Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan/25

CHAPITRE XXV

DOURDAN EN 1789.


Comme les situations, les personnages et les rôles changent ; le dénouement amène sur la scène de nouveaux acteurs. — Né en 1739, d’une bonne famille bretonne, Charles-François Lebrun avait fait de solides études. « L’esprit des lois » lui ayant révélé la science sociale, il avait voyagé en Hollande et en Angleterre (1762). Devenu secrétaire de M. de Maupeou, il se trouvait mêlé tout jeune aux plus grandes affaires de ces temps orageux et apprenait à y connaître les hommes et les choses. Marié en 1773 à mademoiselle de Lagoutte, rendu indépendant par la fortune et libre par la disgrâce du chancelier, il avait acquis, moyennant 40,000 livres, du chevalier de Maupeou, la petite terre de Grillon, à la porte de Dourdan, et c’est dans ce modeste et paisible asile, où était mort Regnard, auprès de sa femme et de sa belle-mère qui l’adoraient, au milieu d’une population dont il sut gagner la confiance, que s’écoulèrent les quinze années les plus heureuses et les plus calmes de sa longue carrière. « Je cultivais, dit-il, mon jardin et quelques champs. Je méditais des projets d’écrits. Je relisais toujours mon Montesquieu, quelquefois Aristote ; je revenais souvent à la littérature grecque, latine, anglaise et italienne. Une fois par an je relisais mon Tacite tout entier »[1].

Dans ce petit cabinet de Grillon, où Regnard avait travaillé, en face des vieilles tours de Dourdan et des harmonieux horizons de notre vallée, il termina ses traductions de la Jérusalem du Tasse, de l’Illiade et de l’Odyssée. De loin, il correspondait avec Necker, suivait les réformes financières et applaudissait à la création des assemblées provinciales. C’est auprès du jeune et déjà austère publiciste, qui était venu demander à ses silencieuses prairies le repos de l’étude, que Dourdan allait trouver un représentant de talent aux assemblées du pays. C’est à Dourdan, où il cherchait l’oubli, que le futur homme d’État recevait le mandat politique qui le jetait sur un théâtre d’où il ne devait plus descendre.

À la veille de l’orage où tout allait être emporté, le bien comme le mal, un indicible élan de bonne volonté sincère de la part des gouvernants, et une coopération zélée de la part d’une foule d’hommes d’élite, purent faire croire, pendant quelques mois, à une révolution régulière et à l’avénement pacifique de la liberté. Les beaux édits de Louis XVI, qui avaient ramené une prospérité depuis longtemps inconnue, en favorisant l’agriculture, venaient d’être couronnés par celui de 1787, créant les assemblées provinciales, c’est-à-dire appelant toutes les intelligences du pays au travail de la réforme, au perfectionnement des institutions, à la représentation des intérêts et des besoins locaux. L’Orléanais, dont Dourdan faisait partie, eut son assemblée. Les douze élections de la généralité, groupées deux à deux, composèrent six districts. L’élection de Dourdan, unie à celle de Chartres, forma le second. Dans cette assemblée que présidait l’évêque de Chartres, M. de Lubersac, où siégeaient le duc de Luxembourg, le fameux chimiste Lavoisier, l’abbé Sieyès et l’abbé Louis, de belles mesures furent discutées et préparées : création d’une caisse d’épargne pour le peuple, abolition de tous les règlements qui gênaient encore la liberté du travail, projet d’une caisse d’assurances mutuelles pour les récoltes, etc. Une commission intermédiaire siégeait presque en permanence, et, du 23 décembre 1787 au 13 septembre 1790, tint jusqu’à trois cent trente-trois séances[2].

