Chez l’Illustre écrivain/Scène de la vie de famille


Scène de la vie de famille.


I


À la campagne, chez M. Isidore Naturel, agronome et banquier. Étendue sur une chaise longue, empaquetée de couvertures, de châles, Mme Naturel tricote. Grosse femme impotente, figure molle et vulgaire. Assise près d’une grande baie vitrée, Germaine, un livre ouvert sur ses genoux, songe, les regards tournés au delà du parc, vers la campagne… Vingt-cinq ans, corps souple, yeux ardents, visage un peu desséché…


Mme Naturel, sans lever les yeux de son ouvrage. — Germaine !

Germaine. — Eh bien ?

Mme Naturel. — Pourquoi ne parles-tu plus ?

Germaine. — C’est sans doute que je n’ai plus rien à dire.

Mme Naturel. — Tu as assez lu.

Germaine. — Je ne lis pas.

Mme Naturel. — Alors, tu rêves ?

Germaine. — Je ne rêve pas.

Mme Naturel, elle regarde Germaine. — Tu ne rêves pas, tu ne lis pas, tu ne travailles pas… tu ne parles pas. Qu’est-ce que tu fais, alors ?

Germaine. — Je m’ennuie.

Mme Naturel, elle hausse les épaules. — Eh bien… écoute-moi… cela te distraira… Je suis très inquiète… Avec sa manie d’inviter tous les gens qu’il rencontre, qu’est-ce que ton père va encore nous ramener de Paris, aujourd’hui ?

Germaine. — Est-ce que je sais, moi ? Comment veux-tu que je le sache ?

Mme Naturel. — Il aurait pu te le dire.

Germaine. — Mon père ne me dit jamais rien…

Mme Naturel. — Dame !… Tu as aussi une façon de le rabrouer !

Germaine. — Et puis, mon père sait-il jamais, à dix heures, le matin, ce qu’il fera, le soir, à six heures ?

Mme Naturel. — Ça, c’est vrai ! (Un petit silence.) Pourvu, mon Dieu, qu’il ne nous ramène pas cinq ou six personnes, comme l’autre jour… Quand il se met à inviter, il ne s’arrête plus… et toujours des gens qu’on ne connaît pas… Et c’est samedi, aujourd’hui… C’est-à-dire qu’il faudra coucher toutes ces personnes-là… et leur prêter des chemises de nuit… Ah ! quelle affaire ! (Elle soupire.) Et nous avons un tout petit dîner, ce soir, les restes d’hier… (Sur un mouvement de Germaine.) Oui… oui… moque-toi de ces détails de maison… Ah ! tu fais bien de ne pas te marier… Tu aurais un joli ménage. Je ne te donnerais pas deux ans pour être ruinée… Du reste, c’est ce qui te pend au nez, quand nous ne serons plus là… {Germaine rit.) Je ne sais pas pourquoi tu ris… En vérité, il n’y a là rien de risible !…

Germaine. — Veux-tu que je pleure ?

Mme Naturel. — Dame ! ça serait plus convenable ! Et puis, il n’y a pas moyen de parler sérieusement avec toi ! (Un petit silence…) Est-ce ennuyeux que ton père ne m’avertisse jamais quand il ramène quelqu’un ! Ce serait si simple de téléphoner. J’ai beau le lui recommander tous les matins… ah ! oui… C’est comme si je chantais ! Avec tout cela, j’ai bien envie de faire tuer un poulet !

Germaine. — Puisque tu sais que mon père ramène toujours quelqu’un… ce qui serait le plus simple, c’est que tu eusses toujours un dîner prêt…

Mme Naturel. — Tu arranges les choses, toi !… L’on voit bien que tu n’as pas la charge de la maison et que cela ne te coûte rien !… Et si, par hasard, il ne ramenait personne, je serais bien avancée avec mon poulet !… Qu’est-ce que je ferais de mon poulet ? On a beau être riche, ça n’est pas une raison pour gaspiller la nourriture !… Je veux bien faire les choses… mais j’ai l’horreur de la gâcherie !

Germaine. — Il y a des pauvres !

