Chronique de Michel le Syrien (Chabot)

BIBLIOGRAPHIE.


Chronique de Michel le Syrien, patriarche jacobite d’Antioche (1166-1199), éditée pour la première fois et traduite en français par J.-B. Chabot. Ouvrage publié avec l’encouragement et sous le patronage de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Paris, Ernest Leroux, in-4o. Tome I, fascicule 1er, 1899, avant-propos, p. i-iii ; traduction, p. 112, texte, p. 1-80 ; fascicule 2 ; 1900, traduction, p. 113-325, texte, p. 81-160. Tome II, fascicule 1er, 1901, traduction, p. 1-152 ; texte, p. 161-256.

Les lecteurs de ce Journal se rappellent combien la Société asiatique prit part à l’émotion que souleva chez les orientalistes la nouvelle de la découverte de la Chronique de Michel que l’on croyait perdue. Dans sa séance du 12 janvier 1894, le Conseil de la Société acceptait à l’unanimité de faire les frais de la publication de cet ouvrage d’après une copie que possédait Mgr Raḥmâni. Mais cette entreprise demeura à l’état de projet, et Mgr Raḥmâni ne donna pas suite. Depuis, l’un de nos savants confrères, M. J.-B. Chabot, a réussi, au prix des plus grands efforts et de lourds sacrifices, à se procurer une excellente copie du même manuscrit dont Mgr Raḥmâni avait obtenu une première copie ; voir dans les Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres la Note sur la Chronique de Michel le Syrien, lue par M. Chabot dans la séance du 28 juillet 1899. Cette Académie prit sous son patronage la publication de la Chronique dont M. Chabot se chargeait.

Nous rappelons ces faits pour montrer que ce n’est pas par indifférence que la Société asiatique a laissé passer trois fascicules de l’édition de M. Chabot avant d’en rendre compte dans son Journal. Elle désirait que la partie publiée formât un ensemble capable de faire ressortir la valeur historique de la Chronique de Michel.


Cette Chronique comprend vingt et un livres divisés en plusieurs chapitres. La plupart des chapitres sont écrits sur trois colonnes : la colonne du milieu donne l’histoire civile ; une autre contient l’histoire ecclésiastique ; et la troisième rapporte divers récits ; en outre, les canons chronologiques sont répartis en plusieurs endroits au bas des pages. La reproduction par la typographie d’un texte aussi compliqué eût entraîné de grands frais et demandé beaucoup de temps. M. Chabot a été très bien inspiré en faisant reproduire par la photolithographie sa belle copie, procédé qui a l’avantage d’éviter les fautes d’impression. Il n’y a pas à parler de variantes puisqu’il s’agit d’un unicum ; les fautes de copiste ont été relevées dans les notes de la traduction.

La traduction suit autant que possible la disposition du texte syriaque ; la partie principale est imprimée dans toute la largeur de la page et, au-dessous, figurent les deux colonnes de droite et de gauche. Quant aux tables chronologiques, M. Chabot les a réunies ensemble en leur faisant subir les corrections nécessaires. Les renvois aux pages du texte, indiquées par des chiffres gras, facilitent d’une manière très commode la comparaison de la traduction avec le texte syriaque.


Le tome I est formé des sept premiers livres de cette compilation historique, lesquels s’étendent depuis l’origine du monde jusqu’à Arcadius et Honorius, au moment de la division de l’empire romain en Empire d’Occident et Empire d’Orient. La principale source de Michel pour les six premiers livres qui vont jusqu’à Constantin est la Chronique d’Eusèbe qui s’arrête à l’an 20 du règne de Constantin ; à partir de l’ère chrétienne, l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe a été aussi mise à contribution. Michel se réfère encore aux chroniques grecques de Jules l’Africain, d’Annianus et d’Andronicus, aujourd’hui perdues. À partir de Constantin, Michel suit la chronique syriaque de Jacques d’Édesse que cet auteur a composée pour faire suite à la Chronique d’Eusèbe, et dont il ne nous reste que des fragments. Ce court résumé montre que cette compilation a au moins le mérite de donner de précieuses références à des ouvrages historiques qui ne sont pas conservés.

