Chronique de la quinzaine - 14 février 1835

Chronique no 68
14 février 1835


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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14 février 1835.


La diplomatie aura son concile en Angleterre ; tous les vieux patriarches du droit public européen, tel que l’entendait l’alliance de 1815, vont délibérer sur les faits politiques nés depuis la révolution de juillet. M. Pozzo di Borgo est à Londres ; il y trouvera le prince Esterhazy ; M. de Bulow doit y représenter la Prusse ; ce sont là d’anciennes connaissances qui plus d’une fois se rencontrèrent dans les transactions des cabinets contre les peuples. Ce sera, sous une nouvelle forme, un nouveau congrès dont les protocoles qui se préparent, auront un peu plus de retentissement dans l’Europe absolutiste que les actes de la conférence de Londres, dont le ridicule a fait justice.

On se tromperait pourtant si l’on s’imaginait que les trois diplomates qui tiendront cour plénière à l’ambassade russe, sont des hommes tout-à-fait dévoués aux principes et aux idées de la contre-révolution. Le prince Esterhazy ne manque ni de lumières, ni d’intelligence du temps présent ; il a une longue habitude des affaires, une connaissance approfondie des faits qui nous entourent et qui pressent les gouvernemens. L’école de M. de Metternich est plus éclairée, plus libérale qu’on ne le croit généralement. Le statu quo est l’idée fondamentale de la monarchie autrichienne ; le moindre mouvement qui la pousserait en avant ou l’entraînerait en arrière, troublerait cet immuable repos qu’elle veut avant tout. M. de Bulow est pénétré du même esprit. Le cabinet de Berlin est plus avancé encore dans le progrès et la civilisation ; le prince royal peut bien rêver quelques plans de campagne militaire, mais la Prusse ne réglera pas sa politique sur ses rêves ; elle a trop de sagacité. Avec la part de territoire si difficile à garder que lui ont faite les traités de 1814, elle ne voudrait pas hasarder le certain pour l’incertain ; au premier échec, cette longue pointe qu’elle a usurpée sur notre propre territoire, échapperait à sa monarchie. Ainsi le prince Esterhazy, non plus que de M. Bulow, ne se rendent à Londres avec des idées hostiles à la politique stationnaire, que l’Europe paraît aimer de toute sa prédilection. Resterait donc M. Pozzo di Borgo ; mais ce n’est pas à son âge qu’on se jette à plaisir dans un mouvement belliqueux ; il remplacera simplement le prince de Lieven ou plutôt Mme de Lieven, qui était, comme on le sait, sous le nom de son mari, le véritable ambassadeur russe à Londres. Il fallait là un homme qui ne connût pas moins bien qu’elle les chefs du parti tory.

Le corps diplomatique devra être au complet le 15 février, et c’est alors que commenceront les conférences. Aussi le roi Louis-Philippe se hâte-t-il d’expédier M. Sébastiani ; on a promené partout le diplomate maladif, afin de constater le rétablissement de sa santé ; il a paradé en homme plein de vie et d’intelligence dans les bals, dans les concerts, aux deux chambres. La volonté royale désire que son ambassadeur se porte bien, et cela suffit à un courtisan pour cacher son visage dans son cœur, pour me servir de l’expression de Tacite. M. Sébastiani est maintenant tout fier de ses alliances ; proche parent de MM. de Grammont, de Guiche et de Polignac, il se fait à présent l’intermédiaire des réconciliations entre la branche cadette et les nobles déserteurs de la branche aînée. Il a mené ces jours derniers aux Tuileries M. de Gabriac, son gendre par alliance, qui boudait le château depuis la révolution de juillet. M. de Gabriac n’en a pas été plus mal reçu pour avoir tant tardé à se rallier. « Nous avons grand plaisir à vous voir, monsieur de Gabriac, lui a dit le roi ; avertissez-en bien vos amis, les derniers venus sont encore les premiers. »

M. de Gabriac, le ci-devant ministre de la restauration au Brésil, sera, assure-t-on, récompensé de sa soumission par l’ambassade de Turin. « M. de Gabriac ambassadeur près du roi de Sardaigne ! mais c’est de la diplomatie homœopathique ! a-t-on dit à ce propos aux affaires étrangères. » Le mot est bien spirituel pourtant, pour être venu de là.

