La jeune Marguerite, reine de Navarre, et Blanche, femme du frère puîné de Charles, roi de Navarre, furent, comme le méritaient leurs fautes, répudiées par leurs maris pour avoir commis de honteux adultères avec les deux frères les chevaliers Philippe et Gautier d’Aunay, la première avec Philippe, l’autre avec Gautier. Justement dépouillées de tous honneurs temporels, elles furent renfermées dans une prison, afin que, dans une étroite réclusion, privées de toute consolation humaine, elles terminassent leur vie dans l’infortune et la misère. Quant aux deux chevaliers, non seulement ils avaient avec infamie souillé le lit de leurs seigneurs, qui avaient en eux une confiance toute particulière, comme en de très-familiers domestiques ; mais c’étaient d’odieux traîtres ainsi que le prouvait certainement la livrée qu’ils portaient, et celle des gens de leur suite d’autant plus coupables en cette action, qu’ils avaient séduit par des douceurs et caresses ces femmes toutes jeunes et d’un sexe faible. Le vendredi après la Quasimodo, à Pontoise, ils confessèrent avoir commis ce crime pendant trois ans, et dans plusieurs lieux et temps sacrés. C’est pourquoi, expiant par un genre de mort et un supplice ignominieux un si infâme forfait, ils furent à la vue de tous écorchés tout vivans sur la place publique. On leur coupa les parties viriles et génitales, et leur tranchant la tête, on les traîna au gibet public où, dépouillés de toute leur peau, ils furent pendus par les épaules et les jointures des bras. Ensuite, après eux un huissier qui paraissait, à bon titre, fauteur et complice dudit crime, et un grand nombre, tant nobles que gens du commun de l’un et l’autre sexe, soupçonnés de complicité ou connaissance dudit crime, furent la plupart mis à la torture, quelques-uns furent noyés, un grand nombre furent mis à mort secrètement. Plusieurs trouvés innocens furent entièrement acquittés. Parmi ceux-ci on remarquait un frère Prêcheur, dit évêque de Saint-George, qu’on prétendait avoir coopéré ou participé audit crime par des……….. du des sortilèges qui provoquaient les hommes au mal. Les uns disent qu’il fut retenu en prison chez les frères Prêcheurs, d’autres qu’il fut envoyé vers les cardinaux, le Siège apostolique étant vacant, et acquitté par leur jugement. Quoique Jeanne, soeur de ladite Blanche, et épouse de Philippe, çomte du Poitou, eût été dans le commencement violemment soupçonnée, séparée quelque temps de son mari, et gardée dans une prison au château de Dourdan, cependant, après une enquête faite à ce sujet, elle fut lavée désdits soupçons, déclarée tout-à-fait innocente dans un parlement tenu à Paris, et auquel assistaient le comte de Valois, le comte d’Evreux et beaucoup d’autres nobles ; et ainsi, avant la fin de l’année, elle mérita d’être réconciliée avec son époux.
Au temps de Pâques, et dans la ville d’Avignon, le pape Clément entra dans la voie de toute chair, et par suite des discordes et violentes divisions élevées entre les cardinaux, le siège apostolique demeura long-temps vacant, à l’occasion surtout de l’incendie du palais de Carpentras, où ils s’étaient réunis pour l’élection d’un pape, et auquel le feu avait été mis par le marquis de Vienne, neveu de feu le pape Clément, qui voulait favoriser le cardinal de Gascogne, porté à l’élection en opposition aux cardinaux d’Italie et de France. On disait aussi certainement que ces discordes venaient des grands et nombreux dommages qu’avaient éprouvés en leurs maisons et biens plusieurs cardinaux et autres, particulièrement des marchands. On les vit aussi contraires et opposés pour le choix d’un lieu convenable à l’élection, que pour le principal sujet de l’élection elle-même, les Italiens disant qu’il fallait se rendre à Rome, d’autres désignant d’autres villes. C’est pourquoi les cardinaux se dispersèrent comme des perdrix effrayées, les uns à Orange, les autres à Avignon où ailleurs, selon l’idée de chacun d’eux.
