Albin Michel (p. 147-152).


MADEMOISELLE SUZANNE


Me voici !

C’était une jeune fille fraîche comme l’innocence. Elle avait couru sur la pointe des pieds pour rejoindre le docteur en blouse blanche. Il était clair que dans ce « Me voici », elle avait résumé maintes choses, entre autres : « Je vous guettais depuis ce matin. J’allais de porte en porte. Je prêtais l’oreille. Vous êtes entré par la cour A juste au moment où je vous attendais cour B. Enfin je vous ai vu. Je suis vite venue : Me voici. »

Cette agréable personne se croit l’épouse de ce docteur.

— Tiens ! dit une religieuse, Mademoiselle Suzanne qui a retrouvé son mari !

— Oui ! mon mari !

Elle enveloppe le docteur d’un regard qui supplie et, de sa main, lui caresse le bras.

— Allons ! fait le docteur.

Mlle Suzanne n’est pas choquée. Elle sait bien qu’une épouse doit subir les mouvements d’humeur de son maître. Elle lui remet trois missives écrites hier et ce matin à son intention et à sa gloire. Le docteur prend les chères lettres dont l’écriture, tant elle déborde aux lisières des feuillets, semble l’image même de l’amour illimité de cette demoiselle, et, lentement, les déchire en me parlant d’autre chose.

Divinement résignée, Mlle Suzanne assiste souriante à la destruction de ses épanchements.

— Docteur, fait-elle, quand m’emmenez-vous ? Je suis votre femme aimante et fidèle.

Elle est jolie, Mlle Suzanne. Grâce et douceur sont les signes extérieurs de sa folie. Elle cherche évidemment quelque chose. Ce n’est pas le cœur, elle l’a trouvé, c’est donc la chaumière.

— Oh ! emmenez-moi, docteur.

— Allons, fait la religieuse, qui décroche elle-même du bras du docteur la main éloquente de la belle fiancée volontaire.

Dans un long couloir où nous nous en allons, l’enfant suit à trois pas, comme les femmes d’Orient. Cette jeune fille, dis-je, ne semble posséder d’autre folie que celle du printemps et de la jeunesse. Ce mal n’est-il de ceux qui s’apaisent avec agrément ?

— Pour renaître peu après, fait le docteur. En tout cas, ce n’est pas là ma mission…

Nous sommes arrivés à la porte. Chaque matin, à cet endroit, a lieu la scène de la séparation. Le docteur doit repousser dans le quartier l’amoureuse qui lui parle avec toute l’éloquence d’un trop clair regard. Elle insiste, mais elle n’est pas la plus forte. Le docteur est enfin sorti du péril.

Alors Mlle Suzanne va s’asseoir sur un banc. Elle reste longtemps immobile, noyée dans son désenchantement. Puis enfin elle prend son crayon et se met à écrire les lettres que, demain matin, l’ingrat, sans les lire, déchirera.