Chronique de la quinzaine - 31 décembre 1868

Chronique n° 881
31 décembre 1868


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 décembre 1868.

Voici donc la dernière heure d’une année qui disparaît en réveillant chez tous les hommes le sentiment de la fuite des choses. Elle n’a plus rien à nous donner, cette année qui s’en va derrière nous en tourbillonnant comme les rafales d’hiver ; nous n’avons plus rien à lui demander, elle ne peut plus rien pour nous. Tout ce qu’elle renfermait d’obscur et d’inconnu, elle l’a livré à notre curiosité ou à nos désirs. Elle a porté aux uns la joie, aux autres le deuil, à ceux-ci des révolutions, à ceux-là un répit entre deux tempêtes ; à tous elle lègue des souvenirs qui font désormais partie de l’histoire. Elle n’a résolu en vérité aucun des problèmes qui agitent aujourd’hui le monde, problèmes d’équilibre entre les nations ou d’organisation intérieure dans les sociétés. Tout ce qu’on peut dire d’elle, c’est qu’elle a été une année de paix ou plutôt une année d’observation et d’expectative au milieu des ambitions, des intérêts, des antagonismes toujours prêts à faire explosion, mais toujours contenus par une force supérieure. Elle s’en va maintenant, et en finissant elle laisse l’Europe en face d’un de ces conflits auxquels elle ne peut échapper de temps à autre, — la France en face d’un de ces changemens ministériels qui viennent quelquefois la surprendre quand elle ne s’y attend plus.

Le conflit de la Turquie et de la Grèce est en effet un des legs de l’année qui s’achève à l’année qui commence. Il a failli échapper à la diplomatie, tant les événemens semblaient se précipiter. La Turquie s’était hâtée de dépêcher son ultimatum à Athènes en laissant à peine quelques jours de réflexion aux ministres du roi George. La Grèce, fort émue, faisait mine de résister à la sommation. On n’avait pas eu encore le temps de se reconnaître que la rupture éclatait déjà, et l’amiral turc, un capitaine anglais passé au service de la Porte, Hobart-Pacha, était chargé d’aller croiser devant Syra pour donner la chasse à un corsaire, l’Enosis, soupçonné de ravitailler l’insurrection crétoise. De son côté, le gouvernement hellénique, cédant à l’exaltation populaire, expédiait aussitôt à Syra un navire, heureusement devancé par un bâtiment français dont l’apparition a suffi pour écarter les chances d’une collision plus grave. Sur ces entrefaites, la diplomatie est intervenue pour tempérer cette humeur belliqueuse, et au demeurant les hostilités se sont bornées jusqu’ici à quelques coups de canon, envoyés par Hobart-Pacha contre ce redoutable Enosis, qui en d’autres circonstances aurait bien pu mettre le feu au monde. Le conflit n’est point assurément terminé, puisque les adversaires restent en présence ; on peut dire cependant qu’il est provisoirement entré dans une phase d’apaisement par cela seul que les puissances européennes l’ont évoqué devant elles, comme elles en avaient le droit de toute façon, par leur titre de protectrices de la Grèce, en vertu du traité de 1856 et en fin de compte par cette considération supérieure qui domine toutes les autres, l’intérêt de la paix européenne. Aujourd’hui ce différend est passé sous la juridiction d’une conférence qui doit se réunir à Paris, comme toutes celles qui ont été appelées, depuis la guerre de Crimée, à délibérer sur des questions analogues dès qu’elles ont pris un caractère un peu général ; du reste ce choix de Paris semble avoir été fait en quelque sorte spontanément, sans nulle objection d’aucun côté. L’idée de la réunion d’une conférence, quoiqu’elle dût naître évidemment dans tous les esprits, est venue de la Prusse, de M. de Bismarck, qui dans toute cette affaire s’est conduit en honime tenant à témoigner son zèle pour la paix. La dernière adhésion restée un moment incertaine, celle de la Russie, ne fait plus de doute aujourd’hui.

Ce n’était pourtant pas aussi facile qu’on le croirait de rassembler ce conseil des puissances. Deux questions au moins délicates s’élevaient tout d’abord. La première, c’était la question même de l’admission de la Grèce. La Grèce prendrait-elle part à la conférence, et à quel titre y figurerait-elle ? Le gouvernement hellénique, puisqu’il était en cause, voulait naturellement assister à la délibération au même titre que le gouvernement ottoman. La Turquie de son côté ne voulait point du tout de la présence de la Grèce, et chacun des adversaires avait ses alliés ou ses partisans. L’Autriche, l’Angleterre, s’en tenant strictement aux traités, penchaient pour la Turquie. La Russie, on. le comprend, soutenait la Grèce dans sa prétention. La France a pris le rôle de conciliatrice, et le résultat a été que la Grèce serait admise à la conférence avec voix consultative. Autre question préliminaire d’où dépendait la réunion de la conférence : sur quoi délibéreiait-on ? Ne se laisserait-on pas aller par une pente naturelle à scruter les causes supérieures du conflit, à interroger les rapports généraux de l’empire ottoman et du jeune royaume hellénique ? Ici encore la difficulté était épineuse. La Turquie voulait avant tout que le cercle de la délibération européenne restât nettement défini, qu’on ne s’écartât pas des points précis de son ultimatum. L’Angleterre, qui a peu de goût pour les négociations vagues et indéfinies, devait avoir le même désir. C’était restreindre singulièrement la portée de l’intervention européenne ; mais cette restriction même était une nécessité inévitable, si l’on ne voulait pas aller se heurter contre des questions qui feraient éclater aussitôt tous les dissentimens. La conférence prochaine, si rien au dernier moment ne vient la faire évanouir, n’a donc d’autre mission que d’empêcher Turcs et Grecs d’en venir aux mains, de régler le différend actuel, d’éteindre une « allumette chimique » qui de l’Orient pourrait communiquer le feu à l’Occident. Elle ne veut examiner ni les affaires de Crète, qui ont été le point de départ du conflit, ni les aspirations nationales de la Grèce, ni la manière dont la Turquie réalise ses réformes intérieures. Il n’est pas moins certain qu’au-dessus d’un débat restreint et en quelque sorte tout local planeront inévitablement toutes les considérations qui se rattachent à l’état de ces contrées orientales. La question d’Orient restera au seuil de la conférence, c’est ainsi convenu ; il est bien difficile qu’elle ne fasse pas quelque apparition comme un fantôme importun, et nous ne savons pourquoi cette conférence ramène dans notre mémoire cette séance fameuse du congrès de Paris où l’Italie, sans être en cause, n’était pas moins présente, obscure et petite encore, mais prête à grandir et à faire parler d’elle dans le monde.

On s’est plu à dire avec une curieuse insistance depuis quelques jours, la presse russe ne cesse de proclamer avec passion, les journaux prussiens ont répété avec acrimonie que M. de Beust a été le boute-feu de ce nouveau conflit oriental, que c’est l’Autriche qui a poussé la Turquie à se jeter dans cette querelle avec la Grèce, et peu s’en faut qu’on n’ait imaginé quelque conspiration profonde entre Vienne et Constantinople pour brusquer la situation. En revanche, d’autres n’ont pas manqué de voir les excitations de la Russie dans les agitations incessantes de la Grèce, dans l’attitude provocatrice du jeune état hellénique vis-à-vis de la Turquie. Ce n’est pas bien nécessaire de rechercher dans quel intérêt M. de Beust se serait proposé aujourd’hui de mettre le feu à l’Orient en se cachant derrière la Turquie, ou quelle part d’influence peut avoir la Russie dans les dernières agitations de la Grèce. Ce conflit gréco-turc, il naît en vérité, comme ceux qui l’ont précédé et comme ceux qui le suivront, de toute une situation. Il faut être juste, tout est arrangé en Orient de façon à favoriser ces querelles, à la fois inévitables et insolubles. Qu’on se place à un point de vue supérieur. L’Europe après tout n’a que les embarras qu’elle s’est préparés ; c’est elle qui a créé la Grèce, qui l’a soutenue dès ses premiers pas, qui l’a euvironnée de sa protection. Elle devait bien prévoir les conséquences de ce qu’elle faisait, elle ne pouvait ignorer que cet état nouveau formé d’un démembrement de l’empire ottoman, placé en face d’un ennemi séculaire, ayant de vieilles haines et de jeunes espérances, tendrait inévitablement à s’agrandir même avant de s’être consolidé sur les bases qui lui avaient été faites. Elle savait qu’elle déposait en Orient un germe destiné à se développer ; mais en même temps elle s’est fait un dogme de l’intégrité de l’empire ottoman. Il y a quatorze ans à peine qu’elle a fait une guerre colossale pour défendre cette intégrité contre la Russie, et pour la première fois ce principe, qu’elle ne reconnaissait jusque-là que comme une nécessité de fait, elle l’a inscrit dans des traités solennels qui font de la Turquie une puissance européenne, de telle sorte que l’Europe occidentale s’est mis sur les bras ce problème de maintenir l’intégrité de la Turquie contre la Russie et de faire vivre à côté une nationalité incomplète, insuffisante, entourée de populations qui ont avec elle toute sorte d’affinités de race, de religion, dont elle doit nécessairement tendre à se rapprocher sans cesse par entraînement de sympathie ou par ambition. Il en résulte cette condition inextricable à laquelle l’Europe n’échappe que par des inconséquences, se tournant tantôt vers la Turquie, tantôt vers la Grèce, croyant les satisfaire l’une ou l’autre à tour de rôle, et n’arrivant qu’à les tenir l’une et l’autre dans un état d’hostilité toujours prêt à éclater.

L’Europe d’ailleurs est-elle donc absolument étrangère au conflit actuel ? On oublie aisément. Qu’on se souvienne de ce qui se passait récemment encore. Il y a deux ans à peine, l’Europe presque tout entière, sauf l’Angleterre, se réunissait un beau jour dans un effort collectif pour déterminer la Turquie à faire la cession de la Crète à la Grèce. C’est la France, on le sait, qui avait imaginé cette tentative combinée avec la Russie, et les autres puissances, l’Autriche, l’Italie, la Prusse, s’y étaient prêtées dans une certaine mesure. La démarche échoua, d’abord parce que l’Angleterre refusa de s’y associer, puis parce qu’il n’y avait pas grand’chose à répondre à la Turquie objectant que les mêmes raisons qu’on faisait valoir pour la cession de la Crète, on les reproduirait le lendemain pour la cession de ses autres provinces chrétiennes, qu’on pouvait la démembrer par la force si on voulait, que, quant à elle, elle ne s’y prêterait pas. Depuis on n’en a plus parlé, on a livré les événemens à eux-mêmes ; mais il y a eu un résultat évident : d’un côté, on donnait raison à la Grèce, on encourageait ses espérances, on légitimait ses ambitions ; d’un autre côté, l’échec de cette démarche collective était fait pour inspirer à la Turquie une confiance qui l’a conduite peut-être à ses représailles récentes contre la Grèce. Voilà comment l’Europe se crée à elle-même ces complications qui viennent l’assaillir de temps à autre. Cette situation, la prochaine conférence n’aura point à l’examiner dans son ensemble, elle aurait trop à faire ; mais comment échapper absolument à la tyrannie de cette question ? On maintiendra la paix, parce que la Russie n’est pas prête à la guerre, parce que la Prusse ne la désire pas en ce moment, parce que M. de Beust, quoi qu’on en dise à Moscou et à Berlin, n’est pas un si grand boute-feu. La Grèce sera probablement obligée de se résigner à donner quelques satisfactions à la Turquie, dont il est difficile de contester les griefs et les droits. Diplomatiquement, la querelle sera assoupie. En définitive, le problème ne restera pas moins entier avec tous ses élémens discordans et confus, qui s’agitent des Balkans à l’archipel.