Edouard, roi d’Angleterre, affligé de ce que les Écossais, sous la conduite de Robert Bruce, leur commandant en chef, s’étaient comme il disait, emparés de sa terre, avec autant d’injustice que de violence et de fourberie, s’efforça de tout son pouvoir, pour la recouvrer, d’attaquer vigoureusement leur royaume. Vers la fête de la Décollation de saint Jean, ayant rassemblé une armée nombreuse des siens, il leur livra bataille en plaine, sans précaution et avec orgueil, présumant, d’après leur petit nombre, qu’il remporterait bientôt sur eux le triomphe qu’il desirait. Mais aussitôt les bataillons anglais furent écrasés par les armes puissantes des ennemis. Le roi Edouard lui-même, quittant le champ de bataille, accompagné d’un petit nombre de gens, trouva à grand’peine son salut dans la fuite ; ce qui couvrit à jamais les Anglais d’un opprobre éternel. Ledit Robert Bruce, chef des Ecossais était placé au milieu des siens comme le cœur au milieu des membres ; et bien que, selon le dire de plusieurs, ils fussent protégés par le cilice encore plus que par les armes, et fortifiés d’une confiance toute particulière dans le Seigneur, qui accorde la victoire aux plus dignes, cependant, comme Bruce s’élevait au milieu de tous non seulement par ses vertus et son courage, mais encore par l’humilité de sa dévotion, ce fut lui qui attira sur eux le secours divin. Décidés, s’il le fallait, à s’exposer à la mort avec un audacieux courage pour leur liberté et celle de leur patrie, non seulement ils soutinrent ce combat, mais remportèrent sur les Anglais une glorieuse victoire. Le comte de Glocester et beaucoup d’autres furent tués, beaucoup de grands et de nobles furent pris vivans, et se rachetèrent ensuite au prix de beaucoup d’argent. Les Ecossais partagèrent le butin provenant des rançons des prisonniers et des dépouilles des fuyards, et par là s’enrichirent, s’agrandirent et accrurent leurs forces. Cependant, quoique après cette victoire ils eussent pu facilement forcer à se rendre la reine d’Angleterre Isabelle, qu’ils tenaient assiégée dans un château voisin, par crainte ou par égard pour le roi de France son père, ils la laissèrent se retirer librement et paisiblement. Au temps d’une fête solennelle, les Flamands, ayant de nouveau chassé de Courtrai le bailli du roi, s’enflammèrent de l’esprit de rébellion contre le roi de France ; c’est pourquoi il fut porté une sentence d’excommunication contre tous les perturbateurs de la paix, et les complices des dissensions et révoltes ; elle fut proclamée d’abord à Paris, sur la place du Parvis, et ensuite à Tournai, Saint-Orner, Noyon, Arras et Douai, par l’archevêque de Rheims et l’abbé de Saint-Denis en France, à qui l’autorité apostolique en avait confié l’exécution, et qui coururent quelques dangers dans l’accomplissement de leur mission. On rapporte que les Flamands appelèrent de leur sentence au Siège apostolique. Philippe, roi de France, envoya de tous côtés, pour dompter les rebelles, différentes armées, à savoir Louis son fils aîné, roi de Navarre, à Douai Philippe, comte de Poitou, à Saint-Omer Charles, le troisième et le plus jeune de ses fils, avec Charles, comte de Valois, à Tournai ; et Louis, comte d’Evreux, à Lille ; assignant à chacun un certain nombre d’hommes. Enfin cependant, dans l’espoir de faire conclure la paix à certaines conditions, le comte de Saint-Paul et Enguerrand, comte d’Evreux, se portèrent médiateurs et entremetteurs entre les deux partis. Le comte de Flandre et les Flamands furent tenus de se rendre vers le roi de France dans un espace de temps fixé pour ratifier définitivement la paix. On commença par mettre en liberté Robert et les autres otages. Toute l’armée du roi de France s’en revint donc dans son pays sans avoir rien fait cette fois, s’étant laissé honteusement tromper et jouer avec trop de promptitude et de facilité par les ennemis auxquels elle avait prêté trop de foi.
Vers le même temps, les électeurs s’étant rassemblés à Francfort pour élire un roi des Romains ne purent s’accorder, les uns donnant légitimement leur suffrage à Louis, duc de Bavière, et d’autres a Frédéric, duc d’Autriche. Ledit Louis l’emportant sur l’autre par les efforts de sa prudence et par la puissance des armes et le courage de ses partisans, sans rien obtenir sur l’esprit de ses adversaires, fut à Aix-la-Chapelle, vers la fête de la Nativité, couronné du diadème royal des Romains. Plus tard, le duc d’Autriche fut couronné vers la fête de la Pentecôte par l’archevêque de Cologne qui favorisait sa cause ; mais ce ne fut pas à Aix-la-Chapelle.