Quoi qu’il en soit, le général peut aller de pair avec toute la noblesse hongroise, anglaise et allemande ; le roi l’a réuni avec le prince Esterhazy, lors du passage de l’ambassadeur autrichien à Paris ; on s’est entendu parfaitement, et nous pourrions ajouter que l’envoyé de M. de Metternich est plus près des opinions du cabinet de Paris que de celui de Saint-Pétersbourg.

C’est un fait positif, que l’avènement du ministère tory, tout en souriant aux idées de la Russie, l’inquiète dans ses intérêts matériels. Sans doute, l’influence morale du parti conservateur est saluée con amore par toutes les puissances absolutistes du continent ; mais les sympathies ne sont pas le seul point de vue sous lequel les états examinent leurs situations mutuelles, et déterminent leur politique. Tant que les whigs ont été au pouvoir, l’Autriche a hésité à tendre la main à l’Angleterre, son alliée naturelle dans la question d’Orient. Un obstacle dominant empêchait le concert : l’hostilité des principes politiques ; l’Autriche redoutait les envahissemens de l’esprit de révolution que favorisaient les whigs ; maintenant l’avènement des conservateurs a dissipé cette crainte. Il y aura tendance naturelle à revenir aux intérêts matériels, et ces intérêts rapprochent de toute nécessité l’Autriche, la France et l’Angleterre, dans la question d’Orient surtout, qui est la préoccupation dominante de la Russie.

Cette question d’Orient se complique ; il faut une solution à l’état de choses qui existe en Perse. Les journaux anglais traitent de rêverie fantastique la possibilité d’un mouvement russe par la Perse sur l’Inde. Sans doute d’immenses difficultés s’y opposent ; mais des choses plus gigantesques se sont opérées : la marche militaire d’Alexandre-le-Grand est encore toute tracée ; ce qu’un faible peuple de la Grèce put exécuter, les Russes, en possession de l’Asie du nord, ne sont-ils pas capables de l’accomplir ? Les tories songent à ce danger, et aux moyens de le prévenir. Or le plus efficace serait la triple alliance dont nous avons parlé, qui serait autrement hostile à la Russie que celle réalisée par lord Palmerston et M. de Talleyrand entre la France, l’Angleterre, l’Espagne et le Portugal.

Le roi Louis-Philippe a trouvé le prince Esterhazy très fort dans ces idées ; M. de Metternich reconnaît enfin que la France a prêté l’appui de toutes ses forces à ce qu’il appelle l’esprit conservateur de la société. Si la conformité des principes pousse le cabinet de Vienne à se rapprocher des tories d’Angleterre, sa raison ne lui conseille pas moins impérieusement de se liguer avec la France. Louis-Philippe s’est montré tout-à-fait accommodant sur la plupart des exigences de l’Autriche : M. de Metternich demandait depuis long-temps l’évacuation d’Ancône, et Ancône sera évacuée au printemps prochain ; le drapeau tricolore n’offensera plus les yeux des populations pontificales. M. de Rumigny, ambassadeur en Suisse, avait, par sa conduite indépendante, gêné les mesures de la maison d’Autriche à l’égard de quelques cantons helvétiques ; M. de Rumigny sera rappelé : loin de s’opposer à l’esprit et à la tendance des notes autrichiennes au Worort, on les secondera par une commune action. Quelle barrière pourrait encore séparer l’Autriche et la France, après de si nobles concessions, après tant de généreux sacrifices ? Le Journal des Débats, qui avait fulminé tant d’articles menaçans pour soutenir la politique de M. de Rumigny, en sera pour ses frais d’érudition diplomatique ; on le désavouera, et M. Bourqueney, l’éditeur responsable de toute cette belle politique sentimentale, s’exilera comme premier secrétaire d’ambassade à Londres, avec M. Sébastiani.

