Chronique de la quinzaine - 28 février 1869
28 février 1869
C’est réellement une situation bien étrange que celle où nous vivons. Pour l’Europe telle que l’ont faite les événemens de ces dernières années, pour cette Europe affamée de liberté et de paix, tout est labeur ingrat et confusion. Les calmes sont sans durée, les jours se comptent par de périodiques alertes ou par des agitations sourdes plus énervantes cent fois qu’une crise aiguë virilement acceptée. Les questions succèdent aux questions, comme si une fatalité ironique les faisait sortir de terre, et, pour ajouter au trouble, on dirait que la parole a été donnée à tout le monde afin de mieux déguiser la vérité des choses.
On se flattait pourtant bien, il y a quelques jours à peine, d’avoir échappé encore une fois au danger par le dénoûment du démêlé gréco-turc, de s’être assuré pour le moins quelques semaines de repos et de sérénité pendant lesquelles on n’entendrait plus parler de guerre. La diplomatie avait correctement enregistré dans de très honnêtes protocoles ses bonnes volontés pacifiques, récompensées par la soumission de la Grèce, qui à la vérité aurait été fort empêchée de faire autrement, si on en juge par la pénurie de ressources militaires dont le nouveau cabinet hellénique a divulgué le secret. Dans cette heureuse conférence, on avait invoqué à propos la déclaration du congrès de 1856 recommandant d’en appeler à un arbitrage dans toutes les querelles qui pourraient surgir, et on s’était bien promis de recourir en toute occasion à cet expédient d’une médiation européenne qui venait d’éteindre une allumette en Orient. La diplomatie pouvait se reposer dans la satisfaction de son œuvre. De son côté, M. de Bismarck, un personnage de quelque importance dans les questions de paix ou de guerre, n’avait rien négligé pour faire savoir au monde qu’il n’était pas le trouble-fête qu’on soupçonnait, qu’il avait rendu à la tranquillité publique un éminent service en laissant tomber M. Bratiano au moment où l’impétueux ministre roumain se disposait à marcher trop vite. Il rejetait toutes les vaines alarmes sur les fabricans de fausses nouvelles, sur le roi de Hanovre, sur l’électeur de Hesse, dont les riches dotations étaient employées à soudoyer le télégraphe, et tout récemment encore, dans la chambre des soigneurs à Berlin, le chancelier de la confédération du nord se faisait le garant des intentions conciliantes de tous les cabinets ; il chatouillait même hardiment et familièrement la France, qu’il appelait un peuple a très susceptible sur le point d’honneur ; » il s’indignait qu’on abusât sur les desseins de la Prusse « une nation aussi forte, aussi guerrière et néanmoins aussi pacifique que la nation française, » qu’il y eût des esprits assez criminels pour « pousser à la guerre deux grands peuples qui, placés au centre de la civilisation européenne, désirent tous deux vivre en paix, et n’ont aucun intérêt essentiel qui puisse les séparer. » Tout allait bien. Malheureusement ce jour-là même, comme on parlait de paix à Berlin, comme on allait oublier la Grèce, une petite loi était volée à Bruxelles qui remettait les esprits en campagne, et c’est ainsi qu’en peu de temps nous sommes passés de l’incident roumain à l’incident grec, de l’incident grec à l’incident belge. Nous cheminons à travers des incidens, et le dernier est toujours le plus grave en attendant les autres.
Qu’est-ce donc au fond que cet incident belge dont on a fait tant de bruit pendant huit jours ? Certes, à ne prendre les choses qu’en elles-mêmes, il n’y a pas de quoi soulever cette poussière aveuglante de polémiques et agiter l’univers. C’est une simple question de chemins de fer, qui peut avoir son importance sans mettre en jeu véritablement les destinées du monde. Il y a quelque temps, la compagnie française de l’Est a éprouvé le besoin de s’étendre, de compléter son réseau intérieur par des ramifications extérieures. Elle était dans son droit, elle agissait en grande compagnie industrielle. Elle a commencé par acquérir le chemin de Guillaume-Luxembourg, qui traverse le grand-duché appartenant au roi de Hollande et qui aboutit aux portes de Spa, sur le territoire belge. Jusque-là nulle difficulté, la fusion est accomplie depuis un an ; mais ce n’était qu’une entrée de jeu conduisant à une plus vaste combinaison. D’un côté, la compagnie française, poursuivant son travail d’extension, se mettait en mesure d’acquérir le chemin qui, à travers le Luxembourg belge, va jusqu’à Bruxelles en passant par Namur. D’un autre côté, elle négociait, ou, sans paraître elle-même, elle faisait négocier auprès du gouvernement belge pour obtenir une concession qui devait lui permettre d’aller de Spa au chemin de fer liégeois-limbourgeois, disposé à traiter aussi avec elle, et de gagner de cette façon le réseau néerlandais, avec lequel elle s’était déjà entendue. Ainsi, par cette double combinaison, la compagnie française de l’Est allait être en possession de la grande voie allant de Luxembourg à Bruxelles et d’une ligne ininterrompue reliant les ports hollandais, le grand-duché, la France et la Suisse.
Sur ce dernier point, il n’y a pas réellement de question, puisque le cabinet de Bruxelles a refusé la concession qu’on lui demandait pour opérer la jonction nécessaire entre les divers tronçons ; il ne reste donc que le chemin du Grand-Luxembourg, qui a été l’objet d’un traité formel de cession entre les actionnaires belges et la compagnie française. Au premier bruit de cette négociation, il y a trois mois, le gouvernement belge, répondant à une interpellation dans les chambres, avait déclaré, il est vrai, qu’il ne sanctionnerait pas une cession de ce genre ; on ne persistait pas moins dans cette œuvre de fusion, où le Grand-Luxembourg était représenté par son président, un homme d’état de la Belgique, un ancien ministre, M. Victor Tesch, et on persistait d’autant plus qu’on croyait sans doute venir à bout des résistances du gouvernement ou éluder les difficultés. C’est alors que le cabinet de Bruxelles, pressé par la conclusion de l’affaire, un peu froissé peut-être de cette espèce de défi, s’est hâté de porter aux chambres un projet de loi qui ne lui donne pas de facultés nouvelles, puisqu’il a incontestablement, comme représentant de l’état, les pouvoirs nécessaires pour empêcher les fusions, mais qui régularise ces pouvoirs en l’autorisant à séquestrer au besoin les chemins de fer récalcitrans, et en réservant d’ailleurs la décision des tribunaux appelés à prononcer sur la validité des transactions des compagnies. De là est venu tout le bruit, parce qu’à travers la question de chemin de fer on a cru voir la politique, et tout a fini par la confusion.