Mme Naturel. — Des pauvres !… Ah bien sûr !… Les pauvres, ce n’est pas ce qui manque ici… Jamais je n’ai vu un pays pour avoir tant de pauvres !… C’est scandaleux !… C’est à ne pas croire !…

Germaine. — C’est naturel, pourtant !

Mme Naturel. — Naturel ! Tu trouves ça naturel, toi !… Dis que c’est honteux !…

Germaine, elle se lève, marche dans la vaste pièce, s’arrête devant un vase de fleurs qu’elle arrange machinalement. — Quand il y a quelque part un homme trop riche, il y a par cela même, autour de lui, des gens trop pauvres… Tu as raison, c’est honteux !…

Mme Naturel. — Nous n’y pouvons rien… Ce n’est pas une raison pour les nourrir avec du poulet !… D’abord, s’ils travaillaient, ils seraient moins pauvres !

Germaine. — S’ils travaillaient ?…

Mme Naturel. — Certainement !…

Germaine. — À quoi ?…

Mme Naturel. — Comment, à quoi ?…

Germaine. — Nous leur avons tout pris… leurs petits champs… leurs petites maisons… leurs petits jardins… pour arrondir ce que mon père appelle son domaine…

Mme Naturel, ironique. — Voyez-vous ça !…

Germaine. — Ceux qui ont pu partir d’ici sont partis… Ceux qui restent…

Elle écrase une petite chenille qu’elle vient de trouver sur une feuille du bouquet.

Mme Naturel. — Ton père leur offre du travail à l’année, est-ce vrai ?… Ils n’en veulent pas. Ils préfèrent mendier. C’est leur affaire… non la nôtre !…

Germaine. — Mon père leur offre de mourir de faim à l’année… Ils préfèrent vivre !…

Mme Naturel. — Qu’est-ce que tu dis ?

Germaine. — Je dis : mieux vaut que le feu et la grêle tombent sur un pays, qu’un homme trop riche !

Mme Naturel. — En voilà assez !… Je ne sais qui te met dans la tête de telles idées !… M. Garraud, sans doute !…

Germaine. — Qu’est-ce que M. Garraud vient faire ici ?…

Mme Naturel. — Un homme qui ne parle jamais !…

Germaine. — S’il ne parle jamais… comment veux-tu qu’il me mette des idées dans la tête ?…

Mme Naturel. — Je m’entends ! Les hommes qui ne parlent jamais en disent beaucoup plus que les hommes qui parlent toujours !… D’ailleurs, il ne me revient pas, ton monsieur Garraud ! Il ferait bien mieux de s’occuper de ses engrais… Ah ! je ne sais pas où ton père l’a encore déniché, celui-là ?… (Un petit silence.) Des engrais !… (Elle hoche la tête.) Ça me paraît une fameuse blague ! (Un silence… Germaine est revenue s’asseoir près de la grande baie vitrée.) Quelle heure est-il ?

Germaine. — Six heures.

Mme Naturel. — Six heures, déjà !… Et ton père va rentrer !… Avec qui ?… Le diable le sait, par exemple !… Ma foi, tant pis ! Je ne ferai pas tuer de poulet. Ils s’arrangeront avec ce qu’il y a… Germaine !…

Germaine. — Quoi ?

Mme Naturel. — Il est temps que tu descendes à la cave chercher le vin…

Germaine. — Je t’ai déjà dit que je n’irai plus à la cave… Tu as des domestiques !

Mme Naturel. — Des domestiques qui me grugent, qui me volent, oui !… Hier encore, il manquait cinq bouteilles dans le tas du milieu !…

Germaine. — Si tu leur montrais plus de confiance, ils te voleraient peut-être moins… Et puis, que veux-tu qu’ils fassent d’autre dans une maison où ils n’entendent jamais parler que de rouler les gens ?… Sois tranquille… jamais ils ne voleront autant de vin que des personnes que je connais ont volé de millions…

Mme Naturel, sévère. — Germaine ! (Elle se lève avec effort.) Je te défends de parler de la sorte !… (Elle pose sur une table le tricot qu’elle froisse.) Est-ce encore pour ton père que tu dis cela ? (Silence de Germaine qui, les yeux plus vagues, le menton dans la main, regarde le paysage, au delà des jardins et du pare.) Ton père a des défauts… de grands défauts… Je suis la première à en souffrir et à les lui reprocher. Il est vantard, vaniteux, inconsidéré, c’est possible !… Il aime à tromper les gens !… Dame ! dans les affaires !… Mais enfin, ton père est ton père… Ce n’est pas à toi de le juger.