C’est cette bienveillance vis-à-vis de l’Autriche, de l’Angleterre et de la Russie, que M. Pozzo di Borgo a mission de contrarier à Londres ; c’est pour qu’il allât endormir le duc de Wellington et le prince Esterhazy au bruit des menaces révolutionnaires, que l’empereur Nicolas lui a fait quitter en toute hâte son ambassade de Paris. Dans ces conférences, la Russie va protester encore de son désintéressement ; singulier désintéressement en effet, qui lui permet, chaque quart de siècle, d’agrandir son vaste territoire de nouveaux empires. M. Pozzo niera donc toute idée d’ambition de la part de son gouvernement : si la Russie s’immisce dans les affaires de la Perse, c’est pour ramener l’ordre et la paix dans les provinces déchirées par la guerre civile, de même qu’elle est allée à Constantinople pour prêter appui à la légitimité du sultan ! Sous ce rapport, le cabinet de Saint-Pétersbourg est d’une bien incontestable habileté ; il s’étend au Midi et s’étend au Nord, en invoquant toujours sa générosité chrétienne et sa magnanimité.

La conférence de Londres n’aura point de caractère officiel comme celle que présidait M. de Talleyrand ; il n’y aura pas non plus de protocoles. Les protocoles sont usés et hors de mode ; seulement, on prendra des résolutions communes par rapport à l’Espagne et à la Belgique. Quant au Portugal, les tories ne veulent pas souffrir qu’aucune puissance se mêle des affaires d’un pays qu’ils considèrent et qu’ils traitent comme une véritable colonie anglaise. Si la fuite de don Miguel le ramène à bon port dans son ci-devant royaume, les tories ne feront rien, ni pour le soutenir, ni pour le renvoyer ; ils n’ont pas plus de prédilection pour le gouvernement de dona Maria que pour celui de don Miguel ; ce qu’ils veulent, c’est un système assez souple pour que l’Angleterre puisse régner en maîtresse à Lisbonne et à Porto, et, sous ce rapport, ils préféreront toujours la régence et dona Maria, parce que, moins capricieuse que l’autorité despotique de don Miguel, la régence obéit avec plus d’unité aux ordres et aux inspirations de l’ambassadeur anglais à Lisbonne.

Il est tombé, à propos des affaires d’Espagne, une idée de conciliation dans la tête du cabinet tory. Les hommes politiques donnent trop d’importance par le temps qui court aux droits de familles et de races. On ne se joue pas, dans la Péninsule, de l’esprit de parti, comme on le peut faire chez des populations paisibles et obéissantes. Don Carlos n’est rien par lui-même, c’est la personnification d’une idée, d’une opinion qui a les armes en mains. Un autre parti entoure également l’infante Isabelle, et fait d’elle un drapeau. Les absolutistes et les negros, depuis si long-temps en armes, se battent derrière des étendards, moins pour soutenir le roi ou la reine, que pour servir leurs propres passions et défendre leurs intérêts. C’est ce que le parti tory ne comprend pas. « Nous marierons, dit-il, le fils de don Carlos à l’infante, et tout finira par là ; » comme si la guerre civile devait s’apaiser, parce qu’il y aurait une noce à Madrid ! Au reste, le ministère anglais n’aura pas même à subir l’épreuve ; don Carlos ne veut pas renoncer au trône, et ses amis eux-mêmes lui conseillent de ne pas diviser ses forces par une abdication malencontreuse. L’insurrection se développe lentement, mais avec régularité ; chaque jour, elle gagne quelques pouces de terrain. De tous côtés, les secours arrivent à l’armée royaliste, et dans cette lutte atroce, où tout, jusqu’aux lois de la guerre, est méconnu, il n’y a pas d’autre issue possible que la victoire de l’un des partis, au moyen de la destruction de l’autre. Fonder maintenant en Espagne l’espoir d’une transaction serait n’y bâtir qu’un château !