Le gouvernement belge a-t-il eu tort, a-t-il eu raison ? La question peut être discutée à perte de vue. Les considérations économiques dont s’est prévalu le président du conseil de Bruxelles, M. Frère-Orban, ces considérations ne sont certainement pas incontestables, et elles ont trouvé plus d’un contradicteur en Belgique même. Est-il vrai que la ligne de Rotterdam en France et en Suisse menace le port d’Anvers ? Est-il vrai que la compagnie de l’Est, en devenant la maîtresse du Grand-Luxembourg, tienne à sa merci, par ses combinaisons de tarifs, les intérêts belges qui fourmillent dans les bassins de la Meuse ? — Mais la ligne de Rotterdam n’enlève pas au port d’Anvers sa position privilégiée et tous les autres moyens de communication dont il dispose. La compagnie française substituée à la société du Luxembourg belge n’est pas affranchie des statuts acceptés par les concessionnaires primitifs ; elle ne peut se permettre en matière de tarifs que ce que la compagnie belge peut faire elle-même aujourd’hui ; elle ne pourrait innover sans être rappelée à ses obligations. De plus il est bien clair que, par cette espèce de prohibition, le gouvernement belge se donne un assez mauvais vernis ; il a l’air de rompre avec une tradition de libéralisme commercial et industriel. Il n’encourage pas les capitaux étrangers, et par le fait, en refusant à des chemins comme le Grand-Luxembourg et le Liégois-Limbourgeois, qui ne font pas bien leurs affaires, en refusant à ces chemins la possibilité de se sauver par leur propre initiative, par une fusion où ils trouvent leur avantage, il se met dans l’obligation de les sauver par le rachat ou par toute autre combinaison ; il assume jusqu’à un certain point la responsabilité de la crise où se débat l’industrie des voies ferrées en Belgique. Il s’engage dans une voie dangereuse, d’autant plus dangereuse qu’étant lui-même propriétaire de chemins de fer il apparaît tout à la fois comme représentant de la puissance publique et comme concurrent des Intérêts privés. Voilà ce qu’on peut dire de la mesure récemment proposée et adoptée. Dans tous les cas, que la mesure fût bonne ou mauvaise, il n’est point douteux que les Belges étaient les premiers juges, que le gouvernement de la Belgique était dans son droit en sauvegardant comme il l’entendait les intérêts du pays, en refusant de livrer deux artères nationales à une grande compagnie étrangère. Il n’a fait que ce que le gouvernement français ferait sans nul doute en pareil cas, et ce que personne ne songerait à lui reprocher. Imagine-t-on la ligne de Boulogne à Paris entre les mains d’une compagnie anglaise siégeant à Londres, ou la ligne de l’Alsace entre les mains d’une compagnie prussienne qui serait à Cologne ! Le gouvernement belge a eu raison ou tort au point de vue de ses intérêts, il a simplement exercé sa souveraineté. C’est là pourtant ce qu’on a élevé à la hauteur d’un mauvais procédé, d’un acte d’hostilité contre la France ; c’est à propos d’un fait si peu extraordinaire qu’on s’est évertué pendant une semaine à représenter la Belgique comme hérissée dans sa neutralité taquine, mieux encore, comme soumise à l’influence de la Prusse, qui serait intervenue secrètement pour l’aiguillonner, pour l’animer à la résistance !
Voilà en vérité une puérile querelle qu’on fait à la Belgique ! Mais, dira-t-on, la preuve que le gouvernement belge a obéi à une pensée de défiance et de malveillance, c’est qu’il refuse aujourd’hui à la compagnie de l’Est ce qu’il a autrefois accordé à la compagnie française du Nord. Sans doute le Nord français possède quelques fragmens de voie ferrée en Belgique ; il va de Givet à Liège, d’Erquelines à Charleroi, de Maubeuge à Mons. Seulement ce sont des fragmens, et lorsqu’en 1856 le Nord français voulut étendre la ligne de Mons jusqu’à Manage avec le dessein de pousser plus tard jusqu’à Bruxelles, le gouvernement belge s’y opposa ; il se fondait justement sur a les inconvéniens que pouvait avoir au point de vue des intérêts généraux du pays une extension trop grande de l’exploitation des chemins de fer belges par une compagnie étrangère très puissante. » On ne voyait pas là un mauvais procédé en 1856 ; c’est la même pensée aujourd’hui. Ce qui est vrai, c’est que le gouvernement belge n’a peut-être pas montré dans cette question toute la maturité nécessaire, il s’est laissé emporter. Il a présenté une loi générale, toute de principe sans doute ; mais il l’a présentée à propos d’un cas spécial, lorsqu’il avait déjà des pouvoirs suffisans pour réprimer un empiétement, pour éviter toute surprise, et en proposant la loi avec une précipitation impatiente, il a paru agir comme s’il avait quelque chose à craindre, comme s’il se trouvait à l’improviste sous le coup d’un péril pressant. Avait-il des raisons d’agir ainsi ? Il ne l’a pas dit, et par cela même il a provoqué toutes les interprétations, les soupçons, les incertitudes, que les réticences un peu solennelles du rapporteur de la chambre des représentans n’ont fait que confirmer. Le ministère belge, pour tout dire, ne s’est pas comporté en tacticien de sang-froid sur ce champ de bataille un peu difficile, et il en portera peut-être la peine. Il a obtenu une pleine victoire dans les chambres en faisant voter sa loi à une grande majorité, parce que c’était une affaire où on avait intéressé le sentiment national, mais le lendemain l’opposition s’est trouvée assez forte dans le sénat pour rejeter sans discussion le budget du ministère de la justice. N’était-ce pas comme une revanche indirecte du vote précipité que le patriotisme n’avait pu refuser ? Le ministère de Bruxelles pourrait donc s’être créé plus d’une difficulté pour un résultat médiocre. D’autre part, n’y a-t-il pas eu une absurde exagération dans le bruit qui s’est fait en France autour de cette petite loi belge ? Peu s’en est fallu véritablement qu’on ne dût marcher sur Bruxelles pour assurer à la compagnie de l’Est la possession du chemin de fer du Grand-Luxembourg. Quoi donc ! parce que la Belgique croit devoir refuser sa sanction souveraine à une fusion entre deux sociétés industrielles, la France serait offensée dans son honneur et dans sa dignité ? Notre gouvernement aurait à s’émouvoir du refus essuyé par une compagnie, et devrait modifier son attitude vis-à-vis de la Belgique ! Nos intérêts seraient en péril ! Il ne resterait plus à voir dans la Belgique qu’une avant-garde de la Prusse dévouée à d’inévitables représailles !
Sans entrer dans l’analyse des faits économiques qui pourraient fixer la valeur de la combinaison à laquelle on a paru attacher un si grand prix, en restant sur le terrain politique, comment ne reconnaît-on pas que c’est justement cette fusion projetée qui aurait pu aider la Prusse à pénétrer en Belgique à notre suite ? Nous ne voyons pas trop en effet ce qu’on aurait pu répondre à la société du chemin de fer prussien qui va aujourd’hui à Aix-la-Chapelle, si cette société, invoquant l’exemple de la compagnie de l’Est, était venue à son tour proposer une fusion au Grand-Central belge, qui part de la frontière allemande pour aller à Anvers. Notez que ce n’est pas une simple hypothèse ; M. Malou, président du Grand-Central belge et membre du sénat, a dit clairement que cette combinaison avait été proposée, et qu’elle avait été rejetée. Comment pourrait on continuer à repousser les Prussiens, si on accédait à la fusion négociée par la compagnie française ? Ce jour-là, il faut en convenir, l’indépendance, belge se trouverait prise dans une singulière étreinte. La Belgique a compris autrement sa neutralité indépendante, et elle a eu raison, non-seulement dans son intérêt, mais dans l’intérêt de tout le monde ; elle a senti que, pour avoir une valeur, pour être une garantie, sa neutralité devait rester sérieuse, effective, et que, pour demeurer telle, elle devait être affranchie des prépotences industrielles aussi bien que des prépotences politiques. S’il est des esprits qui comprennent autrement la situation de la Belgique, c’est qu’ils ont une arrière-pensée ; ils se font une neutralité belge à leur usage, toute mélangée d’union douanière, d’union industrielle, même peut-être d’union militaire, et, le jour où ils trouvent une résistance, il leur semble que la Belgique manque à tous ses devoirs ; ils lui marquent un mauvais point, ils sont heureux de mettre un grief en réserve pour l’avenir. La Belgique cependant ne fait que rester fidèle à elle-même en défendant la position qui lui a été créée, et ce n’est pas en vérité sa faute si, aux yeux des Hercules de la polémique annexioniste, son existence libre et indépendante ressemble à une injure, à un acte d’hostilité ou à un mauvais procédé, lorsqu’elle devrait au contraire être considérée comme une garantie pour la France.