Sous l’assemblée provinciale, il y eut des assemblées de district. M. Lebrun fut appelé à celle de Chartres-Dourdan. « Je trouvai là, dit-il, l’abbé Sieyès, grand vicaire politique de l’évêque de Chartres ; je ne le connaissais pas, son nom même n’était pas parvenu jusque dans ma solitude. L’évêque me vanta son esprit et ses talents. Il m’arriva de le contredire, je ne sais sur quoi, il m’en parut affligé et je crois que depuis ce moment il conçut une assez mauvaise opinion de moi et de mes principes. » Cette entrevue à l’assemblée de Dourdan des deux futurs consuls est assez curieuse.

Il y avait là, du moins on le croyait, toute une révolution heureuse : la nation s’administrant elle-même. Mais les classes inférieures, sourdement minées, ne s’y trompaient pas. « Encore des mangeries, » avait dit un de nos laboureurs en entendant parler des assemblées provinciales. Le mot malheureux : « il est trop tard » allait venir à toutes les bouches. Les États généraux étaient à la veille de s’ouvrir. Lebrun, plein d’inquiétudes pour l’avenir, se retira dans sa solitude de Dourdan. Là, il composa, sous le titre de la Voix du Citoyen, un écrit adressé au roi. Dans des pages pleines de conviction et de sagesse, il esquissait un plan de réforme et préludait aux remontrances du Tiers, dont il allait être un des organes.

En exécution de la lettre du roi du 24 janvier 1789 et de l’ordonnance du grand bailli, du 14 février, l’assemblée générale des trois ordres du bailliage de Dourdan, pour la nomination des députés aux États généraux, eut lieu le lundi 16 mars 1789[3]. À onze heures du matin, après une messe du Saint-Esprit entendue à Saint-Pierre par les trois ordres, la réunion se fit dans la chapelle de l’Hôtel-Dieu, sous la présidence d’Auguste-Joseph de Broglie de Rével, prince du Saint-Empire romain, colonel attaché au régiment de la Couronne-infanterie, conseiller du roi, grand bailli d’épée de Dourdan. Une harangue de M. Crochart, procureur du roi, annonça à l’assemblée l’accomplissement de toutes les formalités préalables, et lecture fut faite des édits et règlements. On procéda à l’appel des députés des deux premiers ordres, et on remit l’appel du tiers au lendemain. La séance du mardi fut consacrée à la vérification des pouvoirs, à la prestation du serment et à des harangues de plusieurs nobles députés. Un esprit de conciliation et une bonne volonté générale se résumaient dans ces paroles du baron de Gauville : « Soyons citoyens avant tout ; c’est le but de notre convocation. Que les trois ordres réunissent tous leurs efforts pour sauver le roi et le royaume ! »[4].

Le comte de Lally-Tollendal[5] fit une motion très-étendue concluant à la confection d’un cahier unique pour les trois ordres. Le vicomte de Prunelé soumit un projet de ce cahier commun. Le marquis d’Apchon sollicita l’assemblée de s’occuper des intérêts de l’agriculture, du commerce, de la restauration des mœurs. Pajot de Juvisy lut un mémoire sur l’éducation et sur les entraves de l’agriculture. Les trois ordres furent invités à se rendre au château. Deux salles du premier étage, dans le bâtiment de Sancy, avaient été disposées pour le clergé et la noblesse ; l’auditoire du rez-de-chaussée était réservé au Tiers. C’était comme un symbole de l’échelle sociale. Immédiatement, les corps traversèrent la ville et entrèrent en séance.

