Chronique de la quinzaine - 14 septembre 1868

Chronique n° 874
14 septembre 1868


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 septembre 1868.

La France, par la faute des hommes ou par la fatalité des choses, se débat en vérité dans une des situations les plus inexplicables qu’elle ait traversées depuis longtemps. Elle a beau s’ingénier à comprendre ce qui se passe autour d’elle et en elle-même, elle unit par ne plus savoir où elle en est, et elle se sent d’autant plus agitée, d’autant plus inquiète, que tous les efforts qu’on prodigue pour la rassurer n’aboutissent qu’à épaissir l’obscurité. Elle ne peut faire un pas sans se heurter contre des sphinx devant lesquels elle perd son aplomb, non certes par une défaillance d’énergie ou de patriotisme, mais parce que son bon sens est troublé et humilié des confusions et des contradictions qu’on laisse trop souvent s’introduire dans la politique. À quoi peut-elle s’arrêter dans ce tourbillon au sein duquel elle vit ? Si on lui parle de la guerre, elle repousse évidemment cette idée ; elle se sent attachée à la paix de toute la force de ses instincts et de ses intérêts. Si on lui parle de la paix, elle voudrait y croire, mais elle n’y croit pas ; elle entrevoit la guerre à travers les déclarations embrouillées et insuffisantes par lesquelles on cherche à la tranquilliser ; elle se défie en un mot, et un des signes les plus caractéristiques de cet état maladif de l’opinion, c’est assurément la facilité avec laquelle tous les bruits sont accueillis, exagérés ou dénaturés, sans doute parce que tout est considéré comme possible. Nous en sommes venus à ce point qu’un régiment ne peut être déplacé ou rappelé d’Afrique sans qu’on le voie aussitôt en marche sur le Rhin, et qu’il ne peut y avoir une adjudication de poudre de chasse au ministère des finances sans qu’on mette cette innocente poudre, qui ne doit tuer que du gibier, au compte des approvisionnemens de la prochaine campagne. Et c’est tout simple : le vice incurable des situations fausses, c’est qu’elles prêtent à toutes les conjectures et encouragent toutes les crédulités. Il y a quinze jours à peine pourtant que dans un banquet périgourdin, à la suite du conseil-général, M. Magne, en bon ministre des finances, proclamait la nécessité et les bienfaits de la paix, à laquelle tout le monde est jaloux de rendre hommage. Celui-là devait le savoir, car il a dans les mains le nerf de la guerre, et il n’est pas disposé à le livrer à son terrible collègue le maréchal Niel. Eh bien ! M. Magne avait à peine ouvert devant son conseil-général ces flatteuses perspectives d’une paix durable que de tous les coins de l’horizon les nuages montaient de nouveau, que tous les bruits se remettaient à courir dans l’air, que tous les incidens étaient interrogés avec crainte, et plus que jamais l’opinion retombait dans ses perplexités, se demandant où est la vérité, où est la certitude.

À coup sûr, tout n’est pas également grave parmi les incidens qui passent à l’horizon de l’Europe, et que l’imagination publique se plaît à grossir quelquefois. Il y a les vrais « points noirs » immobiles et menaçans qu’il n’est pas facile de dissiper, et il y a ce qu’on pourrait appeler les petits nuages, des questions qui peuvent sans doute un jour ou l’autre prendre une certaine importance selon les événemens, mais qui par le fait ne se rattachent que d’une manière très indirecte à la situation générale. Quand on a vu récemment une difficulté s’élever entre la Hollande et la Prusse au sujet de la navigation du Rhin, on s’est dit tout naturellement, puisqu’il s’agissait du Rhin, que c’était là peut-être le commencement, et du premier coup d’œil on a vu se dessiner les choses, la Prusse menaçant la Hollande, la France allant au secours des Hollandais ; c’était le signal de la grande lutte. Au fond, la question était vraiment plus simple. La Hollande, on le sait, est en possession des bouches du Rhin, et par la convention de Mayence, qui remonte à 1831, elle s’est engagée à maintenir libre jusqu’à la mer la navigation de deux de ces branches rhénanes, le Leck et le Waal. Ce n’est pas sur ce point que la difficulté s’est produite. Seulement, lorsqu’on a négocié un nouveau traité, la Prusse a demandé qu’on ajoutât aux deux embouchures déjà livrées à la navigation la Meuse et la Meerwede. Il en résultait que quelques-uns des fleuves intérieurs les plus importans de la Hollande passaient sous le contrôle et la juridiction des puissances riveraines, parmi lesquelles la Prusse jouait le principal rôle.

C’est là que le cabinet de La Haye a résisté. À la rigueur sans doute cette résistance a eu un mobile politique. La Hollande, depuis les agrandissemens prussiens, est restée dans un certain état d’émotion et de susceptibilité ; elle n’a pas voulu livrer ses fleuves à ceux contre qui elle pouvait avoir à les défendre, et il n’est point impossible d’un autre côté qu’elle n’ait été encouragée d’une façon plus ou moins avouée par quelque autre puissance, de telle sorte que jusqu’à un certain point, si l’on voulait, on pourrait voir dans cette affaire spéciale comme une ébauche d’un antagonisme plus général, comme un élément de complications plus étendues. En réalité cependant, la question n’a pas eu le temps de s’aggraver ; la négociation a été suspendue avant qu’on en vînt là, et, sans être dénué d’une certaine signification, le différend de la Hollande et de la Prusse n’est pas du moins arrivé à prendre le caractère d’une difficulté politique précise et saisissable. C’est un « point noir » à écarter.

Et n’en est-il pas de même de cet autre incident qui est devenu un thème de polémiques et d’explications, de ce projet tendant à faire la contre-partie de la confédération allemande du nord par une fédération douanière, militaire, si ce n’est politique, de la France, de la Belgique, de la Hollande et de la Suisse ? Évidemment l’imagination publique est portée aujourd’hui aux grandes combinaisons, elle les accueille sans difficulté, presque sans examen, au risque de dépasser singulièrement la réalité. Cette pensée de créer un système fédératif par l’union de la France avec les états qui l’entourent, particulièrement sans doute avec l’un de ces états, cette pensée ne s’est-elle présentée à aucun esprit depuis deux ans ? Ce serait certainement beaucoup dire. Notre nouveau ministre plénipotentiaire à Bruxelles, M. de La Guéronnière, passe notamment pour être fort partisan de ces idées, et, si cette circonstance suffisamment connue n’a pas déterminé le choix qu’on a fait de lui comme représentant de la France en Belgique, elle n’a pas empêché sa nomination ; mais enfin, on peut le dire, il n’y a point eu de négociations, il n’y a eu aucune communication véritable de gouvernement à gouvernement, il n’a pu y avoir qu’une supposition fondée sur un vœu présumé et secret dont la réalisation rencontrerait assurément bien des difficultés dans les dispositions et dans les intérêts des pays conviés à cette fédération. La Hollande, malgré les craintes qu’elle éprouve quand elle tourne ses regards vers la Prusse, ne consentirait point à entrer ainsi d’avance dans des combinaisons qui ne feraient peut-être que hâter les complications et provoquer les dangers qu’elle redoute. La Belgique craindrait visiblement que l’union douanière ne prît bientôt un autre caractère, et elle se tient pour satisfaite de sa neutralité indépendante. Elle s’est défendue d’entrer dans cette voie fédérative même sous la monarchie de juillet, et quelques lettres récemment publiées du roi Léopold, père du souverain actuel, témoignent des susceptibilités qui furent autrefois le principal obstacle à des combinaisons de ce genre : à plus forte maison, la Belgique résisterait-elle aujourd’hui. D’ailleurs ceux qui croient ces combinaisons si faciles semblent ne pas se douter des impossibilités financières et économiques devant lesquelles on se trouve. Il faudrait donc que la France, dont les finances sont déjà si fatiguées, consentît à voir tomber son revenu des tabacs, et comment le remplacerait-elle ? Il faudrait que la Hollande et la Belgique, elles aussi, pussent renoncer à une partie de leurs ressources en perdant leurs droits d’entrée sur les vins français. Tout cela est possible, mais n’est vraiment pas facile. Ce qui pourrait atténuer la force de ces considérations économiques et changer cette situation est naturellement hors du domaine des conjectures rationnelles et des moyens diplomatiques ordinaires. Ce qu’on peut dire provisoirement, c’est qu’il ne paraît y avoir eu jusqu’ici aucune démarche directe et précise. Il n’y a eu aucune pression exercée par la France pour arriver à la réalisation d’un plan politique, et de ce côté encore tout est au repos ; il n’y a pas de bien gros nuages, du moins il ne s’est rien produit qui soit de nature à justifier de fiévreuses alarmes, rien qui ressemble à la recherche impatiente d’un succès diplomatique ou mieux encore à un préliminaire de guerre. A étudier ainsi, à décomposer des faits particuliers, on trouve bien vite que, réduits à leurs vraies proportions, ils n’ont plus qu’une signification partielle et secondaire.