Pour l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe, Michel a eu certainement entre les mains la version syriaque que nous possédons encore, et il est vraisemblable que pour la Chronique du même auteur, il s’adressa à la traduction qu’en fit Jacques d’Édesse qui lui apporta les modifications que ses connaissances historiques lui suggéraient. L’existence de cette traduction, perdue de nos jours, nous a été révélée par une note de Théodose d’Édesse rapportée par Michel dans son livre VIII (éd. Chabot, p. 128 ; trad. p. 255) en ces termes : « Jacques, de la ville d’Édesse, qui a transcrit le livre (la Chronique d’Eusèbe) du grec en syriaque, a ajouté et coordonné les événements non seulement depuis Adam jusqu’à Abraham, mais aussi depuis Constantin jusqu’à son époque… Il revisa attentivement toute la Chronique, tant à propos des empires qu’Eusèbe a passés sous silence, qu’à cause des autres choses dont ce vénérable [Jacques] rappelle le souvenir. » Dans cette hypothèse, les divergences que présente le texte de Michel compare avec la Chronique d’Eusèbe (dans les versions latine et arménienne et les fragments grecs), s’expliqueraient par la traduction de Jacques.

La compilation de Michel, pour les temps anciens, ne manque donc point d’intérêt, mais l’intérêt en est encore rehaussé par les extraits que l’auteur a tirés d’autres ouvrages dont quelques-uns sont inédits ou perdus. Il est utile de rappeler ici ceux de ces ouvrages qui méritent une mention particulière :

Livre I : Le livre d’Hénoch. — La Hiérarchie céleste de pseudo-Denys l’Aréopagite. M. Chabot a collationné le manuscrit du British Museum, add. 12151, qui contient la version syriaque de La Hiérarchie céleste faite par Sergius de Reš‘aina.

Livre II : Notice sur Job, par Aroud (ou Orod) le chananéen ; comparer Bar Bahloul, 116, 15. — Le Traité sur le sacerdoce de Jean de Dara, dont les passages rapportés ont été collationnés par M. Guidi, à la demande de M. Chabot, sur le manuscrit C du Vatican.

Livres I-V. — À partir de la p. 37 (trad. p. 63), Michel insère Les vies des Prophètes du pseudo-Épiphane, que M. Chabot a collationnées avec les textes grecs et syriaques. — P. 42 (trad. p. 70), notice de Jacques d’Édesse sur les erreurs des dates d’Eusèbe pour les rois de Juda et d’Israël. — P. 49 (trad. p. 81), une description de Rome qui est reproduite presque identiquement plus loin, sous Justinien. — P. 72 (trad. p. 114), une description d’Alexandrie dont la source grecque reste à retrouver. M. Chabot donne, pour les passages qui présentent des obscurités, les variantes de la version arabe de Michel qui se trouve au British Museum.

Le livre V se termine par la correspondance échangée entre le roi d’Édesse Abgar et Notre-Seigneur ; une courte notice sur les douze Apôtres complétée par un extrait de Bar Çalibi ; et une liste des noms des Disciples, reproduite d’après une autre source dans le premier chapitre du livre suivant.

Livre VI. P. 96 (trad. p. 167), récit légendaire de l’Invention de la Croix, qui est contenu dans plusieurs manuscrits syriaques et qui a été inséré dans la Doctrine d’Addai. À partir de l’ère chrétienne, Michel donne les listes des évêques qu’il trouvait mentionnés dans ses sources[1]. La liste des évêques d’Édesse commence aussitôt après l’apôtre Addai ; elle énumère les noms suivants : Aggai, Palout, [‘Abšelama], Barsamia, p. 106 (trad. 175), qui ont été fournis à Michel par la Doctrine d’Addai et les Actes des martyrs d’Édesse, comme le remarque M. Chabot. Plus loin, p. 110 (trad. p. 184), viennent les noms de Tiridate, Bouzni, Šaloula, ‘Abda[2], Gouria, ‘Abda II, Yazni, Hystapse, ‘Aqai. Les deux derniers évêques sont les contemporains de Bar Daiçân qui florissait à la fin du IIe siècle et au commencement du IIIe siècle. Cette liste a été forgée en conformité de la légende qui fait remonter aux premières années de l’ère chrétienne la conversion des édesseniens au christianisme ; elle a pour but de fournir une série ininterrompue des évêques d’Édesse pendant les deux premiers siècles ; comparer Baumstark dans la revue de l’Oriens christianus, 1901, p. 190. Du reste, la liste des évêques d’Édesse s’arrête là et ne reprend plus qu’à Yona, p. 120 (trad. p. 203). Yona est altéré de Kouné, nom de l’évêque d’Édesse qui vivait vers 313, suivant la Chronique d’Édesse (éd. Hallier, p. 93, no xii) que Michel suit ici. — P. 110 (trad. p. 183), intéressante notice biographique sur Bar Daiçân, laquelle paraît être d’origine grecque.