Le malheur de ces populations orientales ou plutôt de ceux qui les conduisent, c’est de ne pas comprendre parfaitement leur rôle, de troubler quelquefois l’Europe quand elle ne veut pas être troublée, et de ne pas prendre toujours surtout les meilleurs moyens pour intéresser à leur sort. On vient d’en avoir un exemple presque grotesque. Ne s’est-on pas avisé à Bucharest de voter une somme de 200,000 francs « pour missions diplomatiques et pour la presse étrangère ? » Ainsi voilà les envoyés roumains partant avec quelques milliers de francs dans leur valise pour conquérir les journaux de l’Europe ! C’est un peu valaque, il faut en convenir, et de nature à encourager singulièrement les sympathies qu’on pourrait avoir pour la Roumanie. Et ce qu’il y a de plus curieux dans cet aveu passablement cynique, c’est que ceux qui ont ainsi de l’argent de reste ont cru peut-être faire une chose toute simple !

C’est au milieu des incertitudes ravivées par le conflit turco-grec qu’une petite révolution ministérielle est venue nous surprendre en France comme préliminaire d’une campagne politique qui recommence, et qui reprendra toute son activité dans les chambres, convoquées pour le 18 janvier. C’est là pour aujourd’hui notre seule campagne d’hiver. M. de La Valette a été appelé au ministère des affaires étrangères comme successeur de M. de Moustier. M. Pinard est remplacé au ministère de l’intérieur par M. de Forcade La Roquette, qui cède lui-même le ministère des travaux publics et de l’agriculture à un membre du corps législatif, M. Gressier. On avait parlé, il y a quelque temps, de la possibilité de ces changemens ; puis on n’en avait plus parlé, et c’est lorsqu’on avait presque cessé de s’en occuper, selon l’habitude, qu’ils ont éclaté ; c’est le fruit des méditations de Compiègne. Chose curieuse, voici deux pays, l’Angleterre et la France, où des changemens ministériels se sont accomplis presque simultanément. M. Gladstone a pris le pouvoir des mains de M. Disraeli. Qui donc en Angleterre a pu avoir un doute sur le sens de cette évolution politique ? Ce sens, il était d’avance et ostensiblement déterminé, expliqué, commenté par les débats des chambres, par les élections, et le dernier discours de M. Gladstone pour sa réélection à Greenwich ne fait que le confirmer. En France, il serait vraiment plus difficile de définir au juste la signification des derniers changemens, et ce serait même sans doute une méprise que de s’exagérer cette signification. Tout ce qu’on peut faire, c’est d’entrevoir un symptôme dans le nom, les opinions ou les antécédans des hommes, et sous ce rapport les nouveaux ministres n’ont rien que de rassurant. M. de La Valette porte au ministère des affaires étrangères des traditions d’esprit et de libéralisme. Ce doit être un ministre de la paix, puisque c’est lui qui a signé la circulaire du 16 septembre 1866, par laquelle la France faisait adhésion aux résultats de la guerre d’Allemagne, et quand on se souvient que M. de La Valette quittait l’an dernier le ministère de l’intérieur à propos de la seconde intervention française à Rome, on ne peut voir dans son avènement à la direction de nos affaires étrangères que le gage de dispositions parfaitement amicales à l’égard de l’Italie, probablement même le signe avant-coureur d’une solution de la question romaine, au moins quant à l’occupation qui dure encore. M. deForcade La Roquette est un esprit sérieux, sensé, qui s’est montré libéral au ministère du commerce, et qui ne le sera pas moins sans doute au ministère de l’intérieur, où il arrive avec l’aptitude d’un homme formé à la pratique de l’administration. Quant à M. Grossier, il a été dans la dernière session le rapporteur de la loi militaire, ce qui est peut-être un singulier chemin pour arriver au ministère de l’agriculture ; mais il est député, et c’est la première fois, depuis le rétablissement de l’empire, qu’un ministre est pris dans les rangs du corps législatif.

Au-delà de ces indices, on ne peut voir évidemment dans les dernières modifications ministérielles la portée d’un changement décidé de politique. Les hommes se succèdent, le système reste. Ce qu’il y a de plus caractéristique, c’est la chute de M. Pinard après un an de ministère. M. Pinard n’a pas été heureux, cela est bien clair ; il a montré quelque inexpérience dans le maniement de notre politique intérieure : et ce n’est point absolument sa faute. Une des plus singulières erreurs des pouvoirs qui ne consultent qu’eux-mêmes, c’est de croire qu’ils peuvent placer indifféremment les hommes dans toutes les fonctions ; ils les usent, voilà tout. M. Pinard était un magistrat distingué, on a voulu en faire un ministre de l’intérieur, et il a échoué. Il a du reste accepté sa situation avec dignité en refusant toute compensation et en te faisant inscrire au tableau des avocats. Rien peut-être mieux que ces derniers changemens n’est propre à faire comprendre ce que la responsabilité, une vraie responsabilité, peut mettre dans la politique de dignité pour les hommes, de garantie pour le pouvoir lui-même, en dissipant toutes les obscurités qui planent sur nos révolutions ministérielles. Si M. Pinard avait eu à défendre sa politique devant des chambres, on saurait au moins pourquoi il est tombé. Aujourd’hui on est réduit à soupçonner que sa faute est de n’avoir pas été heureux, de n’avoir pas réussi dans les incidens qui se sont succédé depuis quelques mois. S’il avait réussi, il serait encore au ministère. — Mais n’est-ce pas là, direz-vous, une responsabilité d’un certain genre ? Oui sans doute, seulement c’est une responsabilité équivoque, indéfinie, bien diflerente de la responsabilité ostensible, publiquement débattue ; c’est celle-ci qui est la seule vraie et efficace, et il faut bien que cette idée de la responsabilité ministérielle soit en progrès, puisqu’un vice-président du conseil d’état, M. de Parieu, la dévelopait récemment dans un mémoire adressé à l’Académie des sciences morales, tant il est vrai que tout se réunit, les faits comme les inspirations de la raison théorique, pour remettre en honneur une des lois les plus essentielles de la politique des peuples libres !

Cette année qui finit, elle a eu pour tous des fortunes diverses. À nous, avant de s’en aller, elle nous a donné galamment un nouveau ministère, ou, pour parler d’une façon plus orthodoxe, des ministres nouveaux. En Autriche, le travail de réparation et de reconstitution qui s’accomplit depuis la guerre de 1866 ne s’est point interrompu. Des lois libérales ont été faites à Vienne. La Hongrie est pacifiée par cette combinaison du dualisme qui a créé un empire austro-hongrois, et M. de Beust s’efforce encore aujourd’hui d’appliquer les mêmes procédés de dextérité conciliante aux relations de la monarchie autrichienne avec la Galicie, avec la Bohême. Il ne réussira peut-être pas aussi complètement, parce qu’il n’a pas autant à donner aux Polonais et aux Tchèques : il réussira toujours assez pour se créer à l’extérieur une certaine liberté d’action dont il n’a pas sûrement renoncé à se servir, si des circonstances favorables s’offraient à lui. La Prusse a joui de ses immenses succès comme l’Autriche a profité de ses malheurs. Que la Prusse soit portée à désirer la paix aujourd’hui et qu’elle ait agi dans ce sens au milieu des complications actuelles, c’est vraisemblable, puisqu’elle y trouve pour le moment son intérêt. Est-ce à dire que tout soit définitif en Allemagne, que la paix soit bien complètement assurée ? La Prusse compte visiblement sur la force des choses pour donner la véritable interprétation du traité de Prague et pour fixer la valeur réelle de la ligne du Mein. La confédération allemande du nord grandit, se fortifie, et la confédération du sud est dans les limbes ; elle est morte avant de naître. L’autre jour, le ministre des affaires étrangères du Wurtemberg, M. Varnbuhler, l’enterrait sans façon dans un discours prononcé devant la chambre de Stuttgart. — Une confédération du sud, pourquoi faire ? que peut-on y gagner ? S’il faut s’absorber dans une agglomération, mieux vaut encore se confondre avec l’Allemagne du nord, à laquelle on est lié par les traités militaires, qu’on suivra sur les champs de bataille en cas de guerre. — Il ne faudrait pas presser beaucoup les raisonnemens de M. Varnbuhler pour s’apercevoir que les souverains de l’Allemagne du sud sont probableinent destinés à occuper la même place que le roi de Saxe, à qui M. de Bismarck allait l’autre jour rendre visite en bon voisin. La ligne du Mein fera encore une figure dans les traités et sur les cartes de géographie qu’elle n’existera déjà plus. Voilà le point noir qui reste au nord, mais qu’on est convenu de laisser sous un nuage, en se recommandant au temps et en restant sous les armes.

Au midi, l’année a donné à l’Italie un certain apaisement, à l’Espagne une révolution, et, si peu que les choses continuent comme elles ont commencé, ce n’est pas l’année où nous entrons qui dira le dernier mot de ces agitations nouvelles de la péninsule. Le fait est que la révolution espagnole ne semble pas près d’un dénoûment, et ce qu’on prendra pour un dénoûment ne sera peut-être que le commencement de complications plus redoutables, plus inextricables, tant les impossibilités s’accroissent à vue d’œil. Pour le moment, les partis restent en présence. Ils se sont entre-choqués récemment avec violence dans cette insurrection qui est demeurée maîtresse de Cadix pendant quelques jours. L’insurrection a fini par une sorte de transaction à l’approche des forces militaires conduites par le général Caballero de Rodas, mais les partis se sont retrouvés en lutte dès le lendemain dans les élections municipales, qui sont comme le préliminaire des élections pour les cortès constituantes. Or quel est le sens de cette première manifestation du suffrage universel au-delà des Pyrénées ? Les partisans de la monarchie constitutionnelle ont eu certainement une immense majorité. Il n’y a point à le nier cependant, le parti républicain a eu des avantages qu’on ne prévoyait guère, et sur lesquels il ne comptait pas lui-même. Il a eu sur certains points, et notamment dans quelques-unes des principales villes, sauf Madrid, de tels succès, si incontestés, qu’ils ne s’expliquent que par l’abstention de toutes les autres opinions. C’est là en effet un des côtés graves de ces élections, et on pourrait le dire d’une façon plus générale de la situation de l’Espagne. Les opinions modérées, soit par inertie naturelle, soit par calcul, n’ont montré aucun empressement à courir au scrutin, et c’est ce qui fait que les succès du parti républicain sont moins décisifs qu’on ne le croit, que les avantages du parti monarchique sont encore plus sérieux qu’ils ne le paraissent. Quoi qu’on fasse, il y a toujours au-delà des Pyrénées une masse compacte, muette, qui reste, par habitude si l’on veut, par tradition, par instinct, essentiellement attachée à la monarchie, et ce serait une méprise bien étrange de croire que le tempérament d’une nation peut changer en trois mois, qu’un vrai parti républicain peut se former tout d’un coup, rallier la majorité d’un pays par un prodige d’intuition.

Ce qui cause cette illusion d’optique au-delà des Pyrénées, ce qui pourrait bien du reste à la longue faire sortir d’une telle situation un dénoûment qui eût été imprévu il y a quelque temps, et qui serait assurément peu durable, c’est que le parti républicain, quoique peu nombreux, est jeune, hardi, passionné, remuant ; il a pour lui la complicité de tous les instincts d’agitation. Il sait de plus ce qu’il veut ; il se divisera demain, aujourd’hui il veut la république fédérale, c’est le drapeau sous lequel il marche. Le parti monarchique au contraire ne sait pas ce qu’il veut, ou du moins, s’il veut la royauté, il ne sait à quel prince porter cette couronne en déshérence. Il flotte entre toutes les combinaisons, et nous assistons en vérité à un spectacle qui serait risible, s’il ne pouvait devenir tragique un de ces jours : c’est la comédie des candidatures à la couronne espagnole. Il manquait jusqu’ici un candidat qui n’avait pas encore fait parler de lui, il ne manque plus : c’est l’infant don Henri, le frère du dernier roi. Il est vrai que l’infant don Henri, pour peu qu’on l’en pressât, se contenterait d’être le Washington de l’Espagne !