C’est une nouvelle ère politique qui commence pour l’Europe que celle d’un système de propagande anti-populaire auquel on associe la France ; c’est un phénomène de voir un gouvernement né d’une révolution, et dont toute la préoccupation paraît être de réprimer le principe révolutionnaire. Du gouvernement cette tendance s’est communiquée aux corps politiques. Il ne faut point se le dissimuler, la chambre des députés, dominée par la peur, seconde le pouvoir dans cette résistance : la majorité s’est laissé aller à une crainte inimaginable de toute action politique un peu forte, un peu nationale. On vient de le voir dans une discussion de réforme électorale. Il y a deux ans, la nécessité de cette réforme paraissait profondément sentie ; on osait le dire haut, et des hommes éminens s’étaient emparés de la question pour établir le principe d’une large opposition au ministère. La discussion a été provoquée ces jours derniers par des pétitions ; quel rôle y a joué l’opposition ? A-t-elle soutenu avec franchise les principes qu’elle avait posés il y a quelques années ? Les orateurs sont-ils venus dire quels étaient les besoins réels des peuples, le progrès des idées et le mouvement de la génération ? Point du tout ; on a formulé timidement quelques espérances, on a eu foi dans l’avenir ; mais pour le présent on s’est gardé de demander quelque chose de précis, une amélioration indispensable. L’absurde nécessité du serment a été admise ; le cens électoral actuel a été à peine attaqué ; on n’a soutenu qu’en tremblant les adjonctions de capacités. M. Odilon-Barrot, M. Pagès de l’Ariège, n’ont pas eu le courage de leur opinion ; ils ont voulu faire de la tactique, plaire au château : ils avaient à attaquer de front une institution mauvaise ; ils avaient devant eux l’exemple de Fox et de Sheridan, qui jamais ne transigèrent avec leur conviction, lorsqu’il s’agissait de principes. Il n’y a pas de milieu : la loi électorale est bonne ou mauvaise ; si elle est bonne, osez voter avec les centres et ne vous intitulez pas hommes d’opposition ; si elle est mauvaise, marchez droit contre elle, et démolissez la muraille qui obstrue l’avenir du pays. M. Pagès de l’Ariège se laisse trop aller à des phrases retentissantes, mais vides ; de ce qu’on fait une antithèse en trois lignes, ce n’est pas une raison pour qu’il y ait une pensée au fond. Cette ambition de faire du style Montesquieu est un petit ridicule parlementaire dont un homme politique devrait se garder pour aller droit aux faits et aux choses. Quant à M. Odilon-Barrot, son défaut, c’est d’apporter trop de ménagemens dans ses discours de tribune, et de vouloir mettre de la tactique dans les occasions où il ne faut qu’une opposition franche et nette. Nous apprécions assez l’esprit et la capacité de M. Odilon-Barrot pour donner ce conseil à son talent. Dans cet éparpillement d’opinions où se trouve la chambre, il est difficile, sans doute, de se poser nettement chef d’opposition ; mais enfin si M. Barrot joignait à sa parole brillante une ténacité de principes, une conduite plus précise et mieux formulée, que de convictions incertaines viendraient à lui !

La commission pour la créance américaine continue avec quelque lenteur ses travaux ; on mettra dans cette affaire beaucoup de convenances et de formes ; au fond, le crédit sera voté ; nous le répétons ici, parce que nous connaissons l’esprit de la chambre, et qu’elle ne veut embarrasser d’aucune manière le ministère actuel. On ne peut s’imaginer les petits intérêts qui s’agitent : les localités présentent des pétitions ; on suscite des réclamations de la part des chambres de commerce ; à Marseille, c’est le transport des cotons ; à Bordeaux et à Cette, l’achat des vins ; à Lyon, les manufactures de soie ; au milieu de tant d’intérêts ameutés, comment la chambre résisterait-elle ? L’affaire a été bien conduite par le roi et le ministère ; on arrive aux fins qu’on se proposait, on rendra l’opposition odieuse à certaines localités qui réclament ; les Américains ou leurs prête-noms auront leur argent, et c’est là où on voulait en venir.