Restons dans le vrai. Certes personne n’oserait dire quel rôle la Belgique, malgré sa neutralité, peut être appelée à jouer dans les événemens qui sont encore sous le voile de l’inconnu. Ce n’est pas la loi sur les chemins de fer qui est de nature à exercer une influence décisive et à modifier sensiblement cet avenir. En quoi une fusion d’intérêts entre deux compagnies industrielles pourrait-elle favoriser une invasion, — c’est toujours le grand mot sous-entendu, — lorsqu’il suffirait de couper quelques rails, de bouleverser une voie, pour déconcerter tous les plans fondés sur ce tout-puissant et fragile moyen d’action ? En quoi la séparation systématique de deux chemins de fer empêcherait-elle l’entrée d’une armée envahissante, si la pensée d’une telle entreprise existait réellement ? En lui-même, cet incident belge n’est rien : il a fait plus de bruit qu’il ne valait, il est passé déjà comme sont passés bien d’autres incidens qui l’ont précédé, et il est douteux que le gouvernement français tienne beaucoup à le prolonger aujourd’hui ; mais il est grave parce qu’il ravive le sentiment de ces incertitudes où s’épuise l’Europe depuis quelques années, parce que c’est un symptôme de plus d’une phase politique où tout est devenu possible, où c’est peut-être d’un incident imprévu que dépend la paix universelle. On a beau pallier de son mieux les dissonances des relations actuelles du continent, cette absence totale de droit public, ce règne de la force, les animosités ou les incompatibilités qui subsistent ; on a beau s’ingénier à recouvrir cette vaste confusion d’un voile d’intentions pacifiques : il faut bien en fin de compte que le pays sache où il va, surtout au moment où il approche des élections. La vérité est que, plus les incidens se multiplient, et ils sont à peu près inévitables, plus les chances de paix deviennent précaires, et on en arrive à ce point où, quand on a gagné quelques mois, quelques semaines, on croit avoir tout gagné. Voilà l’état que nous ont légué des événemens contre lesquels les récriminations seraient oiseuses sans doute, qui n’appartiennent à l’heure présente que par les conséquences qu’ils peuvent avoir encore. Or ces conséquences, pourquoi se faire illusion ? elles peuvent se déchaîner à tout instant ; elles n’ont pas éclaté à l’occasion du conflit turco-hellénique, elles n’ont pas fait explosion à propos de l’affaire belge ; elles peuvent se précipiter demain. On le sent, on le dit tout bas, on s’y prépare de toutes parts, et on s’abandonne à cette fatalité qui conduit les choses depuis que la prévoyance des hommes ne les dirige plus.
Comment en serait-il autrement ? Il s’agite depuis trois ans en Europe un problème qui est le secret de quelques volontés, de quelques politiques réduites à s’observer et à se surveiller. Il est né par la toute-puissance de la guerre une de ces situations violentes où tout est en suspens, où rien n’est à sa place, où chacun attend l’heure favorable pour faire un pas en avant ou pour prendre une revanche. La politique française, on le sent aujourd’hui, porte la peine de ce qu’elle a fait ou plutôt de ce qu’elle n’a pas fait et de ce qu’elle a laissé faire en 1866. Elle est dans la condition de toutes les politiques qui ont vu leurs desseins audacieusement biffés par de foudroyantes catastrophes, et elle se recueille en ruminant ces programmes où elle déclarait qu’elle « repoussait toute idée d’agrandissement territorial tant que l’équilibre européen ne serait pas rompu, » qu’on ne pourrait songer « à l’extension de nos frontières que si la carte de l’Europe venait à être modifiée au profit exclusif d’une grande puissance… » Elle ne peut se dissimuler que, dans cette série d’événemens qui ont commencé il y a trois ans, elle a proposé et d’autres ont disposé, que l’Autriche n’a pas conservé tout à fait « sa grande position en Allemagne, » que les états secondaires de la confédération germanique ont acquis « une union plus intime, une organisation plus puissante, » que la Prusse s’est donné u plus d’homogénéité et de force, » mais tout cela à notre détriment. Et si nous rappelons ces déclarations de la lettre impériale du 11 juin 1866, ce n’est point par un stérile plaisir de réminiscence historique, c’est parce que ces programmes sont en réalité le point de départ d’une situation qui est restée la même depuis le lendemain de la guerre d’Allemagne, où il n’y a eu d’autre modification que d’immenses armemens accumulés dans l’attente de la crise définitive pour laquelle tout le monde se prépare. La politique française a certainement sa part dans ce trouble invétéré de l’Europe, qu’elle entretient parce qu’elle n’est pas satisfaite, et il y a un homme qui avec tout son bonheur a, lui aussi, plus que tout autre une responsabilité singulière : c’est M. de Bismarck, c’est le tout-puissant vainqueur de 1866.