À la fin du livre VI, M. Chabot a réuni tous les canons chronologiques répartis dans les six premiers livres en y ajoutant le tableau qui se trouve au commencement du livre VII et qui complète la série empruntée à Eusèbe. Ces tables chronologiques ont été restituées telles que Michel devait les avoir sous les yeux, d’après les dates données dans le texte. Ces restitutions sont le fruit d’un labeur long et fastidieux qu’on saura gré au consciencieux éditeur d’avoir supporté.

Livre VII. — Michel remarque que plusieurs chroniqueurs, notamment Socrate, Jean d’Asie et Théodoret, font commencer leur histoire à Constantin, il se réfère souvent à leurs histoires à partir de son livre VII. — P. 124 (trad. p. 247), liste des évêques qui assistèrent au concile de Nicée. — P. 158 (trad. p. 313), liste des évêques présents au concile de Constantinople.

Le premier fascicule du tome II comprend les livres VIII et IX de la Chronique, lesquels s’étendent sur le Ve siècle, depuis Arcadius et Honorius jusqu’à Zénon. Les principales sources de Michel pour cette époque sont les chroniques de Socrate, de Théodoret, de Zacharie le Rhéteur et de Jacques d’Édesse.

Le Ve siècle est l’époque des grandes luttes que suscitèrent dans le monde chrétien les questions christologiques, et l’histoire ecclésiastique occupe la plus grande partie de ce fascicule. Les deux conciles d’Éphèse et le concile de Chalcédoine sont exposés par Michel avec de nombreux détails empruntés à Socrate. Dans le chapitre consacré au premier synode d’Éphèse, Michel rapporte, d’après Zacharie, la légende des Sept dormants d’Éphèse, invoquée en faveur du dogme de la résurrection des morts, p. 173 (trad. p. 17). — P. 197 (trad. p. 59), liste des évêques qui se réunirent au concile de Chalcédoine. M. Chabot a collationné cette liste avec celle que renferme un manuscrit syriaque du musée Borgia ; il donne aussi les variantes de la liste latine d’après Mansi. — P. 203 (trad. p. 69), un résumé des Plérophories de Jean de Mayouma conservées en syriaque, que M. Nau a fait connaître par une traduction française dans la Revue de l’Orient chrétien. — P. 218 (trad. p. 92), un résumé des Τμήματα de Jean Philiponus, ouvrage théologique destiné à fournir des arguments aux adversaires du concile de Chalcédoine et qui est aujourd’hui perdu. La traduction syriaque utilisée par Michel est littérale et obscure ; il a fallu à M. Chabot des efforts soutenus et des recherches pénibles pour en présenter un sens intelligible.

Le livre IX est tiré pour la majeure partie de la compilation syriaque qui porte le nom de Zacharie le Rhéteur.


M. Chabot, théologien et orientaliste distingué, était des mieux préparés pour donner une excellente édition de la Chronique de Michel. Sa connaissance de la littérature syriaque et de la littérature byzantine lui a permis d’éclaircir les obscurités que présente forcément une compilation formée de morceaux disparates. Le bas des pages de la traduction est enrichi de nombreuses notes, qui témoignent de recherches faites avec un labeur infatigable. Nous n’avons comparé le texte et la traduction que par endroits et non d’une manière suivie, mais suffisamment cependant pour acquérir la conviction que la traduction est très fidèle et mérite toute confiance. Voici quelques observations qu’il nous a paru utile de noter :

I, 22, 14. D’après Marquart, Eranšahr, 148, note 6, il faut lire « Indus » au lieu de « Danube », et corriger le mot ܕܐܢܐܒܕܘܣ du texte, 11, 16, en ܕܐܝܢܕܘܣ.