De qui n’a-t-on pas parlé pour ce malheureux trône espagnol ? Le roi dom Fernando de Portugal a repoussé toute idée de ce genre, et les Portugais ont prouvé leur enthousiasme pour la fusion ibérique en célébrant l’autre jour l’anniversaire de la révolution de 1640, qui les sépara de l’Espagne. On a mis en avant le nom du prince de Carignan. Nous ne croyons nullement qu’il ait été consulté d’abord, et nous doutons encore plus qu’il eût accepté. Tout compte fait, il ne reste de vrais et sérieux candidats pour une royauté libérale que le duc de Montpensier ou le prince des Asturies avec une régence, à moins qu’on ne préfère l’infant don Carlos, qui est tout prêt, ou la république, qui ramènera infailliblement dans un temps donné à quelque monarchie de hasard. Notez que toutes ces incertitudes de l’opinion monarchique espagnole se retrouvent dans le gouvernement lui-même, où tous les candidats ont leurs partisans. Au milieu de ces bruyantes divisions cependant il y a un homme qui se tient immobile et silencieux, c’est le général Prim. Il s’est prononcé tout d’abord et l’un des premiers, il est vrai, pour la royauté ; mais depuis quelque temps il se tait. Soit qu’il ait son choix fait d’avance, soit qu’il ait été frappé des progrès apparens du parti républicain, et que cela lui ait donné à réfléchir, il devient un personnage indéchiffrable. Se ménage-t-il quelque transition vers la république ? Il y a des observateurs attentifs qui le croient, et qui ne doutent pas, bien entendu, qu’il ne soit le dictateur de la république. Le plus triste symptôme de l’état de l’Espagne, c’est que tout soit possible, et ce qu’il y a de plus redoutable à travers tout cela, c’est la possibilité, la probabilité de la guerre civile. On l’annonce déjà presque à jour fixe ; on en est à se demander si elle n’éclatera pas avant la réunion des certes constituantes. Assurément dans une telle situation ce ne serait pas trop de l’intervention de tous les esprits libéraux. Il y en a qui ne désertent pas le combat, et de ce nombre est le comte de San-Luis, qui vient de publier à Madrid, sous le titre de Cuestion preliminar, un manifeste aux électeurs. C’est un vaincu du dernier régime, il ne le cache pas ; c’est dans tous les cas le partisan d’une monarchie libérale, et les opinions qu’il exprime sont des idées de bon sens et de modération en dehors desquelles l’Espagne ne peut guère trouver que des agitations indéfinies. L’Italie, quant à elle, n’en est plus pour le moment aux grandes agitations, aux coups de théâtre ou même aux émotions un peu vives. Il y a un an, elle était dans la fièvre où venait de la plonger l’aventure étourdie et désastreuse qui allait aboutir au combat de Mentana et à la seconde occupation de Rome par la France. Aujourd’hui elle est revenue au calme ; elle a passé des mois à s’occuper de cette œuvre laborieuse du rétablissement des finances. Nous ne voulons pas dire que ces événemens de l’an dernier n’aient laissé au-delà des Alpes bien des irritations et des complications faites pour embarrasser la politique intérieure et encore plus la politique extérieure de l’Italie, restée depuis ce moment dans des dispositions assez équivoques vis-à-vis de la France ; mais en définitive il y a un certain bon sens public plus fort que toutes les excitations factices, et telle est même la tendance à l’apaisement que la guerre qui se poursuit au sein des chambres entre le gouvernement et l’opposition se dénoue périodiquement au profit du ministère. Depuis un mois que la session est ouverte, cette guerre a recommencé ; les partis ont essayé leurs forces à plusieurs reprises, et le ministère Ménabréa est resté debout, peut-être plus affermi que jamais. M. Rattazzi, avec toute sa tactique, avec toute son habileté à créer des embarras, M. Rattazzi a été vaincu. Ce n’est point décidément un grand homme que M, Rattazzi, et, s’il continue, sans cesser d’être un dangereux ennemi, il finira par n’être plus qu’un manœuvrier assez vulgaire, ne portant bonheur ni à l’opposition quand il en est le chef, ni au gouvernement quand il le dirige. Ce ne sont pas d’ailleurs de bien grosses batailles qui viennent d’être livrées dans le parlement italien, ce sont des escarmouches, qui auraient pu néanmoins conduire à de plus sérieux embarras, et qu’un peu de bon sens a su arrêter à propos.

La première question sur laquelle opposition et gouvernement se sont retrouvés en présence dans le parlement italien, c’est la réforme administrative, qui a presque autant d’importance que la question financière. 11 s’agissait de savoir s’il fallait commencer par la fin ou par le commencement ; en d’autres termes, l’opposition s’est efforcée de faire avorter les plans proposés par le dernier ministre de l’intérieur, M. Cadorna, soutenus par son successeur, M. Cantelli, et amendés par une commission parlementaire en présentant un contre-projet qui ne tendait à rien moins qu’à faire ajourner la réforme administrative jusqu’à la réorganisation complète des provinces et des communes. C’était refuser de remédier à un mal sous prétexte qu’on ne pouvait guérir tous les maux d’un seul coup, et écarter sommairement une première amélioration des plus utiles pour le plaisir de mettre le ministère en désarroi. M. Rattazzi, qui avait procédé de même en 1860, mais avec beaucoup plus de sans-façon, trouvait mauvais cette fois qu’on agît ainsi. Il n’est pas arrivé à persuader la chambre, qui a donné une assez forte majorité au gouvernement. Deux jours après, c’était une autre campagne infiniment plus grave qui pouvait de nouveau mettre le crédit en péril en compliquant les relations extérieures de l’Italie pour une affaire de foi publique. L’opposiiion, à propos du vote provisoire du budget, a imaginé de demander la suspension du paiement des intérêts de la dette pontificale transférée à l’Italie. La question, on le sait, a été réglée par des arrangemeus négociés sous les auspices de la France et découlant de la convention du 15 septembre 1864. L’opposition a cru sans doute que c’était un bon tour à jouer au pape et à la France. C’était, tout simplement un calcul inique et de plus fort mesquin pour plusieurs raisons : d’abord parce que l’obligation de l’Italie dans cette affaire ne résulte pas tant d’une convention diplomatique que des annexions mêmes des provinces pontificales, ensuite parce qu’on frappait, non le pape ou la France, mais les malheureux créanciers, qui n’y peuvent rien, et le général Ménabréa avait bien quelque raison de dire qu’on rirait parfaitement à Rome de ce genre de guerre, qui n’aurait d’autre effet que d’ébranler le crédit italien. Singulière punition pour le gouvernement papal que de ne pas payer leurs intérêts aux porteurs d’une dette devenue italienne ! Croit-on de plus que ce fût un moyen très efficace pour amener la fin de l’occupation française à Rome ? L’opposition florentine a eu un tel succès avec sa motion que la majorité ministérielle s’est accrue singulièrement et est montée du coup à 100 voix, de telle sorte que l’existence du cabinet Ménabréa reste maintenant assurée pour quelque temps, toujours sauf l’imprévu. Il y a heureusement en Italie plus de bon sens qu’on ne croit, et il y a assez d’esprits sages qui, sans abandonner la politique nationale, sont parfaitement convaincus que ce n’est ni par des boutades ni par des coups de violence qu’on résoudra la question romaine.

Un certain apaisement est donc sensible au-delà des Alpes au moment où nous sommes. Est-ce à dire que tout soit le mieux du monde sous le meilleur des ministères ? L’Italie souffre d’un mal qui n’est ni le regret du passé ni le désir de nouveaux changemens. Un des membres les plus éminens du parlement de Florence nous écrivait ces jours derniers : « Le pays est mécontent, mais au fond il ne veut pas un autre régime que celui qui existe. » Cela veut dire que le mal n’est pas essentiellement dans la situation nouvelle de l’Italie, dans les institutions : il est dans une organisation à peine ébauchée malgré toutes les apparences, dans les malaises créés pour une révolution faite au pas de course, dans les vices d’une administration insuffisante et ruineuse ; il est dans les antagonismes qui depuis quelques années ont si souvent décomposé les majorités et fait les pouvoirs précaires. Voilà le mal qu’il faut guérir, voilà la pensée faite pour rallier autour d’un gouvernement sensé tous les hommes qui ont été de ce parti national et libéral par lequel l’Italie a été affranchie. Cet apaisement d’aujourd’hui peut servir à une œuvre de ce genre. L’année finit bien sous ce rapport. Le jour où un parti vraiment libéral serait vigoureusement reconstitué, l’Italie aurait gagné une victoire qui effacerait vite tous les Mentana, et par la réalisation hardie de toutes les réformes nécessaires dont ce parti deviendrait l’instrument, elle ferait des progrès plus sérieux, plus rapides, que par les utopies d’une opposition plus légère et plus insuffisante encore que violente. Elle serait vraiment forte le jour où les circonstances lui donneraient un nouveau rôle à jouer dans les affaires de l’Europe, et c’est alors que la question ro : naine se résoudrait toute seule par la force des choses. L’Italie pour son malheur a dévié de la politique qui a fait son indépendance ; c’est en revenant à cette politique qu’elle reprendra sa marche assurée sans cesser d’être une alliée pour la France.

Et maintenant, si l’on jette les yeux au-delà de l’Atlantique, vers le Nouveau-Monde, là aussi il y a des peuples qui s’agitent, qui se querellent et se font une guerre sans fin, comme dans les contrées de la Plata, où cet étrange dictateur du Paraguay, Lopez, résiste toujours à la coalition des Brésiliens et des Argentins ; il y a des problèmes comme celui de cette énergique société anglo-américaine qui se développe dans sa force et dans sa liberté, quelquefois au milieu de violences dont notre civilisation raffinée s’offusque légèrement. Pour le moment, les États-Unis sont entre un président qui vient et un président qui s’en va. Encore deux mois, et la transition sera accomplie. Le président qui vient, le général Grant, est toujours le taciturne ; il ne parle pas plus après son élection qu’il ne parlait avant, et, s’il a fait un discours il y a peu de temps dans une réunion publique, c’est en trois mots, en homme qui a hâte de finir avant d’avoir commencé, et pour vanter la vertu du silence. Il paraît destiné à introduire le laconisme dans la langue ofiicielle des États-Unis. Quant au président qui s’en va, c’est autre chose ; celui-là forme un parfait contraste avec le général Grant. Rien ne peut le réduire au silence, pas même le sentiment de la complète inutilité de ses paroles. M. Johnson mourra comme il a vécu, en bataillant. Élevé au pouvoir par le lamentable hasard de l’assassinat de Lincoln, il aura eu certes la présidence la plus bruyante, et dans son dernier message, qui vient d’arriver en Europe, il s’abandonne librement à son humeur querelleuse. Ses mésaventures ne l’ont point ému, il parle toujours comme s’il était écouté, et avant de prendre sa retraite il recommence avec plus d’assurance que jamais ses éternelles polémiques contre le congrès à propos des lois de reconstruction, il censure amèrement tout ce qui a été fait pour l’organisation civile et militaire du sud. C’est le testament tapageur d’un président malencontreux près de quitter la Maison-Blanche. ch. de mazade.



REVUE DRAMATIQUE.
SÉRAPHINE, comédie en cinq actes, par M. Victorien Sardou.