Germaine. — À qui donc, alors ?

Mme Naturel. — Qu’est-ce que tu dis ?

Germaine. — Moi ? rien.

Mme Naturel. — C’est heureux !… Et puis, sa fortune ne doit rien à personne, tu entends… à personne !… Il l’a gagnée en travaillant !… Et moi qui me tue à faire des tricots pour les pauvres ! Hein ! A-t-on vu cette petite sotte… cette orgueilleuse, cette péronnelle… qui se permet de juger ses parents !…

Germaine. — Mieux vaut que ce soit moi qui les juge !

Mme Naturel. — Tais-toi !… C’est odieux !… Tu es une fille dénaturée… Si quelqu’un t’entendait, ce serait à ne plus se montrer jamais devant personne !… Il ne te manque aussi que d’exciter les domestiques au pillage de la maison !… Ah ! c’est complet !… Veux-tu aller à la cave, oui ou non ?

Germaine. — Non.

Mme Naturel. — C’est bien, j’irai moi-même… J’irai, malgré mes rhumatismes !…

À petits pas lourds, s’appuyant aux meubles et roulant sur ses grosses hanches trop molles, elle sort de la pièce, maugréant et grondant.


II


Germaine.
Le Jardinier.


Sur la terrasse du château… Germaine se promène le long des plates-bandes, un sécateur à la main… De temps en temps, elle s’arrête devant un rosier, dont elle coupe les roses mortes et fanées. Comme d’habitude, elle est grave, triste et songeuse. Le jour d’automne est calme et somptueux ; le soleil, déjà bas, dore les grands arbres du parc, magnifiquement.
Arrive le jardinier… Il est vêtu de ses habits du dimanche… Timidement, il s’approche de Germaine, embarrassé et tournant, d’un geste gauche, son chapeau dans ses mains. Couchés sur les marches du perron, trois énormes chiens danois dorment… On entend le bruit d’un râteau, sur le sable d’une allée, au loin.


Germaine, elle observe le jardinier. — Eh ! bien, Victor, comme vous voilà beau !… Vous êtes donc de noce, aujourd’hui ?

Le Jardinier. — De noce !… Ah ! mademoiselle Germaine !… C’est bien le contraire, allez !

Germaine. — Que se passe-t-il ?… Il vous arrive un malheur ?… Pourquoi ces beaux habits et cette figure triste et gênée ?

Le Jardinier. — Avec votre permission, Mademoiselle Germaine, je viens vous faire mes adieux.

Germaine. — Vos adieux !…

Le Jardinier. — Ben oui !… Ben oui !…

Germaine. — Vous nous quittez ?… Ça n’est pas possible ! Vous, mon brave Victor !…

Le Jardinier. — Pardonnez-moi… J’ai donné mes huit jours à Monsieur, ce matin.

Germaine. — Allons donc !

Le Jardinier. — C’est-à-dire, pour être juste, que Monsieur et moi, on se les est donnés, en même temps, tous les deux…

Germaine. — Ce n’est pas vrai !

Le Jardinier. — Si fait, Mademoiselle… si fait !… Ah ! ça m’a fait deuil, vous pensez !…

Germaine. — Pourquoi avez-vous donné vos huit jours ? Vous ne vous plaisiez plus ici ?

Le Jardinier. — Il n’y a pas moyen de vivre avec Monsieur !… Monsieur vous cherche des raisons à propos de tout et à propos de rien !… Qu’est-ce que vous voulez ?… On ne peut jamais le contenter !… J’ai patienté longtemps, parce que, bien sûr, ça m’ennuyait de quitter Mademoiselle, qui a été, toujours, si bonne pour ma femme et pour moi… Mais Monsieur !… Il n’y a plus moyen, il n’y a plus moyen ! C’était un enfer, ici !

Germaine. — Dites-moi ce qui s’est passé entre mon père avec vous.

