Choses vues/1847/Mort de Madame Adélaïde

Ollendorf (Œuvres complètes. Tome 25p. 296-297).


[MORT DE MADAME ADÉLAÏDE.]


31 décembre.

Cette sombre année qui a commencé par un vendredi finit par un vendredi.

À mon réveil, j’ai appris la mort de Madame Adélaïde.

À trois heures, la chambre des pairs est allée chez le roi apporter ses condoléances. Nous étions fort nombreux. Le chancelier y était en simarre avec l’antique tricorne des chanceliers, orné d’un énorme gland d’or. Il y avait Lagrenée, Mornay, Villemain, Barante, les généraux Sébastiani, Lagrange, etc., et le duc de Broglie et M. de Mackau, nommé d’avant-hier amiral de France.

Le roi a reçu la Chambre des pairs dans la salle du trône ; il était tout en noir, sans décorations, et pleurait. M. le duc de Nemours, M. de Joinville et M. de Montpensier étaient en noir, sans plaque ni cordon, comme le roi ; la reine, Mme la duchesse d’Orléans, Mme de Joinville et de Montpensier en grand deuil. Il n’y avait qu’un seul ministre, le général Trézel.

Le roi s’est approché de moi et m’a dit : — Je remercie Monsieur Victor Hugo ; il vient toujours à nous dans les occasions tristes. — Et les larmes lui ont coupé la parole.

C’est un coup pour le roi que cette perte. Sa sœur était pour lui un ami. C’était une femme intelligente et de bon conseil, qui abondait dans le sens du roi, sans jamais verser. Madame Adélaïde avait quelque chose de viril et de cordial, avec beaucoup de finesse. Elle avait de la conversation ; je me rappelle un soir où elle me parla longuement, et juste, du Rancé de M. de Chateaubriand, qui venait de paraître.

Ma chère petite Didine était un jour allée la voir avec sa mère ; Madame Adélaïde lui donna une poupée. Ma fille, qui avait alors sept ans, revint enthousiasmée. Quelques jours après, elle entendait dans le salon de grandes discussions sur les philippistes et les carlistes. Tout en jouant avec sa poupée, elle dit à demi-voix :

— Moi, je suis adélaïdiste.

Cela fait que j’ai été adélaïdiste aussi. La mort de cette brave vieille princesse m’a fait une vive peine.

Elle est morte en trois jours, d’une fluxion de poitrine qui est venue compliquer une grippe. Elle était mardi à la séance royale. Qui lui eût dit qu’elle ne verrait pas 1848 ?

Depuis quelque temps elle était sujette à s’endormir le soir sur son fauteuil, mauvais signe. M. Louis a caractérisé la maladie qui l’a emportée : une pneumonie intercurrente.

Presque tous les matins, le roi avait une longue causerie, la plupart du temps politique, avec Madame Adélaïde. Il la consultait sur tout, et ne faisait rien de très grave contre son avis. Il regarde la reine comme son « ange gardien » ; on pourrait dire que Madame Adélaïde était son « esprit gardien ». Quel vide pour un vieillard ! Vide dans le cœur, dans la maison, dans les habitudes. Je souffrais de le voir pleurer. On sentait que c’étaient là de vrais sanglots venant du fond même de l’homme. Sa sœur ne l’avait jamais quitté. Elle avait partagé son exil, elle partageait un peu son trône. Elle vivait dévouée à son frère, absorbée en lui, ayant pour égoïsme le moi de Louis-Philippe.

Elle a fait M. de Joinville son héritier, Odilon Barrot et Dupin ses exécuteurs testamentaires.

Les pairs sont sortis des Tuileries consternés de toute cette douleur, et inquiets du choc qu’en recevra le roi.

Ce soir, relâche à tous les théâtres.

Ainsi a fini l’année 1847.