La chambre des pairs s’est réunie quelquefois comme pouvoir parlementaire, et quelquefois aussi comme cour judiciaire. C’est en exerçant la première de ces fonctions qu’elle a voté le monopole des tabacs. Les ministres traitent bien cavalièrement cette chambre, et elle le mérite ; quand on se résigne à n’être plus qu’une servile majorité sous la férule de M. Thiers, il faut bien subir les humiliations que cette position vous attire. Dans cette affaire du monopole, M. Humann, avec ses traditions de contrebande, a conçu le plus fiscal des projets ; le député qui combattait, il y a six ans, le monopole, devenu ministre, a créé le monopole le plus absolu. Quelques pairs de France avaient proposé de légers amendemens ; le ministre s’est écrié : « Si vous faites un amendement, nous sommes obligés de reporter notre loi à la chambre des députés ! » Singulière manière de raisonner, qui fait de la pairie une superfétation des pouvoirs de l’état. Si une chambre n’a pas le droit d’amender, si elle doit voter purement et simplement sur une loi, on lui ôte la plus belle prérogative de son autorité. La pairie se plaint de ce qu’on l’attaque au dehors ! en vérité c’est elle-même qui se suicide. Et que serait-ce si ce pouvoir ne se contentait pas d’être ridicule, et s’il se condamnait également à devenir odieux !

Décidément le procès contre les républicains va publiquement se poursuivre ; le parquet de la cour des pairs se fortifie de quelques notabilités prises à la cour royale de Paris ; on a voulu récompenser le zèle de M. Plougoulm, ce substitut chargé des poursuites contre la presse, et qui a si admirablement foudroyé la doctrine : le roi règne et ne gouverne pas. M. Plougoulm a fait l’éloge des vertus royales, il a dit qu’il était très heureux que le roi gouvernât, qu’il administrât ! Pourquoi n’a-t-il pas dit qu’il serait fort heureux aussi qu’il jugeât ? Ces grandes doctrines, M. Plougoulm va les jeter à la face des républicains ; son mauvais encens de paroisse, brûlé devant la couronne, n’a pas été perdu ; le ministère n’a pas même eu le bon goût de comprendre qu’il y a des éloges qui tuent. M. Plougoulm va exercer son éloquence sur une grande échelle ; il reçoit une noble récompense de son courageux dévouement.

Quant au ministère lui-même, malgré les tripotages que quelques journaux ont signalés, nous persistons à dire qu’il n’y aura pas de changement avant la fin de la session : la pensée immuable veut librement exercer ses choix, et la présence de la chambre l’importune. La prérogative royale a le sentiment exagéré de sa capacité ; elle ne veut pas être gênée dans son instinct, et si son instinct la pousse vers le maréchal Soult, elle ne veut pas que les mesquines idées d’économie de la chambre des députés s’opposent à ses projets. Qu’importe que le maréchal Mortier n’en puisse plus, que la vieillesse et l’incapacité aient la présidence apparente du conseil ? Quand on envoie à Londres l’ombre d’un ambassadeur, on peut avoir une autre ombre pour premier ministre. Mais que la France ne s’inquiète pas, ses destinées reposent sur une tête qui prétend avoir en elle tout son conseil !

— Il a été fait de magnifiques descriptions du bal de M. Dupin ; on a célébré dans toutes les langues cette fête du tiers-parti, cette royale réception de son chef politique. C’était plus qu’un bal, on pouvait y voir une manifestation de puissance, et M. Dupin avait voulu montrer qu’il n’était pas en complète disgrâce. Le roi, qui ne boude personne, y avait envoyé le duc d’Orléans et le duc de Nemours ; deux ministres seulement y assistaient : le maréchal Mortier et M. Persil. Les centres protestaient, dans leurs causeries, contre un président parlementaire qui ne marche plus avec eux ; ils semblaient rappeler à M. Dupin qu’il était l’auteur du ministère Bassano, création avortée aussitôt que conçue. Le corps diplomatique allait là pour observer, et l’on a remarqué que c’est surtout auprès des ambassadeurs que le président de la chambre s’est montré le plus empressé.

