Chergé - Guide du voyageur à Poitiers et aux environs, 1872 - Poitiers extra-muros

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POITIERS
extra-muros

N. B. Les chiffres posés avant chaque titre vous indiqueront la page du texte déjà lu, dans laquelle chaque nouvel article de cette sorte de supplément eût trouvé naturellement sa place, si nous eussions voulu interrompre à chaque pas notre marche générale d’ensemble pour faire çà et là ces excursions partielles.

Commençons par le nord.

209. — Le Porteau. — Près de cette propriété située sur les hauteurs qui dominent la vallée du Clain, à gauche de la route de Poitiers à Châtellerault, et d’où l’on peut jouir d’une vue magnifique, on trouve des puits d’un diamètre d’un à trois mètres, agglomérés au nombre de plus de vingt dans un espace de moins de 30 ares. Ils sont creusés dans le roc et revêtus d’un enduit composé de chaux et de ciment.

Selon l’opinion commune, aux temps des invasions barbares, ces silos ont dû servir de retraite aux hommes et aux denrées. Si vous interrogez les habitants du village, ils vous diront que ces puits communiquaient par un immense souterrain avec le château de Lusignan (à vingt-quatre kilomètres de là), et c’était l’œuvre de la fée Mélusine.

Toujours la même histoire. Mais voici une variante : ces puits ont été creusés par… la lune. Hein !!

Yous trouverez sans doute ceci excentrique, extravagant, pis encore… chut ! N’avez-vous jamais vu d’honnêtes et savantissimes savants qui,

— Pardonnez ce travers au pauvre esprit humain, —
Honteux de n’avoir sous la main,
Pour expliquer un fait, qu’une raison commune,
S’en vont en chercher… dans la lune ?

C’est près de là qu’était le fameux tonneau de Saint-Pierre-le-Puellier, dont nous avons parlé page 85.

209. — Cimetière de l’Hôpital-des-Champs. — L’ordonnance de 1776, qui interdisait d’enterrer dans les églises, devait avoir plus tard pour complément obligé le décret du 23 prairial an XII, qui prohiba les sépultures dans l’intérieur des villes, et fixa la distance à laquelle elles devaient être établies en dehors des centres de population. En vertu de cette prescription, les cimetières que chaque paroisse et chaque communauté possédait à Poitiers auprès de chaque église furent remplacés par deux cimetières, et plus tard par un troisième, dont nous dirons quelques mots.

Le cimetière de l’Hôpital-des-Champs, situé sur la rive droite du Clain, entre la ligne de fer et la rivière, à peu de distance du pont-viaduc, faisait partie d’un hôpital consacré, en 1520, aux pestiférés qui encombraient la ville de Poitiers, décimée par ce cruel fléau. Ce fut François Fumée, maire sortant, qui acheta le terrain et en fit don à la ville.

Passons à l’est.

153. — L’hospice des Incurables. — La création de cet établissement situé sur la rive droite du Clain, au delà du Pont Neuf, a été inspirée par le Père de Montfort (v. l’article de l’hôpital général, page 203), et réalisée par M. Délimeric d’Echoisi, grand-prieur d’Aquitaine, qui recueillit en 1735 quelques malades dans une maison achetée dans ce but charitable, et fit construire plus tard un hôpital plus considérable dans un jardin public.

Cet hospice, dont le nom indique la destination, est desservi par les Religieuses Filles de la Sagesse ; il est disposé pour 150 lits.

153. — Faubourg et église de Saint-Saturnin. — Ce faubourg, qui fut, comme aujourd’hui, l’un des plus considérables de la ville, est situé à l’est, sur la route du Berry. Il existait très-anciennement. Il en est fait mention au XIe siècle. En 1077, il fut donné à l’abbaye de Montierneuf par le fondateur de ce monastère, Gui-Geoffroy, lequel y joignit les redevances imposées aux tanneries nombreuses qui y étaient alors situées, et qui se replièrent plus tard sur la rive gauche, pour être mieux protégées. Il fut brûlé le 12 juillet 1116.

L’église de Saint-Saturnin ou Saint-Sornin existait dès 1149, époque à laquelle sa possession fut confirmée au monastère de Saint-Cyprien par Geoffroy, archevêque de Bordeaux.