Le Jardinier. — Mon Dieu !… Il ne s’est, pour ainsi dire, rien passé…

Germaine. — Mais encore ?

Le Jardinier. — Comme tous les jours… Mademoiselle sait bien ! Seulement, à la longue… on se lasse.

Germaine. — Parlez-moi avec franchise… Vous pouvez me parler à moi. Ça n’est pas la première fois !

Le Jardinier. — Bien sûr ! Bien sûr ! Mademoiselle comprend les choses. Elle a bon cœur… Elle ne méprise personne. Oui, pour ça !…

Germaine. — Allons !

Le Jardinier. — Eh bien voilà. D’abord, Monsieur est trop exigeant… On ne peut jamais savoir ce que veut Monsieur !… Ainsi une supposition : quand une planche de légumes est à droite, il voudrait qu’elle soit à gauche. Et si elle est à gauche, il tempête pour qu’elle soit à droite. Et ainsi de suite !… Monsieur vous ferait quasiment tourner en bourrique, sauf vot’ respect, Mademoiselle. Avec Monsieur, ça n’est pas du travail !… Pour être des petites gens, on a, tout de même, chacun son amour-propre, n’est-ce pas ?

Germaine. — Vous connaissez bien mon père… Il est parfois un peu braque. Il ne fallait pas faire attention à ce qu’il vous disait !

Le Jardinier. — Pas faire attention ! Mais Mademoiselle Germaine, c’est que Monsieur vous engueule… faut voir ça !… Pardon, excuse… ça m’a échappé !

Germaine. — Allez, allez !…

Le Jardinier. — Et puis… Non, là, vrai !… Monsieur a des idées comme personne… Il voudrait que les châtaigniers produisent des melons, et les laitues, des abricots… Eh bien, moi, je ne peux pas !…

Germaine. — Ni les châtaigniers non plus, ni les laitues !…

Le Jardinier. — Bien sûr !… On a beau être riche, il y a bien des choses qu’on ne peut pas avoir !… La nature est la nature, pour tout le monde… (Un petit silence.) Enfin voilà !

Germaine. — Voyons !… Vous avez été peut-être un peu susceptible, et, peut-être, vous avez mal pris une observation sans importance que vous faisait mon père ?…

Le Jardinier. — Susceptible !… Depuis cinq ans que je sers Monsieur !… Ah ! Mademoiselle, faut-il au contraire, que j’en aie avalé, sans rien dire, des couleuvres !… Car, c’est tous les jours à recommencer !… Quand ce n’est pas une chose, c’en est une autre !… (Silence embarrassé.) Rien ne m’ôtera de l’idée que Monsieur m’en voulait davantage depuis que l’année dernière, le jour de la fête du pays, Monsieur avait voulu faire peindre en tricolore tous les arbres de l’avenue !… Ça, c’est vrai, je n’ai pas pu m’empêcher de dire à Monsieur ce que je pensais là-dessus… Des chênes pareils, et si beaux !… (Encore un petit silence.) Je sais bien que je n’ai pas d’instruction… Pourtant, je connais mon métier, et je l’aime, nom d’une pipe !… Mademoiselle était contente de moi, elle ?

Germaine. — Si j’étais contente de vous ?… vous le savez bien, mon pauvre Victor !

Le Jardinier. — Le petit jardin des clématites…

Germaine. — Ah ! oui ! Il était très joli…

Le Jardinier. — Et le fleuriste ?

Germaine. — Oui ! oui !

Le Jardinier. — Et la roseraie ?

Germaine. — Oui !… oui !… Vous m’aviez appris à écussonner les rosiers…

Le Jardinier. — Et vous, Mademoiselle, vous m’aviez appris à faire des bouquets !… Et tous nos beaux semis de delphiniums !

Germaine. — Oui ! oui !…

Le Jardinier. — C’était du bon travail !… On s’amusait !…

Germaine. — Oui !… oui !

Le Jardinier. — Dieu sait, pourtant si c’était commode !… Car Monsieur était chiche de fumier pour le jardin, de terreau et de charbon pour la serre… On s’arrangeait comme on pouvait… Enfin, voilà !