Un ingénieux critique, parlant ici même de la comédie contemporaine, distribuait nos auteurs comiques en deux groupes distincts, les uns qui se rattachent à Balzac, les autres qui relèvent d’Alfred de Musset. Ceux-ci ont conservé le goût de l’art, le soin du style, le sentiment poétique ; ceux-là, étrangers ou indifférens à la poésie, sont occupés surtout à peindre la réalité, à la peindre crûment et cavalièrement, soit qu’elle s’aftiche, soit qu’elle se masque. Dans quel groupe notre collaborateur a-t-il placé M. Victorien Sardou? Ce ne pouvait être évidemment parmi les esprits fidèles à la comédie littéraire; par sa verve turbulente, par le sans-façon de ses tableaux, par son désir de rendre au vif les choses d’hier ou d’aujourd’hui sans se soucier de faire œuvre qui dure, l’auteur de la Famille Benoîton appartient au groupe des écrivains qui, à la suite de Balzac, ont installé sur le théâtre la réalité de la vie courante, réalité tantôt énergique et savamment étudiée, tantôt superficielle et quelque peu triviale. Il y a naturellement des degrés dans chacun de ces groupes, et si notre confrère n’avait donné à M. Sardou un rang secondaire parmi les disciples de Balzac, la comédie qui vient d’être représentée au Gymnase dérangerait un peu ses classifications. A côté des réalistes hardis et des écrivains qui ne renoncent pas aux délicatesses de l’art, il faudrait signaler une troisième catégorie d’auteurs comiques, ceux qui, ne visant ni à l’audace de l’observation, ni à l’élégance de la forme, excellent à enlever les succès avec une dextérité sans scrupules.

Séraphine est une femme ardente, passionnée, que le souvenir d’une faute a jetée dans une dévotion farouche. Pour expier un passé qui lui pèse, elle a fait vœu de consacrer à Dieu l’enfant né de cet amour coupable. C’est une jeune fille nommée Yvonne, toute gracieuse, toute candide; elle vient de sortir du couvent comme pensionnaire, elle va y rentrer comme religieuse. Est-ce donc là sa vocation? Pas le moins du monde; mais la baronne sa mère l’a décidé ainsi, la baronne Séraphine de Rosange, qui fait marcher sa maison comme un colonel son régiment. Si le baron, un vieil officier à moustache blanche, est plus intimidé qu’un conscrit sous cette parole impérieuse, la douce ingénue pourra-t-elle résister? Le sacrifice va donc s’accomplir, à moins que l’imprévu ne s’en mêle. L’imprévu, c’est le drame auquel il faut toujours s’attendre dans les comédies de M. Sardou, Le père, le vrai père d’Yvonne, non pas celui quem nuptiæ demonstrant, mais l’ancien amant de Séraphine, aujourd’hui contre-amiral, arrive à point nommé pour disputer l’enfant au fanatisme de sa mère. Yvonne, sa fille en réalité, est sa filleule aux yeux du monde; armé de ce titre de parrain, il se croira autorisé à intervenir brusquement, impérieusement, dans ces affaires de famille, et sans plus de façon il enlèvera Yvonne. On devine les complications que va produire ce coup d’autorité, la lutte du père et de la mère, la lutte de l’amant exalté par le sentiment paternel et de la pécheresse exaltée par le remords; on devine aussi la surprise du mari au milieu de cet imbroglio, les soupçons qui l’assaillent, les fureurs qui l’agitent. Comment le dramaturge va-t-il se tirer de là? Je crois, en vérité, que le principal intérêt de l’ouvrage est dans cette question que chacun s’adresse. Vérité, ressemblance, étude de la nature humaine, tout cela est hors de cause; le vrai sujet, c’est M. Sardou lui-même, au milieu des tissus qu’il embrouille et qu’il démêle, faisant et défaisant les nœuds, tantôt dégageant le fil avec adresse, tantôt le cassant d’une main brusque. Que représente la baronne Séraphine de Rosange? Est-ce la passion mondaine transformée, le sentiment de la faute devenu une sorte d’exaltation ténébreuse, la pécheresse troublée par le remords et perdant le sens des choses morales? Ce type est vrai. Il se rencontre chez les hommes comme chez les femmes. Combien de gens, après une jeunesse mauvaise, chargent l’innocent de payer leur dette et font pénitence sur le dos du prochain! Si c’est là ce que M. Sardou a voulu peindre, son pinceau a mal traduit sa pensée. Séraphine n’est pas seulement une fanatique, elle est aussi une dévote mondaine, avide de pouvoirs occultes, jalouse d’un salon rival à qui elle veut enlever la présidence de je ne sais quelle coterie; voilà un type tout différent et qui contredit le premier. Ame fanatique, conscience troublée, elle nous intéresserait comme tout être qui souffre et qui se débat dans sa souffrance; si vous en faites la présidente d’un cénacle, une maîtresse-femme très froide, très sèche, qui a sa diplomatie, ses agens, sa police, nous ne pouvons plus croire aux cris de sa douleur, aux emportemens de sa passion, quand éclate la lutte avec son ancien amant. Tous ces traits sont assez incohérens. On se dit par instans : Quelle furie! Une minute après : Quelle tartufe! Et à la scène suivante de ce cœur bourrelé de haine sortent on ne sait pourquoi des accens maternels. Tout le talent de l’actrice chargée de ce rôle est impuissant à coordonner de telles disparates; la surprise que le spectateur éprouve de scène en scène est absolument contraire à l’émotion. Le caractère du contre-amiral, M. de Montignac, l’ancien amant de Séraphine et le père d’Yvonne, est plus simple, plus naturel; aussi le croirait-on peu capable des extravagances que le drame lui attribue. Mettons à part la petite profession de foi où il se donne comme un vrai dévot par manière de contraste avec la dévotion enragée de la baronne. C’est là une concession gauche et inutile à des convenances qui ne paraissent pas avoir gêné l’auteur. Des chrétiennes comme la baronne de Rosange appartiennent de droit à la comédie satirique; en parlant de la piété vraie, même pour lui rendre hommage, le spirituel écrivain entr’ouvre sans aucun profit un domaine supérieur à son art. Laissons donc le dévot chez M. de Montignac, et voyons simplement l’homme du drame qui s’agite sous nos yeux. Il est franc, loyal, généreux, mais que d’invraisemblances dans sa conduite! Ce parrain qui veille sur sa filleule du fond du Sénégal ne l’a pas vue depuis six ans; il arrive à Paris le jour même où l’enfant va être mise au couvent malgré elle ; il l’enlève, il la transporte dans sa maison d’Auteuil, dans cette maison même où vingt ans auparavant la baronne s’était livrée à lui, maison mystérieuse, et néanmoins ouverte à tout venant, car une heure après tous les personnages de la pièce y sont rassemblés, et la baronne, et le baron, et les dévots et les indévots. Où est Yvonne? On n’a point de peine à la trouver; M. de Montignac est un de ces grands stratégistes qui dédaignent la prudence commune, et laissent volontiers les portes ouvertes. Dans quel monde se passent de telles aventures? disait-on autour de nous. Il faut en effet la merveilleuse dextérité de l’auteur pour débrouiller son écheveau à travers ces intérêts inconciliables et ces contradictions. L’esprit sauve tout, la facture emporte le fond: l’action est invraisemblable, qu’importe? Elle pétille, elle éclate, on n’y voit que du feu. C’est surtout dans le caractère d’Yvonne que triomphe cette habileté de l’ingénieux dramaturge; dévouée à un parrain qu’elle connaît à peine, enchaînée à cette mère qui la terrifie, respectueuse et indifférente pour le bonhomme qu’elle appelle son père, subitement éprise d’un jeune étourdi qui est venu l’insulter chez elle, docile à celui qui l’enlève, docile à ceux qui la ramènent, elle jouerait le plus étrange personnage, si sa candeur, un sens naturellement droit, des réponses fines et charmantes, ne la préservaient du ridicule.

Auprès des personnages principaux, faut-il nommer les figures accessoires? Il y a là deux groupes qui se répondent comme la strophe et l’antistrophe, les dévots d’un côté, de l’autre les indévots: ici M. de Planterose, gendre de la baronne, et M. Robert de Montignac, neveu du contre-amiral, là le bon M. Chapelard et son filleul Sulpice. Certains libres penseurs pourraient bien chercher noise à M. Sardou, car son matérialiste, M. de Planterose, souvent aimable, spirituel, très utile surtout pour dénouer l’imbroglio, se permet çà et là des facéties du plus mauvais goût, disons le mot juste, des grossièretés indignes d’un galant homme. M. Sardou, il est vrai, pourra leur prouver son impartialité en montrant ce qu’il a fait du groupe correspondant. M. Chapelard, espèce de sacristain défroqué, tartufe de bas étage, qui se trouve associé on ne sait pourquoi aux intrigues de la brillante Séraphine, est assurément un type du comique le plus épais. Sulpice, dans le monde de la baronne, est une caricature. Une œuvre aussi mélangée, une œuvre où l’esprit alerte et la vulgarité, la passion vraie et le roman équivoque se heurtent à chaque pas, demandait à être enlevée victorieusement. L’auteur ne se plaindra pas de ses interprètes. Mme Pasca, Mlle Antonine, M. Pujol, l’ont heureusement secondé dans une tentative hardie dont ils ont assuré le succès. Bref, la comédie de Séraphine, qui supportera difficilement la lecture, aura sans doute autant de représentations que les œuvres les plus applaudies de M. Victorien Sardou.


F. DE LAGENEVAIS.



ESSAIS ET NOTICES.

LES FINANCES DE LA RESTAURATION.

[[c|Histoire parlementaire des Finances de la Restauration, par M. A. Calmon ; t. Ier, Paris, Michel Lévy. }}


Fils d’un ancien directeur-général de l’enregistrement et des domaines qui a laissé un nom respecté, M. A. Calmon, auteur de ce livre, était avant la révolution de 1848 maître des requêtes au conseil d’état et député. Il appartenait, comme son père, à cette catégorie des fonctionnaires députés qui a probablement disparu sans retour dans la catastrophe de février. L’histoire dira si, en excluant les fonctionnaires de la chambre élective, on en a exclu l’esprit de dépendance et de soumission au pouvoir; elle dira si les fonctionnaires députés ne formaient pas un des groupes les plus éclairés et les plus libres, car il s’en trouvait en aussi grand nombre dans l’opposition que dans la majorité. Surpris comme tant d’autres par le 24 février au moment où s’ouvrait devant lui une double carrière administrative et politique, M. Calmon a subi sans se plaindre la loi des événemens. Il a cherché une diversion dans l’étude, et, comme l’y préparait son éducation première, il a tourné principalement ses recherches vers l’histoire financière de la France et de l’Angleterre. Il a été ainsi amené à écrire une Histoire des finances françaises sous la restauration dont le premier volume vient de paraître. La restauration a fourni de nos jours le sujet de travaux historiques excellens ; mais la partie des finances méritait d’être traitée à part, car de tous les gouvernemens qui se sont succédé depuis soixante ans, c’est celui qui a eu la meilleure administration financière. « Au milieu des charges si lourdes, dit M. Calmon, auxquelles ce gouvernement a eu à subvenir, les ministres ont constamment pris à tâche de maintenir l’équilibre le plus rigoureux dans les budgets, et lorsque parfois les recettes ont été supérieures aux dépenses, les excédans, au lieu d’être employés par avance, ont toujours été mis en réserve et reportés aux exercices suivans. C’est qu’en effet de leur côté les chambres, aussi bien la chambre introuvable de 1816 et celle de 1824 que la chambre libérale de 1818 et 1819, n’ont cessé de maintenir avec énergie leur droit d’examen, de vote et de contrôle des dépenses et des recettes publiques, et c’est ainsi que par le concours d’un pouvoir exécutif animé des intentions les plus droites et d’un pouvoir législatif exerçant avec indépendance et autorité ses attributions constitutionnelles ont été fondés un budget et un système de finances qui resteront un des grands bienfaits du régime parlementaire. »

Le livre débute par un coup d’œil rapide sur les finances de la révolution et de l’empire. Le tableau des finances de la révolution est lamentable. L’ancienne monarchie avait environ 600 millions de revenus. Au lieu de conserver les impôts existans en les améliorant par degré, la révolution voulut faire, là comme partout, table rase. Elle commença par supprimer toutes les contributions indirectes, à l’exception des douanes, ce qui est un système financier comme un autre et même meilleur qu’un autre, mais ce qui n’est possible qu’en temps calme et régulier, quand on peut faire l’opération peu à peu, en ménageant la transition. Dans l’affreux désordre de ces dix terribles années, les impôts conservés ne rapportèrent que 300 millions par an, et comme on augmentait les dépenses en même temps qu’on diminuait les recettes, il fallut remplir le vide par toute sorte de moyens. La vente des biens du clergé et des émigrés produisit en dix ans 3 milliards 500 millions; on vendit l’argenterie des églises, on fondit le métal des cloches, on décréta le maximum et l’emprunt forcé, on créa pour 45 milliards d’assignats qui finirent par tomber à rien en bouleversant toutes les fortunes. Jamais administration plus incapable n’a dirigé les affaires d’un grand peuple.