La responsabilité de M. de Bismarck, c’est de n’avoir pas eu une clairvoyance supérieure dans la victoire, et d’avoir entretenu au sein de l’Europe une incohérence violente qui peut être une menace pour son œuvre elle-même. Il a vaincu, nous le voulons bien ; il a montré une habileté hardie et sans scrupules tant qu’il s’est agi de préparer la lutte où il se disposait à engager son pays. Qui peut dire cependant encore que cette grandeur prussienne dont il a été à un moment donné l’heureux instrument soit désormais à l’abri de toute atteinte ? Au fond, malgré bien des apparences, c’est une question de savoir si M. de Bismarck est un joueur audacieux ou si c’est un homme d’état fait pour consolider par la puissance de son esprit politique l’œuvre qu’il a entreprise par sa hardiesse. Nous ne voulons certes méconnaître ni l’énergie ni la légitimité du mouvement de transformation qui emporte l’Allemagne ; mais c’est justement la faiblesse du premier ministre du roi Guillaume d’avoir fait une œuvre prussienne bien plus qu’allemande, d’avoir saccagé l’Europe par son ambition, sans répondre entièrement aux vœux et aux aspirations de l’Allemagne, d’être arrivé aujourd’hui à ce point où de nouveaux et plus vastes conflits sont à chaque instant près d’éclater. La guerre, M. de Bismarck ne la désire pas sans doute, il ne l’appelle pas, il sent bien que la paix lui est nécessaire, et il proteste chaque jour de la pureté de ses intentions. Il veut la paix, c’est possible ; seulement il a mis la guerre partout, il a créé partout des impossibilités en faisant une Allemagne qui ne peut ni rester telle qu’elle est, ni achever de se transformer, — en procédant par la conquête, par l’annexion violente au lieu d’aider par une politique libérale aux assimilations volontaires, en suscitant autour de lui des ennemis sans les désarmer ou sans les satisfaire, et en réalité il est peut-être moins avancé aujourd’hui qu’il ne l’était il y a deux ans. C’est que M. de Bismarck a bien su conspirer pour remporter la victoire ; après l’avoir obtenue, il n’a pas su l’organiser, l’affermir, la rendre compatible avec un certain ordre européen. On l’a comparé quelquefois à Gavour ; il n’a ni le libéralisme, ni la largeur de conception, ni le coup d’œil diplomatique, ni la finesse du premier ministre qui a fait l’Italie. En agrandissant la Prusse, il a fait les affaires de son pays, il ne fait pas les affaires de l’Allemagne, parce que la conquête et le despotisme sont de dangereux instrumens pour accomplir cette transformation de l’Allemagne, qui ne peut se réaliser avec sûreté que par l’adhésion volontaire des peuples, par la liberté des institutions ; il a préparé une situation à laquelle il suffit de mettre le feu, voilà tout. À quoi est arrivé M. de Bismarck, et qu’a-t-il fait réellement depuis trois ans ? Il a tout compliqué, il n’a rien dénoué. Il a annexé à la monarchie prussienne des provinces qui étaient hier des royaumes ou des états indépendans, il ne les a pas moralement soumises. Il a pratiqué la politique qu’il résumait avec crudité quand il disait, il y a deux ans, à un ancien ministre hanovrien : « Nous ne supporterons pas la résistance, nous la briserons… Je conseille instamment à vous et à vos amis politiques de ne pas nous provoquer ; vous rencontreriez une énergie vis-à-vis de laquelle vous n’êtes pas de force. » M. de Bismarck se moquait agréablement à cette époque des procédés d’assimilation de la race latine. Le fait est qu’il a ses procédés à lui qui n’ont pas complètement réussi, et les discussions qu’il soutient depuis quelques jours dans les chambres prussiennes, les discours irrités ou habiles qu’il a prononcés, les mesures rigoureuses auxquelles il a eu recours contre le roi de Hanovre, contre l’électeur de Hesse, montrent assez qu’il ne croit pas lui-même être arrivé au bout de toutes les difficultés, et c’est là effectivement ce qui est caractéristique. La domination prussienne a pu s’établir, elle ne s’est pas popularisée. Dans les provinces annexées, il y a une résistance sourde qui, sans se traduire en faits crians, ne persiste pas moins. Francfort a soutenu pour ses intérêts municipaux, pour ses propriétés, une longue lutte qui s’achève à peine, si tant est qu’un don de 3 millions doive trancher le différend, et la vieille ville libre n’est pas à coup sûr parfaitement réconciliée avec sa nouvelle destinée. En définitive, dans ces parties de l’Allemagne devenues si récemment prussiennes, il y a toujours un vague malaise, une opposition qui ne va pas jusqu’à l’hostilité déclarée, mais qui se maintient, et le gouvernement de Berlin, dans tout l’orgueil de sa force, sent bien que sa conquête n’est pas achevée, qu’une crise nouvelle pourrait peut-être la remettre en péril. Il recueille ce qu’il a semé par une politique d’assimilation qui n’a rien en effet des procédés de la « race latine, » de sorte que, malgré toutes les garanties de succès, la fusion n’est rien moins que complète en Prusse. — C’est là surtout que le puissant ministre de Berlin a manqué de l’initiative féconde, de la prévoyance libérale d’un Cavour, de même que dans son œuvre diplomatique, dans les relations à fonder, il a manqué d’une intelligence supérieure des intérêts avec lesquels il avait à traiter.
M. de Bismarck a voulu, sinon détruire l’Autriche, du moins l’effacer pour longtemps, l’exclure de l’Allemagne, afin d’assurer à la Prusse une prépondérance absolue. Il a réussi pour un moment en apparence. Seulement il n’a pas vu que cette puissance qu’il humiliait sans l’abattre complètement, à laquelle il laissait le ressentiment de sa défaite, elle pourrait se relever, se refaire, réparer ses forces, et c’est ce qui est arrivé en effet. C’est le travail auquel s’est consacré M. de Beust avec une sagacité singulière, avec une patiente et habile dextérité. Dès son avènement au pouvoir, selon le mot d’une brochure curieuse qui a paru récemment à Vienne sous le voile de l’anonyme, « il reconnut qu’il fallait réorganiser la monarchie, que par là seulement on arriverait à lui rendre vis-à-vis de l’étranger le prestige perdu, et que son influence au dehors dépendrait du succès que l’on obtiendrait à l’intérieur. » Et par le fait, sans être arrivé au bout de son œuvre, M. de Beust a tout au moins réussi en partie par la complète et sincère réconciliation de la Hongrie ; il est parvenu à refaire à l’Autriche une aisance nouvelle, un crédit nouveau. Ce n’est pas que l’Autriche soit disposée à user de ce retour de fortune pour se jeter aventureusement dans tous les conflits : par goût, par expérience, elle se défie des aventures ; mais enfin elle a des souvenirs, des ressentimens, des intérêts, qui ne l’appellent pas dans le camp prussien, et tout ce que pourrait tenter la Prusse pour lui susciter des ennemis parmi les populations slaves, roumaines, ne ferait que la pousser dans d’autres alliances. Ce qu’il y a de plus étrange, c’est qu’au lieu de reconnaître cette situation et de tout faire pour l’apaiser, M. de Bismarck n’a rien négligé pour l’aigrir, de telle façon que, si l’Autriche n’est point encore pour la Prusse une ennemie déclarée, elle est tout au moins une vaincue qui ne demande pas mieux que de prendre sa revanche, une antagoniste avec laquelle il faudra désormais compter.
C’est surtout vis-à-vis de la France que cette politique cassante et hautaine du victorieux de Berlin a montré peu de prévoyance, et c’est là en définitive qu’est le nœud des complications actuelles de l’Europe. Quelles sont les relations de la France et de la Prusse ? Assurément nous en croyons sur parole M. de Bismarck lorsqu’il déclare, comme il le faisait l’autre jour dans la chambre des seigneurs, que la Prusse ne veut pas faire la guerre à la France, qu’elle n’a que des desseins pacifiques. La guerre n’est pas dans le langage, ni même dans les intentions, si l’on veut ; elle est dans les choses, dans l’état moral et politique créé par les événemens de 1866, dans cet état que le ministre prussien était le premier intéressé à pacifier, et qu’il n’a fait qu’irriter par ses actes, par son attitude. Nous ne cherchons pas, nous ne voulons plus chercher ce qui s’est passé à l’origine entre les cabinets de Paris et de Berlin Nous ne demandons plus s’il y a eu des réclamations qui étaient dans l’esprit de la lettre impériale du 11 juin 1866, et qui n’ont pas été accueillies. Ce qui est certain, c’est qu’un politique habile et prévoyant eût immédiatement senti la nécessité de ne pas laisser se développer les malaises, s’aigrir les antagonismes entre les deux pays ; il se serait préoccupé de détourner la seule chance sérieuse de conflit qui pût menacer l’œuvre prussienne à peine accomplie. Ce qui est certain encore, c’est que le jour où s’est produite l’affaire du Luxembourg, cette mince acquisition de territoire était à coup sûr pour la France une médiocre satisfaction, si médiocre qu’il n’y a même pas à la regretter ; mais il y avait là une occasion qu’un véritable homme d’état n’aurait pas dû laisser échapper, car c’était assurément désarmer pour longtemps la France à peu de frais. M. de Bismarck ne l’a pas voulu, ou, s’il y a pensé, lui l’homme hardi, il n’a pas osé ; il a reculé devant une petite concession qui était une victoire pour lui plus que pour nous. Il a cru pouvoir tenir tête à tout le monde et rester en équilibre au milieu de toutes les rivalités, de tous les intérêts.