Que reste-t-il donc pour expliquer cet état de panique perpétuelle où vit l’opinion, cette incrédulité à la paix qui est la maladie tenace et résistante du moment ? En dehors de faits particuliers qui ne sont rien, il reste une situation générale qui s’obstine, qui s’aggrave justement parce qu’elle se prolonge sans s’éclaircir, et où tout ce qui arrive, tout ce qui se produit est avidement saisi comme un signal attendu ou redouté. Il reste cette tension plus ou moins habilement dissimulée, mais réelle, entre deux politiques qui, au moment même où elles se font des caresses officielles, semblent toujours prêtes à se heurter. Il reste en un mot la question des rapports généraux entre la France et l’Allemagne, représentée par la Prusse. Tant que cette question ne sera pas résolue ou restera-dans ses termes actuels, la défiance persistera, et la situation ne fera malheureusement que s’envenimer. Il s’agit encore une fois de savoir si on veut la guerre ou la paix, et d’où peut venir le signal. Il est bien certain, on peut le voir facilement, que personne ne veut prendre l’initiative. Pendant que nous faisons des discours pacifiques, la Prusse congédie ses réserves, et ajourne de trois mois l’appel de son contingent militaire de l’année ; de part et d’autre, on tient à garder de bonnes apparences, et c’est là encore un hommage rendu à l’humanité, à la civilisation, à ce grand intérêt européen qui s’appelle la paix. Seulement chacun garde visiblement son arrière-pensée, et là est le danger. Allons un peu plus au fond.

D’où peut venir aujourd’hui la guerre ? Ce qui est bien certain, c’est que le désir de la paix est assez général et très vif en Allemagne, et on peut croire ce désir sincère, puisqu’il a pour garantie le sentiment d’un intérêt évident. La Prusse, cela est bien aisé à voir, se renferme dans une réserve trop habile, trop soigneuse, pour n’être pas calculée ; elle évite, on le sent, tout ce qui pourrait créer une difficulté, tout ce qui pourrait enflammer les impatiences nationales ou donner de l’ombrage aux autres puissances ; elle, s’abstient même depuis quelque temps de trop parler. Et de fait pourquoi la Prusse se jetterait-elle légèrement, témérairement, dans une guerre qu’elle sait bien devoir être sérieuse, malheureusement peut-être acharnée, le jour où elle éclatera ? Les événements ont comblé ses ambitions, et laissent l’avenir ouvert devant elle. Avant de songer à cet avenir et de se remettre en chemin, elle a tout au moins à se rasseoir, à relier les provinces qu’elle s’est appropriées, à pousser autant que possible cette assimilation qu’elle a entreprise, et tout le monde sait que l’œuvre est loin d’être accomplie, qu’il y a des antagonismes et des intérêts tenaces, qu’à Francfort, dans le Hanovre notamment, la Prusse rencontre des résistances que la lourde main de sa bureaucratie ne suffit pas à désarmer, de telle sorte que le cabinet de Berlin a infiniment plus à gagner par la paix que par la guerre. Sans doute en Prusse comme partout il y a des passions ardentes qui appellent un conflit, loin de le redouter. Il y a un parti national impatient de compléter l’unité allemande, il y a un parti militaire impatient de nouvelles batailles et nourrissant l’ambition de se mesurer avec la France ; mais ce parti national voit assez clair pour comprendre que ce serait la plus insigne des folies de risquer dans une bataille ce qui a été si miraculeusement obtenu, et ces officiers, justement fiers de ce qu’ils ont fait, pleins de confiance en eux-mêmes, sont retenus par la crainte de voir, à la suite d’extensions nouvelles, trop d’élémens étrangers envahir l’armée prussienne. Au fond, toutes les passions belliqueuses ou ambitieuses qui peuvent s’agiter encore en Allemagne sont notoirement dominées par le sentiment d’une nécessité pacifique, par toute sorte de considérations dont la première est qu’il ne faut rien risquer et surtout rien provoquer. Qu’on laisse aujourd’hui l’Allemagne à elle-même, elle ne prendra certainement pas l’initiative d’une agression.

Toute la question est de savoir si cette agression peut venir de la France, et c’est justement dans cette question que réside la responsabilité du gouvernement français ; c’est sur ce point que s’épaissit chaque jour une savante obscurité. La France ne rêve que la paix, ne veut que la paix, on le répète de toute façon dans les discours et dans les articles de journaux. Si elle s’est armée d’une manière formidable, c’est uniquement pour sa sûreté et par une légitime précaution défensive en présence des agrandissemens des autres puissances. Elle ne songe qu’à maintenir l’équilibre de l’Europe, à assurer l’inviolabilité du droit et des traités. Malheureusement c’est ici que commencent l’équivoque et le danger. En fait et laissant de côté toute phrase, il y a devant nous une situation très nette, parfaitement claire, quoique difficile à définir et à limiter. Il y a un mouvement commencé en Allemagne, et commencé sous les yeux de la France, tout au moins avec son assentiment tacite jusqu’ici ; il y a une grande nation tendant à son unité, et qui ne se désistera pas de son ambition, dût-elle être déplaisante pour nous. Voilà le fait éclatant. Allemagne du nord et Allemagne du sud sont des démarcations qui subsistent encore, qui peuvent subsister quelques années, si l’on veut, mais qui peuvent aussi disparaître en un instant par l’accord des divers états, et l’on voit déjà à quel point le grand-duché de Bade y est disposé. Il s’agit de savoir ce qu’on veut faire en présence de ce mouvement. Si par exemple la France croit de son intérêt et de son droit de ne pas souffrir que l’unité allemande aille plus loin et que la ligne du Mein disparaisse, elle a eu raison de s’armer et, en parlant toujours de la paix, de prévoir la guerre, parce qu’il est bien clair que l’Allemagne ne s’arrêtera pas, et au besoin elle pourra invoquer cet article du traité de Prague qu’on lui oppose sans cesse : « Le lien national qui pourra réunir les états situés au-delà du Mein avec la confédération de l’Allemagne du nord demeure réservé à une entente ultérieure des deux parties. » La vérité est qu’on se débat au milieu de toutes les impossibilités qu’on a laissé accumuler, et dans cette situation progressivement aggravée la pire des politiques serait assurément une politique d’à peu près et d’illusions, de réticences et de velléités intermittentes.