Cette église, qui était église paroissiale (la paroisse comptait 500 communiants), existe encore en partie sur la gauche en montant vers la pierre levée ; elle n’offre rien de remarquable.

153. — La pierre levée. — Qu’était-ce que la pierre levée ? Les uns vous diront que c’était un monument druidique, un dolmen, un autel sur lequel les druides offraient au Dieu qu’ils adoraient des victimes humaines. D’autres, en admettant sa destination religieuse, nieront les sacrifices humains et s’appuieront, pour soutenir cette thèse, sur les nobles sentiments et les principes philosophiques des prêtres gaulois : comme si toutes ces belles choses avaient empêché naguère d’autres sacrifices humains ! Enfin certains, moins profondément savants, vous apprendront que sainte Radégonde portait cette pierre sur sa tête pour la poser où elle est, tandis qu’elle tenait les piliers dans son tablier de mousseline. L’un d’eux étant tombé, le diable, que l’érection de ce monument contrariait sans doute, emporta le pilier, ce qui fit


que la sainte ne put poser sa table d’aplomb : aussi n’est-elle soutenue que d’un côté.

Tout cela ne vous satisfait pas, peut-être ; écoutez donc Rabelais :



Pantagruel, « voyant que les escholiers étaient aucunes fois de loisir et ne sçavoient à quoy passer temps, en eut compassion. En ung jour print d’un grand rochier qu’on nomme Passe-Lourdin une grosse roche, ayant environ douze toises en quarré et d’épaisseur quatorze pans, et mit sus quatre pilliers au milieu d’un champ bien à son aise, afin que lesdicts escholiers, quand ils ne sçauroient autre chose faire, passassent temps à monter sus ladicte pierre, et là bancqueter à force flacons, jambons et pastés, et escripre leurs noms dessus avec ung cousteau, et de présent, l’appelle-on la pierre levée. Et en mémoire de ce, n’est aujourd’hui passé aulcun en la matricule de ladicte Université de Poitiers, sinon qu’il ait beu en la fontaine caballine de Croustelles, passé à Passe-Lourdin et monté sur la pierre levée. »

Ce monument, autour duquel se tint, dès l’origine, la foire de la Saint-Luc, est encore quelquefois l’objet d’une vénération qui prend assurément sa source dans des souvenirs religieux que l’on peut rattacher successivement aux druides des temps antiques et aux fées du moyen âge.

Cette vénération ne pouvait cependant le sauver des coups du marteau menaçant, et le vieux dolmen gaulois allait se métamorphoser en macadam, lorsque l’intervention de la Société des antiquaires de l’Ouest et les fonds du ministère de l’intérieur ont fait de ce dolmen une propriété de l’État. Il est à présumer que l’administration des ponts et chaussées ne reprendra pas, plus tard, l’idée de son ancien propriétaire.

153. — Cimetière de la Pierre-Levée. — Près de ce dolmen, à gauche de la route de Poitiers à Bourges, a été établi, en 1830, le cimetière de ce nom. Il contient déjà plusieurs monuments plus ou moins dignes de fixer l’attention.

Il en est un surtout qui mérite une mention spéciale, en raison de son étendue et de sa forme. C’est une chapelle gothique avec toiture en dalles de pierres. Des caveaux sont destinés à recevoir les membres de la famille qui l’a fait construire.

90. — Abbaye de Saint-Cyprien. — Au delà du pont de Saint-Cyprien, à gauche, dans le vaste enclos qui formait la pépinière départementale, se trouvait autrefois l’abbaye de Saint-Cyprien, qui dut à sa situation hors des murs, et au défaut de moyens de défense, ses tristes vicissitudes.

Fondée en 828 par Pépin Ier, roi d’Aquitaine, détruite par les Normands, elle fut reconstruite et dotée par Frottier, deuxième du nom, évêque de Poitiers, et consacrée en 936. Guillaume Fier-à-Bras, comte de Poitou, avait pris l’habit religieux à Saint-Cyprien, et il avait donné à cette abbaye l’église de Maillezais.

Son fils, Guillaume le Grand, ayant fait ériger cette église en abbaye, donna à celle de Saint-Cyprien, à titre d’indemnité, la forêt de Deuil, en Saintonge.

