la nouvelle loi ne changerait rien aux droits des anciens concessionnaires. Or, ces redevances, destinées aux frais de curage et de navigation des eaux et des rivières, tourneront ainsi au profit de ceux qui les supporteront, et permettront d’étendre le nombre des concessions de ce genre. Créer de tels impôts et renoncer aux impôts des jeux et de la loterie, c’est assurément remplir tous les devoirs d’une bonne administration, et il ne faut pas regretter le temps que met la chambre à discuter de semblables questions dans ses bureaux.

Les bureaux de la chambre ont encore examiné la loi sur l’appel de 80,000 hommes, et la loi qui accorde une pension à la veuve et aux enfans du général Damrémont. Quelques députés se sont élevés contre l’allocation de 10,000 francs qu’ils ont trouvée trop forte. Ces députés ont rencontré plus tard un chaleureux contradicteur dans M. Thiers, qui, à propos de la ridicule et longue discussion du costume, a su s’élever contre la mesquinerie avec laquelle on débat une récompense nationale, et le prix de la vie d’un brave général, tué sur la brèche, dans une expédition victorieuse.

Nous ne nous faisons les rapporteurs du travail, peu remarqué, des bureaux de la chambre des députés, que pour prouver que la dispute du frac noir et de l’habit brodé n’a pas absorbé tous ses instans. On voit que nous voudrions bien, autant qu’il est en nous, justifier la chambre des puérilités qu’on lui prête ; mais nous ne pouvons nous dissimuler qu’elle a donné un fâcheux spectacle en cette circonstance. Existe-t-il aujourd’hui un habit de cour, comme le répètent quelques députés, et un habit du peuple, comme le disent avec emphase quelques autres ? Qu’est-ce qu’un habit de cour que tout le monde peut porter ? Et le maître de la maison, comme on l’a nommé spirituellement, le maître de la maison qui admet à sa table et à ses fêtes des maires de village et des sous-lieutenans de la garde nationale, a-t-il sérieusement le projet de fonder une cour, comme on le dit ? La question même du costume, est-ce au château ou à la chambre qu’elle a été soulevée et qu’elle a donné lieu à dispute ? Les fracs noirs des députés (nous en avons vu de bleus et de bruns, n’en déplaise à l’opposition), les fracs noirs ont-ils rencontré le moindre obstacle ? Ne les avons-nous pas vus gravir fièrement les escaliers des Tuileries ; et les augustes hôtes de ce palais ne les ont-ils pas reçus avec leur affabilité ordinaire ? Il ne faut donc pas étendre cette question et agrandir une chose si mince. L’affaire du costume n’est rien qu’une sorte de petite altercation entre députés, et nous serions plus exacts en disant entre quelques députés. Si donc plusieurs d’entre eux ont voulu donner un costume à la chambre, ç’a été une fantaisie et une inspiration dont personne ailleurs ne doit répondre.

Assurément (et les observateurs n’ont pas manqué), le ministère n’a porté aucun intérêt à toute cette discussion ; on n’a vu s’y mêler aucun membre de la chambre un peu influent, si ce n’est M. Thiers, qui a parfaitement fait ressortir la futilité de la question, en parlant contre le costume, après avoir déclaré qu’il en porte un, et qui a rejeté en riant l’honneur d’être commissaire de son bureau pour une affaire d’habits. Cet honneur a été déféré à un homme qui le mérite mieux que M. Thiers, à M. Auguis, qui devra, s’il veut être conséquent avec lui-même, proposer l’adoption du frac vert-jaune, qui est son costume habituel. L’opposition du frac noir a beau s’envelopper de cette couleur grave, elle a aussi beaucoup de futiles paroles à se reprocher dans cette discussion. Il n’y a qu’un mot à dire à MM. les députés : sous quelque habit qu’ils se présentent, ils ne seront jugés que sur leurs discours et sur leurs votes. Le reste n’est rien. « Mangez un veau, et soyez chrétien, » disait le père Feuillet au frère, un peu libertin, de Louis XIV, à Monsieur, qui reculait devant un biscuit qu’on lui offrait un jour de jeûne. — Venez en veste de ratine ou en habit de velours, mais soyez les défenseurs de l’ordre et de la liberté, dirons-nous aux députés qui hésitent sur le costume.

Dans peu de jours, ces débats s’absorberont dans des questions vraiment importantes. Le ministère se propose de demander à la chambre une augmentation peu considérable, il est vrai, de notre armée de terre. Le vide que laissent les 23,000 hommes qui se trouvent en Afrique, et qui complètent le contingent de 44,500 hommes, nécessaire en ce moment pour le maintien de notre puissance dans cette contrée, n’est pas assurément un vide alarmant ; mais encore faut-il le compter. En accordant au ministère les moyens de rendre l’armée plus complète, la chambre prouvera que, tout en refusant de s’associer aux entreprises qui lui semblent hasardeuses, elle n’hésite pas à fournir au pouvoir tous les moyens d’assurer la réussite de celles qu’elle approuve. Il est bon, maintenant que l’Europe sait que la chambre ne veut pas de l’intervention en Espagne, qu’on sache aussi que la chambre ne lésine pas quand il faut soutenir la dignité de la France.