Le lendemain du 18 brumaire, quand le consulat voulut réorganiser les finances comme tout le reste, on dut appeler deux hommes qui avaient rempli de hautes fonctions au ministère des finances avant la révolution, MM. Gaudin et Mollien. Tous deux avaient travaillé avec Necker, le plus grand financier qu’ait eu la France et l’égal sous ce rapport des meilleurs ministres anglais. Gaudin était en 1789 premier commis ou directeur des contributions directes, Mollien des contributions indirectes. Quand le premier consul fit venir M. Gaudin, il lui dit : « Je vous confie une tâche difficile, mais je ne doute pas que votre habileté et votre persévérance ne la mènent à bonne fin. — Général, lui dit M. Gaudin, le succès n’est possible qu’à la condition de revenir aux anciens impôts en les améliorant. — Mais ce sont des vieilleries que vous me proposez là. — En fait d’impôt, général, les vieilleries sont souvent ce qu’il y a de meilleur. — Soit, dit le premier consul, essayez. » Le nouveau ministre essaya, et en trois ou quatre ans, grâce à la paix, l’ordre reparut dans les finances. Alors arriva la proclamation de l’empire; la guerre ramena de nouveaux désordres que toute l’habileté de Gaudin et de Mollien ne put conjurer. Napoléon aimait l’économie; mais il avait sur les finances et le crédit les idées les plus fausses. Malgré les contributions qu’il leva sur toute l’Europe et les impôts extraordinaires dont il accabla la France, il laissa en tombant un déficit que M. de Montesquiou, ministre de l’intérieur, évaluait à 1 milliard 646 millions, et que M. Calmon ramène à 724 millions, ce qui est déjà bien assez.

Ici entre en scène un homme qui, comme MM. Gaudin et Mollien, avait appris les finances avant la révolution, et qui devait comme eux rétablir l’ordre financier après une nouvelle épreuve, le baron Louis. M. Calmon a beaucoup étudié le baron Louis; il a eu ses papiers entre les mains, et en a tiré le sujet de mémoires intéressans lus à l’Académie des sciences morales et politiques. Nommé ministre des finances aussitôt après le retour des Bourbons, cet ancien conseiller-clerc au parlement de Paris se mit vaillamment à l’œuvre. Les impôts indirects avaient été rétablis par l’empire sous le nom de droits réunis, que le public appelait les droits ruineux; les Bourbons avaient été reçus aux cris de : à bas les droits réunis! et ils en avaient promis la suppression. Le baron Louis refusa de remplir cet engagement; il fit remarquer que, sous le poids des dettes laissées par Napoléon, ce n’était pas le moment de réduire les recettes publiques. Ces impôts rapportaient alors 100 millions; ils en rapportent 300 aujourd’hui. En même temps, malgré les royalistes outrés, qui prétendaient que le roi n’avait qu’un compte sommaire à rendre à ses sujets, il présenta aux chambres un projet de budget avec le détail complet des recettes et des dépenses, et provoqua l’examen public de ses propositions. Le budget n’ayant été jusqu’alors présenté au corps législatif que pour la forme, cette dérogation aux habitudes impériales fit le meilleur effet. Ce n’était pas seulement une révolution financière, fait remarquer justement M. Calmon, c’était une révolution politique; le gouvernement parlementaire était fondé, et à M. le baron Louis revient l’honneur d’en avoir posé les premières bases.

Les conséquences de son administration se développèrent rapidement. Le 20 mars 1815, le recouvrement des contributions était à jour ; 131 millions de l’arriéré avaient été soldés, les obligations pour l’acquitter étaient au pair, la rente avait atteint le cours de 80 francs, les biens non vendus des émigrés avaient été restitués à leurs propriétaires, tous les services étaient au courant, le trésor avait un encaisse de 50 millions. Le retour de Napoléon replongea la France dans le chaos. Les cent jours, qui ont fait tant de mal, bouleversèrent les finances. Après la seconde invasion, on se trouva en présence d’un milliard d’arriéré à solder et d’un autre milliard à payer aux étrangers comme contribution de guerre. À ces malheurs venait se joindre une succession de mauvaises récoltes; la famine approchait. Le baron Louis fut appelé de nouveau au ministère. Son premier soin fut de proclamer, malgré les cris des royalistes, que le gouvernement royal acquitterait toutes les dettes de l’empire, et par cette simple déclaration il fonda le crédit public. La confiance se ranima peu à peu. Les premiers emprunts furent contractés à des taux onéreux; il fallut donner le 5 pour 100 à 52 fr. Les emprunts suivans se firent à des conditions meilleures, et au bout de trois ans les étrangers durent évacuer le territoire après avoir reçu ce qu’ils avaient exigé. Non-seulement les créanciers de l’état ne perdirent rien, mais ils gagnèrent à la hausse des fonds publics. La France reparut avec la plénitude de ses ressources, et plus sa situation avait semblé désespérée, plus elle étonna l’Europe par cette prompte résurrection.

Ce ne fut pas le baron Louis qui dirigea les détails de la liquidation. La nouvelle chambre, élue dans le premier entraînement de la réaction contre les cent jours, se composait de royalistes exaltés qui le regardaient comme un révolutionnaire. Il avait pour collègue dans le ministère son ancien ami, M. de Talleyrand, que repoussaient encore plus les répugnances des députés. Tous deux se retirèrent, et un nouveau cabinet se forma sous la présidence du duc de Richelieu. M. Corvetto y avait le portefeuille des finances. Collaborateur du baron Louis, il partageait ses idées. La chambre introuvable ayant été dissoute par l’ordonnance du 5 septembre, de nouvelles élections donnèrent une majorité plus modérée. Le baron Louis fut nommé président de la commission chargée d’examiner les propositions du ministre. Les imprudences de la chambre de 1816 avaient compromis le crédit naissant, on prit des mesures pour le relever. Une des plus efficaces fut la constitution d’une caisse d’amortissement sérieusement dotée. Cette caisse fonctionna pendant toute la durée de la restauration, et en 1830 elle avait racheté pour plus de 50 millions de rentes. M. Calmon raconte avec détail tout ce qui se fit à cette époque mémorable pour constituer les finances. Les discussions de la chambre y eurent une grande part; elles éclairèrent toutes les questions et eurent pour effet d’arrêter l’aliénation commencée des forêts de l’état et des biens des communes. C’est là en effet une de ces extrémités que peut seule excuser la nécessité la plus absolue, et sous ce rapport l’administration du baron Louis n’avait pas été tout à fait irréprochable.

A la retraite du duc de Richelieu, le baron Louis redevint ministre des finances pour la troisième fois. Il appartenait au parti monarchique constitutionnel, qui voulait concilier le présent avec le passé, la charte avec la dynastie. La droite subissait impatiemment l’ascendant de son expérience et la rudesse qu’il mettait quelquefois dans ses rapports avec les personnes. Les grands embarras étaient passés; mais la constitution financière du nouveau gouvernement n’était pas encore terminée. Les chambres n’avaient pu jusqu’alors voter les impôts que par douzièmes provisoires. Le baron Louis voulut corriger cette irrégularité, il demanda que par exception le budget fût voté une première fois pour dix-huit mois, afin de rentrer ensuite dans l’ordre constitutionnel. La chambre des députés y consentit non sans peine; la chambre des pairs refusa. Le roi Louis XVIII, sur le conseil de ses ministres, créa d’un seul coup soixante nouveaux pairs pour changer la majorité. Cette mesure, dit M. Calmon, était un vrai coup d’état contre la chambre des pairs, de même que l’ordonnance du 5 septembre avait été un coup d’état contre la chambre des députés. Elle augmenta l’irritation du parti royaliste. Le baron Louis eut encore le temps de réaliser quelques améliorations; mais il était désormais moins nécessaire, quelques-unes de ses propositions furent rejetées ou modifiées. Après les élections de 1819, qui accrurent les forces de la gauche, le cabinet effrayé voulut réformer la loi des élections dans un sens favorable à la droite; le baron Louis et deux de ses collègues refusèrent de s’associer à cette mesure et donnèrent leur démission. Il sortit alors du ministère pour n’y plus rentrer qu’après la révolution de 1830.

La période intermédiaire entre la retraite du cabinet Desselles et le triomphe définitif de la droite dura deux ans. Le ministère des finances échut à M. Roy. Cet homme d’affaires consommé continua l’œuvre de ses prédécesseurs. Le principal acte de son administration fut un dégrèvement notable sur l’impôt foncier. Le produit des impôts croissait naturellement, tous les services étaient assurés, et il restait encore un excédant. L’assemblée constituante avait fixé en 1791 le chiffre de la contribution foncière à 240 millions répartis entre les départemens au prorata des impôts payés par les provinces avant 1789 sans tenir compte de l’inégalité des charges. Il en résultait que certains départemens payaient deux fois plus que d’autres relativement à leurs ressources. Plusieurs dégrèvemens partiels avaient déjà eu lieu. Le baron Louis en avait promis un de plus dès que l’état du trésor le permettrait; M. Roy proposa de le porter à 28 millions, dont 20 millions sur le principal au profit des départemens les plus chargés, et 8 millions sur les centimes additionnels à répartir entre tous les départemens. C’est une des opérations qui font le plus d’honneur à l’administration financière de la restauration. Au lendemain d’une crise terrible, quand il restait encore à liquider des engagemens onéreux contractés sous le poids d’une nécessité inexorable, le gouvernement ne se croyait pas en droit de disposer du surcroît des recettes publiques et le restituait aux contribuables. Il fut récompensé de cet acte de justice; le budget qui suivit la réduction se régla encore en excédant.

Le succès de l’extrême droite aux élections de 1821 porta M. de Villèle au ministère des finances. M. Cal mon termine ce volume en racontant les deux premières années de l’administration de cet homme d’état. Il rend pleinement hommage à l’aptitude financière de M. de Villèle, « que bien peu de ministres, dit-il, ont égalée. » L’événement le plus important de ces deux années fut la guerre d’Espagne. M. de Villèle ne la voulait pas; après avoir longtemps résisté, seul de son avis dans le cabinet, il céda. Les fonds publics baissèrent. Il fallut demander 100 millions de crédits extraordinaires et avoir encore une fois recours à l’emprunt. Les meilleures raisons contre la guerre furent données à la tribune des deux chambres. Pour imposer silence aux opposans, la chambre des députés voulut faire acte de force ; elle expulsa Manuel. Ces violences ne portèrent point bonheur au gouvernement, et les ressentimens qu’elles excitèrent firent plus de mal à la restauration que le succès de la guerre d’Espagne ne lui fit de bien. Au point de vue financier, la guerre eut ce résultat fâcheux, qu’elle interrompit le système si heureusement inauguré de restituer aux contribuables, par des dégrèvemens d’impôts, l’excédant des recettes sur les dépenses. La résistance de M. de Villèle était donc fondée; mais, une fois son parti pris, il dirigea les opérations financières avec habileté. On doit surtout le louer d’avoir fait rendre les deux ordonnances du 22 septembre et du 10 décembre 1823, qui sont encore en vigueur, et qui ont porté un ordre admirable dans la comptabilité publique.