Une extorsion injuste, une exaction inique et d’un nouveau genre, inaccoutumée dans le royaume de France, commença d’abord à Paris, et se répandit de là par tout le royaume, où on exerça des exactions, sous le prétexte des dépenses faites dans la guerre de Flandre ; c’est à savoir que tout acheteur et tout vendeur furent forcés de payer au roi, dans les mains de ses conseillers, satellites et agens, dix deniers par livre parisis de chaque chose vendue et achetée. Plusieurs nobles et gens du commun, les Picards et les Champenois 34, liés ensemble par un serment pour la défense de leur liberté et de celle de leur pays, ne pouvant aucunement souffrir cette exaction, s’y opposèrent vigoureusement, et obtinrent enfin la liberté qu’ils souhaitaient, l’extorsion cessant entièrement et complètement par l’ordre du roi, non seulement dans leurs terres, mais par tout le royaume de France. Quelques gens ont dit que ces exactions n’étaient pas venues de lui-même, mais lui avaient été suggérées par le conseil des méchans.
Philippe, roi de France, fut retenu par une longue maladie, dont la cause inconnue aux médecins fut pour eux et pour beaucoup d’autres le sujet d’une grande surprise et stupeur ; d’autant plus que son pouls ni son urine n’annonçaient qu’il fût malade ou en danger de mourir. Enfin il se fit transporter par les siens à Fontainebleau, lieu de sa naissance. Là, peu de jours après, voyant approcher le moment de sa mort, pourvoyant avec soin et sagesse à sa maison et à ses affaires domestiques, il investit du comté de la Manche et du territoire environnant, le seigneur Charles son plus jeune fils, à qui il n’avait encore assigné aucun héritage. S’appliquant avec encore plus de zèle au salut de son ame, il fit cesser entièrement et complètement les exactions de la maltôte dont il avait entendu parler, et qui lui déplaisaient infiniment. Enfin, après avoir relu son testament avec une grande attention et l’avoir disposé sagement autant qu’il fut en son pouvoir, il donna à son fils aîné, déjà roi de Navarre des conseils salutaires et pleins de sagesse, lui ordonnant de les suivre, et le menaçant, en cas du contraire, de la malédiction paternelle et divine ; il lui recommanda spécialement et particulièrement, parmi les saintes églises catholiques, celle de saint Denis, patron spécial du royaume de France. Enfin après avoir, en présence et à la vue d’un grand nombre de gens, reçu le sacrement avec une ferveur et une dévotion admirable, il rendit heureusement son ame au Créateur, dans la confession de la foi véritable et catholique, la trentième année de son règne, le vendredi, veille de la fête de l’apôtre saint André. Son corps fut porté, le plus convenablement et honorablement qu’il fut possible, en la sépulture de ses pères, l’église de Saint-Denis, où il fut déposé tout entier, à l’exception de son cœur, dans un endroit séparé qu’il avait lui-même désigné de son vivant, avec les honneurs qui conviennent à la majesté royale, le vingt-cinquième jour de la lune, en présence des prélats, savoir : d’un archevêque, qui célébra la messe, de dix évêques et de quatorze abbés. Son cœur, qu’il avait destiné à être enseveli à Poissy, dans une église du nom de Saint-Dominique, qu’il y avait fondée, y fut porté et enterré avec les honneurs convenables le lendemain du jour où son corps fut enseveli.
Louis, roi de France et de Navarre, destitua de sa dignité de chancelier l’évêque de Châlons, et mit à sa place Etienne de Maruges, expert dans le droit civil et chambellan de Charles son oncle. Vers la Nativité du Seigneur, il fit passer dans le pays de Sicile le chevalier Hugues de Boville, son chambellan et secrétaire, avec d’autres envoyés fidèles, pour lui amener Clémence, fille du roi de Hongrie, qu’il voulait prendre en mariage. Le roi de France envoya aussi vers la cour de Rome une ambassade ou députation solennelle, composée de Girard, évêque de Soissons, du comte de Boulogne, du chevalier Pierre de Blève, homme savant en droit, pour exciter les cardinaux à dire un souverain pontife ; mais cette démarche eut peu ou point de succès.
34. Il y a ici une lacune dans le texte.