À voir les nombreux incidens qui se sont élevés dans la politique européenne, il est impossible de ne pas sentir la nécessité de prendre une attitude de plus en plus forte et respectable, et cela même dans l’intérêt de la paix générale. La conduite pacifique de la France depuis plusieurs années, alors même qu’elle se livrait à quelques entreprises militaires, telles que le siége d’Anvers, l’expédition de Constantine ; son attitude vis-à-vis de l’Espagne, qu’on pourrait même trouver trop réservée, tout, dans ses rapports extérieurs, est fait pour inspirer la confiance en sa modération. La France doit à cette conduite une influence qu’on ne peut méconnaître, et qui est, certes, plus réelle que l’influence à laquelle elle aura pu prétendre par une politique d’intimidation extérieure, — qu’on nous passe ce terme, déjà oublié, Dieu merci.

Cette politique noble et généreuse a toujours été celle de la France à ses belles époques : nous n’en excepterons que deux, celles de Louis XIV et de Napoléon. Tout le génie de ces deux souverains n’a pu préserver la France des maux qui ont été la suite de l’abandon du système vraiment libéral que nous commande notre situation au centre de l’Europe, et nos rapports si divers avec les puissances. La France recueille déjà le fruit de ce retour qu’elle a fait aux principes qui doivent sans cesse la diriger. Des troubles partiels, des troubles qui ne sont encore, à vrai dire, que des mésintelligences, ont éclaté tout autour de nous ; eh bien ! il n’est pas un cabinet, quelque défavorable qu’il soit au nôtre, qui nous accuse de les fomenter. Il y a peu d’années que les différends survenus entre l’administration prussienne et les populations catholiques du Rhin, que les aigres dissentimens de la Bavière et de la Prusse, que la fermentation de l’université du pays de Hanovre, que tout ce qui se passe enfin depuis l’extrémité de l’Italie jusqu’à l’extrémité de l’Allemagne, depuis le détroit de Messine jusqu’à l’Elbe et au Weser, eût été regardé comme notre ouvrage. La sainte-alliance eût resserré ses rangs et se fût hâtée de rapprocher ses troupes de nos frontières, tandis qu’aujourd’hui nos rapports avec les gouvernemens étrangers sont restés les mêmes. La Prusse porte toute son attention sur les bords du Rhin, sans jeter un regard inquiet au-delà, pour s’assurer si nous restons dans les termes d’une alliance fidèle ; et l’Angleterre s’occupe de pacifier le Canada, où éclate une insurrection presque française, sans que nos fougueux adversaires au parlement aient prononcé le nom de la France. Il en est ainsi partout ; le mot de faiblesse ne se prononce qu’en France. Ailleurs, ce qu’on caractérise ici par ce mot prend le nom de loyauté ! L’Europe ne prendra donc pas d’alarmes quand elle nous verra compléter notre effectif de paix ; et comme, après tout, elle sait, comme nous, que la loyauté, si elle est une force, n’est pas un rempart, il ne lui viendra pas la pensée que nous ayons des projets hostiles contre la paix, à laquelle nous avons tant contribué. Ces considérations, que nous touchons en passant, se présenteront naturellement avec plus de développement à la chambre, dans la discussion qui se prépare, et qui pourra se résumer ainsi : donner au gouvernement quelques mille hommes de plus pour lui assurer plus de moyens de maintenir la paix au milieu des complications nouvelles qui viennent de naître.