A la fin de 1823, le régime constitutionnel durait depuis huit ans, et dans cet intervalle de temps on avait obtenu les plus grands résultats financiers. Pour payer les dettes laissées par l’empire et les contributions de guerre imposées par les alliés, il avait fallu emprunter 1,500 millions et grever la dette fondée de 130 millions de rentes. Malgré ces émissions successives, le cours des fonds publics dépassait le pair. Les comptes des trois premières années s’étaient réglés en déficit à cause des charges extraordinaires de l’occupation. En revanche, les cinq années suivantes présentaient toutes des excédans de recettes. Le produit annuel des impôts indirects avait augmenté de 78 millions par le seul développement de la richesse publique; cette progression avait permis d’opérer sur la contribution foncière un dégrèvement de 28 millions; les trois ministères de la guerre, de la marine et de l’intérieur avaient reçu des supplémens de dotation, l’amortissement avait racheté pour 34 millions de rentes. « La situation financière, dit M. Calmon, était à tous égards excellente, et cette situation, la France la devait incontestablement aux institutions dont elle était douée, institutions qui, en associant à la direction de leurs affaires et à l’administration de leurs intérêts les pays qui en jouissent, ne permettent pas les écarts et les dépenses inutiles auxquelles les pouvoirs sans contrôle sont trop souvent enclins à se livrer. »

Les sept dernières années de la restauration feront l’objet du second volume, M. Calmon a fait preuve d’un rare esprit d’impartialité en même temps que d’une connaissance approfondie des questions financières; on ne peut lui reprocher que de n’avoir pas fait une part assez large à la critique. Il n’y a guère qu’à louer dans l’administration financière de la restauration jusqu’en 1822. On ne peut pas en dire tout à fait autant depuis cette époque. Si bonne que fût la situation à la fin de 1823, elle aurait pu être meilleure. Sans la guerre d’Espagne, on aurait pu réduire encore les impôts et notamment en supprimer deux qui déshonoraient nos finances : la loterie, qui rapportait 15 millions, et la ferme des jeux, qui en rapportait 5. C’était le projet du baron Louis, et ce fut un des premiers actes du gouvernement sorti de la révolution de 1830. On peut faire une critique plus grave encore. L’amortissement avait racheté pour 34 millions de rentes; mais en même temps on avait émis de nouveaux emprunts, et il eût mieux valu ne pas émettre de rentes nouvelles que de racheter les anciennes. C’était encore l’opinion du baron Louis, qui combattit les nouvelles émissions. L’amortissement est un excellent instrument, mais à la condition, hors des cas très rares, qu’on n’emprunte pas pour amortir. Tout n’était pas faux dans les attaques de l’opposition contre ce système, et, s’il se mêlait beaucoup d’illusions aux déclamations des journaux sur le progrès de la dette publique, il s’y trouvait un fonds de vérité.

Il peut paraître exagéré de trouver à redire sur un budget de 900 millions, quand le nôtre dépasse aujourd’hui 2 milliards; mais l’administration de la restauration, la plus économe que nous ayons eue, aurait pu être plus économe encore. La liste civile était excessive (32 millions), et, quand la monarchie de 1830 la réduisit à 12 millions, elle rentra dans la convenance. Ce n’est pas l’énormité de la liste civile qui fait l’ascendant de la couronne. Les monarques anglais n’en ont qu’une très modeste, et ils n’y perdent pas dans l’affection et le respect de leurs sujets. Les traitemens des principaux fonctionnaires de l’état étaient trop élevés, on les a réduits plus tard avec raison. En revanche, la dotation des travaux publics n’était pas suffisante. Le grand mérite de la restauration est dans les budgets de la guerre et de la marine, qui n’atteignaient pas ensemble 300 millions en 1829, et s’étaient longtemps maintenus fort au-dessous. La monarchie de 1830 les a portés à 450 millions, et le gouvernement impérial à 600, 700, quelquefois même à 800 millions. Cette progression neutralise en partie l’heureuse influence que les découvertes du génie moderne ont eue sur le développement de la richesse, elle fait que la France se laisse dépasser par ses principaux voisins dans les progrès de la population et de la production. Jamais au contraire ces progrès n’ont été plus marqués que sous la restauration ; la France regagnait alors ce que la république et l’empire lui avaient fait perdre, parce que les dépenses militaires se renfermaient dans de justes limites.

On peut enfin reprocher à la restauration son système de douanes. Il reposait tout entier sur l’idée fausse et étroite de la protection. On ne doit pas en accuser le gouvernement lui-même, car il fit plusieurs efforts pour y échapper ; mais la majorité de la chambre des députés était intraitable. Nos tarifs restèrent hérissés de prohibitions et de droits prohibitifs. Le mal qui en résulta ne fut pas bien grand, car le principal caractère du système protecteur, surtout en ce qui concerne l’agriculture, est l’impuissance. Malgré la législation savante de l’échelle mobile, les progrès de l’agriculture firent tomber les blés aux prix les plus bas qu’on ait jamais vus, et toutes les combinaisons imaginées pour les relever échouèrent. L’abondance amenait la vie à bon marché en dépit de la protection, de même que l’insuffisance de la production amène aujourd’hui la cherté malgré la liberté du commerce. L’effet fut un peu plus sensible sur l’industrie. Le développement industriel et commercial en fut gêné ; mais la paix suffit pour donner un grand élan. Le commerce extérieur doubla en quinze ans ; il passa de 600 millions à 1,200 en dépit des restrictions douanières. Ce fut le trésor public qui souffrit le plus du système protecteur. À la chute de la restauration, les douanes rapportaient 100 millions ; elles auraient rapporté beaucoup plus, si les tarifs avaient été uniquement calculés au point de vue fiscal, et cette recette aurait permis d’alléger d’autres impôts, peut-être de remplir la promesse des Bourbons pour l’abolition des droits réunis. L’accomplissement de cette promesse manque à l’histoire financière de la restauration.

L. DE LAVERGNE.
M. JOSEPH PERIER.


Bien que depuis deux mois la sympathie publique semble comme épuisée par tant de morts illustres survenues coup sur coup, jamais peut-être ne s’est produite une émotion plus générale et plus profonde qu’autour de l’homme courageux qui vient d’ajouter par sa mort un nouveau lustre à ce nom de Perier porté par lui si dignement durant sa longue et honorable vie. Eût-il quitté ce monde d’une façon moins belle et moins terrible, par le seul poids de ses années ou par quelque accident involontaire et imprévu, M. Joseph Perier eût encore excité des regrets universels, tant il était connu, estimé, respecté, et, malgré sa réserve, disons mieux, malgré sa froideur apparente, aimé de ceux qui l’approchaient. Ce n’est pas seulement au foyer domestique qu’on eût pleuré ce cœur toujours ouvert au sentiment de la famille, et dévoué si tendrement aux siens; moins près de lui, partout où pénétraient son influence et son activité, il eût laissé le même vide et causé les mêmes regrets. Ces grandes entreprises dont depuis cinquante ans il était l’âme et la lumière, ces sociétés qu’il patronnait, ces conseils qu’il présidait, auraient-ils pu ne pas sentir l’absence d’un tel guide, de ce modérateur judicieux dont l’imperturbable bon sens et l’expérience sagement alarmée n’étaient jamais en défaut. Sa mort ne pouvait donc passer inaperçue, et l’ardent intérêt qu’il excite aujourd’hui lui était dans tous les cas en partie assuré; il ne lui fallait qu’une épreuve pour le conquérir tout entier, une épreuve qui en un jour le fît grandir au-dessus de lui-même, et révélât, même à ceux qui le connaissaient le mieux, toute la noble énergie de son âme.

Un mal d’abord inaperçu, suite d’un accident sans danger, mal devenu plus tard périlleux et enfin incurable, l’avait depuis trois mois astreint au repos forcé. C’était déjà bien dur pour lui, dont les quatre-vingts ans conservaient les vives habitudes, les goûts actifs de la jeunesse, et avant tout la passion des voyages, lui qu’on voyait partir tantôt pour l’Algérie, tantôt pour la Norvège, sans presque en avertir personne, comme d’autres s’en vont à Saint-Cloud, c’était un bien dur esclavage que cette chaise longue où son mal le clouait; il n’en murmura pas : les souffrances devinrent plus aiguës, il les accepta sans se plaindre. Cette nature ardente courbait la tête, comme un enfant soumis, devant la volonté de Dieu. Cependant son mal empirait : il exigea que les médecins ne lui cachassent rien. On le savait de force à entendre la vérité : on la lui dit tout entière. Il apprit donc que ses jours étaient comptés et son mal sans remède, mais qu’une chance lui restait de disputer à la mort la meilleure partie de lui-même et de conserver vivans à ceux qu’il chérissait son cœur et son esprit. Cette chance était de se soumettre à une opération sinistre, l’amputation d’une cuisse, entreprise incertaine à tout âge, presque impossible au sien. Les maîtres de la science discutèrent devant lui : il les laissa parler, lucide et attentif, comme s’il n’eût eu dans le débat qu’un intérêt de spectateur. Sans être ébranlé ni séduit par ceux qui refusaient de lui infliger d’inutiles souffrances, dès qu’il eut constaté que d’autres, également habiles, osaient croire au succès et se chargeaient de lui en faire courir les chances, c’en fut assez pour qu’aussitôt il attachât à cette tentative l’idée d’un devoir envers les siens. Dès lors son parti fut pris, irrévocablement pris, et sans la moindre hésitation il s’offrit en victime.

Restait à préparer le sacrifice. Lui-même il en voulut fixer le jour, l’heure et les moindres détails, sans apparat, sans faste théâtral, avec la simplicité modeste qu’il mettait dans toutes ses actions. Bientôt il fit de solennels adieux à ceux qu’il aimait le plus, leur envoyant même à distance ses tendres embrassemens transmis sous sa dictée par la main d’une fille chérie. Après les adieux vinrent les espérances : il voulut accomplir ses devoirs, tous ses devoirs religieux, et reçut les derniers sacre mens avec la fermeté et la foi d’un chrétien antique. À ce spectacle fortifiant, tous les courages s’exaltèrent, une sorte d’enthousiasme gagna les assistans, les médecins comme les prêtres. L’effet en parvint au dehors, et bientôt Paris, on peut le dire, tomba dans une sorte de stupeur attendrie à l’attente du tragique dénoûment.

Le lundi 7 décembre, à l’heure et au jour dits, tout se passa sans accident, mais non pas sans souffrances; elles furent atroces, le chloroforme n’ayant pas suffisamment agi. Cette sérénité surhumaine qui jusque-là ne s’était pas démentie, et qui arrachait des larmes d’admiration aux hommes de l’art, si peu enclins à s’attendrir, un instant elle fut vaincue par la violence de la douleur. Cinq minutes avant l’opération, c’était un saint souriant aux terribles apprêts; vingt minutes après, le martyr s’éveillait dans d’effroyables convulsions. Cependant le calme revint; la faiblesse était grande, mais des symptômes rassurans autorisaient encore l’espoir. Sans une fatale hémorrhagie survenue le sixième jour et comprimée pendant six heures avec des peines infinies, peut-être ses souffrances auraient-elles eu leur prix, même en ce monde, et la vie se fût-elle maintenue dans les débris d’un corps si bien constitué; mais ce redoutable accident, bien qu’arrêté et amorti, laissa des traces irréparables. La faiblesse fit de nouveaux progrès, et peu à peu, par degrés insensibles, commença pour cette vaillante nature une agonie douce, silencieuse et clairvoyante. Son âme tout entière vivait encore et se manifestait par des signes touchans. Ses lèvres murmuraient des prières. ses mains cherchaient les mains de ses enfans; sa forte volonté était encore à l’œuvre, et ces ruines terrestres lui obéissaient encore. Les dernières heures furent de plus en plus calmes : la sérénité croissante de son front le disait clairement, «Que la volonté de Dieu soit faite, » avait-il répété sans cesse dans le feu de ses souffrances; ce furent aussi ses derniers mots dans le calme des suprêmes instans. Cette fin sereine adoucit quelque peu le lugubre tableau d’un supplice inutile. Le supplicié s’est endormi dans la paix éternelle, et cette paix, il l’a vraiment conquise, au prix de quelles tortures, nous ne l’avons dit qu’à moitié !