À la fin du XIe siècle, ses possessions étaient immenses ; elle comptait, d’après une charte de Pierre II, évêque de Poitiers, plus de cent églises dans le diocèse. Les confirmations des droits accordés par ce prélat furent renouvelées en 1150 par Gislebert II, et, en 1157, par Chalon ; puis, dans le même temps, pour les diocèses de Saintes, Agen et Bordeaux, par Geoffroy, archevêque de Bordeaux.

Les droits et propriétés de l’abbaye autour de son enclos étaient aussi fort considérables ; mais elle eut à lutter souvent avec l’abbaye de la Trinité sur des points contentieux. Ces possessions nombreuses expliquent comment, au XVe siècle, elle comptait entre deux et trois cents Religieux. En 1510, ce nombre était réduit par les guerres à vingt-cinq. Les Anglais, qui l’avaient déjà détruite une première fois, en 1331 (elle avait été promptement rebâtie, puis rasée en 1418), étaient passés par là ; mais quand vinrent les protestants — qui étaient Français pourtant — ce fut bien pis encore. Tout fut pillé et brûlé, de telle sorte que le couvreur seul demandait 11 480 livres pour les tuiles à fournir.

Nicolas Bouvery, abbé commendataire, entreprit de réparer ces désastres ; mais, au moment où les constructions nouvelles s’élevaient, l’autorité municipale les fit démolir par mesure de sûreté, pour empêcher les ennemis de s’en emparer (1574).

Retirés dans l’intérieur de la ville, où ils firent le service divin dans l’église de Notre-Dame-l’Ancienne, les Religieux ne retournèrent à l’abbaye que sous le gouvernement de M. de la Roche-Pozay, qui y introduisit la réforme de saint Maur, et ils s’y maintinrent malgré les protestations du corps de ville (1664).

Une simple chapelle suffit d’abord aux besoins du culte ; mais bientôt de plus somptueuses constructions s’élevèrent à grands frais.

La chapelle, monument d’ordre dorique, ayant 46 mètres de long, était, dit-on, le plus beau monument moderne du Poitou.

Les dignitaires de cette abbaye étaient à peu près les mêmes qu’à Montierneuf ; mais cependant le principal officier après l’abbé était l’aumônier, qui était chargé de faire, aux dépens du couvent, d’abondantes aumônes. Les revenus, bien diminués par les malheurs des guerres civiles, étaient, en 1714, de 13 000 livres.

Les nouveaux bâtiments étaient à peine achevés, lorsque la Révolution vint les anéantir, les raser et leur substituer… une pépinière, une magnanerie, un jardin botanique. Les frères du R. P. Lacordaire, les Dominicains, y ont planté hier leur tente. Souhaitons-leur, avec la bienvenue, des années qui ne ressemblent pas à 1331, à 1418, à 1574, et surtout à 1793 !!

90. — Couvent des Dominicains. — À la suite de la mission donnée pendant l’Avent de 1867, à la cathédrale de Poitiers, par trois Pères Dominicains du couvent de Lyon, pour le jubilé du 15e anniversaire centenaire de la mort de saint Hilaire, et du Concile provincial dont nous avons parlé, p. 142, Mgr Pie voulut réaliser le désir, souvent manifesté à la province d’Occitanie de l’Immaculée-Conception, de fonder, à Poitiers, un couvent de Frères Prêcheurs et de renouer la chaîne brisée depuis 1789. — V. p. 301.

Quelques Pères, appelés par le provincial qui assistait au Concile, commencèrent une installation provisoire dans une maison, rue de l’Hospice, le 10 janvier 1868, et, au mois de juillet, le nouveau couvent était constitué avec son prieur et un personnel assez restreint.

L’achat de l’enclos de Saint-Cyprien permit bientôt aux Religieux de s’y installer, et de prendre possession, au mois d’août 1869, de la maison abbatiale, seule construction restée debout de l’ancienne abbaye des Bénédictins.

Depuis cette époque, on a commencé à bâtir sur ces emplacements pleins de souvenirs et sur les fondations mêmes de l’ancienne chapelle des Bénédictins, le nouveau couvent destiné, nous dit-on, à devenir le collége théologique de la province d’Occitanie, dans lequel les Religieux pourront conférer, en vertu des privilèges apostoliques, tous les grades théologiques.