Toute la soirée, il n’a été question que de la créance américaine, et M. Dupin a entamé une vive discussion avec M. Persil sur l’insuffisance des pièces fournies à la commission, si bien, qu’en sortant du bal, quelques ministériels se sont écriés : « Il est impossible que nous gardions un président aussi franchement hostile ; en France, le rôle de M. Manners-Sutton serait difficile. »


THÉÂTRE FRANÇAIS.

La seconde représentation de Chatterton a pleinement confirmé le succès éclatant obtenu jeudi dernier par M. Alfred de Vigny. Malgré le plaisir bien naturel que nous éprouvons à constater le résultat de cette double épreuve, si favorable à un de nos amis, notre devoir, on le comprend sans peine, nous prescrivait d’accueillir les réflexions publiées dans notre no d’aujourd’hui par le rédacteur à qui nous avons confié les théâtres.

Il y a trois mois, lorsque la pièce jouée jeudi dernier n’était pas encore lue aux acteurs de la Comédie française, la Revue a résumé en formules générales l’histoire du théâtre en France. Elle a conclu à l’insuffisance de l’analyse et du pamphlet. Elle a demandé pour l’avenir l’analyse dans l’action. Elle s’applaudit, comme elle doit le faire, très sérieusement, dans l’intérêt de la poésie dramatique, de voir M. de Vigny réaliser dans Chatterton une partie de son espoir.

Au point de vue où elle s’est placée, la Revue ne pourrait sans inconséquence se décider pour l’éloge sans faire ses réserves. Nous fesons des vœux pour que la popularité de Chatterton réfute glorieusement l’opinion individuelle de notre collaborateur. Tout assure, au reste, une brillante carrière au drame touchant de M. Alfred de Vigny. À l’auteur de Stello la gloire d’avoir le premier tenté une réaction contre le drame frénétique et le drame à spectacle ! Et cette tentative, nous l’espérons, portera ses fruits.


PUBLICATIONS NOUVELLES DU MOIS.

M. A. de Latour, à qui nous devions déjà un volume de poésies intimes, fraîches et gracieuses, et une excellente traduction des Mémoires de Silvio Pellico, vient de publier, sous le titre de : Essai sur l’étude de l’Histoire, un ouvrage qui mérite d’attirer l’attention. Il y a des aperçus brillans, des pages bien étudiées dans ce résumé rapide que l’auteur a fait des diverses méthodes historiques par lesquelles nous avons passé, et des principaux livres d’histoire dont s’est enrichie notre époque. La division des deux écoles philosophique et pittoresque est bien nettement caractérisée, et la troisième école est présentée sous un point de vue neuf et attrayant, que nous nous plaisons à admettre, quoique pourtant on pourrait bien contester à l’auteur la justesse de ce mot symbolique, appliqué à la nouvelle manière d’écrire l’histoire. Le chapitre sur M. Michelet est une analyse consciencieuse, élégante du dernier ouvrage de ce savant écrivain. Après cela, viennent deux autres chapitres, détaillés et complets, que tout le monde lira avec un vif intérêt. C’est l’histoire de la Sorbonne et celle de Port-Royal, histoire fidèle, naïve, racontée avec un grand charme de style et une grande bonne foi, prise aux sources, et revêtue ingénieusement de la couleur des époques diverses qu’elle retrace. Le livre se termine par une chronique de saint Séverin, espèce d’élégie religieuse, en prose, à laquelle se mêlent pourtant des faits traditionnels et des détails d’architecture curieux. Tout cet ouvrage de M. de Latour accuse essentiellement une conscience sévère d’écrivain et une âme jeune et loyale, prompte à s’impressionner, ouverte avec candeur à toutes les douces et généreuses sympathies, de quelque côté qu’elles lui arrivent.