La plus dangereuse des chimères serait sans nul doute celle-ci. On peut faire des hypothèses ; M. Schneider, comme président du corps législatif, a prétendu un jour qu’elles étaient permises. Faisons donc notre hypothèse. On se sera dit peut-être que bien des fautes avaient été commises dans ces affaires d’Allemagne, que la France n’était pas très sûre d’avoir voulu tout ce qu’elle avait permis, qu’il en résultait pour elle, sinon un affaiblissement réel de puissance, du moins une diminution de prestige, et que tous les mécomptes de la politique extérieure réagissaient d’une façon sensible, douloureuse, sur la politique intérieure. Comment réparer ces mécomptes ? On ne pouvait, par une évolution subite, se retourner contre tout ce qu’on avait eu l’air de favoriser, on le pouvait d’autant moins qu’on n’avait pas une force militaire suffisante. Il n’y avait qu’un moyen, gagner du temps, refaire la puissance militaire de la France, et se présenter dans cette attitude nouvelle devant l’Europe, laisser pressentir la limite de la modération sans se compromettre, avancer pas à pas en faisant acte d’ascendant au besoin, bien montrer qu’on était prêt à tout. Alors de deux choses l’une : ou la Prusse se tenait tranquille, ajournant ses dernières ambitions, et on avait reconquis un certain prestige sans que la paix fût troublée, ou bien la Prusse, se croyant menacée, se laissait emporter, et on était prêt à faire la guerre sans l’avoir provoquée. Si c’était là un système préconçu, qu’on nous permette de le dire, il serait presque candide, puisqu’il supposerait une Prusse assez aveugle pour ne pas voir que sa plus grande habileté dans un pareil cas serait de se tenir immobile, de se dérober en quelque sorte, et de se réfugier dans la tranquille possession de ce qu’elle a conquis. Qu’en résulterait-il pour nous ? La gloire douteuse d’une démonstration dans le vide, d’un acte d’ostentation qui ne résoudrait rien, qui ajournerait seulement la difficulté, puisqu’il laisserait intacte la question de savoir si nous sommes les amis ou les adversaires de l’Allemagne nouvelle, et qui n’aboutirait qu’à faire peser indéfiniment sur la France le poids d’un armement aussi onéreux que magnifique. Le mot de ce système, c’est l’indécision sous une autre forme, sous une apparence de force, cette indécision qui a déjà laissé tant de traces dans notre politique extérieure, et qui n’est pas le caractère le moins sensible de notre politique intérieure.

Assurément, depuis quelques années, notre situation intérieure s’est singulièrement compliquée, non-seulement par le réveil d’opinion qui se manifeste avec une si vive intensité, mais encore parce que devant ce mouvement croissant des esprits on a hésité, on a louvoyé, lorsque la tactique la plus simple, la plus habile et la plus efficace était de marcher d’un pas ferme et assuré dans cette voie où l’on entrait, de faire une sincère et large part à la spontanéité de cette opinion qu’on se décidait à affranchir des tutelles administratives. L’indécision est la plus vaine des politiques, disons-nous ; elle est certes aussi laborieuse que la politique la plus résolue, et elle ne rapporte pas ce qu’elle coûte. Elle met le gouvernement dans cette maussade situation de ne pas même recueillir les avantages des concessions qu’il fait. A quoi ont servi jusqu’ici au gouvernement ses velléités libérales mal assurées ? Elles n’ont eu d’autre effet que de l’engager dans de mauvaises affaires où il a toujours l’air de retirer ou de restreindre ce qu’il avait accordé. C’est ce qui lui arrive dans tous ces procès de presse qui se succèdent au point de ne plus laisser de loisirs à la magistrature. C’est ce qui lui est arrivé dans ces deux procès pour les réunions électorales de Nîmes et d’Alais. Les deux condamnations qui ont été prononcées ne donnent à coup sûr aucune force à l’administration. Elles ajoutent peut-être à ses moyens d’action par une interprétation plus restrictive du droit de réunion privée, elles n’ajoutent rien à son autorité morale. Il en résulte entre l’opinion et le gouvernement une lutte qui tend chaque jour à devenir plus vive, et dont le résumé est aujourd’hui l’élection du Var, cette élection où M. Dufaure est le candidat de l’opposition.

Que M. Dufaure soit nommé ou qu’il ne soit pas nommé, la lutte engagée à Toulon n’aura pas moins eu son importance ; elle reste comme un résumé de ce que seront les élections prochaines, elle a mis en jeu les forces des diverses opinions indépendantes ralliées sous une inspiration libérale en face de l’administration, résolue plus que jamais, on le dirait, à maintenir les candidatures officielles. Tout dépend en grande partie, il est vrai, du degré de consistance que prendra ce rapprochement des opinions qui s’opère sous le nom d’union libérale, et, on peut le voir déjà, l’union libérale, née à peine d’hier, est l’objet d’attaques partant des camps les plus opposés. C’est une coalition, disent avec colère les amis du gouvernement, et il est bien certain qu’à un point de vue supérieur les coalitions ont toujours par elles-mêmes un caractère équivoque. Par leur nature, elles sont moins une combinaison politique permanente qu’un expédient, un moyen de guerre, et c’est ce qui fait qu’elles ne sont admissibles qu’en certaines circonstances exceptionnelles ; mais c’est là précisément aussi ce qui les rend irrésistibles, parce qu’elles sont le résultat d’une nécessité, parce qu’elles sont imposées par toute une situation, et ici c’est le gouvernement lui-même qui justifie cette combinaison formée sous le nom d’union libérale. Il la justifie doublement, par ses candidatures officielles et par son système de circonscriptions électorales.