Le Tiers, après un discours du lieutenant général Roger, son président, délibéra sur l’unité du cahier et se décida pour les cahiers séparés. On annonça, sur ces entrefaites, « Messieurs du Clergé. » Quatre membres ecclésiastiques descendaient en effet de l’étage supérieur et venaient « complimenter le Tiers, » Le Tiers désigna quatre de ses membres qui allèrent au-devant des visiteurs. Le curé de Saint-Germain et M. Roger échangèrent les paroles les plus flatteuses et la députation fut reconduite par les quatre commissaires. Quelques instants après, MM. Odile, Savouré, de Saint-Michel, Sénéchau, allèrent, au nom du tiers, rendre au clergé sa politesse et faire la même démarche auprès de la noblesse, à laquelle on témoigna le plus grand désir de l’union et de la concorde. La noblesse, d’abord assez longue à s’entendre, descend, à son tour, de ses hauteurs, et MM. d’Apchon, de Gauville, de Cherville, et de Lally-Tollendal viennent, avec le même cérémonial, assurer le tiers des bonnes intentions de leur ordre. Lally-Tollendal porte la parole : il annonce que les nobles de Dourdan ont acclamé le vœu de supporter l’impôt. Le tiers remercie. M. Pajot fils entre et déclare que la noblesse accepterait un cahier unique. Le tiers remercie encore, mais ne s’engage à rien et, après avoir nommé sept commissaires[6] pour fondre en un seul tous les cahiers des communes, s’ajourne au mercredi 25 mars.

La séance, remise au dimanche 29, s’ouvre par le rapport des sept commissaires qui présentent le cahier et déclarent qu’ils n’ont pu s’entendre avec les commissaires des deux autres ordres[7]. On procède à l’élection de trois scrutateurs, et, au moment où l’on proclame MM. Odile, Petit et Courtois, un messager apporte sur le bureau une adresse de Lally-Tolendal « à Messieurs de la Commune du Bailliage de Dourdan. » M. Roger lit : « Le comte de Lally-Tollendal, fondé de procuration de Son Altesse sérénissime Mgr le duc d’Orléans, demande à être admis en présence de la Commune du Bailliage de Dourdan pour notifier les intentions bienfaisantes et patriotiques de son noble commettant. Signé « Lally-Tollendal. » Cette fois, le tiers remercie d’un air de mauvaise humeur, et, à cette offre démocratique du seigneur de Dourdan, bientôt Philippe-Égalité, il répond verbalement et avec un certain dédain qu’il est bien obligé mais trop occupé en ce moment de ses affaires pour rien entendre. En effet le vote commence. On s’assure que les portes sont bien fermées ; quarante-trois votants déposent l’un après l’autre leur bulletin dans un vase sur le bureau. Au troisième tour de scrutin, Lebrun est proclamé premier député du tiers à l’assemblée des États. Plusieurs membres quittent la salle et vont lui annoncer son élection. Il entre bientôt et notifie son acceptation. Mêmes formalités pour M. Buffy, nommé second député.

Nouvel incident : Lally-Tollendal, un peu froissé et désireux de rappeler son nom au tiers dont il accepterait volontiers, dit-on, les suffrages, fait remettre un paquet cacheté. Il demande, pour sa décharge, acte de la déclaration qu’il fait, au nom du duc d’Orléans, que « le prince ne veut pas que ses droits portent aucun obstacle aux demandes du tiers-état, à ses réclamations contre le droit de chasse, etc. » Le tiers donne acte. Le cahier, rédigé avec soin et conçu avec une modération et une clarté qui furent depuis remarquées, est distribué dans l’assemblée et plus tard imprimé avec les autres.

Le vendredi 27 mars, le clergé, sous la présidence de MM. Métivet, curé de Roinville, et Gagé curé de Sainte-Mesme avait tenu son assemblée particulière et élu à la majorité de 18 voix contre 15, M. l’abbé Millet, curé de Saint-Pierre, pour son député aux États. Le cahier de l’ordre s’étendait sur les réformes religieuses, s’élevait contre les mauvais livres de philosophie et de morale alors en vogue et les lacunes de l’éducation, recommandait spécialement les intérêts de la communauté des sœurs de Dourdan, et, émettant quelques sages avis sur la constitution du royaume, l’administration ecclésiastique et civile, signifiait l’intention libérale du clergé de se soumettre à l’impôt comme le tiers.