— L’Annuaire chronologique de 1834, rédigé par M. Ch. Cauchois, contenant l’histoire de tous les événemens de l’année, vient de paraître chez le libraire Dumont.

— L’une des plus belles et des plus vastes opérations de la librairie, la Biographie universelle, de M. Michaud, se continue avec le même zèle et les mêmes soins qui ont fondé sa réputation. Le tome 57e de cette belle collection, la plus complète sans doute qu’il y ait dans aucune langue, vient d’être mis en vente.

Le même éditeur publie en ce moment le 15e volume des Mémoires secrets tirés des papiers d’un homme d’état. Nous nous proposons de revenir sur cette publication, qui, dès son apparition, a éveillé la susceptibilité ombrageuse des cabinets de l’Allemagne, et dans laquelle se trouvent des documens très importans.

— Parmi les publications populaires, le Magasin pittoresque est la seule peut-être qu’on puisse citer comme vraiment utile, et remplissant avec conscience les engagemens qu’elle a pris envers le public. Il nous est arrivé déjà de recommander le Magasin pittoresque ; mais nous ne saurions trop le rappeler à l’attention de nos lecteurs. Dirigé avec autant d’habileté que de goût par M. Charton, varié, grave et amusant tout à la fois, le Magasin pittoresque se maintient dans les conditions qui lui ont valu son énorme succès.

— Le Dictionnaire de Lecture et de Conversation est une autre publication plus méthodique et non moins utile ; seize volumes ont paru, et nous devons dire qu’ils méritent le succès qu’ils obtiennent. Parmi les articles que nous connaissons, nous citerons ceux de Charlemagne, par M. Guizot ; Assemblée Constituante, par M. Pagès (de l’Arriége).

— Le Dictionnaire de Législation usuelle, de M. Chabrol-Chaméane, dont nous avons déjà parlé, se publie en ce moment.

Le Code des Codes, par MM. Crémieux et Balson, est une publication digne d’éloges et d’encouragemens. Les auteurs ont entrepris de réduire en trois volumes l’immense collection du Bulletin des Lois. Élaguer de ce nombre infini de lois toutes les dispositions abrogées par les changemens apportés aux diverses constitutions qui ont régi la France, ou par d’autres dispositions ultérieures, ce n’est pas une médiocre tâche. Les deux premières livraisons, qui ont paru, nous donnent lieu d’espérer que cette tâche sera remplie avec conscience et talent. La première renferme une introduction remarquable de M. Crémieux.

M. Alexis de Tocqueville, que le gouvernement avait chargé, en 1831, d’une mission aux États-Unis, pour y étudier le système pénitentiaire, vient de publier, chez le libraire Charles Gosselin, un ouvrage en deux volumes in-8o, De la Démocratie en Amérique, que nous examinerons prochainement.

— Un Anglais, qui garde l’anonyme, a publié chez le libraire Charpentier une brochure fort intéressante sur l’enquête commerciale. Elle a pour titre : Contre-Enquête. Cet opuscule, qui rappelle souvent la manière simple et nette de Francklin, éclaircit parfaitement et met à la portée de tous les questions les plus difficiles de cette grave matière. Les Anglais ont beaucoup de ces ouvrages sérieusement utiles parmi lesquels nous citerons le Catéchisme sur la loi des Céréales, qui est parvenu à sa trentième édition, et dont il a été vendu plus de trois cent mille exemplaires. La Contre-Enquête est, dit-on, du même auteur que le Catéchisme.

M. Audoin, professeur au Jardin des Plantes, et M. Brullé, jeune naturaliste, publient, chez l’éditeur Pillot, une Histoire naturelle des insectes.