La discussion qui a eu lieu dans le parlement anglais, au sujet du bill du Bas-Canada, est un évènement dont on ne peut se dissimuler l’importance. Aux grands évènemens les petites causes ne manquent pas ; mais il faut se garder de les réduire à ces petites causes. Nous savons que le parti tory s’est trouvé divisé au sujet de ce bill, et que le duc de Wellington qui ne partageait pas la manière de voir de sir Robert Peel à ce sujet, voulait qu’on laissât le bill tel qu’il était, mettant ses suites sous la responsabilité de lord John Russell et de ses collègues. Placé entre les deux partis, et sollicité par tous deux de prendre une décision, le duc de Wellington se retira à la campagne et les laissa s’arranger entre eux. Ce fut pendant la retraite de son noble ami que sir Robert Peel engagea la lutte, d’où il est sorti, il faut le dire, avec de grands avantages, avantages qui diminueront à nos yeux en songeant à leur résultat. Ce résultat a été de permettre à sir Robert Peel de prendre le pouvoir, et de le forcer d’avouer, par son hésitation à s’en saisir, la faiblesse de son parti, qui ne se trouve ni assez uni ni assez fort pour former un ministère tory. Cette situation de sir Robert Peel et de ses amis n’a-t-elle pas quelque analogie avec celle d’un parti qui n’a pas eu d’aussi belles chances pour renverser le cabinet où il ne figure pas, mais qui semble avoir ajourné, avec une égale prudence, ses projets d’ambition ? — Au reste, nous ne pensons pas qu’il y aurait lieu de s’alarmer, même dans le cas du renversement du cabinet anglais. Il y a des nécessités qui commandent, et auxquelles les hommes d’état obéissent, en dépit de leurs penchans ; et nous nous souvenons d’avoir entendu de la bouche d’un homme qu’on nomme assez en disant que la France lui doit peut-être l’alliance anglaise, qu’après la révolution de juillet il avait trouvé mille fois plus de facilité à traiter pour la France avec le duc de Wellington qu’avec son successeur, lord Grey, et les whigs qui faisaient partie de ce ministère.

Quant au bill qui a changé la situation du ministère anglais, il est en lui-même, et par ses modifications successives, un exemple frappant du progrès de l’esprit public en Angleterre. À la nouvelle de la révolte du Bas-Canada, le premier mouvement de lord John Russell, du cabinet et de tous les bancs ministériels du parlement, fut d’anéantir à la fois la rébellion et les rebelles au nom de cette vieille maxime, bonne en soi, qui veut qu’on ne transige pas avec des insurgés. L’opposition radicale eut son premier mouvement, non moins fougueux, dont elle n’est pas revenue, il est vrai. De ce côté-là, il s’agissait tout simplement de déclarer l’indépendance absolue du Canada, fondée en principe sur les coups de fusil que Papineau et ses amis ont tirés pour l’obtenir. C’était là une plus mauvaise méthode encore que celle de l’extermination, et qui n’eût pas produit des désastres moins grands. Quelques jours de réflexion suffirent pour amener le bill qui a fait le sujet de la discussion, et dont le préambule était une consécration des droits, par conséquent des griefs du Canada contre l’administration établie par l’Angleterre. Amendé tel qu’il est par sir Robert Peel, le bill est encore la reconnaissance du droit que possède le Canada de traiter comme état constitutionnel avec l’Angleterre, autre état constitutionnel qui le régit à de certaines conditions. Lord Durham n’est donc qu’un haut commissaire de l’Angleterre, chargé de remettre ces conditions en équilibre. C’est la seule mission qu’il accepte, et il a manifesté l’intention de retourner en Angleterre dès qu’il l’aura remplie. Il est beau, en revenant d’une longue mission en Russie, et après y avoir été l’objet de la faveur du souverain, de rapporter une aussi grande pureté de vues constitutionnelles. Lord Durham sera sans doute accueilli comme il doit l’être au Canada, où la première effervescence est déjà calmée, et ce qui semblera manquer au bill aux yeux des membres du conseil du Canada, on l’attribuera à sir Robert Peel et aux tories, non à lord Durham et à lord John Russell. Un des côtés du caractère de Lord Durham, qui est de se passionner pour la tâche qu’il accepte et d’éprouver une sorte de fièvre jusqu’à ce qu’il l’ait accomplie, le servira encore dans cette circonstance. On peut donc conjecturer d’avance que l’Angleterre se tirera passablement de ce mauvais pas, et que l’esprit de justice et de modération qui domine aussi dans le ministère de l’autre côté du détroit le fera durer, comme il fait durer le ministère de l’amnistie.

Il est beaucoup question des envahissemens d’Abd-el-Kader. Il paraît que la politique de justice et de modération, que M. Molé nous a si bien fait apprécier en France, ne nous profite guère en Afrique. La nécessité de laisser au complet l’armée est ainsi rendue évidente. Le traité de la Tafna n’a cependant pas été une faute ; car il est bien différent d’entreprendre une expédition après en avoir terminé une victorieusement, que d’en commencer deux à la fois. Le ministère ne veut pas plus la guerre en Afrique qu’il ne la veut en Espagne et sur le Rhin ; mais il la fera, sans nul doute, plutôt que de perdre un pouce de ce qu’il s’est réservé par les traités. Nous donnerons plus tard des détails précis sur la situation d’Abd-el-Kader et sur nos rapports avec lui.