Qu’on y songe bien, c’est là la seule raison d’être d’une coalition comme celle qui est à l’œuvre aujourd’hui. Lorsque le gouvernement, au lieu de laisser le pays choisir en liberté ses représentans, se jette tout entier dans un camp avec ses moyens d’action, ses employés, ses ressources, son influence, quel autre moyen reste-t-il aux partis indépendans que de se réunir pour rétablir un certain équilibre et soutenir la lutte dans des conditions un peu moins inégales ? Les opinions sont obligées sans doute à des sacrifices mutuels ; mais elles sont liées par un intérêt commun, l’intérêt de l’indépendance dans les élections, et en mettant sur leur drapeau ce qui les rapproche, elles se taisent sur ce qui les divise. Cette coalition ne serait pas même possible ou elle n’apparaîtrait plus que dans ce qu’elle peut avoir d’équivoque, s’il n’y avait pas de candidat officiel, si en face des partis libéraux il n’y avait qu’un candidat du parti conservateur, agissant spontanément sous sa responsabilité et dans des conditions d’égalité, choisissant lui-même son représentant, et le soutenant par ses moyens propres, par sa propre force. L’administration, par ses procédés, n’aboutit ainsi qu’à atténuer dans une certaine mesure le caractère d’indépendance chez le candidat qu’elle patronne et à légitimer les combinaisons auxquelles ses adversaires peuvent avoir recours pour le combattre ; mais c’est encore plus peut-être par le système des circonscriptions électorales que le gouvernement justifie l’alliance des opinions indépendantes. Autrefois l’arrondissement électoral, tel qu’il était organisé, supposait du moins entre les électeurs des rapports habituels, des relations possibles, des intérêts communs. Aujourd’hui c’est une combinaison purement numérique et tout artificielle. Dans une même circonscription se trouvent des cantons appartenant à des arrondissemens différens, des villes rivales, des populations éparses qui ne se connaissent même pas, parce qu’elles sont séparées quelquefois par des distances de 50 kilomètres et plus. Seul le gouvernement est partout, agissant sur tous les points à la fois, parlant à chacun un langage différent, se portant médiateur entre les intérêts rivaux. Il en résulte que les partis n’ont qu’un moyen de contre-balancer cette énorme puissance, d’atténuer les inconvénient du système : c’est de se concerter, de s’allier, de se confondre sous un même drapeau, de suppléer à l’insuffisance de leurs moyens matériels par la propagande des idées, et c’est ainsi que cette combinaison qui s’appelle l’union libérale naît tout à la fois de la situation créée par le gouvernement et de ce mouvement d’opinion qui se produit depuis quelque temps au nom de la liberté.

Il ne faut pas s’étonner d’ailleurs de ce bruit qui s’élève un peu de toutes parts et sous toutes les formes dans ce moment de renaissance publique. Les régimes de compression et de silence, qui se font toujours l’illusion de venir à propos pour réparer le tempérament éprouvé d’une société, ont de ces effets étranges, qui ne peuvent pas même être imprévus, et qui sont à peu près inévitables. Ils ne transforment pas autant qu’ils le croient la vie d’un peuple, ils la suspendent tout au plus pour quelques années en s’efforçant d’en détourner le cours. Ils ne tranchent pas, comme ils en ont la prétention, les questions redoutables qui ont occupé les esprits ou mis les passions aux prises, ils les ajournent sans les résoudre, en les compliquant au contraire quelquefois. Ils ne suppriment pas les événemens par lesquels ils se sont fondés, ils les recouvrent d’un voile et les dérobent à la discussion, jusqu’à ce que le jour vienne où, le régime étant à bout, les événemens sont interrogés de plus près, les passions, les problèmes, les intérêts, se réveillent, si bien qu’on a l’air de recommencer une histoire interrompue, de renouer le fil des choses. Comme ce moine espagnol professeur d’université qui avait été enfermé pendant des années et qui remontait dans sa chaire, comme Luis de Léon, on se surprend à répéter : « Je vous disais hier ! » On en est là un peu de toute façon ; sans méconnaître bien des choses qui ne peuvent plus s’effacer, on revient presque involontairement à la page du livre où le signet avait été mis de main de maître. C’est ce qui explique ces retours vers le passé, vers les origines du régime actuel. De ce 2 décembre accompli en un jour d’hiver, on n’a guère parlé depuis dix-sept ans, et, si on en avait parlé, ce qu’on aurait pu en dire n’eût pas excité peut-être une bien forte impression, tant le courant était ailleurs. On peut en parler aujourd’hui avec certains détails, on s’y intéresse comme si c’était un événement d’hier ; c’est que tout est changé, c’est qu’un souffle nouveau s’élève, c’est que la période du sommeil est achevée. De là le succès de ces livres de M. E. Ténot, Paris en décembre 1851, — la Province en décembre 1851, — que l’auteur n’aurait pas pu publier il y a dix ans, et qui ont maintenant un retentissement inattendu, parce qu’ils tombent au milieu d’une société occupée à s’interroger, à se chercher elle-même, à débrouiller l’obscurité de son histoire contemporaine. Elle en a pour quelque temps, et elle aura besoin d’être confessée plus d’une fois, cette société, avant d’avoir la conscience nette sur bien des choses.

Ce que raconte l’auteur n’est point sans doute absolument nouveau. Les anecdotes, les détails qu’il recueille n’étaient point inconnus : ils ont alimenté les conversations du temps, ils ont formé cette histoire courante, insaisissable, qui échappe à toutes les censures, mais c’est pour la première fois que ces événemens sont éclaircis pour le public, qu’ils sont montrés dans leur ensemble, dans leur vérité comme dans leur redoutable logique. Ces livres de M. Ténot ont de plus le mérite, il faut le dire, d’être écrits avec une sincérité très simple sous laquelle on sent l’émotion, avec un zèle patient d’exactitude qui a la juste prétention de ne rien défigurer, de rassembler des matériaux encore plus que de retracer une histoire définitive. L’auteur raconte les faits le plus souvent avec les témoignages officiels, et les poursuit en province comme à Paris ; il laisse parler les hommes, il les montre à l’œuvre, et il en ressort un tableau aussi instructif que saisissant dans sa nudité, qui n’est point précisément de nature à faire aimer les révolutions dans aucun sens. On a raconté, si nous nous souvenons bien, qu’un jour, peu après 1851, M. le duc de Broglie, qui venait d’être reçu à l’Académie française et qui avait parlé avec une modération éloquente du 18 brumaire, avait fait la visite d’usage aux Tuileries comme nouveau membre de l’Institut. L’empereur lui aurait dit : « Monsieur le duc, j’espère que votre petit-fils parlera du 2 décembre comme vous avez parlé du 18 brumaire. » M. de Broglie se serait contenté de répondre : « L’histoire jugera. » Cinquante ans ne sont pas passés depuis le 2 décembre, l’histoire n’a pas encore jugé. Convenez cependant que ce sont là d’étranges phénomènes qui laissent un trouble profond dans les esprits même quand ils font le calme matériel à la surface, que c’est une étrange épreuve pour la conscience d’une société de se trouver deux fois, à un demi-siècle d’intervalle, en face d’actes semblables, qu’on appellera, si l’on veut, des nécessités, qui ont été dans tous les cas absous par le plus large vote populaire, et qui ne sont pas moins l’humiliant aveu de l’impuissance des moyens réguliers dans la politique. Le malheur de ces nécessités, si nécessités il y a, c’est de commencer par créer une situation où toutes les idées sont interverties, où ceux qui défendent la loi deviennent tout à coup des rebelles et sont traités comme des coupables, où, ne fût-ce qu’un instant, avant la sanction d’un vote, la force reste seule souveraine, et où le coup d’état d’en haut se multiplie en mille coups d’état anonymes, inavoués, qui vont frapper indistinctement. C’est là justement le côté douloureux de cette révolution de décembre, en province peut-être encore plus qu’à Paris. Et après l’émotion qu’éveillent ces scènes, dont on voit aujourd’hui de hauts fonctionnaires décliner la responsabilité, une réflexion naît aussitôt. Comment ces événemens sont-ils devenus possibles ? comment même un coup d’état peut-il réussir ? Il y a dans les journées de décembre une particularité que M. Ténot avoue avec une parfaite impartialité, qu’il met en relief dans un dramatique épisode des rues, c’est la tiédeur de la population parisienne, un peu surprise au premier instant, mais nullement irritée et toute prête à se désintéresser de ce qui arrivait. Voilà la terrible moralité de ces événemens. Une partie du peuple était devenue indifférente pour la république qu’on lui proposait de défendre, une autre partie de la société était effrayée. S’il y a eu une longue préméditation de coup d’état, il faut avouer que tout le monde y a bien aidé, les uns en épouvantant par leurs passions violentes, en faisant de la république une menace perpétuelle pour toutes les sécurités et pour tous les intérêts, les autres en cédant à l’épouvante. Par des chemins différens, on allait au même but ; on préparait ou on rendait possible ce qui est arrivé, et c’est ainsi qu’encore une fois la liberté allait être suspendue et ajournée pour longtemps. Si elle commence à reparaître aujourd’hui, si elle en est réduite à reconquérir pied à pied le terrain qu’elle a perdu, ce n’est pas précisément en renouvelant les mêmes fautes qu’on ferait ses affaires.

