Choses vues/1850/Louis-Philippe en exil

Ollendorf (Œuvres complètes. Tome 26p. 65-66).


[LOUIS-PHILIPPE EN EXIL ; SA DERNIÈRE ANNÉE.]


Juillet 1850.

Le roi Louis-Philippe est en ce moment à Saint-Léonard, une partie de la famille d’Orléans prend là les bains de mer. Le roi habite avec sa famille un hôtel garni dont il n’occupe qu’une partie, le reste est loué, comme à l’ordinaire, à qui passe et à qui veut.

Le roi est atteint d’une hydropisie de poitrine, et quoiqu’il aille mieux depuis un mois, on croit sa fin prochaine. Il est maigri et très changé, il n’a plus de toupet ni de favoris, il porte ses cheveux blancs et toute sa barbe, ce qui lui donne l’air plus vénérable que lorsqu’il était roi. Il est en effet plus que roi, il est proscrit ; il est plus que proscrit, il est mourant. Il a perdu une majesté, celle du trône, et il en a retrouvé deux autres, la majesté du malheur et la majesté de la mort.

Toute la famille d’Orléans vit là avec cette simplicité qu’elle avait dans la prospérité et à laquelle l’adversité a ajouté quelque chose de noble et de grave. Quand un français passe, on l’invite et l’on est heureux qu’il vienne. En France, Louis-Philippe recherchait les anglais, en Angleterre il recherche les français.

Le dîner de famille offre ce mélange de vieillards et d’enfants qui a quelque chose de patriarchal. Cependant Louis-Philippe, empêché par sa santé et forcé de manger à part, n’y paraît plus. La reine y préside, assise seule au grand côté de la table. Au moment où l’on sert, chaque groupe arrive avec ses enfants, Mme la duchesse d’Orléans, grande, mince, un peu maigre, noble, digne, gracieuse, triste, toujours en deuil, toujours avec ses fils, donnant la main droite au comte de Paris et la main gauche au duc de Chartres ; le duc et la duchesse de Nemours avec leurs beaux enfants, le duc et la duchesse d’Aumale avec les leurs, le prince de Joinville entouré des siens qui se disputent pour être à table à côté de lui. — Je veux être à côté de papa ! Je veux être à côté de papa ! On n’entend que cela au moment où il s’assied. M. de Joinville paraît par moments accablé. Voici comment la reine en parle : — Comment trouvez-vous Joinville ? disait-elle dernièrement à un visiteur de France, toujours beau, n’est-ce pas ? mais fait comme un voleur.

Ils ont conservé entre eux l’habitude d’appeler Mme de Joinville Chica.

Le duc d’Aumale est triste comme son frère de Joinville. M. de Nemours a gardé sa mine froide.

À la table de famille, Mme la duchesse d’Orléans prend place au côté droit de la reine, M. et Mme de Nemours au côté gauche, les autres princes chacun selon son rang. M. et Mme de Montpensier manquent, ils sont à Séville.

Les visiteurs invités ainsi que les officiers de la maison font face à la reine et aux princes.

Le dîner est simple, sans primeurs, servi à la russe, avec le dessert sur la table, chaque convive a un laquais derrière lui ; quelque chose qui a grand air, mais qui n’est plus royal.

Après le dîner, quelques instants de causerie, puis on s’en va. La reine se couche de bonne heure.

Mme la duchesse d’Orléans vit à part, le plus qu’elle peut. On la rencontre souvent au bord de la mer, se promenant pendant que le comte de Paris prend des leçons de natation.

De tous les enfants royaux, le plus spirituel est le petit duc de Chartres et le plus beau le petit duc de Wurtemberg.