À Naples a eu lieu une petite révolution de palais, qui a été mal rapportée. Le baron de Schmuker, secrétaire des commandemens de la reine-mère, a été, dit-on, arrêté par ordre du roi, et conduit aux frontières, malgré la reine-mère, dont il dirigeait la maison. On attribue cette disgrace, disent les journaux, à des relations que le baron entretenait avec le prince Charles de Capoue. Il n’en est rien, et les relations du baron de Schmuker avec le prince se bornent à de très mauvais traitemens qu’il en a reçus. Le baron de Schmuker, autrefois lieutenant au service d’Autriche, épousa une jeune personne qui était femme de chambre de la reine-mère, et entra au service de Naples comme commissaire des guerres (inspettore di guerra). Bientôt il donna sa démission pour devenir précepteur de langue allemande près des jeunes princesses de Naples, puis secrétaire des commandemens de la reine-mère, dont il a géré les affaires avec intelligence. Pendant le dernier séjour de la reine-mère en Suisse, il y a peu de mois, M. de Schmuker fut remplacé, en sa qualité de secrétaire des commandemens de la reine-mère, par le général Bosco, âgé de soixante ans, et il paraît que c’est à la demande même de la reine-mère que M. de Schmuker a été éloigné de sa personne. On voit que cette circonstance change tout-à-fait le rôle qu’on prête au roi de Naples dans cette affaire. Aussi est-ce uniquement pour rendre justice à ce souverain que nous rectifions le récit de cet évènement, qui a peu d’importance, même dans un pays où tout fait évènement.

Au nord, les difficultés s’étendent et se prolongent. Le roi Ernest-Auguste trouve de graves oppositions dans les différens états de l’empire germanique, où il semble que sa venue ait été le signal des discordes. La sagesse du gouvernement prussien, passé en proverbe, n’a pu prévenir et ne peut étouffer les mécontentemens des populations catholiques du royaume. La Bavière irrite tout par son zèle religieux ; le clergé belge a peine à se contenir dans une question qui le touche de si près ; et tout à coup, au moment le plus inattendu on dirait que l’Allemagne va se réveiller avec ses fureurs religieuses de la guerre de trente ans, et ses désirs de liberté de 1815. Heureusement pour la tranquillité de l’Europe, que la France ne cherche pas à profiter de ces dispositions et qu’elle est satisfaite de sa situation actuelle. Il est vrai que tout son rôle est d’attendre, et que si elle sait garder la paix pendant dix ans, et la faire garder aux autres, elle se trouvera en possession d’une prépondérance que vingt ans de guerre, et même de victoires, ne lui donneraient pas.


— Trois volumes ont déjà paru des Œuvres complètes[1] de M. Alfred de Vigny. Ces volumes contiennent le roman de Cinq-Mars et les Poèmes antiques et modernes. Chacun de ces ouvrages précise une phase de la vie littéraire de M. de Vigny, et après eux, Stello, dont la nouvelle édition ne tardera pas sans doute à paraître, nous a révélé ce beau talent sous une face nouvelle. La publication des œuvres complètes permettra donc de saisir nettement ces trois aspects également curieux sous lesquels s’est montré le poète. Il est possible de faire dériver de ces trois ouvrages de M. de Vigny tous ses autres livres, de rapporter, par exemple, la Maréchale d’Ancre à Cinq-Mars, Chatterton à Stello, la trilogie sur la Servitude et la grandeur militaires aux Poèmes modernes. Dans cette suite d’œuvres d’une exécution sévère, l’enthousiasme, la méditation et le doute se révèlent successivement ; on le voit sous la triple forme du poème, du drame historique et de la fantaisie. La critique a déjà consacré aux œuvres de M. de Vigny des appréciations étendues. Il nous suffira donc d’insister après elle, en quelques lignes, sur la sagesse de conception et la vérité historique de Cinq-Mars ainsi que sur la forme délicate et l’élévation des poésies. Depuis long-temps la place de Cinq-Mars est marquée parmi les plus beaux romans de l’époque. Moïse, Éloa, Dolorida, n’ont pas seulement aidé à la réforme plastique de notre poésie ; ils peuvent revendiquer une autre gloire, celle d’avoir uni pour la première fois à la nouveauté de la forme la profondeur de la pensée et du sentiment. Certaines parties de l’œuvre de M. de Vigny qui n’avaient été sérieusement goûtées d’abord que par un public choisi, seront mieux appréciées de tout le monde, nous l’espérons, après un nouvel examen. L’art grand et pur ne saurait long-temps rester incompris. À coup sûr, Éloa et Stello peuvent prétendre à la popularité aussi bien que Chatterton et Cinq-Mars.


M. Ch. Didier vient de publier un nouveau roman, Chavornay, qui paraît destiné à un plus grand succès encore que Rome Souterraine du même auteur. Nous consacrerons prochainement un article à Chavornay[2].


  1. Librairie Delloye, place de la Bourse.
  2. vol. in-8o, chez Dupont, rue Vivienne.