Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1324

Règne de Charles IV le Bel (1322-1328)

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[1324]


Cette année, la femme du roi de France sœur du roi de Bohême, étant morte, le roi prit en mariage Jeanne, fille du feu comte d’Evreux, sa cousine germaine, puisqu’elle était fille de son oncle. Dans ce temps, en Gascogne, le seigneur de Montpesat bâtit un fort dans le domaine du roi de France, et soutint qu’il était dans le domaine du roi d’Angleterre. Une discussion s’étant élevée à ce sujet entre les gens du roi de France et ceux du roi d’Angleterre, le jugement fut rendu en faveur du roi de France. Ainsi ledit fort lui fut adjugé, et joint au domaine du roi de France. Le seigneur de Montpesat, offensé, se mettant à la tête d’une troupe de chevaliers, appela à son aide le sénéchal du roi d’Angleterre ; étant venus ensemble audit fort, ils tuèrent tous les hommes du roi de France qu’ils y trouvèrent, pendirent, dit-on, quelques bourgeois considérables qu’ils y prirent, et, détruisant le fort de fond en comble, transportèrent au château de Montpesat tout ce qu’ils y avaient pu trouver. Quoique le roi eut pu venger par lui-même cette injure,voulant cependant procéder en toutes choses selon les formes de la justice, il fit connaître au roi d’Angleterre l’offense qui lui avait été faite dans sa terre, et demanda qu’il lui en fît faire juste réparation. Le roi d’Angleterre envoya vers le roi de France, avec quelques grands d’Angleterre, Edmond, son frère par la seconde femme de son père, cousin-germain du roi de France par sa mère, avec le pouvoir de traiter avec le roi de France au sujet de la réparation, et de ratifier pleinement ce qui aurait été traité avec lui. Le roi voulut que le senéchal d’Angleterre dans le pays de Gascogne, le seigneur de Montpesat, et quelques-uns qui lui avaient conseillé ledit méfait, fussent, pour réparation, remis entièrement à sa volonté, demandant de plus que le château lui fût rendu. Les Anglais, convaincus qu’ils ne pourraient d’aucune manière faire pencher l’esprit du roi à accepter une autre réparation que celle qu’il exigeait, feignirent de consentir à celle-ci. Le seigneur Jean d’Artablay, chevalier du roi, s’étant joint à eux pour que l’exécution de ladite affaire eût lieu en sa présence au nom du roi, ils se dirigèrent vers la Gascogne ; mais ils n’observèrent pas les conventions, et ledit seigneur Jean revint annoncer au roi comment les Anglais l’avaient trompé, et comment, munissant d’Anglais les châteaux et les villes, ils se préparaient de tout leur pouvoir à la guerre. Le roi envoya en Gascogne, à la tête d’une troupe choisie d’hommes de guerre, son oncle, le comte de Valois avec Philippe et Charles, fils dudit oncle, et le seigneur d’Arras, comte de Beaumont le Roger. Le comte de Valois s’étant avancé jusqu’à Agen, cette ville se rendit volontairement à lui sans combat. Ayant appris que le frère du roi d’Angleterre et les Anglais demeuraient dans une ville appelée Régale et vulgairement en français La Réole avec une forte troupe d’hommes de guerre, il s’en approcha avec son armée. Mais quelques-uns des nôtres s’étant avancés trop près d’une porte, et ayant témérairement provoqué ceux de la ville au combat, le seigneur de Florent fut tué dans cette affaire avec quelques autres chevaliers, et ils furent honteusement vaincus. Supportant avec peine cette défaite, le comte de Valois fit dresser les machines et tous les engins nécessaires à la destruction de la ville, qu’il assiégea de telle sorte que de tous côtés furent également interdites l’entrée et la sortie. Les assiégés se voyant, eux et leurs biens, menacés de tous côtés, offrirent aussitôt des conditions de paix. Il fut arrêté que la ville serait rendue, que les habitans qui voudraient demeurer dans le parti du roi d’Angleterre pourraient librement se transporter en d’autres endroits, vie et bagues sauves ; que ceux qui voudraient rester jureraient fidélité au roi de France, et obéiraient aux gardiens établis par lui en ce château. Ledit Edmond, chef de cette guerre, frère du roi d’ Angleterre par son père, et neveu du seigneur Charles par sa mère, eut la permission de s’en retourner vers le roi d’Angleterre, afin que, si le roi d’Angleterre voulait observer le traité comme il l’avait promis au roi de France à Paris, la paix fût fermement établie entre eux ; autrement ledit Edmond devait revenir vers le seigneur Charles pour être livré à la volonté du roi ; c’est pourquoi on donna en otage quatre chevaliers anglais, et on conclut une trêve pour jusqu’à la fête suivante de Pâques. Ainsi relâché, Edmond retourna en Angleterre par Bordeaux ; beaucoup de gens dirent qu’on aurait dû l’amener d’abord vers le roi, afin qu’avant d’être mis en liberté, il attendît au sujet de cette affaire les ordres du roi. La Réole ayant été prise, on détruisit de fond en comble le château de Montpesat, dont le seigneur était, dit-on, mort auparavant de tristesse et de chagrin. Ainsi toute la Gascogne fut soumise à la domination du roi de France, à l’exception de Bordeaux, de Bayonne et de Saint-Sever, qui sont encore demeurés sous l’obéissance du roi d’Angleterre. Le seigneur Charles, ayant licencié son armée, retourna en France.

Cette année, le pape ordonna aux prélats et à tous les autres, tant religieux que non religieux, chargés du ministère de la prédication, d’annoncer publiquement au clergé et au peuple, en vertu de la sainte obédience, les procédures qu’il avait faites contre Louis, duc de Bavière, défendant, sous les peines réservées à la désobéissance, que personne le dît ni le nommât empereur. Dégageant tous ses vassaux de leur serment de fidélité, il défendit que, tant que durerait sa rébellion et sa désobéissance contre l’Église, personne lui prêtât secours, protection ni conseil ; que celui qui paraîtrait agir autrement, s’il était prélat, serait pendu, si laïc, excommunié et que sa terre serait soumise à l’interdit ecclésiastique. Il ordonna de publier à Paris, et dans les autres villes de grandes écoles, une nouvelle décrétale qu’il venait de composer, qui condamnait comme hérétique la doctrine de quelques gens qui prétendaient que le Christ n’avait rien possédé en propre ni en commun, doctrine contraire et opposée à l’Evangile et à l’Ecriture sainte, qui dit que le Christ avait des poches. Il fit aussi cette année publier des indulgences contre Galéas, dont le père était déjà mort, et dont nous avons parlé plus haut. Presque à la fin de cette année, aux prières de sa sœur, la reine d’Angleterre, qui vint humblement le trouver, le roi de France prolongea jusqu’à la fête de saint Jean-Baptiste la trêve conclue par le seigneur Charles pour jusqu’à la fête de Pâques, entre lui et le roi d’Angleterre, afin que pendant ce temps les amis des deux rois pussent traiter de la concorde à rétablir entre eux.

Le duc d’Autriche étant retenu prisonnier par le Bavarois, le duc Léopold et ses autres frères causèrent beaucoup de dommages audit Bavarois et à sa terre.