— Un Précis de la science de Gall, destiné aux gens du monde, et un autre de celle de Lavater, viennent de paraître à la librairie médicale de Crochard. Ces deux ouvrages sont ornés de gravures.

M. d’Haussez, qui depuis son exil s’est fait écrivain, vient de nous envoyer, par son libraire Alardin, le Voyage d’un Exilé, de Londres à Naples et en Sicile. — Le même libraire a mis en vente un nouveau roman de M. Michel Raymond, Un Secret. Nous examinerons prochainement ces deux publications.

— Le bibliophile Jacob nous a donné aussi son roman. C’est de tous les écrivains de notre époque celui dont le nom se retrouve le plus souvent sur les catalogues de la librairie ; les contes de l’inépuisable bibliophile pour le premier trimestre de 1835 s’appellent : Le Bon vieux Temps.

— Voici maintenant M. le chevalier Joseph Bard, qui se prétend ex bardorum stirpe, avec un roman qu’il appelle palingénésique ; la Vénus d’Arles. Nous dirons peut-être un jour ce que c’est que la Vénus d’Arles de M. le chevalier Joseph Bard.

— La Semaine de Pâques, tel est le titre d’un roman qui a paru chez Eugène Renduel. C’est le coup d’essai de M. Ferdinand Dugué.

Parmi les meilleures réimpressions nouvelles, nous citerons les suivantes :

Journal d’un déporté non jugé, par M. Barbé-Marbois. Ce livre avait été imprimé autrefois à un très petit nombre d’exemplaires, qui n’avaient pas même été mis en vente ; le succès que cet ouvrage avait obtenu dans quelques cercles a engagé un libraire à en donner une seconde édition.

La Némésis de M. Barthélemy, à 50 centimes la livraison, publiée par le libraire Perrotin. L’ouvrage aura seize livraisons, accompagnées d’une gravure à l’eau-forte d’après les dessins de Raffet.

— La belle édition de Walter Scott, aussi à 50 centimes la livraison, se poursuit avec activité à la même librairie.

Œuvres complètes de J.-J. Rousseau et de Beaumarchais, ornées de belles vignettes d’après les dessins de Johannot. Les premières livraisons de ces deux ouvrages ont paru. Le succès qu’a obtenu la belle édition des Œuvres de M. de Châteaubriant, publiée sur grand format à deux colonnes, par le libraire Furne, a engagé cet éditeur à faire paraître sur le même plan une nouvelle édition de J.-J. Rousseau et de Beaumarchais.

Origine de tous les Cultes, par Dupuis, publiée chez Rey et Gravier par livraisons d’un demi-volume, à raison de 2 fr. 50 c., ou 55 fr. l’ouvrage complet. Cette édition est accompagnée d’un bel atlas.

Histoire de la guerre de la Péninsule, par le général Foy, publiée par livraisons de 50 c., et ornée de gravures et de cartes.

Histoire de la grande armée pendant la campagne de Russie, par M. Ph. de Ségur. Ces deux ouvrages se trouvent chez Houdaille, rue du Coq-Saint-Honoré.

Mémoires de Mme d’Abantès, publiés par le libraire Marne. Cette édition, aussi complète que la précédente, formera douze volumes in-8o.

— La nouvelle édition de la Bible, publiée par l’éditeur Crumner, et ornée de plus de 700 gravures.

Commentaires sur le Code civil, par MM. Boileux et Poncelet ; édition nouvelle que vient de publier le libraire Joubert. On sait que ces Commentaires sont un des meilleurs traités sur notre législation.


Le libraire Renduel annonce pour le 25 de ce mois les Mémoires et Correspondance inédits du général Dumouriez. Les manuscrits autographes sont déposés chez cet éditeur, où l’on peut en prendre connaissance.

— Nous recommandons aux personnes qui s’occupent de littérature allemande la librairie de MM. Heideloff et Campé, rue Vivienne, 16. On trouve dans cette librairie tous les ouvrages importans, anciens et modernes, sortis des presses de l’Allemagne.