Le dimanche 29, à la même heure que le tiers, la noblesse avait élu pour député M. de Gauville, baron de la Forêt-le-Roy, et pour suppléant M. le prince de Broglie de Rével. Le cahier de l’ordre avait été arrêté et rédigé en commun par M. de Gauville au caractère modéré et conciliant, par M. de Rével, jeune homme d’un esprit vif, tempéré par la douce persuasion de sa charmante femme, Mlle de Verteillac, et par le marquis d’Apchon, homme vertueux et scrupuleux. Soumis à l’assemblée, il fut malheureusement modifié sur quelques points, et Lally-Tollendal chercha trop à remplacer, au gré de certaines personnes, « le gros bon sens par des phrases éloquentes. »

Les membres présents signèrent : marquis de Saint-Germain d’Apchon, Pécou marquis de Cherville, comte de Tilly, baron de Gauville, Liénard du Colombier, Desroys du Roure, Pajot de Juvisy, secrétaire de la noblesse, Pajot fils, secrétaire-adjoint, de Broglie prince de Rével, présidant l’ordre de la noblesse[8].

Le lundi 30 mars, à quatre heures, une dernière séance générale se tint dans la chapelle de l’Hôtel-Dieu. Après trois discours du prince de Broglie, de M. Millet et de M. de Gauville, les députés élus prêtèrent leur serment.

Nous ne suivrons pas dans le cours de leur mission les délégués de Dourdan. Figurant à Versailles, à la procession du 4 mai, avec son costume à la Henri IV, qui, bien que des plus simples, lui coûtait 1,300 l., M. de Gauville se vit tout d’abord les mains liées par le mandat impératif qu’il avait reçu de ne point voter par tête et dut s’abstenir. Le 25 juillet, après le triste départ du roi, une lettre de convocation de l’ordre de la noblesse le rappelait à Dourdan pour trancher cette grave question.

« Le 27, lisons-nous dans le journal du sage député, je me rendis à ma terre de la Forest-le-Roy. J’appris en arrivant que j’étais dénoncé ; que les paysans de mon village, persuadés que ma tête était à prix pour une somme d’argent, disaient hautement qu’ils n’étaient retenus que parce qu’ils croyaient que j’avais amené une compagnie de dragons pour me fortifier dans mon château. Cependant les membres de la noblesse s’assemblèrent. Malgré les instances de mes parents, et bien convaincu que le plus souvent les bruits populaires ne sont rien quand l’homme innocent paraît, je montai à cheval et je me rendis seul et sans armes sur la place de la ville de Dourdan : là, je trouvai le peuple assemblé : on me reconnut, on me nomma ; la milice bourgeoise m’arrêta un moment et me fit entrer au château où était convoquée la noblesse et je ne reçus aucune insulte. L’assemblée était peu nombreuse. Je rendis compte de ma conduite et j’engageai mes commettants ou à prendre ma démission ou à me délier absolument de tout ce que mon mandat avait d’impératif, les circonstances étant telles qu’on n’avait pu les prévoir. Ils m’accordèrent tout ce que je demandais, approuvèrent ma conduite, et celui qui présidait l’assemblée, M. Roger fils, auquel je me plais à rendre ici la justice que mérite son esprit de conciliation, fit afficher dans la ville que l’ordre de la noblesse, par mon organe, était plus occupé du bien général que de son intérêt particulier. L’assemblée prit ensuite un arrêté que je devais porter à l’Assemblée nationale. Je remontai à cheval par une pluie affreuse qui contribua à dissiper la multitude et je me rendis le jour même à Versailles[9]. »

Dourdan trouva également dans son député du tiers un représentant toujours digne, laborieux et modéré. Laissant à de plus ardents les discussions politiques qui s’agitaient dans les États-généraux devenus Assemblée Constituante, Lebrun ne parla que sur la question des biens du clergé et des assignats contre la majorité. Membre du comité des finances, il en fut souvent le rapporteur.