I, 118, 1. « Discours » ne rend pas très exactement le sens de ܡܠܬܐ,i76, 1 ; mieux vaudrait peut-être traduire « exposé ».

I, 133, note 5. Le rapprochement du mois ܩܼܿܝܢܢ (donné comme l’équivalent de juillet) et du mois palmyrénien קנין est très ingénieux ; il suffit, dit M. Chabot, de corriger ܩܝܢܢ en ܩܢܝܢ, et le passage de Michel donne la solution d’un problème chronologique important. On doit supposer que Michel a emprunté sa citation à une source bien ancienne, car la connaissance du nom de ce mois devait être perdue depuis dix siècles au temps de Michel. Il est possible que ce mois appartenait à une ère où l’année commençait au printemps, au mois d’avril ; dans ce cas, le 4e mois répondait au mois de juillet, et la correction de 4e en 7e proposée par M. Chabot dans la note précédente devient inutile.

I, 179, col. 1, l. 28. Lire : « car il est âgé, et toi tu es moins âgé », au lieu de : « car il est prêtre et il t’ordonnera prêtre (?)».

I, 245, note 2. M. Chabot remarque que Michel a rendu le grec κένην par « nouveau », comme s’il avait lu νέαν ; καινήν est évidemment plus proche.

I, 263, note 3. Le passage biblique cité est faux ; nous avons songé à Joël, II, 25, quoique Michel parle du Pentateuque.

I, 279, 16. Au lieu de : « il avait l’assurance », lire : « il se confirma, il devint évident » (ܐܫܬܪܪ).

I, 286, note 8. Lire ܡܢܩܪܝܢ et ܡܢܩܕܝܢ, au lieu de ܢܩܪܝܢ et ܢܩܕܝܢ.

I, 291, col. 1, antepen. Lire « du fleuve Euripe », au lieu de « d’Euripus » ; comparer Bar Bahloul, 92, 21 ; 96, 20 ; 302, 5.

I, 297, note 13. Mieux vaut entendre « les villages » ; dans le texte, ܩܘ̄ est une abréviation de ܩܘܪܝܣ.

II, 9, antepen. Lire : « il composa de nombreuses homélies », au lieu de « il composa de nombreux traités ». Le mot ܡܡܪ܁ܐ se traduit par « homélies métriques » quand il s’agit de poésies.

L’édition complète de la Chronique de Michel formera quatre volumes : un volume de texte et trois volumes de traduction. Les deux volumes et demi qu’il reste à imprimer demanderont encore deux années d’élaboration avant que l’édition soit achevée. La dernière partie promet d’être encore plus digne d’intérêt ; M. Chabot nous en informe dans sa Note lue à l’Académie des inscriptions et belles-lettres : « Une partie, dit-il, parle des faits contemporains de l’auteur ; elle abonde en détails sur l’état politique et religieux de la Syrie au xiie siècle. Elle fournit une importante contribution à l’histoire des croisades, principalement pour ce qui concerne le comté d’Édesse. »

Nous nous ferons un devoir d’annoncer aux lecteurs du Journal chaque nouveau fascicule au moment de sa venue au jour.

Rubens Duval.
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  1. Un des appendices qui suivent dans le manuscrit la Chronique de Michel contient une liste des patriarches jacobites depuis Sévère (511) jusqu’à Michel. Ce qui fait l’importance de cette liste, c’est qu’elle donne, à partir de Cyriacus (793), les noms de plus de neuf cents évêques ordonnés par ces patriarches. M. Chabot a fait connaître cette liste par une traduction dans la Revue de l’Orient chrétien.
  2. Le texte ne paraît pas ici très correct ; Mgr Rḥamâni a lu dans sa copie ܘܒܬܪ ܗܝܐ ܥܒܪܐ (ܘ) ܓܘܪܝܐ. ܘܒܬܪܓܘܪܝܐ ܥܒܕܐ ܐܚܝܪܐ, ce qui s’explique mieux, voir Rḥamâni, Acta sanctor. confessor. Guriae et Schamonae, p. xxiv.