Chez nous/Le rosier mort

L'Action sociale catholique (p. 123-126).

LE ROSIER MORT




À ma sœur.


Vous souvient-il du grand parterre et de la maison blanche où vivaient nos gens ?… Il vous en souvient, et du bon grand-père, au front ridé, et de la bonne grand’mère, au cœur d’or ; et du noyer séculaire, dont, chaque automne, les branches alourdies balayaient le sol tout autour, nous enfermant sous un dôme de verdure ; et des prunes, qui pleuvaient dru sur nos têtes, lorsque grand-père, souriant et courbé, secouait pour nous les troncs rugueux ; et des grands bœufs roux dans le clos voisin ; et de la rivière qui coulait au bout du pré, derrière les saules ; et du puits à brimbale ; et des fleurs, et des oiseaux, et des papillons… Hélas ! le temps, a passé sur toutes ces choses. Nos vieilles gens nous ont quittés, répondant à l’appel d’en haut ; le grand noyer a été abattu par la foudre ; les fleurs sont fanées ; les oiseaux ont émigré ; et je pense que les papillons sont morts…

Vous souvient-il qu’un jour, au fond du jardin, au milieu des fleurs superbes, une petite plante d’apparence chétive sortit du sol ? Les œillets voisins, hauts sur tige, la regardaient avec mépris.

Un examen du brin d’herbe révéla que c’était un rosier !

Nous entourâmes le nouveau venu des soins les plus délicats.

Le pauvre petit était si frêle qu’un coup de vent l’eût déraciné. Le vent ne tua pas le rosier, qui mourut d’inanition, misérablement, après une existence la plus lamentable du monde.

Sous votre œil vigilant, pendant quelques semaines, il grandit tant qu’il put, se cramponnant à la vie avec des efforts incroyables, poussant maigrement des feuilles aussitôt fanées, fouillant le sol de ses petits pieds désespérés… Jamais on n’avait vu tant de courage chez une tige si faible.

Autour de lui, éclatantes et parfumées, se balançaient les fleurs. Lui, au ras du sol, malingre et chétif, sans fleurir, sans embaumer, luttait, luttait toujours, dérobant aux feuilles voisines tantôt une goutte d’eau, tantôt un rayon de soleil. Mais il était condamné. Bientôt, il se mit à dépérir ; fibre par fibre, la mort s’empara de ce petit être, qui ne demandait qu’à vivre ; il pencha d’abord tristement la tête, puis sa tige se raidit, desséchée…

Il était mort, le petit rosier, poussé tout seul au fond du grand parterre, mort sans avoir donné sa fleur, sans avoir jeté son parfum. Était-il blanc ? était-il rouge ? Il avait vécu sans porter ses couleurs, et ne nous laissait, en souvenir, qu’un petit squelette de rosier mort…