Il y eut un moment en Europe où cet heureux coup d’état du 2 décembre eut le plus beau succès et devint un signal de réaction, un encouragement pour tous ceux qui nourrissaient la modeste prétention de sauver leur pays ; il était fêté, célébré pour le bon exemple qu’il donnait, et il aurait trouvé partout des imitateurs. Aujourd’hui il a perdu sa popularité, on en revient depuis qu’il n’a plus aussi visiblement le vent dans ses voiles, et c’est vers la liberté qu’on marche, non plus peut-être avec les confiantes illusions et les faciles enthousiasmes qu’on portait autrefois dans ces luttes, mais avec ce sentiment qu’il n’y a plus que cette voie pour ceux qui veulent vivre et conduire sérieusement leurs affaires. Tout a contribué à ce mouvement depuis quelques années, l’impuissance des régimes arbitraires, les excès de la force, le développement des idées de nationalité, les guerres qui, en changeant la distribution des forces en Europe, ont créé pour les gouvernemens la nécessité de chercher de nouveaux points d’appui. C’est ainsi que l’Autriche elle-même s’est trouvée conduite par ses défaites, par sa mauvaise fortune sur le champ de bataille, à une transformation qui s’accomplit lentement, laborieusement. Ce qui arrivera de cette rénovation de l’empire autrichien, violemment rejeté hors de l’Allemagne et obligé de se refaire un équilibre, on ne peut certes le prévoir encore. Il y a tant de plaies à guérir, tant d’incohérences à débrouiller, tant de rivalités à concilier, que l’œuvre est assurément difficile. Ce qui doit frapper cependant et donner une bonne idée, c’est la fermeté avec laquelle le gouvernement autrichien marche dans la voie où il est entré, c’est sa bonne volonté évidente et la sincérité de son libéralisme. Les diètes provinciales de Bohême, de Moravie, de Galicie, qui viennent de se réunir, étaient pour lui une sérieuse et délicate épreuve, puisqu’il devait rencontrer une opposition portant sur le principe même de l’œuvre qu’il a entreprise, s’élevant contre ce dualisme qui est la figure politique de l’Autriche actuelle. Effectivement, dès l’ouverture des diètes cette opposition s’est manifestée de façon à mettre en cause l’organisation constitutionnelle de l’empire telle qu’elle existe depuis l’année dernière. À Prague, les députés tchèques, ayant à leur tête leurs chefs habituels, MM. Palaçky, Riegeiy Brauner, ont protesté par leur abstention et par un exposé de leurs griefs équivalant à une déclaration d’incompatibilité ; ils s’élèvent contre tout ce qui a été fait, contre tout ce qui existe, et ne demandent rien moins qu’une révision des rapports nationaux de la Bohême et de l’empire par une convention élue sur la base d’une parité complète entre l’élément tchèque et l’élément allemand. Les députés de la Moravie se sont abstenus de leur côté. À Lemberg, le Dr Smolka a déposé dès le premier jour une proposition tendant à retirer aux délégués de la diète de Galicie le mandat en vertu duquel ils ont siégé au reichsrath de Vienne. Sous des formes différentes, c’est une protestation contre le dualisme austro-hongrois, contre la constitution de l’Autriche cisleithane, et en faveur d’une parité de droits entre les nationalités diverses de l’empire. Ces manifestations, il est vrai, n’ont pas toutes la même gravité et ne répondent pas également à l’instinct des populations. La proposition du Dr Smolka a été bientôt écartée ; la diète de Galicie, sans abandonner ses droits, a senti la nécessité de ne rien brusquer, de ne pas ajouter aux embarras du gouvernement bien intentionné de Vienne, et le voyage que l’empereur va faire à Lemberg achèvera sans doute de maintenir les Polonais sur ce terrain de modération et de conciliation. L’attitude des députés de la Moravie n’est pas radicalement hostile, et n’exclut pas la possibilité d’un arrangement. Seuls, les Tchèques persistent et ne veulent pas démordre de leur opposition. Malgré la présence de quelques-uns des ministres qui sont allés à Prague, ils n’ont point paru à la diète, où les Allemands sont restés livrés à eux-mêmes et un peu embarrassés ; ils n’admettent rient ils veulent tout, c’est-à-dire une indépendance à peu près complète. Cette opposition vivace et opiniâtre est assurément une grave difficulté contre laquelle s’ingénie en ce moment l’esprit fertile de M. de Beust. A quoi cependant peuvent aboutir les Tchèques ? S’ils revendiquent simplement les droits de leur nationalité, les privilèges de leur autonomie dans une mesure juste, libérale, compatible avec l’existence de l’empire, ils seront soutenus par les Hongrois, par les Polonais, et ils ne trouveront dans le gouvernement aucune résistance absolue ; s’ils veulent pousser plus loin leurs prétentions, ils seront abandonnés, ils resteront isolés dans leurs protestations, ils provoqueront contre eux dans tout l’empire une réaction que leurs tendances panslavistes et leurs affinités avec la Russie ont déjà fait naître. Au fond, l’intérêt des Tchèques comme des autres provinces de nationalités diverses est évidemment de ne rien pousser à l’extrême, de ne pas compliquer d’une insoluble difficulté de plus la situation de l’empire autrichien, de cet empire qui travaille péniblement à s’organiser, à faire pénétrer un esprit libéral dans sa vieille machine. Ce n’est point certes un travail facile, et il vaut la peine qu’on ne décourage pas ceux qui l’entreprennent. Tout récemment un nouveau régime administratif vient d’être inauguré dans l’empire, et à cette occasion le ministre de l’intérieur, M. Giskra, a adressé à tous les fonctionnaires une circulaire qui à elle seule est la preuve de la révolution accomplie en Autriche. Il secoue l’inertie et les habitudes surannées de la bureaucratie autrichienne ; il recommande aux employés d’être faciles, coulans, prompts dans l’exécution des affaires. « Le fonctionnaire, dit-il, ne doit jamais croire qu’il sauvegarde son autorité par l’exclusivisme ou le formalisme, ou en créant des difficultés. » Que veut dire ceci ? sommes-nous dans l’empire autrichien, sommes-nous ailleurs ? Il faut souhaiter pour l’Autriche que les circulaires aient chez elle un meilleur résultat que dans d’autres pays.