Une nouvelle division territoriale de la France venait de détruire toutes les anciennes circonscriptions administratives (1790). Les généralités, les élections avaient fait place aux départements et aux districts : ce fut pour Dourdan le moment d’une grande et légitime inquiétude. Chef-lieu d’élection, désigné comme tel à devenir chef-lieu de district, Dourdan se voyait trompé dans son espérance et sacrifié à des intérêts rivaux. Un mémoire éloquent et énergique en faveur de la ville menacée fut présenté à l’Assemblée et nous en extrayons ce qui suit :

« La ville de Dourdan et soixante paroisses qui l’avoisinent viennent offrir à l’Assemblée Nationale l’hommage de leur soumission et le tableau des malheurs qui les menacent… C’étoit à Chartres que l’ancien ordre de choses sembloit devoir les rattacher, et, dans le département de Chartres, Dourdan devoit avoir, par nécessité autant que par convenance, un district et un tribunal de justice. Il en a été arraché pour être jeté dans le département que des convenances, non pas de situation, non pas de commerce, mais de malheur et de calamité, ont destiné à Versailles… »

Dans ce déplacement, Dourdan conservait l’espérance d’avoir son district et sa justice. Mais Rambouillet, un simple bourg à 4 lieues de Dourdan, séparé de lui par des bois, des vallées et des déserts, prétend avoir un district et le vœu du roi le favorise. Or, que l’on rattache Dourdan à Rambouillet avec lequel il n’a aucun lien de commerce ni d’intérêts, ou qu’on le rattache à Étampes, il est également détruit. « Sans doute, l’anéantissement d’une ville, la dépopulation de son territoire ne seront rien pour ces politiques géomètres qui ne voyent dans un royaume que des lignes et des surfaces, qui, avec un quart de cercle inexorable, distribuent la misère et les prospérités… Un seul moyen peut tout sauver : que Rambouillet ait son district et que Dourdan ait le sien. Ce district conservera les paroisses qui lui étoient attachées par leurs habitudes et par leurs intérêts, et une population de plus de trente mille citoyens, qui payent plus de 400,000 livres de contributions directes, une manufacture précieuse et qui doit le devenir davantage, ne seront pas sacrifiées ![10] »

Dourdan obtient son district avec un directoire chargé de l’administrer. La municipalité s’organise pendant l’automne de 1790. M. Roger, un instant maire, cède sa place à M. Peschard qui figure sous ce titre dès le mois d’août. En octobre, « le conseil général de la commune » assemblé à « l’hôtel-de-ville, » sous la présidence du maire, prend l’administration de l’Hôtel-Dieu. Le sieur Geoffroy siége comme « procureur de la commune. » Les anciens services désorganisés se reconstituent sous une autre forme. Tout se fait encore au nom du roi uni à celui de la nation ; mais, d’heure en heure, le prestige royal s’amoindrit et s’éteint[11].

Après la Constituante, nommé administrateur du département de Seine-et-Oise, Lebrun en présida le directoire. C’était une préfecture, et dans les plus difficiles circonstances. Le mouvement révolutionnaire gagnait de semaine en semaine. La disette de grains provoquait dans notre contrée les plus graves désordres. Le maire d’Étampes, M. Simonneau, victime de son dévouement à la loi, était assassiné sur la place publique. Tous les marchés voisins, celui de Dourdan en particulier, étaient en proie au trouble et à l’inquiétude. Il fallut recourir à des mesures sévères, que Lebrun réclama en termes énergiques à la barre de l’Assemblée Législative. Des troupes furent appelées et l’ordre fut maintenu.

L’orage qui renversait le trône entraînait ceux qui cherchaient à le soutenir. Dénoncé au club de Versailles, suspecté par ses collègues eux-mêmes, demeurant toutefois à son poste, Lebrun ne se démit de ses fonctions qu’après la journée du 10 août 1792. Il fut reçu à Dourdan avec une confiance sympathique. Il avait rendu des services à la ville, y faisait travailler beaucoup d’ouvriers, et trouva encore dans Grillon quelques jours de sécurité. Les habitants de Dourdan étaient bons, l’architrésorier leur en a rendu bien souvent depuis le témoignage. Il y avait toutefois au milieu d’eux un certain nombre d’hommes exaltés. Tout en reprochant à Lebrun de ne pas être un patriote assez ardent, ils ne le regardaient nullement comme un ennemi, et, le prenant sous leur protection, ils le défendaient contre les dénonciations qui ne cessaient de venir de Versailles[12].