Il en est résulté cette situation progressivement envenimée où l’Allemagne ne peut rester visiblement ce qu’elle est, et où elle ne peut faire un pas sans se heurter infailliblement contre la France, où la paix universelle dépend d’un incident grec, d’un incident belge, peut-être de quelque incident badois. — C’est le roi de Hanovre qui fait courir ces bruits de discorde européenne, dit tranquillement M. de Bismarck ; ce sont les malveillans qui mettent le télégraphe dans leurs intérêts et qui répandent de fausses nouvelles, qui répètent par exemple que tout récemment on a rasé les glacis de Mayence comme à la veille d’une entrée en campagne. Il est bien possible, puisque M. de Bismarck le dit, qu’on n’ait fait que transplanter quelques arbres de la promenade de Mayence. La question n’est pas là précisément ; la question est de savoir pourquoi et à quel titre les Prussiens sont à Mayence, qui n’est plus une forteresse fédérale, qui appartient à la Hesse-Darmstadt, et qui n’est pas dans la partie du grand-duché affiliée à la confédération du nord. La question est de savoir comment, tout étant changé en Allemagne, il ne reste d’invariable que la prédominance militaire de la Prusse jusque dans les états du sud, jusque sur nos frontières. Voilà la question qui n’est pas résolue, qui n’a même pas été abordée encore, sans doute avec intention, mais qui peut surgir d’un instant à l’autre, quand on le voudra, parce qu’il est bien clair que l’état actuel ne peut se prolonger indéfiniment entre deux puissances dont l’une n’a pas renoncé assurément à ses projets sur l’Allemagne tout entière, dont l’autre n’a pas pris son parti des blessures faites à sa politique. Que faut-il pour allumer le conflit ? Moins qu’une allumette cette fois, moins qu’un incident belge. À vrai dire, il n’y a qu’une chose qui conspire aujourd’hui pour la paix. Nous ne parlons pas de la puissance des intérêts, de l’honneur de la civilisation. Il y a une autre chose encore, c’est le sentiment poignant de responsabilité qui retient les hommes avant d’engager la lutte dans de telles conditions, lorsque depuis trois ans on accumule les armemens, les ressources militaires, les moyens de destruction. Tout le monde sent qu’avec les forces dont on dispose, avec les passions qui s’agitent, avec les animosités qu’on a laissées se développer, la guerre qui peut éclater n’est pas une guerre ordinaire. Rien n’est malheureusement plus vrai, ce ne sera pas seulement le choc de deux armées, ce sera le choc de deux peuples, et voilà la belle situation où la politique de M. de Bismarck a contribué à placer l’Europe. Il y a de quoi réfléchir, nous en convenons, et c’est à ces deux grands pays d’Allemagne et de France qui peuvent être exposés à expier les fautes qu’on a commises en leur nom, c’est à ces deux grands pays de savoir, de dire s’ils veulent jusqu’au bout s’abandonner à la fatalité qu’on leur a si bien préparée.
Pour le moment, ce ne sont pas ces affaires qui se discutent. On détourne les yeux de cet état de l’Europe dont on pressent l’aggravation sans vouloir y regarder de trop près. On laisse la conférence ensevelir selon les formes le conflit gréco-turc dans les papiers diplomatiques où dorment les protocoles. On n’insiste plus sur cet incident belge, qui ne peut avoir de suites sérieuses, que le gouvernement lui-même ne tient pas sans doute à exagérer. L’attention est absorbée un peu par les élections, qu’on entrevoit à travers tout, beaucoup par les discussions du corps législatif sur l’administration de la ville de Paris, et certainement ces discussions offrent un spectacle curieux, presque dramatique. Comment caractériser ce qui se passe depuis quelques jours dans le corps législatif ? C’est sans contredit une victoire des chambres, une victoire de la raison publique, de l’esprit de contrôle, du sentiment de la légalité ; c’est, pour tout dire, une exécution parfaitement nette, parfaitement impitoyable, de M. le préfet de la Seine. Cette exécution, M. Thiers l’a commencée dans un de ces discours sensés, pratiques, transparens, qui dévoilent tous les aspects des questions les plus obscures ; M. Picard l’a continuée avec une hardiesse incisive ; des membres de la majorité l’ont poursuivie avec une modération et une compétence qui ne laissaient pas de la rendre plus cruelle ; elle a été achevée enfin par le gouvernement lui-même, par M. Rouher, arrivant le dernier pour changer la face de la lutte, et c’est justement ce qui fait l’intérêt de ce débat singulier, instructif, où pour la première fois peut-être l’opposition et le gouvernement ont paru se rencontrer dans le sentiment d’une nécessité politique. Ce qui peut arriver après cela de M. le préfet de la Seine, nous ne le savons trop ; il est homme à se retourner, à se porter encore fort bien après avoir été exécuté ; on peut tout attendre d’un administrateur qui, au moment même où ses actes étaient soumis au corps législatif, trouvait en lui-même la suffisance de signer un de ces traités qui sont précisément l’objet des plus sévères censures. Ce qui reste de l’administration de M. Haussmann, c’est un monceau d’irrégularités depuis longtemps signalées par la presse, dénoncées à la tribune législative, avouées désormais par le gouvernement, mal justifiées par la transformation de Paris.
Cette transformation de Paris, nous ne la nions pas. Elle a été célébrée par le ministre de l’intérieur, M. de Forcade La Roquette ; elle a été approuvée par M. Thiers lui-même, avec ce correctif toutefois qu’on a fait toutes les choses inutiles et qu’on n’a pas fait toutes celles qui auraient été le plus immédiatement utiles. Cette transformation n’est donc pas en question, au moins pour ce qu’il y avait de nécessaire. Était-ce cependant une raison pour qu’elle fût accomplie, précipitée, en surmenant les finances de la ville de Paris, en passant par-dessus toutes les lois, toutes les règles tutélaires de l’administration municipale ? M. de Forcade La Roquette est un homme distingué, entendant les affaires et les exposant avec clarté ; il ne croit pas sans doute que la cour des comptes, pour expliquer les opérations de la ville de Paris, puisse se contenter de l’anecdote de ce général prussien, M. de Moltke probablement, qui à l’aspect des beautés de Paris disait aux officiers de son état-major : « Nous avons montré que nous étions une grande puissance, nous apprenons ici ce que c’est qu’une grande nation. » M. le ministre de l’intérieur pense-t-il que M. Lagrange le républicain et M, Nadaud, le maçon représentant du peuple en 1848, soient de fortes autorités politiques et économiques ? M. de Forcade peut-il se persuader à lui-même enfin que, pour absoudre les impatiences dictatoriales d’un administrateur, il suffise de leur donner une couleur démocratique, de les justifier par la nécessité de faire des jardins, des promenades, dt s squares pour le peuple, pour le pauvre ? C’est la mode aujourd’hui, même dans certaines régions officielles, de faire de ces distinctions entre pauvres et riches, de vouloir s’attribuer le privilège d’un libéralisme populaire par opposition à un libéralisme bourgeois. On fait la guerre aux libertés parlementaires, chères à la bourgeoisie, au nom des libertés populaires, des libertés sociales. M. de Forcade est un esprit assez sérieux et assez élevé pour ne pas glisser, même par inadvertance, dans cette logomachie, qui, à vrai dire, ne couvre pas bien les opérations entreprises par M. le préfet de la Seine.