L’Autriche a gagné la liberté en perdant des batailles, en voyant tomber sa domination en Italie, et l’Italie de son côté, l’Italie émancipée, constituée, et libre, n’est point pour cela à l’abri de tous les embarras. Elle a la vie laborieuse, compliquée, de tous les pays libres. La session parlementaire, il est vrai, s’est terminée sans encombre, sans laisser de difficultés sérieuses ; mais voici que déjà un certain nombre d’incidens, de symptômes, se succèdent et se groupent, comme pour attester le travail permanent des partis. Il ne faut rien grossir sans doute, il ne faut pas voir partout des agitations et des menaces. Parce que Garibaldi a donné récemment sa démission de député, cela ne veut pas dire qu’il ait voulu reconquérir sa liberté pour se remettre en campagne et aller prendre le commandement de cette étrange affiliation qui s’est formée sous le nom de vengeurs de Mentana. Cette démission n’a pas moins suffi pour faire voir à certaines imaginations effarées une nouvelle armée de volontaires défilant vers Rome. Au fond, que Garibaldi ait cédé à la lassitude ou à un mouvement d’humeur contre les allures de l’opposition dans le parlement, la question de Rome reste la même ; elle est assurément une difficulté sérieuse, irritante, entre la France et l’Italie, elle n’est point un embarras du moment.

Elle ne s’est nullement aggravée depuis quelques jours ou du moins elle n’a pas pris un caractère plus aigu, et pour tout dire, si le gouvernement français hésite encore à rappeler son armée de Rome, ce n’est pas qu’il élève la prétention de rester indéfiniment dans les états pontificaux et qu’il ne se sentît même fort soulagé le jour où il serait délivré de cet embarras, c’est peut-être tout simplement parce qu’il s’arrête devant les obscurités d’une situation générale, et c’est là tout ce qu’il y a de vrai dans les bruits de négociations récentes au sujet de Rome ; mais en dehors de ces rumeurs un peu vagues, il y a aujourd’hui en Italie un fait qui pourrait avoir sa gravité. Le parlement de Florence a pris son congé, et voilà que dans ; l’intervalle il va se réunir à Naples une ombre de chambre, un parlement au petit pied, qu’on appelle déjà le parlamentino. C’est la gauche naturellement qui, battue dans le parlement régulier, va tenir ses assises à Naples, et on dit déjà que M. Rattazzi va paraître là comme chef de l’opposition. Que va faire le parlamentino à Naples ? C’est ce qu’il est difficile de dire. Il ne fera peut-être rien, si ce n’est des discours que le public napolitain ne manquera pas d’applaudir. Pour que la gauche pût faire quelque chose de sérieux à Naples, il faudrait qu’elle eût avec elle les Piémontais, qui sont un des élémens les plus essentiels de l’opposition dans le parlement. Or les Piémontais ne semblent nullement pressés d’aller se joindre à ces manifestations, et il est bien certain qu’ils seront plus que froids, si, comme on le dit maintenant, le pariamentino doit agiter la question du transfert de la capitale de Florence à Naples. Turin n’aime pas Florence, il n’aimerait pas beaucoup plus Naples, et il se résignerait peut-être à Rome ; mais on n’en est pas là, et en attendant l’Italie a plus besoin de calme et de travail que d’agitations et de récriminations toujours stériles. ch. de mazade.




ESSAIS ET NOTICES.

études nouvelles sur l’antiquité.

Le vaste domaine de l’antiquité peut être abordé de bien des côtés. Chacun y entre par la frontière qui lui convient et y suit le chemin qu’il préfère. Qu’importe le but qu’on se propose en y pénétrant et la façon dont on se dirige ? Il se trouve toujours que les découvertes qu’on y fait, quelque particulières qu’elles paraissent, ont un intérêt général, et quoique la lumière soit concentrée sur un point, tout l’ensemble en est éclairé. C’est ainsi que de nos jours les recherches en apparence si spéciales et si bornées des philologues, des épigraphistes, des jurisconsultes, nous ont donné une intelligence plus nette du génie antique. Les jurisconsultes surtout, en restituant quelques textes incomplets, en retrouvant le sens de quelques lois obscures, ont rendu tout le reste plus clair. Ils nous ont fait mieux connaître la constitution de Rome, et par là ils ont renouvelé l’idée que nous nous faisions de son histoire. Il importe que le résultat de leurs études sorte de ce monde restreint où elles ont pris naissance, et il faut que l’attention publique soit éveillée sur des travaux dont les conséquences sont si étendues.

À propos du sénatus-consulte Velléien, qui, au premier siècle de l’empire, interdisait aux femmes de s’obliger pour autrui, M. Gide nous a donné un très bon livre, à la fois plein de science et d’intérêt, sur la condition privée de la femme chez tous les peuples[1]. C’est le premier essai d’un esprit ferme et grave, destiné à faire honneur à la Faculté de droit de Paris, qui l’a bien vite adopté, et à l’Académie des sciences morales, qui a couronné son livre. Le seul reproche qu’on puisse faire à son ouvrage, c’est d’être un peu vaste dans ses proportions. Comme il arrive à tous ceux qui débutent, M. Gide a été tenté de tout dire. Il ne sort pas de son sujet, mais il l’agrandit volontiers. Par exemple, on pourra trouver que le chemin est un peu long, pour arriver au sénatus-consulte Velléien, de remonter jusqu’aux lois de Manou. J’aime mieux, au lieu de le suivre chez tous les peuples, m’en tenir à ce qu’il nous dit de la Grèce et surtout de Rome. C’était le cœur de son sujet ; c’est aussi la partie de son livre qui me semble contenir le plus d’idées intéressantes et neuves.

En appréciant la condition de la femme romaine, M. Gide se sépare de la tradition et ne juge pas comme tout le monde. C’est une opinion toute faite chez nous que la femme était à Rome plus esclave et plus malheureuse qu’ailleurs, et il est de règle de s’apitoyer beaucoup sur son sort. On nous répète cette phrase où Tite-Live fait dire à Caton : « Nos aïeux ont défendu à la femme de s’occuper même d’une affaire privée sans avoir quelqu’un qui l’assiste ; ils ont voulu qu’elle fût toujours sous la main de son père, de ses frères ou de son mari. » On rappelle les injures dont elles étaient ordinairement accablées, non-seulement au théâtre, où l’auteur exagère pour amuser, mais à la tribune, où des gens graves les appelaient des animaux ingouvernables, et où un censeur, pour engager les citoyens à se marier, leur disait : « Si l’on pouvait vivre sans femmes, nous nous priverions tous de cet embarras ; omnes ea molestia careremus. » On en conclut naturellement que les actions devaient répondre aux paroles, que ces invectives montrent le peu de cas qu’on faisait d’elles, et que leur condition ne pouvait pas être bonne chez un peuple qui avait ainsi l’habitude de les injurier. Ce n’est pas l’opinion de M. Gide, et il montre par plusieurs exemples que les femmes peuvent être à la fois très honorées et très asservies. Il est certain que l’Orient est un des pays où on les traite avec le plus d’égards et de respect ; mais ce sont des égards protecteurs. L’homme les regarde comme des êtres délicats et faibles, auxquels il se sent supérieur et qu’il ménage par générosité. Les poètes les chantent avec passion, comme toutes les choses qui embellissent la vie, comme les oiseaux et comme les fleurs, auxquels ils les comparent volontiers ; mais, comme les fleurs et les oiseaux, on les tient en cage ou en serre. La brutalité du paysan romain vaut mieux. A tout prendre, elle est un hommage à la puissance des femmes. S’il les traite mal, c’est qu’il les craint, c’est qu’il a peur de n’être pas le maître chez lui. La vivacité des attaques révèle une lutte, et une lutte suppose des adversaires qui ont à peu près des forces égales.

