Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1203

Règne de Philippe II Auguste (1180-1223)

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[1203]


Philippe, roi de France, regagnant de nouveau la Normandie, prit le très-fort château de Falaise, celui de Domfront et celui de Caen, et soumit à sa domination tout le territoire environnant jusqu’au mont Saint-Michel. Enfin les Normands lui demandant pardon, lui rendirent toutes les villes qu’ils gardaient, à savoir, Coutances, Bayeux, Lisieux et Avranches, avec les châteaux et les faubourgs car comme il avait déjà pris Evreux et Caen, il ne restait plus de toute la Normandie que Rouen, Arques et Verneuil.

Les pèlerins du royaume de France, après avoir été long-temps arrêtés à Venise, conclurent avec les Vénitiens quelques conventions, et marchant vers Zara, ville maritime du roi de Hongrie, ennemie des Vénitiens, l’assiégèrent, la prirent et la livrèrent aux flammes. Alors Alexis, fils de Cursat, empereur de Grèce, ayant appris que les Français étaient avec les Vénitiens à Zara, leur manda par des envoyés que s’ils voulaient le secourir, il les acquitterait de trente mille marcs qu’ils devaient aux Vénitiens, paierait le prix de leurs vaisseaux, soumettrait au pape l’Église d’Orient, et secourrait admirablement la Terre-Sainte. Les Français à ce message firent venir vers eux Alexis, qui leur prêta et reçut d’eux le serment d’accomplir leurs promesses mutuelles. Ils firent voile avec lui et les Vénitiens vers Constantinople, où ils arrivèrent en peu de temps. Naviguant avec intrépidité au milieu des flots de la mer étroite appelée le Bosphore ou le Bras de Saint-George, ils s’emparent d’une tour appelée Galata, et brisent la chaîne qui forme l’entrée du port. Se rendant maîtres des côtes, ils prennent de vive force le territoire environnant, et contraignent les Grecs à fuir et à se réfugier dans la ville. Ce que voyant, l’usurpateur de l’Empire, à la tête de trente mille cavaliers et d’une quantité innombrable d’hommes de pied, se disposa à livrer bataille aux Français et aux Vénitiens. Les deux partis étaient près l’un de l’autre, à une portée de flèche, lorsque, miraculeusement saisi de terreur, le tyran se retira dans la ville, et dans la nuit même s’enfuit avec un petit nombre de gens. Les Grecs, apprenant sa fuite, s’assemblèrent dans le palais, et on élut solennellement le jeune exilé. Le matin venu, ils ouvrent les portes, et, entrant sans armes dans le camp des Français, ils demandent celui qu’ils viennent d’élire, et, le recevant aussitôt, ils délivrent Cursat son père de la prison ou il était renfermé. Cela fait, ils paient le prix des vaisseaux et les dettes des Français aux Vénitiens, et donnent aux Français et aux Vénitiens deux cent mille marcs. Ayant passé là l’hiver avec les Grecs, ils renouvelèrent et confirmèrent les conventions au sujet de l’obéissance à l’Église romaine, et des secours à accorder à la Terre-Sainte.