Figure modeste, originale et attachante, il était d’étoffe héroïque sans s’en douter. L’aurait-il su, il n’eût pas fait semblant. Jamais personne ne s’est moins mis en étalage et n’a laissé plus large place aux autres. Avait-il jamais dit, même à ses plus intimes, que dès sa première jeunesse, auditeur au conseil d’état et chargé de la trésorerie de l’armée, sa présence d’esprit, son courage sur le champ de bataille de Hanau, au moment où la défection bavaroise allait enlever les fourgons confiés à sa garde, lui avaient valu cette croix d’honneur qu’il portait depuis 1815. Toujours enclin à s’effacer, malhabile à se faire valoir, personne au fond n’était plus désireux de plaire et plus aimable à l’occasion. Contrairement à la plupart des hommes, il devenait plus sociable et plus accommodant aux goûts de la jeunesse à mesure qu’il vieillissait. C’est à soixante-dix ans qu’il fit la découverte que la musique pouvait servir à son bonheur, et qu’il devint mélomane assidu. Il est vrai qu’il était bien tombé pour son apprentissage : Rossini l’avait pris en sérieuse affection. Dans ces concerts improvisés où les plus grands talens, par courtoisie pour le génie, se livraient à des inspirations presque inconnues ailleurs, nul n’arrivait plus tôt et ne partait plus tard que M. Joseph Perier. Il avait pourtant un émule, aussi fidèle et non moins diligent : c’était Berryer. Presque toujours à côté l’un de l’autre, dans le même coin de ce salon, ils laissaient voir comme à l’envi, à des signes bien différens, les douces joies dont leurs cœurs étaient pleins. Par quelle étrange et touchante harmonie tous deux, à si court intervalle, devaient-ils suivre dans la tombe celui d’où leur était venue cette source privilégiée de délicates émotions ?

Dernier survivant de huit frères qui tous avaient adopté comme la meilleure part de l’héritage paternel les souvenirs de Vizille, première illustration de leur race, premiers échos de la liberté légale en France, M. Joseph Perier ne fut pas étranger à la vie politique. Sans s’y donner avec l’ardeur qui a fait la gloire et abrégé la vie du plus illustre de ses frères, longtemps dans nos assemblées il a tenu une honorable place. Il y portait la fermeté, la sûreté, la loyauté de son noble caractère, ennemi né des partis équivoques, imperturbablement fidèle à ses principes et à ses amis, modèle achevé du conservateur libéral, cet élément indispensable, et trop rare parmi nous, du vrai gouvernement libre. Jamais il ne chercha l’éclat, mais sans l’avoir voulu, par cette mort stoïque et chrétienne, le voilà qui s’est illustré, laissant un grand exemple, une leçon féconde, nous l’espérons, à ses contemporains, et en particulier aux deux générations qui le suivent, chargées de perpétuer les traditions de sa famille et l’honneur de son nom,


L. VITET.

LES LIVRES DE SCIENCE ILLUSTRÉE.

I. La Terre, description des phénomènes de la vie du globe, par M. Elisée Reclus, t. II : L’Océan, l’Atmosphère, la Vie ; Hachette. — II. Histoire des Météores, par J. Rambosson ; Didot. — III. Voyage au fond de la mer, par H. de La Blaachère ; Furne et Jouvet. — IV. Maison rustique des enfans, par Mme Millet-Robinet ; Librairie agricole. — V. La Vie des animaux illustrée, par A. Brehm ; Baillière et fils.


L’importance des ouvrages qui ont pour but de rendre les conquêtes de la science accessibles à la foule est beaucoup plus grande qu’on n’est généralement porté à l’admettre. Elle n’est point tout entière dans la diffusion des connaissances utiles, dans l’influence, sans doute considérable, que ces livres exercent sur le niveau général de l’instruction ; on ne saurait méconnaître que ces sortes de publications contribuent au progrès de la science elle-même. Un fait qui nous frappe dans l’histoire de toutes les sciences, c’est que beaucoup de découvertes de l’ordre le plus élevé deviennent seulement fécondes au bout d’un temps plus ou moins long, lorsqu’elles sont, pour ainsi dire, tombées dans le domaine public et qu’elles ont passé par toutes les mains. Voilà pourquoi l’humanité marche si lentement. Une vérité capitale peut rester pendant cinquante ans à la fois découverte et cachée ; c’est comme si on n’osait y toucher. Enfin, quand tout le monde l’a répétée et redite, quelqu’un la comprend, l’approfondit, et s’enhardit jusqu’à faire un pas en avant. Les lois merveilleuses qui régissent l’univers s’enseignent aujourd’hui dans les écoles, et il nous semble toujours, à la manière dont elles nous sont présentées, que la découverte en soit due à des traits de génie isolés. Ce n’est cependant que très lentement qu’elles ont pris racine dans la science ; elles ne frappèrent point les esprits lorsqu’elles furent énoncées pour la première fois, et ce n’est presque jamais celui dont elles portent le nom qui les a devinées le premier. La loi de l’attraction universelle, qui a été démontrée par Newton, plusieurs auteurs l’avaient indiquée avant lui d’une manière plus ou moins explicite. L’histoire du magnétisme et de l’électricité nous offre une foule de faits du même genre. Cela nous explique aussi pourquoi l’honneur de la même découverte est si souvent réclamé par plusieurs personnes, et pourquoi il est si difficile de décider entre les prétentions rivales. Les idées ont bien moins d’individualité qu’on ne croit : elles sont dans l’air, elles essaient de naître ; mais elles ne naissent pas viables avant l’heure : une découverte n’est faite que lorsqu’elle est mûre.

Tout cela montre combien il est nécessaire de répandre les vérités acquises ; plus elles seront connues, et moins le progrès se fera attendre ; toute une génération aura collaboré à la découverte dont elles deviendront le point de départ. C’est, à notre avis, un des principaux mérites des livres de science populaire, qu’ils procurent aux savans de profession une foule d’auxiliaires obscurs et ignorés, mais qui n’en ont pas moins leur part dans les conquêtes de leur époque. Aussi est-ce avec une grande satisfaction que nous constatons le succès toujours croissant de ces sortes d’ouvrages, et la tendance des vrais savans à se mêler aux écrivains qui s’adressent au public. Chaque année nous apporte quelques bons livres de science qui sont lisibles et même récréatifs, et que nous avons plaisir à signaler.

M. Elisée Reclus a terminé son intéressant ouvrage sur la physique du globe, la Terre, dont le premier volume avait paru en 1867[1]. Le second et dernier volume est consacré à la description des phénomènes que nous offrent la mer et l’atmosphère; c’est le résumé fidèle de tout ce que la science de nos jours peut nous apprendre sur les mystères des deux océans, l’un liquide, l’autre aérien, qui enveloppent notre planète. Ce qui assigne à cet ouvrage une place à part dans les publications de science populaire, ce qui le met au-dessus du niveau ordinaire, c’est la quantité de documens particuliers et peu connus que l’auteur a consultés et utilisés. M. Reclus n’a pas pris sa science toute faite dans les traités qui existent, il s’est adressé aux mémoires originaux publiés dans toutes les langues, il a fait œuvre de critique et de savant. Aussi peut-on recommander son livre comme une source d’instruction sérieuse et solide.

Le rôle immense que les eaux de la mer jouent dans l’économie générale du globe n’a encore été étudié que depuis peu de temps et d’une manière fort incomplète. Non-seulement les continens actuels se sont élaborés au fond d’un ancien océan, comme le prouve avec évidence la composition des couches terrestres, mais les eaux continuent encore de nos jours le lent travail par lequel elles transforment peu à peu la surface des terres. D’un côté, les flots sapent, creusent et emportent des péninsules et des falaises escarpées; de l’autre, ils construisent des plages et des îles. Sous l’action incessante des vagues, les promontoires de granit se désagrègent et se changent en strates de gneiss; l’argile qui provient de la dissolution des porphyres se transforme sous nos yeux en ardoise dont les feuillets durcissent et prennent l’aspect des schistes anciens. Enfin les travaux géologiques de certaines espèces animales dont la mer pullule nous apparaissent sous un jour tout nouveau depuis les recherches d’Ehrenberg, de Darwin et de tant d’autres naturalistes qui ont envisagé la vie animale dans ses effets généraux et dans ses rapports avec l’économie du globe. Les bestioles qui habitent la mer modifient la face de la planète par l’accumulation de leurs débris. Comme les plantes des marais finissent par s’étendre en couches de tourbe sur les plaines et sur les flancs des montagnes, les myriades d’animalcules que recèle l’océan forment à la longue des terrains nouveaux qui un jour apparaissent à la surface et s’ajoutent au domaine de l’homme. Les foraminifères, les diatomées, les coraux, les éponges, les madrépores, tout ce monde chaotique d’êtres infimes placés au seuil de la vie travaille sans cesse à la trame d’une terre nouvelle. Ces architectes invisibles s’emparent de l’acide carbonique, du calcaire et de la silice apportés par les fleuves, et rebâtissent en bas ce que les cours d’eau, les pluies et les vents démolissent en haut. La plupart des matériaux disséminés à la surface du globe n’ont pas d’autre origine. Burmeister fait remarquer que la chaux, la craie, la dolomie, sont des roches qui ont été mangées et digérées par des animalcules semblables à ceux qui peuplent nos mers actuelles. Le fond de l’océan est le berceau des terres.

L’océan exerce d’ailleurs sur le relief de la terre ferme une action à distance d’une très grande énergie. Les nuages et les pluies dont il est la source intarissable, les ouragans qu’il envoie périodiquement dévaster la surface des continens, sont des agens de destruction qui travaillent sans cesse à niveler les aspérités du sol. Les glaciers, qui polissent les roches et façonnent les flancs des vallées, les cours d’eau, qui ravagent l’écorce du globe, dissolvent les rochers et emportent les terrains par lambeaux, ce sont les vapeurs marines retournant au bassin d’où elles sont venues. Les innombrables rivières qui entretiennent la vie sur le globe sont également des émissaires de l’océan; M. Reclus les compare à un « système de veines et de veinules rapportant au grand réservoir océanique les eaux déversées sur le sol par le système artériel des nuages et des pluies. » La mer exerce enfin une influence capitale sur les climats terrestres; elle fond les contrastes, adoucit les rigueurs du soleil tropical et des glaces polaires, et nous apparaît partout comme la puissante médiatrice entre les forces naturelles qui se partagent le règne du globe.

Envisagée sous ces points de vue généraux, la géographie physique de la mer offre un intérêt immense. M. Reclus commence par nous faire connaître le lit de l’océan tel que nous le révèlent les nombreux sondages exécutés par les navigateurs. Quoique les matériaux acquis par ce moyen soient encore bien incomplets, si on les compare à l’étendue qui reste à explorer, et si on songe que nous ne pouvons connaître le fond des eaux que par le toucher, à la manière des aveugles, il faut cependant convenir que l’ensemble des résultats que nous possédons déjà est en lui-même fort imposant. On est surpris de voir figurer sur les cartes de M. Reclus les détails minutieux des coupes et profils océaniques, composés d’après des milliers de sondages; c’est surtout la pose des câbles sous-marins qui a récemment donné un nouvel élan à ces études si difficiles et si longues à exécuter. La partie la mieux connue de l’océan est l’Atlantique du nord; c’est une dépression dont les pentes descendent graduellement vers une cuve centrale située entre les États-Unis, les Bermudes et le banc de Terre-Neuve, et d’une profondeur qui peut aller à 8 kilomètres; la France, l’Espagne et les îles britanniques reposent sur un plateau qui ne descend qu’à environ 200 mètres au-dessous de l’eau, et qui forme en quelque sorte le piédestal du continent d’Europe. L’ensemble de nos connaissances actuelles sur le lit de l’océan conduit à cette conclusion, que la mer s’approfondit graduellement vers le sud, où l’eau prédomine d’ailleurs. Le célèbre géologue Bischof croit même pouvoir admettre que le lit des mers est en moyenne aussi rapproché du centre du globe que le sont les pôles, de sorte que, sous les eaux, la terre serait parfaitement ronde-, mais cette hypothèse aurait besoin d’être démontrée d’une manière plus rigoureuse.