M. Gide établit son opinion sur une étude approfondie des lois romaines. Il étudie de près les institutions qui semblent le plus contraires à la femme ; il les explique, il en fait voir la signification et les conséquences, et il montre qu’elles pesaient moins lourdement sur elle que nous ne sommes tentés de le croire. Cette tutelle dont elle ne s’affranchissait jamais n’était pas établie, comme on l’a dit, pour subvenir à sa faiblesse, à son infirmité naturelles, propter infirmitatem consilii, mais dans l’intérêt de sa famille, de ses agnats, « afin, dit Caïus, qu’elle ne pût pas leur ravir son héritage par testament, ni l’appauvrir par des aliénations ou des dettes. » Ce n’était donc qu’un moyen de protéger le patrimoine, sur lequel s’appuient l’intégrité et la durée de la famille. M. Gide explique de la même façon cette forme particulière de mariage, la plus ancienne de toutes, dans laquelle la femme passait in manum mariti, expression qui a beaucoup blessé les jurisconsultes galans. Il prouve que la manus ne conférait par elle-même aucun droit sur la personne de la femme et ne s’exerçait que sur ses biens. Il en conclut que sous toutes ses formes « le mariage était à Rome une véritable association où l’autorité du mari n’excluait pas l’indépendance de la femme. » Certes on ne peut nier que la législation ne soit sévère pour elle, mais M. Gide fait très bien voir que dans la vie cette dureté était contenue et corrigée par une force contraire. Plus la loi civile était enfermée à Rome dans d’étroites formules qui ne lui permettaient pas toujours d’être équitable, plus on avait senti le besoin de chercher à ces rigueurs un contre-poids dans les mœurs publiques. Partout sans doute l’opinion adoucit ce que la loi peut avoir d’excessif, mais c’est en général une force inégale, capricieuse et vague ; les Romains lui avaient donné une forme régulière et en avaient fait une institution précise. Elle était représentée dans la famille par le conseil des proches, dans l’état par une magistrature spéciale, la censure. M. Gide montre que ces deux institutions originales suffirent longtemps pour prévenir dans la cité et dans la famille les fâcheuses conséquences d’une législation trop sévère. « Jamais la foi promise ne fut plus rigoureusement gardée que sous une loi qui permettait de manquer à sa promesse, lorsqu’une inexactitude s’était glissée dans la formule du contrat ; jamais les liens de famille ne furent plus étroits et plus indissolubles que sous une loi qui permettait de répudier sa femme, de vendre son fils et de tuer l’un et l’autre. » La censure était une magistrature toute morale, elle n’avait à sa disposition ni prisons, ni soldats, elle ne prononçait que des blâmes ; mais elle représentait l’opinion publique, et la frayeur qu’elle inspirait fut salutaire tant que la corruption ne fut pas arrivée à se mettre au-dessus de l’opinion. On peut en citer un exemple curieux : le divorce était autorisé par la loi, et seulement interdit par les mœurs publiques et le sentiment général. L’homme qui répudiait sa femme n’avait à craindre que d’être déshonoré par le blâme du censeur. Cette crainte suffit à empêcher que pendant cinq siècles il n’y eût à Rome aucun exemple de divorce.

Ce n’est donc pas seulement dans les prescriptions légales qu’il faut chercher la condition de la femme romaine. La réalité nous présente un tableau bien différent de celui que nous offrirait la loi. « Les Romains, dit M. Gide dans une page excellente, n’avaient pas relégué la femme dans la solitude et le silence du gynécée : ils l’admettaient dans leurs théâtres, à leurs fêtes, à leurs repas ; partout une place d’honneur lui était réservée ; chacun lui cédait le pas, le consul et les licteurs se rangeaient à son passage. Au reste, on la rencontrait rarement sur la place publique ou dans les réunions populaires : aussi sédentaire par vertu que la femme grecque l’était par contrainte, sa place habituelle était près du foyer domestique, dans l’atrium. L’atrium n’était point, comme le gynécée, un appartement reculé, un étage supérieur de la maison, retraite cachée et inaccessible. C’était le centre même de l’habitation romaine, la salle commune où se réunissait la famille, où étaient reçus les amis et les étrangers ; c’est là, près du foyer, que s’élevait l’autel des dieux lares, et autour de ce sanctuaire était réuni tout ce que la famille avait de précieux ou de sacré, le lit nuptial, les images des ancêtres, les toiles et les fuseaux de la mère de famille, le coffre où étaient serrés les registres domestiques et l’argent de la maison… Dès le moment où la nouvelle épouse avait mis le pied dans l’atrium de son mari, elle était associée à tous ses droits. C’est ce qu’exprimait une antique formule : à l’instant de franchir le seuil de sa nouvelle demeure, la mariée adressait à l’époux ces paroles sacramentelles : « ubi tu Caïus, ibi ego Gaïa, — là où toi tu es le maître, moi, je vais être maîtresse. » La femme devenait maîtresse en effet de tout ce dont le mari était maître. Chacun dans la maison l’appelait domina, le mari lui-même, et Caton l’ancien ne faisait qu’exagérer une observation judicieuse lorsqu’il s’écriait plaisamment : « Partout les hommes gouvernent les femmes, et nous qui gouvernons tous les hommes, ce sont nos femmes qui nous gouvernent. »

La loi romaine changea dans la suite et se mit d’accord avec la réalité. A mon grand regret, je ne puis suivre M. Gide dans l’histoire qu’il trace de ces changemens. Il fait voir avec un grand intérêt comment toutes les institutions républicaines contraires aux femmes et qui les gênaient dans la disposition de leur personne ou de leurs biens disparurent sous l’empire. Elles se brisèrent en se heurtant les unes contre les autres, la puissance du père contre l’autorité du mari, la tutelle contre la manus ; mais, par une contradiction étrange, en même temps que l’adoucissement des mœurs publiques, l’influence de ces jurisconsultes philosophes, que M. Gide appelle les derniers amis de la liberté, rendaient la loi plus humaine et plus juste, on est fort surpris de voir que le pouvoir ne semble occupé qu’à créer contre les femmes de nouvelles entraves à la place de celles que le temps ou la raison emporte. Les empereurs qui, pour céder à l’entraînement général, par sagesse ou par politique, paraissent le plus empressés à les émanciper, Auguste, Claude, etc., sont aussi ceux qui cherchent quelques moyens de les ramener sous le joug. M. Gide rend très bien compte de cette contradiction. Elle s’explique par l’effroi que causait au prince et au sénat la corruption des mœurs. Très relâchés de conduite, ils étaient sévères par principe et par nécessité. Dans cet affaiblissement général dont ils étaient les témoins et souvent la cause, ils sentirent le besoin de protéger au moins la famille, sur laquelle tout le reste s’appuie. Après avoir rendu à la femme la liberté, ils étaient effrayés de voir qu’elle en usât si mal, et se trouvaient tentés de la restreindre. De là toutes ces lois rigoureuses, et parmi elles ce sénatus-consulte Velléien, qui a survécu à l’empire et qui s’est maintenu jusqu’à nos jours chez quelques peuples de l’Europe. On sait combien les lois furent impuissantes. « Chaque effort du législateur, dit M. Gide, pour contenir la débauche produisait des raffinemens de débauche nouveaux. » Il ne faut pourtant pas exagérer. Gardons-nous de trop écouter les moralistes, qui sont sévères par métier, et les satiriques, qui le sont par tempérament ; ne croyons pas que la sixième satire de Juvénal représente l’état de la famille romaine sous l’empire. Quoi qu’on pense de la corruption qui y avait pénétré, on ne doit pas oublier que les jurisconsultes romains avaient donné une admirable définition du mariage. « C’était, disaient-ils, l’union de deux vies, la mise en commun de tous les intérêts temporels et religieux, » et cette société fut en somme celle qui, jusqu’au christianisme, réalisa le mieux cette belle définition.