En attendant, nous pouvons donc donner comme une réalité ce qui n’était, dans notre 2e édition, qu’un vœu de notre cœur.

En effet, après les tristes vicissitudes auxquelles a été soumise cette ancienne demeure des fils de saint Benoît, les enfants de saint Dominique vont reprendre l’une des plus glorieuses traditions de l’antique abbaye, le chant des louanges de Dieu, par l’office divin.

De la sorte, par l’exercice et la pratique de la vie chorale, le jour et la nuit, à certaines heures, le nom du Seigneur, si déplorablement blasphémé dans le monde, sera béni et invoqué par des lèvres que la vie religieuse doit rendre dignes de ce ministère de réparation.

90. — Les Cours. — Ce fut le 15 janvier 1686, sous l’administration de Nicolas Foucault, intendant du Poitou, que, pour venir en aide à la classe indigente, on fit commencer la promenade située en face de l’abbaye de Saint-Cyprien, et qui s’appelait, comme aujourd’hui, les Cours. On acheta quelques vignes, on aplanit le terrain, on bâtit des murs de soutènement, et on y planta quatre rangs d’ormeaux. Ce travail utile employa 500 ouvriers. On aura une idée du prix des denrées et des journées d’alors, lorsqu’on saura que les hommes gagnaient 3 sols 6 deniers et les femmes 2 sols.

Les Cours n’étaient pas beaucoup plus fréquentés qu’aujourd’hui. Ils servaient, comme de nos jours, aux soldats qui y faisaient l’exercice. Au mercredi saint, il était de bon ton de venir s’y promener en brillants équipages. C’était donc le Longchamp poitevin. Il est encore plus déchu que son confrère de Paris, bien que celui-ci doive regretter, dit-on, les jours passés.

Au sud maintenant.

342. — Chapelle Saint-Jacques. — Au commencement du faubourg de ce nom, sur la route de Bordeaux, à droite, s’élevait la chapelle Saint-Jacques, construite en 1583. C’était une station pour les processions de certaines fêtes et le chef-lieu de la confrérie des pèlerins de Saint-Jacques.

Nous nous rappelons encore avoir vu, avant 1830, les membres de cette confrérie d’ouvriers assister aux processions et offices de Saint-Hilaire, vêtus de la souquenille brune, du camail de toile cirée orné de coquilles, le corps ceint d’un cordon noué, le chef couvert du chapeau rabattu par derrière, relevé à la Henri IV et chargé de médailles et de verroteries, tenant à la main le bourdon des pèlerins auquel étaient attachés la gourde et les rubans aux mille couleurs.

Parmi eux, il y en avait qui avaient réellement fait ce pèlerinage, autrefois fort commun, à Saint-Jacques de Compostelle, en Galice, et ils se distinguaient des autres affiliés par la boîte de fer-blanc dans laquelle étaient déposés les passe-ports et certificats constatant la réalité de leur pieux voyage.

Cette confrérie n’existe plus, ou, du moins, s’il en existe encore quelques membres, ils ne donnent point signe de vie.

342. — Cimetière de Chilvert. — Ce cimetière, situé à droite de l’ancienne chapelle de Saint-Jacques, occupe un emplacement confisqué sur un ancien chanoine de Saint-Hilaire, qui y possédait sa maison de plaisance… Quel enseignement ! Il renferme peu de monuments remarquables. On y voit cependant des caveaux de famille et des tombes portant des noms qui ont honoré la ville de Poitiers.

En sortant de ce cimetière, suivons, au retour, la ruelle qui aboutit directement à la route de Bordeaux, et dirigeons-nous, à droite, vers une chapelle à la flèche élégante qui sert d’oratoire aux pensionnaires de la charité.

342. — Établissement des Petites-Sœurs des pauvres. — Il est dû surtout à l’initiative d’un prêtre du diocèse, M. l’abbé Bellot, ancien vicaire de Notre-Dame et chanoine honoraire, mort l’an dernier (1871).

En 1856, il recueillit quelques dons, quelques promesses de prêts donnant droit de placer dans le futur asile un certain nombre de vieillards indigents, et, comme fondé de pouvoirs de MM. les abbés Lepailleur et Lelienne, supérieurs de l’Institut, il acheta, le 13 août, à la barre du tribunal, la maison de Bel-Air et ses dépendances, au faubourg de la Tranchée.