La nature des eaux marines, la formation des glaces, les vagues, les courans et notamment le gulf-stream, la théorie des marées, fournissent à M. Reclus les sujets d’une série de chapitres fort importans dans lesquels il s’attache non-seulement à réunir les données les plus récentes et les plus dignes de foi, mais encore à signaler une foule d’erreurs et de préjugés qui ont cours dans les livres, et qui probablement seront encore pendant longtemps répétés par les compilateurs avant d’être définitivement bannis de la science. C’est cet esprit de saine critique qui rend surtout la lecture de la Terre agréable et qui ne pourrait être assez loué. La partie consacrée à la mer se termine par deux chapitres sur les rivages, les îles et les dunes, dans lesquels l’auteur étudie d’une manière plus spéciale les modifications incessantes que la mer fait éprouver aux terres fermes qu’elle baigne de ses flots. Il démontre que la forme doucement ondulée qu’offrent aujourd’hui la plupart des côtes est un signe de vieillesse; le littoral de l’océan était certainement autrefois plus accidenté, c’est la mer elle-même qui en a remanié le contour, soit en rongeant les aspérités, soit en comblant les échancrures. Les mille fiords de la côte de Norvège se sont conservés si longtemps parce qu’ils étaient anciennement comblés par des glaces, comme le sont de nos jours les baies du Groenland. Depuis que les glaciers de la Scandinavie ont reculé dans l’intérieur des montagnes, le travail de régularisation a commencé pour la mer et les torrens; les rivières apportent leurs alluvions, empruntées aux terrains supérieurs, et la mer étale des nappes de sable ou de vase à l’entrée de ces golfes, qui ne tarderont pas à changer d’aspect. Les débris de nos falaises, emportés par les eaux, vont former dans la Mer du Nord et sur les rivages de la Hollande ces dépôts que l’on appelle les gains de flot; la mer rend à la Hollande ce qu’elle a pris à la France; mais sur d’autres points la Hollande est elle-même obligée de disputer à l’océan les lambeaux de son sol. Ces transformations s’opèrent sans trêve, sans relâche, suivant une loi immuable; en les étudiant, on pourrait prédire quel sera l’aspect des continens dans quelques siècles. La mer, que nous voyons ainsi sans cesse occupée à démolir îles et falaises pour les rebâtir ailleurs, nous semble animée et douée d’une puissante volonté; « éternellement mobile, elle symbolise la vie relativement à la terre impassible et silencieuse qu’elle assiège de ses flots. »

La seconde partie du nouveau volume de M. Reclus est consacrée à la météorologie et à l’étude du magnétisme terrestre. On y trouve exposés avec une grande clarté et avec des détails fort curieux la théorie des vents et des tempêtes, le régime des pluies, la distribution des orages, les phénomènes encore si mystérieux des aurores polaires. L’étude des orages, dont on ne saurait méconnaître la portée pratique, a pris dans ces derniers temps un élan tout nouveau grâce à l’initiative de l’observatoire de Paris. Les cartes météorologiques de la France, dressées depuis 1865 à l’aide des documens recueillis par de nombreux observateurs, montrent avec évidence que les orages de l’Europe occidentale suivent la même direction générale que les tempêtes et en accompagnent souvent la marche. Les orages ne doivent donc plus être considérés comme des phénomènes purement locaux; ce sont des symptômes d’un mouvement général de l’atmosphère. Il paraît acquis aujourd’hui que presque tous les orages nous viennent de l’Océan; très souvent les riverains entendent gronder le tonnerre dans les nuages marins plusieurs heures avant que le météore éclate sur la terre; de même en Allemagne les nuées orageuses viennent de l’ouest et du sud-ouest. Ce n’est que par exception que les nuages formés par l’évaporation des eaux dans l’intérieur des continens donnent naissance à des orages; mais la configuration du sol exerce une grande influence sur ces météores en modifiant la marche et les allures de ceux qui sont envoyés par la mer. Les orages secondaires qui se détachent du courant principal se propagent de préférence le long des montagnes, des collines ou des forêts. On les voit suivre les vallées comme des fleuves aériens superposés aux fleuves liquides qui roulent au-dessous; ils semblent être entraînés par l’eau, tandis qu’au contraire ils évitent les forêts et les contournent au besoin. La nature géologique du sol n’est pas non plus sans influence sur la marche de ces redoutables météores; il semble qu’il y ait des roches qui les attirent et d’autres qui les dissipent. Vers les pôles, le nombre des orages diminue considérablement, et l’on sait que dans le haut nord ils sont un phénomène très rare; mais il n’est pas exact de dire qu’en Islande et sur les côtes du Spitzberg on n’ait jamais vu d’éclair. Il y a eu en Islande des incendies causés par la foudre et des hommes foudroyés. D’après Cranz, on voit des éclairs au Groenland ; de Baer et d’autres naturalistes ont observé des orages à la Nouvelle-Zemble et à Mageroé; enfin les quatre Russes qui passèrent six ans sur une île à l’est du Spitzberg y ont entendu gronder le tonnerre.

La partie de l’ouvrage de M. Reclus qui paraîtra à beaucoup de lecteurs la plus intéressante est la dernière; elle a pour titre : la Vie. Cette partie est consacrée à l’étude de la flore et de la faune terrestres, aux races humaines considérées dans leurs rapports avec le sol, et à la réaction de l’homme sur la nature. M. Reclus fait remarquer que, par opposition avec la terre, dont la surface seule est peuplée, l’océan pourrait être considéré comme le milieu vital par excellence; des myriades d’organismes s’y pressent en si prodigieuses quantités que les eaux elles-mêmes en sont pour ainsi dire devenues vivantes; chaque goutte d’eau est un monde. Toutefois, si l’océan est vraiment le milieu principal des organismes animaux, la terre ferme est par contre le domaine du règne végétal. Les forêts de polypiers de la Mer du Sud, les bancs de harengs, où les poissons sont aussi pressés que le gazon des prairies, ont leur contraste dans les mers de feuillage des plaines de l’Amazone, dans les savanes ondoyantes qui se déroulent à perte de vue. Toute cette immensité appartient à l’homme; mais combien la prise de possession a été lente et pénible! Au lieu de conquérir tout à fait la terre et la mer, au lieu de jouir des richesses que leur offre la nature, les hommes sont occupés depuis leur création à s’entr’égorger, et, si on considère leur histoire, il n’y a aucun espoir qu’il en soit jamais autrement.

Sous ce titre : Histoire des météores et des grands phénomènes de la nature, M. J. Rambosson nous donne cette année un livre élémentaire sur la physique et la météorologie. Après avoir expliqué les principaux phénomènes de la chaleur, de la lumière, de l’électricité et du magnétisme, il y passe en revue les différentes espèces de météores, ouragans, tempêtes, orages, aurores boréales, et arrive enfin aux volcans et aux étoiles filantes, c’est-à-dire qu’il parle un peu de tout. Ce qui surtout rend cet ouvrage intéressant, c’est que l’auteur raconte souvent ce qu’il a observé par lui-même pendant ses voyages maritimes. Dans un chapitre qui sert d’introduction à ce livre, M. Rambosson s’étend sur l’utilité des voyages comme moyen d’instruction, et il fait remarquer que la facilité des transports permettrait aujourd’hui aux jeunes gens de compléter leur éducation en faisant une bonne fois le tour du monde, comme ils eussent fait autrefois le tour de la France. Cette idée n’a rien de chimérique, et il est bien possible qu’on finisse par en arriver là. Déjà, il y a trois ou quatre ans, une frégate autrichienne est partie de Trieste pour un voyage de circumnavigation qui n’avait aucun but officiel, et un armateur d’Anvers, M. Cateaux-Wattel, a essayé naguère d’organiser une expédition du même genre : le voyage devait durer deux ans, le prix de la pension des passagers était fixé à environ 5,000 francs par an, et le prospectus indiquait minutieusement tous les ports de relâche, ainsi que les jours d’arrivée et de départ pendant les années 1866, 1867 et 1868. Ce projet a-t-il été mis à exécution ?

En attendant que des trains de plaisir nous fassent faire réellement le tour du monde, nous pouvons en visiter toutes les merveilles à moins de frais en lisant les descriptions qui se multiplient à l’infini grâce aux progrès de la gravure à bon marché. Parmi les livres de ce genre qui s’efforcent d’unir l’utile à l’agréable par un mélange de fiction amusante et de détails scientifiques, on peut signaler le Voyage au fond de la mer, par M. H. de La Blanchère. C’est un conte de fée écrit pour les enfans, et qui aura le mérite d’instruire les jeunes lecteurs auxquels il est destiné. La Maison rustique des enfans, par Mme Millet-Robinet, a un but plus pratique. C’est l’histoire d’une mère qui, née elle-même à la campagne, y retourne avec ses enfans, qui ont grandi à Paris; elle répond à leurs étonnemens et les familiarise peu à peu avec la vie des champs et avec les travaux de l’agriculture. Ce cadre léger est bien rempli; une foule de petites aventures spirituellement racontées fournit les prétextes de ces douces leçons que les mères savent si bien donner, et les idées saines et sages que respirent ces entretiens font de la Maison rustique des enfans un livre d’éducation qui mérite d’être recommandé.

Signalons enfin la Vie des animaux illustrée, par M. Brehm, dont le premier volume vient de paraître. Cet ouvrage est d’une lecture fort attachante : l’auteur, naturaliste et voyageur infatigable, a observé de près la plupart des animaux dont il a entrepris de peindre les mœurs. Il nous parle de ses lions, de ses panthères, de ses singes, comme d’autres parlent de leurs chevaux et de leurs chiens, et il confirme ce que disent tous les hommes qui ont vécu dans l’intimité des bêtes féroces, à savoir qu’elles sont beaucoup plus faciles à apprivoiser qu’on ne le supposerait. Ainsi M. Brehm raconte l’histoire d’une lionne qu’il a gardée pendant deux ans à la ferme qu’il habitait dans le Soudan oriental, et qui circulait librement. Elle suivait son maître comme un chien et se laissait corriger sans en garder rancune ; seulement elle s’était arrogé un droit absolu sur tout ce qui vivait à la ferme, et traitait les autres animaux avec un dédain marqué, les inquiétait et les harcelait sans cesse pour se distraire. Elle taquinait aussi les hommes de la maison, mais sans jamais leur faire de mal. Des récits de ce genre, que l’on rencontre à chaque page du livre, des descriptions de grandes chasses et une foule de détails inédits sur la vie et les habitudes des animaux sauvages, assurent au livre de M. Brehm une place honorable parmi les nombreuses publications analogues que l’on possède déjà dans toutes les langues. En somme, le mouvement qui a porté, il y a quelques années, le grand public vers les connaissances scientifiques se continue et se régularise. Un nombre immense de lecteurs se montre décidément sensible à l’attrait sérieux que les observations de la nature offrent à des esprits cultivés. Plus on va, plus les livres que le succès consacre ont un caractère rigoureux; c’est là un bon signe qui montre combien s’est élevé le niveau du savoir général.


R. RADAU.


L. BULOZ.

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1867.