Un autre jeune jurisconsulte, M. Edmond Labatut, qui vient de publier ses premiers essais, s’est aussi occupé des antiquités romaines. Il appartient à l’école de ceux qui, comme M. Mommsen, pour connaître l’administration et les magistratures à Rome, se servent à la fois de la jurisprudence et de l’épigraphie. Les inscriptions suppléent souvent au silence des lois, qui ne peuvent pas tout dire ; elles nous montrent comment elles étaient appliquées ; elles nous font suivre leur action dans les mille complications de la vie. Elles sont donc un complément indispensable à l’étude de la législation. M. Labatut l’a bien compris, et il a voulu joindre dans ses travaux à la lettre morte du texte le commentaire vivant de l’histoire. Il a suivi les excellens cours de M. Léon Renier, dont il aime à se dire l’élève. Il s’est mis ensuite à l’œuvre avec une ardeur qui sent la jeunesse ; il semble avoir voulu embrasser d’un coup l’administration romaine tout entière. Sans parler d’un grand nombre d’articles qu’il a fait paraître dans les recueils de législation et d’archéologie, et surtout d’un travail très intéressant sur les curatores des cités, il a été couronné par l’académie de Toulouse pour un mémoire sur l’édilité ; il vient de publier une Histoire de la Préture[2], et il promet de nous donner un jour une étude sur toutes les magistratures judiciaires de Rome. Ces entreprises méritent d’être encouragées, à la condition pourtant que chaque partie vienne à son heure et sans hâte.

L’histoire de la préture, étudiée, comme l’a fait M. Labatut, dans les lois, chez les historiens et dans l’épigraphie, présente un grand intérêt. C’est vraiment l’histoire entière de Rome qu’il nous fait parcourir à propos d’une seule magistrature, tant elle se trouve étroitement liée à toutes les destinées du peuple qui l’imagina. Modeste dans ses débuts, elle grandit avec lui. Le préteur fut chargé d’abord de rendre la justice aux citoyens et aux étrangers ; plus tard il fut mis à la tête des armées quand elles se multiplièrent et que les consuls ne suffirent plus à les commander ; il fut enfin envoyé dans les pays qu’on venait de soumettre et gouverna le monde vaincu : admirable flexibilité de toutes ces institutions, nées de la nature même des choses et se modifiant avec elles, capables de se plier à tous les changemens et prêtes pour, toutes les fortunes ! Cette souplesse est assurément un des secrets de la grandeur romaine. M. Labatut a étudié la préture, à travers toutes ces modifications, sous la république et sous l’empire, depuis sa naissance jusqu’à sa destruction. En exposant les attributions du préteur à Rome, il a été amené à nous faire connaître ce qu’a été dans les divers temps la jurisprudence criminelle et civile ; en le suivant dans les provinces, il a rapidement esquissé la façon dont les Romains gouvernaient leurs conquêtes. Il a donné surtout des renseignemens curieux et instructifs sur l’édit qui a si profondément modifié la législation romaine, en l’accommodant au progrès des temps et des idées, et il a montré que cette législation, qui se piquait d’être immobile, doit précisément sa grandeur à ses changemens.

Ce sujet, on le voit, est fort étendu ; peut-être M. Labatut a-t-dl eu tort de chercher encore à l’agrandir plutôt que de le restreindre. J’avoue que je l’aurais vu renoncer sans peine à cette introduction où, sous prétexte de chercher les sources du droit, il s’occupe des origines de Rome et de l’histoire de ses premiers rois. Ce sont des questions obscures, difficiles, qu’il ne faut pas trancher en passant[3] ; mais M. Labatut a tenu à nous dire qu’il croit à Romulus et à Numa, et que, loin de révoquer en doute l’enlèvement des Sabines, « il pense que les Romains les enlevèrent plutôt dix fois qu’une. » Il me semble pourtant que la science ne gagne rien à s’encombrer ainsi de légendes. Puisque aucune autorité ne nous contraint à croire à celles-là, profitons-en pour nous en occuper le moins possible ; laissons flotter au hasard, comme dit M. Mommsen, ces feuilles desséchées, qui ne laissent plus reconnaître à quel arbre elles ont jadis appartenu. Je ne crois pas que l’histoire en puisse jamais faire grand’chose ; en tout cas, l’histoire de la préture pouvait aisément s’en passer.

En écrivant son livre, M. Labatut a fait preuve d’un goût très vif pour le travail et d’une vocation véritable pour la science. Ce sont des mérites assez rares aujourd’hui pour qu’on doive sincèrement l’en féliciter. Cependant il fera bien, quand il publiera la suite de ses études sur les magistratures judiciaires, de travailler à rendre sa science de plus en plus précise et sûre. On pourrait lui reprocher, dans son Histoire de la Préture, de ne pas toujours étudier ses textes d’assez près, de laisser quelquefois des obscurités ou même des erreurs dans la traduction des inscriptions qu’il cite. Le dirai-je aussi ? il ne corrige pas ses épreuves avec assez de soin. Ce reproche semble d’abord assez futile ; il ne l’est pas cependant. On dit qu’une certaine négligence convient aux poètes et qu’ils se vantent presque d’ignorer l’orthographe. Les savans doivent avoir plus de scrupules. C’est la coquetterie des œuvres d’érudition qu’on n’y puisse pas surprendre une faute. Il y en a malheureusement beaucoup dans le livre de M. Labatut, et il ne les a pas toutes signalées dans ses longs errata. Par exemple, il ne faut pas qu’il laisse écorcher presque à chaque, page le nom illustre de M. Mommsen, ou qu’on lise dans son livre que le père de Néron s’appelait Domitien. Être exact et sûr en tout, c’est vraiment le commencement de la science.


GASTON BOISSIER.


L. BULOZ

  1. Étude sur la condition privée de la femme dans le droit ancien et moderne, par M. Paul Gide, agrégé à la Faculté de droit de Paris. Paris, Durand et Thorin.
  2. Histoire de la Préture, par M. Edmond Labatut, docteur en droit. Paris, Thorin
  3. Ces questions viennent d’être traitées de nouveau avec une grande sagacité et beaucoup d’érudition dans un ouvrage posthume de Rubino, intitulé Beiträge zur Vorgeschichte Italiens, que ses amis ont publié il y a quelques mois.