Ce que pensait le gouvernement, même après le discours, d’ailleurs remarquable, de M. de Forcade, on ne le savait pas encore. Heureusement M. Rouher est venu, et il a déchiré tous les voiles, il a soufflé sur toutes les fictions. M. le ministre d’état a certainement accompli un des actes les mieux faits pour honorer un homme public, et il l’a accompli avec une éloquence doublée par la sincérité ; cet acte, c’est une confession générale, c’est un aveu non pas dépouillé d’artifice, mais hardi et habile des fautes de M. le préfet de la Seine ; si M. Haussmann était présent, il a dû trouver que M. le ministre d’état faisait résolument les choses. M. Rouher n’a pas accepté sans doute toutes les critiques de l’opposition, il a reconnu la justesse des principales, et pour une fois il s’est rencontré avec M. Picard. Ainsi donc c’est entendu aujourd’hui, selon M. Rouher lui-même, il est très vrai que l’administration de la ville de Paris, en lançant dans la circulation pour 465 millions de bons de délégation, a dépassé toute mesure et a commis une irrégularité grave ; il est très vrai qu’elle a disposé sans droit de sommes qui lui étaient remises comme dépôts de garantie ; il est très vrai qu’en émettant pour 159 millions de bons de la caisse des travaux de Paris lorsqu’on n’était autorisé à en émettre que pour 100 millions, on a commis une irrégularité non moins sérieuse. Enfin il reste acquis que M. le préfet de la Seine poursuivait le cours de ses irrégularités en signant au moment même de la discussion du corps législatif un de ces traités à l’aide desquels il a si longtemps alimenté ses ressources, et ce traité, le gouvernement est décidé à ne pas l’approuver. Que les sommes d’argent obtenues par ce système d’irrégularités aient été consacrées à des travaux réels et sérieux, là n’est point la question. La question est dans la violation permanente de la loi, et cette violation opiniâtre, audacieuse, de la loi, M. Rouher l’a confessée, en affirmant, au nom du gouvernement, la résolution de ne pas recommencer. En d’autres termes, c’est une liquidation accompagnée du serment de ne plus faire de dettes. C’est au corps législatif aujourd’hui de maintenir l’autorité de l’engagement nouveau pris devant lui, de ne plus laisser s’énerver ce droit de contrôle qui vient de lui être rendu. L’autre jour, avant la séance des aveux, M. le ministre de l’intérieur, qui a eu la tâche ingrate de défendre ce que M. le ministre d’état a fini par livrer, M. de Forcade disait aux membres du corps législatif quelque chose qui ressemblait à peu près à ceci : « Mais ces travaux, ils ont été faits au grand jour, vous les avez vus s’accomplir. Ils étaient en principe dans la loi que vous avez votée en 1858, on les en a fait sortir, et vous n’avez rien dit. » La leçon était peut-être un peu dure, et elle a coûté assez cher. Dans tous les cas, elle est un avertissement pour le corps législatif, bien prévenu désormais qu’il ne doit plus voter des lois vagues d’où l’on peut faire sortir pour 465 millions de travaux supplémentaires, qu’il est tenu d’exercer énergiquement son droit de contrôle, et le dénoûment même de toute cette affaire prouve victorieusement qu’il y a une chose plus forte que la volonté la plus tenace, c’est l’autorité de la loi, c’est la puissance de l’opinion s’attachant à la défense des garanties publiques. En M. Haussmann, c’est l’arbitraire administratif qui est vaincu, et cet exemple peut servir à tout le monde, au gouvernement lui-même, qui a su habilement esquiver une défaite en livrant un de ses agens.
Les discussions législatives se déroulent d’ailleurs un peu partoutaujourd’hui. Le parlement anglais vient de se réunir, il a voté son adresse après une conversation rapide, comme il arrive toujours dans ces cas-là en Angleterre, et maintenant il se dispose à aborder les grandes questions qui lui seront bientôt soumises, notamment celle de l’église d’Irlande, qui va réveiller la lutte des partis, qui ramènera infailliblement M. Disraeli au combat contre M. Gladstone. En Italie, à Florence, on discute le budget sans grand péril pour le ministère, même quand la discussion prend une tournure politique. Un des plus curieux incidens de ces débats a été celui qui a eu lieu récemment dans la chambre des députés à propos du rétablissement des grands commandemens militaires, qui avaient été supprimés depuis la guerre de 1866. Chose curieuse, cette mesure n’a pas été très vivement combattue, elle a même été appuyée par M. Rattazzi, qui s’est séparé de la gauche dans cette affaire. Le lieutenant ou l’émule de M. Rattazzi dans le commandement de l’opposition, M. Crispi, a saisi cette occasion d’aborder les questions étrangères, et il a naturellement tracé le programme de la politique de l’Italie dans le cas où un conflit éclaterait prochainement en Europe. L’Italie, selon lui, doit se renfermer dans une stricte neutralité. Le général Ménabréa a écouté ce programme, et il n’a rien répondu ; il a laissé M. Crispi exposer son opinion en gardant pour lui le secret des résolutions que l’Italie aurait à prendre en face d’une crise où tout dépendrait des événemens. Et à la rigueur le général Ménabréa ne savait peut-être pas beaucoup mieux que M. Crispi ce que pourra faire l’Italie.
L’Espagne n’a pas à se préoccuper de ces perspectives de conflits européens qui tiennent les esprits en éveil au-delà des Alpes. L’Espagne a bien assez pour le moment de ses propres affaires. Voilà quinze jours déjà que les certes constituantes sont réunies à Madrid : on ne peut pas dire précisément que l’assemblée espagnole n’ait rien fait encore ; elle a vérifié les pouvoirs de ses membres, elle a entendu les discours, les confessions successives des chefs du gouvernement provisoire ; elle a vu se livrer quelques escarmouches qui n’ont pas manqué de vivacité, notamment un petit débat des plus animés entre le ministre de l’intérieur et les orateurs républicains. Somme toute cependant, la besogne n’a guère avancé, et l’Espagne n’est pas mieux instruite de ce qu’elle doit devenir. Le seul résultat bien clair de ces quinze jours de session, c’est que la chambre s’est définitivement constituée avec M. Rivero pour président, et qu’après bien des tâtonnemens, bien des luttes intimes, on a fini, de guerre lasse, par charger le général Serrano de former un gouvernement. Le général Serrano s’est hâté d’user des pouvoirs qui venaient de lui être accordés pour confirmer le ministère qui existait, de sorte que par le fait rien n’est changé. Quelle signification politique a ce dénoûment ? Il n’en a aucune ; il prouve qu’on aurait pu difficilement s’entendre pour faire autre chose, pour concilier des ambitions rivales, et que faute de mieux le provisoire va continuer. Combien de temps ce provisoire continuera-t-il ? Il durera sans doute jusqu’à ce qu’une secousse violente vienne contraindre les chefs de la révolution à prendre un parti. L’Espagne n’est malheureusement encore qu’au début des crises à travers lesquelles elle retrouvera son assiette dans des institutions régulières et libres.