Les élections des députés à la Convention occupaient alors tous les esprits. Les assemblées primaires furent convoquées pour choisir des électeurs qui, eux-mêmes, devaient nommer les députés. Sous la direction de MM. Lefort, maire, et Rouchon, procureur de la commune, Dourdan fit ses élections. Lebrun fut nommé. Il sentait tout le danger de ce mandat, mais c’était un service à rendre, il accepta. À peine arrivé à Saint-Germain, où se tenait le collége électoral du département, il fut dénoncé et le juge de paix du lieu lança contre lui un mandat d’amener. Prévenu à temps, il revint dans sa terre de Grillon. C’est là qu’il fut arraché à sa famille, le 1er septembre 1793, pour être conduit aux Récollets à Versailles. Sous le coup d’une visite domiciliaire, sa femme, sa belle-mère brûlèrent tous ses papiers et l’on regrette une histoire comparée des finances et un commentaire sur l’Esprit des lois dont les manuscrits furent anéantis ce jour-là.

Le citoyen Couturier, député à la Convention, chargé du département, vint à Dourdan. Le maire, M. Lefort, convaincu devant lui de ne pas jouir « de la plénitude de la confiance des patriotes, » fut remplacé (7 octobre 1793) par M. Codechèvre. Crassous, un nouveau représentant, commença sa tournée par Dourdan, et remplaça à son tour le citoyen Codechèvre par le citoyen Guignard, (27 pluviose an II, 15 février 1794)[13]. Les habitants de Dourdan, même les plus ardents, profitèrent de l’occasion pour parler en faveur de Lebrun. Crassous fut touché de la situation de sa famille et de l’intérêt que lui portaient ses concitoyens ; il permit au prisonnier de rentrer dans ses foyers escorté d’un sans-culotte. Quatre ou cinq mois se passèrent ainsi, pour Lebrun, à suivre des travaux d’agriculture, à faire bâtir afin d’occuper les ouvriers dont la journée, payée en assignats, était bien modique.

Arrêté une seconde fois, l’inoffensif citoyen de Dourdan fut réintégré dans son cachot et ne dut la vie qu’au revirement du 9 thermidor qui l’appela à la tête du directoire de Seine-et-Oise, et plus tard dans le conseil des Anciens.

Nous détournerons les yeux des scènes de désordre et de violence qui purent à Dourdan, comme partout ailleurs, attrister les bons citoyens et compromettre, dans des heures d’anarchie, la cause même de la liberté : pillage de l’église, dispersion des sœurs de la communauté, expulsion des religieuses de Louye[14].

Aussi bien, nous devons nous arrêter, car nous sommes au bout de notre histoire. Le dernier seigneur de Dourdan a péri avec l’ancienne royauté. La nation a mis la main sur l’apanage. Dourdan appartient désormais à la France et à ses nouvelles destinées.