Depuis, d’autres dons et d’autres prêts ont permis de faire quelques annexes et de construire le grand pavillon des hommes.

La chapelle romane, dont la flèche domine le faubourg, et qui deviendra plus tard une église, continuera les traditions de la chapelle de Saint-Jacques dont elle porte déjà le nom.

C’est au commencement de 1857 que les Petites-Sœurs ont pris possession de la maison de Bel-Air, qui reçoit déjà 80 vieillards indigents de l’un et de l’autre sexe, soignés par 18 Religieuses.

Il était temps que la charité, sans cesse et toujours à propos ingénieuse dans ses admirables inventions, vînt ouvrir ces deux asiles aux vétérans de la misère que chassent impitoyablement de nos hospices le flot toujours montant des enfants trouvés et la décroissance toujours grandissante des ressources fournies aux établissements officiels.

Il est juste de dire, à l’honneur de l’excellente population poitevine, que les Petites-Sœurs ont trouvé dans toutes les classes, et particulièrement chez les marchandes de nos marchés publics, l’accueil sympathique, le concours généreux et empressé que méritait leur dévoûment.

Presque en face du séjour des pauvres se trouve un asile ouvert à des infortunes, hélas ! non moins dignes d’intérêt.

342. — Institution des sourds-muets des Frères de Saint-Gabriel. — En présence du nombre toujours croissant des sourds-muets, et touché du malheur de milliers d’âmes privées des consolations de la religion, le P. Deshayes, supérieur général des congrégations de Saint-Laurent (œuvre dont nous avons vu l’origine toute poitevine à la page 203), songea, dans l’ardeur de sa charité, à leur apporter le seul soulagement efficace qu’il fût donné à l’homme de leur offrir. Il créa des instituteurs capables de créer à leur tour des êtres intelligents là où il n’y aurait eu trop souvent, sans eux, qu’une sorte de matière inerte, livrée aux seuls instincts grossiers de la brute. Le P. Deshayes était encore curé d’Auray lorsqu’il commença à s’occuper des sourds-muets.



La Chartreuse d’Auray offrit son humble asile à Mlle Dulac, première institutrice de l’établissement des sourdes-muettes de Paris, dont la charité ne recula point devant l’œuvre si modeste qui lui était proposée.

Elle enseigna la méthode aux sœurs de la Sagesse d’Auray et à un excellent chrétien de ce pays, M. de Saint-Henri, et bientôt, sous ces élèves, devenus à leur tour maîtres habiles, de pauvres petits garçons, de pauvres petites filles reçurent le grand bienfait d’une éducation jusque-là, sinon complétement refusée, du moins rendue presque impossible à leur cruelle infirmité.

Lorsque le P. Deshayes devint supérieur général des congrégations de Saint-Laurent, loin d’oublier la pensée si chrétienne qui avait fait naître l’établissement de la Chartreuse d’Auray, il songea plutôt à la développer.

Toujours fidèle à ses nobles traditions, la ville de Poitiers lui fournit les moyens de fonder sa première école de sourdes-muettes. C’était en 1833 : le préfet d’alors (M. Boullé) accorda sa protection officielle ; M. l’abbé Lambert, vicaire général, dont nous avons déjà parlé page 339, prêta l’appui de son zèle et de son éloquence persuasive, et bientôt l’école de Pont-Achard compta jusqu’à vingt élèves.

Après la mort de M. l’abbé Lambert, M. l’abbé de Larnay recueillit le legs pieux du vénérable missionnaire, et, grâce à son dévoûment sans limites et à sa féconde activité, l’établissement grandit rapidement.

En 1847, à l’époque où les travaux du chemin de fer vinrent troubler la paix du pieux asile, on dut songer à transférer ailleurs l’institution florissante, et elle fut établie à Larnay, propriété de la famille de ce nom, située à trois kilomètres à l’ouest de Poitiers, sur la route de Nantes. De vastes constructions y furent faites ; une chapelle (style XIIIe siècle), ornée de riches vitraux, y fut bâtie sur les plans du P. Tournesac, et cela constitue aujourd’hui, sous la direction des Filles de la Sagesse, un des plus beaux établissements de ce genre. — Il mérite d’être visité, et si vous avez quelques loisirs à lui consacrer, ce ne sera pas du temps perdu.