Germaine. — Vous êtes un brave homme !…

Le Jardinier. — Eh bien, si Mademoiselle Germaine était contente de moi… je partirais d’ici le cœur moins gros…

Il soupire. Un petit silence.

Germaine. — Il n’y a peut-être dans tout cela qu’un malentendu… Voulez-vous que je parle à mon père ?

Le Jardinier. — Merci, Mademoiselle… Ce qui est fait est fait…

Germaine. — Pourtant…

Le Jardinier. — Demain, ce serait autre chose. Il n’y a pas moyen de vivre avec Monsieur !… On se met en quatre pour lui faire plaisir, on se tue de travail pour le contenter. C’est toujours mal… D’abord, Monsieur m’a déclaré ce matin qu’il ne voulait plus de fleurs ici. Il prétend que ça attire les oiseaux et que ça prend la place des plantes utiles.

Germaine. — Ah !…

Le Jardinier. — Et puis… (Timidement) faut que je dise tout à Mademoiselle… (Résolu.) Mademoiselle sait que ma femme est enceinte !…

Germaine. — Oui… Eh bien ?

Le Jardinier. — Et qu’elle doit accoucher dans trois jours.

Germaine. — Sans doute…

Le Jardinier. — Eh ! bien, Monsieur ne veut pas d’enfants chez lui. « Pas d’enfants, pas d’enfants… qu’il m’a dit. Ça abîme les pelouses, ça salit les allées… et ça fait peur aux chevaux… » Et il a ajouté : « Je t’avais averti. Tu ne dois t’en prendre qu’à ta maladresse… » Le plus drôle — Mademoiselle s’en souvient peut-être, — c’est que l’année dernière, à ses réunions électorales, Monsieur disait que tous les maux du pays venaient de la dépopulation… Tout de même, on en voit de raides, par le temps qui court… (Silence.) Bien sûr qu’on n’a pas des enfants par exprès, pour son plaisir… On a déjà bien assez de peine de vivre à deux, dans notre condition… Mais quand les enfants viennent, on ne peut pourtant par les tuer… C’est-y vrai, ça Mademoiselle Germaine ?

Germaine. — Qu’allez-vous devenir ?… Y avez-vous songé ?…

Le Jardinier. — Dame !… Je vais chercher une place… Mais ce n’est guère le moment !… En pleine saison comme on est. Elles sont toutes prises… Et puis, avec une femme enceinte sur les bras ! Ah ! il va falloir en faire des maisons et des maisons… subir des humiliations, des refus, du mauvais temps… Car on ne veut plus, aujourd’hui, que les serviteurs aient d’enfants… Ça n’est pas commode, allez… Et l’on a bien du mal !…

Germaine, émue et gênée. — Je ferai pour vous tout ce qui m’est possible… Adieu !

Le Jardinier, ému aussi. — Adieu, Mademoiselle Germaine… Mais vous n’êtes guère heureuse, non plus, vous…

Germaine. — Vous vous trompez, je suis très heureuse.

Le Jardinier. — Non, Mademoiselle… Je vous connais bien, allez ! Quand on a un cœur comme le vôtre, on ne peut pas être heureuse ici !…

Par delà le parc, il montre la campagne,
le petit village au loin.

Germaine. — Et votre femme ? La verrai-je ?

Le Jardinier. — Bien sûr… Elle est à la ville… Elle est allée chercher une voiture pour emmener nos meubles et nos pauvres frusques…

Germaine. — Pourquoi ?… Il ne manque pas de voitures ici…

Le Jardinier. — Ça vaut mieux comme ça… Chacun chez soi… On a sa petite fierté…

Germaine. — Adieu, alors !… Vous me donnerez de vos nouvelles ?

Le Jardinier. — Oui, Mademoiselle…

Germaine. — Adieu !

Le Jardinier. — Adieu !


Le jardinier s’en va, gauche, pesant, le dos déjà courbé, la nuque cuite comme une brique, par le soleil… Germaine, plus grave, plus triste, plus songeuse, reprend sa promenade lente, le long des plates-bandes… Le château et la terrasse redeviennent silencieux… Toujours les trois molosses dorment sur les marches, et l’on n’entend plus que le bruit du râteau, sur le sable d’une allée, au loin…