  1. Documents pour l’histoire de la Révolution : Opinions de M. Lebrun. — Paris, Bossange, 1829.
  2. Les Assemblées provinciales sous Louis XVI, par M. Léonce de Lavergne.
  3. Archives de l’Empire. B. III, 63.
  4. Journal du baron de Gauville, publié par M. Éd. de Barthélemy. Paris, 1864. — Louis-Henri-Charles, comte de Gauville, chevalier, seigneur et baron de la Forest-le-Roy, né à Orléans le 14 juillet 1750, page du prince de Condé, devenu sous-lieutenant aux gardes du corps et chevalier de Saint-Louis, avait été convoqué à la fois aux assemblées d’Étampes et de Dourdan. Ayant étudié consciencieusement les questions et trouvant un peu vague le cahier d’Étampes, il s’était décidé pour Dourdan, dont les assemblées avaient été retardées.
  5. Lally-Tollendal, fils du célèbre condamné, homme sensible, éloquent, novateur, à peine remis des émotions du procès de son père, était grand bailli d’Étampes et avait été appelé assez irrégulièrement à Dourdan.
  6. MM. Roger, lieutenant général, et Odile, ancien procureur au bailliage (pour Dourdan) de Saint-Michel, garde-marteau (Briis), Héroux, avocat (Authon), Savouré, notaire royal (Richarville), Mathieu (Dreux), Pillaut, procureur à Rochefort (Ponthévrard).
  7. M. de Gauville, dans son journal, leur rend pourtant cet hommage : « J’aime à affirmer ici que ceux du Tiers État ne nous témoignèrent pas cet esprit d’indépendance, ces plaintes, ces vexations qu’on leur a supposés partout, et qu’ils ne demandèrent en général que la réforme des abus que les autres ordres connaissent. »
  8. On remarquait l’absence de Lally-Tollendal, du vicomte de Prunelé, du vicomte de Selve, du marquis de Gouvernet, etc.
  9. M. de Gauville siégea avec la droite jusqu’au 1er juillet 1790. Sa santé et sa conscience lui firent donner alors sa démission. Émigrant en 1791 il servit dans l’armée de Condé. Rentré en 1814, il mourut en 1827 dans sa retraite de Châlons-sur-Marne. Il a laissé des petits-enfants ; son petit-neveu, M. le vicomte de Gauville, est aujourd’hui préfet du Gers.
  10. Mémoire pour Dourdan et 60 paroisses qui l’environnent — sans nom ni date. Bibliothèque Impériale. LK7, 2529.
  11. Le sceau de la nouvelle municipalité de Dourdan, qu’on retrouve encore attaché à des pièces de 1792, offre les armes de la ville unies à celles du trône.
  12. La Société populaire de Dourdan, qui avait sa commission des rapports, tenait ses séances dans la chapelle de l’Hôtel-Dieu. M. Moutié possède la planche qui servait à imprimer les billets d’entrée à ces séances.
  13. Lambert, agent national. — Délivré, Deghend, Thirouin, Garié, officiers municipaux.
  14. L’abbaye de Louye où nous n’avons pas ramené nos lecteurs depuis le xviie siècle, était devenue en effet, au xviiie, un couvent de femmes. L’ordre antique et vénérable de Grandmont était peu à peu tombé en décadence. Par suite du désaccord qui régnait entre les frères de l’ancienne observance et ceux de la réforme, et surtout sous l’influence des évêques qui voyaient avec peine subsister cet ordre en dehors de leur juridiction, la mense prieurale de Louye avait été réunie à celle de Thiers en Auvergne par bulle du pape du 6 juillet 1731. La mense conventuelle avait été éteinte à son tour en 1770. Les religieux, libres de s’incorporer à d’autres congrégations régulières, s’étaient dispersés avec promesse d’une pension viagère, et la maison, abandonnée à l’évêque de Chartres, avait vu ses biens divisés entre l’hospice de Dourdan, le petit séminaire de Chartres et l’abbaye de Bénédictines de Saint-Rémi des Landes. Ces dernières, en 1774, avaient été transférées dans les bâtiments conventuels de l’ancien prieuré, entièrement restaurés, et avaient fait revivre le titre d’abbaye de Louye. Une grande dame des environs, femme assez tristement célèbre, la princesse de Rohan, y trouva quelque temps une retraite ou une prison. Deux vues de Louye, brodées par elle sur de la soie, ont été conservées. Quand la révolution éclata, l’abbesse, madame du Portal, se réfugia à Dourdan, dans une maison devant la grosse tour, avant de porter sa tête sur l’échafaud.