ESSAIS ET NOTICES.
vol. in-18, Michel Lévy, 1869.
Vous vous souvenez bien, et qui donc pourrait l’oublier ? de cette cavalière et spirituelle boutade d’Alfred de Musset faisant sa déclaration d’amour à la poésie et aux vers, « cette langue immortelle, » que le monde entend sans la parler et qui a cela pour elle
La poésie en effet, c’est la forme exquise et privilégiée de l’imagination. C’est la langue du sentiment, de la passion, des visions sublimes ou gracieuses, de tout ce qu’il y a de plus intime, de plus inavoué dans l’âme humaine, de tout ce qui se refroidirait et se décolorerait dans la prose, et le temps où la poésie disparaîtrait, où elle cesserait de trouver de l’écho, ce temps-là serait bien malheureux ; il aurait perdu un de ses organes, sa faculté la plus brillante. Ou dit bien quelquefois sans doute que la poésie s’en va, que le grand Pan est mort ; la poésie peut avoir des éclipses, elle ne meurt pas si vite ni si aisément, même au milieu de tous les triomphes du progrès matériel ; elle trouve toujours un asile dans les cœurs de bonne volonté, dans les imaginations choisies. Des poètes parlant la langue des vers, il y en a encore, et il y en aura tant que les hommes sentiront en eux-mêmes la puissance de l’émotion, le goût des choses délicates. M. Édouard Pailleron est un de ces esprits bien faits qui ne désertent pas la poésie, la langue des vers, ou qui ne lui font que de passagères infidélités. Il y a trois mois, il est vrai, dans une ingénieuse invention, le Monde où l’on s’amuse, il montrait qu’il savait, lui aussi, parler en prose d’une façon alerte et vive ; mais au même instant il se préparait à livrer devant le public du Théâtre-Français son grand et heureux combat des Faux ménages, cette hardie et poétique comédie taillée dans la vie contemporaine, et aujourd’hui, sans se reposer dans le succès, il publie ses vers de jeunesse, la gerbe de deux ou trois saisons sous le titre d’Amours et haines. Il est fidèle aux vers.
Il y a toujours de l’intérêt à suivre un jeune talent dans ses manifestations variées, dans son développement. Les Faux ménages ont dépassé d’un seul coup tout ce que M. Pailleron avait fait jusqu’ici, et les vers qu’il publie aujourd’hui, qui ont précédé les Faux ménages, révélaient déjà un progrès sur ses premiers essais dramatiques. Il y a de la jeunesse dans ce recueil, où l’on retrouvera plus d’un morceau qu’on a pu lire dans la Revue, et l’auteur peut dire, lui aussi :
Tu naquis à ton tour, ô jeune poésie !
De la première larme et du premier baiser.
Non, tu ne mourras pas, langue à jamais sacrée…
Vous voyez bien qu’elle n’est pas près de mourir, la langue sacrée, si elle doit vivre jusqu’au dernier baiser et jusqu’à la dernière larme. Les vers de M. Pailleron ont de la vivacité, du nerf, de la bonne humeur et une grâce un peu leste. Ce n’est point du tout un poète de lamentations, il aime mieux sourire, et il sait aussi s’attendrir ; mais il a de ces attendrissemens mêlés d’une aimable ou piquante ironie qui glissent sans appuyer, de même qu’il a quelquefois des indignations sans fiel et sans âcreté. C’est de la poésie d’une franche et vive nature. Ce livre d’Amours et haines, avec ses fragmens, les uns tout intimes, les autres humoristiques, ce livre lui-même est visiblement l’œuvre d’une imagination faite surtout pour se déployer au théâtre. M. Pailleron a le vers prompt et facile, allant droit au but, le vers de la bonne comédie. Il vient de prouver qu’à un goût d’idéal il joint le sens de la réalité. Il a l’amour des choses hardies et la haine de la banalité. Voilà bien des conditions pour réussir et pour garder jusque dans le succès ce généreux aiguillon qui soutient un talent bien doué, qui fait les bons poètes sur la scène comme dans les œuvres d’une fantaisie toute personnelle et intime.
CH. DE MAZADE.
Au moment où les réunions libres se sont prises à discuter avec plus ou moins de logique et de modération la question si grave et si souvent controversée de l’indissolubilité du mariage, un professeur à la faculté de Dijon, M. Tissot, connu déjà par d’importans travaux sur la psychologie, a publié un livre dans lequel il emploie l’érudition la plus étendue et la plus variée à combattre notre législation relative au mariage. Il demande que le divorce remplace dans nos lois la séparation de corps, palliatif insuffisant, et dont il fait ressortir tous les inconvéniens. Pour attaquer l’indissolubilité du mariage, l’auteur se place volontiers sur le terrain de la tradition, du droit naturel et de l’équité. Après avoir successivement exposé les principes qui, dans les sociétés anciennes, à Jérusalem, à Athènes, à Rome, réglèrent la puissance du lien conjugal, M. Tissot exprime cette opinion, que les doctrines de l’Évangile semblent autoriser, dans certains cas, la séparation entre les époux. Saint Paul, saint Augustin, un grand nombre de théologiens des premiers siècles, des conciles même, interprétèrent en ce sens les paroles mises par les évangélistes dans la bouche du Christ. Plus tard, la cour de Rome s’efforça de substituer en cette matière ses dogmes aux institutions civiles. Elle représenta le mariage comme un acte purement religieux, comme un sacrement imprimant à l’union entre les époux un caractère d’indélébilité que la mort seule pouvait effacer. Propagée par le clergé, cette doctrine prévalut dans les consciences, et s’introduisit d’abord dans les mœurs, puis dans la législation. Des souverains plièrent. L’union entre époux fut désormais indissoluble.
M. Tissot se montre donc peu disposé à croire qu’à l’origine les lois purement religieuses qui imposèrent l’indissolubilité du mariage aient eu en vue des exigences politiques ou des nécessités sociales : son opinion paraît fondée, du moins pour la France. Ce ne serait pas une raison toutefois de ne voir dans le mariage qu’une union entre deux personnes demeurées maîtresses de reprendre plus tard et d’un consentement mutuel chacune son entière liberté d’action. Outre les dangers que ferait courir à la morale sociale la trop grande facilité accordée aux conjoints de se séparer pour convoler à de nouvelles noces, il convient de tenir compte des intérêts matériels de toute nature engagés dans la question, et l’on ne saurait légitimement dénier à la société un droit de surveillance sur les actes accomplis dans son sein et par ses membres. Le mariage n’est pas seulement une affaire de sentiment et d’affection, un simple contrat de bonheur mutuel passé entre deux personnes; il engage aussi de graves intérêts qui concernent non-seulement les époux eux-mêmes et les enfans à naître, mais encore la politique sociale et l’équilibre intérieur des états. M. Tissot rappelle des calculs statistiques qui ont établi que les cas de séparation de corps sont incomparablement plus nombreux dans les classes aisées que dans les classes pauvres. Que l’on songe aux embarras sans nombre qui entraveraient le libre maniement de la fortune publique, si des cas fréquens de divorce et de double mariage, trop facilement autorisés, venaient chaque année soustraire à la circulation une certaine partie des fortunes privées, immobilisées pendant un temps plus ou moins long en faveur des enfans mineurs de parens divorcés.
L’état de mariage donne naissance d’ailleurs à une situation privilégiée qui provient non du droit naturel, mais de certaines prescriptions purement légales. Les enfans nés dans cet état jouissent de droits plus étendus; certaines stipulations particulières, interdites ailleurs, sont autorisées dans le contrat de mariage; la loi confère aux époux, dans des conditions déterminées, le droit d’hériter l’un de l’autre. N’est-elle pas fondée à imposer certaines obligations à ceux qui ont profité de ses faveurs? Elle ne serait injuste que si ses exigences dépassaient les nécessités réelles de l’ordre public, nécessités qui différent suivant la constitution sociale de chaque état. Dans une société aristocratique par exemple, la famille, dont tous les membres se groupent autour d’un chef commun pour augmenter son influence et son indépendance politique, ne saurait être ébranlée sans danger. Il importe dans ce cas que le mariage, base de la famille, demeure intact. Dans certaines sociétés démocratiques au contraire, on tient peu à conserver aux familles leur importance et les moyens de rester indépendantes. Dès lors la loi qui proscrit le divorce peut, en certains cas, se départir de sa rigueur.
Ces indications suffisent pour démontrer que dans la question de l’indissolubilité du mariage ce ne sont pas seulement les existences particulières qui se trouvent en jeu, et que, tout en tenant grand compte du bonheur des individus, il importe aussi d’examiner jusqu’à quel point les tempéramens qui seraient apportés à nos lois n’auraient pas une influence funeste sur l’avenir politique et économique du pays, et par conséquent dans quelle mesure. le divorce peut être toléré sans danger. Au reste, quelque opinion que l’on professe à cet égard, le livre de M. Tissot demeure toujours un ouvrage des plus sérieux, abondant en recherches, fertile en argumens, qui doit offrir un égal intérêt à ceux qui se montrent les partisans et à ceux qui demeurent les adversaires des opinions de l’auteur.
P. DE CHAMBARLHAC.
Il est d’usage de se défier un peu des récits de voyages. Lors même que l’on fait au narrateur l’honneur d’avoir confiance en sa véracité, on conserve encore quelques doutes sur l’exactitude de ses observations. Aussi y a-t-il un attrait de curiosité à savoir ce que des étrangers racontent de notre pays : c’est en quelque sorte la contre-épreuve des impressions que nos compatriotes rapportent d’une excursion au-delà de nos frontières. Les erreurs qu’un Américain commet en rendant compte de ce qu’il a vu chez nous doivent être l’exacte contre-partie des faux jugemens que nous pouvons craindre de la part de ceux d’entre nous qui ont visité l’Amérique.
Qu’on lise, par exemple, l’intéressant petit volume que M. Robert Tomes a publié récemment à New-York après un séjour de deux années à Reims. Ce qui frappe le plus le voyageur américain aurait échappé à tous les touristes français qui auraient visité la Champagne en même temps que lui. Dès l’arrivée, après un trajet en chemin de fer à grande vitesse qui l’amène sain et sauf avec tous ses bagages aux portes de Reims, se figure-t-on qu’il va se déclarer satisfait? Nullement. « Les employés du chemin de fer, dit-il, et les gendarmes sont polis, mais tracassiers. Ils vous soumettent à une sorte de discipline militaire, vous font marcher à la file et attendre jusqu’à ce qu’ils aient fini de se tortiller la moustache et qu’ils soient prêts à vous laisser sortir. Tout cela est systématique; c’est peut-être nécessaire, mais ce n’est pas agréable. » Notre auteur est homme à préférer partout les allures indépendantes et désordonnées aux habitudes contraintes et bien réglées, Rencontre-t-il des lycéens en promenade un jour de fête : « Ces pauvres enfans, écrit-il, m’ont souvent fait pitié; ils marchaient toujours en ordre deux à deux, et me semblaient, avec leur uniforme d’un bleu sombre, une procession funéraire allant à un enterrement. Les amusemens, même pour les élèves les plus âgés, ont toujours quelque chose d’enfantin; ils ne jouent jamais au cricket. S’ils se querellent, au lieu de vider la difficulté à coups de poing, ils ont recours à leurs maîtres, qui apaisent les disputes. Ce système fait peut-être ce que les mères appellent de gentils garçons, il ne produit pas des hommes vigoureux. »
M. Tomes s’étonne encore que les Français soient si ignorans en géographie. A l’en croire, hors de leur « belle France, » ils ne connaissent rien ; on lui a demandé plusieurs fois, paraît-il, s’il était venu des États-Unis par terre ou par mer. Je soupçonnerais presque que ces bévues l’ont surtout frappé parce qu’elles blessaient son amour-propre patriotique. Ne pas savoir ce que c’est que l’Amérique est évidemment à son avis le comble de l’ignorance, de même qu’un provincial s’indigne si l’on ne connaît pas la capitale de son département. Au surplus, il rencontre souvent de quoi s’étonner. Nos mariages de convenance lui paraissent n’être qu’une forme légale de la débauche la plus vulgaire. Il a observé que les jeunes filles bien élevées ne sortent dans les rues qu’en compagnie de leurs parens ou d’une servante d’âge respectable. « Les jeunes gens de la ville sont assurément très corrompus, ajoute-t-il ; je ne sais si la vertu des jeunes filles est assez solide pour résister à la mauvaise influence des plus légères relations avec eux; mais je sais bien qu’aucune mère n’en veut courir le risque. »
Voilà comme on nous juge d’un point de vue américain. On surprendrait peut-être beaucoup M. Tomes en lui disant que, malgré deux années de séjour dans une ville de province, il n’a pas vu nos mœurs sous leur vrai jour, et qu’il a pris trop au sérieux les propos légers de table d’hôte. Entre lui et nous, il y a l’épaisseur de doubles préjugés, les siens et les nôtres. Pénétrer au cœur d’une société à laquelle on est étranger par la langue, la naissance ou les habitudes exige plus de temps que l’on ne pense. Combien d’hommes, et non des moins perspicaces, demeurent étrangers même en leur pays natal! Il n’est pas besoin d’aller jusqu’en Amérique pour découvrir un écrivain qui se laisse prendre aux apparences, et qui s’imagine écrire l’histoire du temps présent en enregistrant les propos du jour. Toutefois ces petits récits prennent une plus vive saveur sous une plume exotique. Nos mœurs y apparaissent déformées comme les objets que l’on regarde dans un miroir convexe.
H, BLERZY,
L. BULOZ.