Le département de la Vienne reçut en janvier 1838 une deuxième école de sourds-muets, établie à Loudun par le P. Deshayes, et placée sous la direction des Frères de Saint-Gabriel (dont il était, avec le pieux frère du trop fameux abbé de Lamennais, le fondateur). — V. notre Histoire des Congrégations religieuses poitevines, p. 125.

L’école de Loudun fut transférée à Poitiers en 1856, afin que cet établissement, en devenant plus central, pût être, par cela même, plus généralement utile aux familles des départements de l’Ouest.

Dès son installation, cette école s’est trouvée placée sous les favorables auspices du Conseil général de la Vienne et du Conseil municipal de la cité, qui lui ont donné les preuves incontestables de leurs sympathies en y fondant plusieurs bourses et demi-bourses.

Les Conseils généraux des Deux-Sèvres, d’Indre-et-Loire, de l’Indre et de la Charente-Inférieure ; les villes de Niort, de Parthenay, de Châtellerault, etc., et des souscripteurs particuliers, y entretiennent aussi un certain nombre d’enfants, et il est à souhaiter que cette bonne œuvre prenne des développements en harmonie avec le nombre malheureusement trop grand des enfants atteints de surdi-mutité.

Nos lecteurs nous sauront gré, nous en sommes sûr, d’entrer dans quelques détails sur ce sujet si plein d’intérêt.

La méthode que suivent, après l’avoir pratiquée et perfectionnée, les Frères de Saint-Gabriel, sous l’habile direction de leur expérimenté supérieur, a pour but de communiquer aux sourds-muets la connaissance du langage écrit, et en même temps l’usage de la parole à ceux des sujets qui sont susceptibles de profiter de ce dernier bienfait.

Généralement on croit qu’il y a impossibilité pour les sourds-muets d’apprendre à parler : c’est une erreur que les Frères de Saint-Gabriel combattent de toutes leurs forces, et qui naît de ce que l’on ne sait pas que, presque toujours, les muets sont doués de la faculté de parler, et ne sont muets que parce qu’ils sont sourds ; et malheureusement on n’a pas encore pu trouver de méthode qui modifie l’organe de l’ouïe comme on a pu modifier l’organe de la voix.

Les enfants qui, après avoir parlé dans leur premier âge, sont devenus sourds-muets à la suite de maladie, et ceux qui entendent un peu, ont généralement plus d’aptitude pour la parole. Cependant, parmi les sourds-muets de naissance, plusieurs parviennent aussi à parler, et le nombre en est plus grand qu’on ne le pense.

Les Frères de Saint-Gabriel obtiennent dans ce genre d’enseignement des résultats plus prompts et plus pratiques au moyen de la phonodactylologie, système qu’un des maîtres de l’institution de Poitiers a publié il y a quelques années, après avoir visité les principales écoles en France et à l’étranger.

Ce moyen de communication, aussi correct que l’écriture et plus correct que la parole, puisqu’il conserve l’orthographe des mots, est une combinaison de certains mouvements de l’appareil vocal avec des signes de la main et des doigts : de là, son nom de phonodactylologie.

L’élève, étant initié aux principes d’articulation et aux signes phonodactylologiques, se sert de ce système pour s’exprimer de vive voix, tant avec ses maîtres qu’avec ses condisciples. Le sourd-muet qui l’emploie le plus souvent possible se familiarise insensiblement, et presque à son insu, avec l’articulation et les expressions si variées de la langue maternelle, ainsi qu’avec la contexture grammaticale des phrases.

Le sourd-muet qui, après avoir terminé son éducation, parle, même imparfaitement, se trouve moins condamné à l’isolement ; il rentre plus facilement et plus complètement dans la famille et dans la société que le sourd-muet même très-intelligent, mais qui ne parle pas. C’est pourquoi les habiles maîtres de l’institution des sourds-muets de Poitiers encouragent particulièrement leurs élèves à acquérir l’usage si précieux de la parole.

Ils ont remarqué que les sourds-muets, habitués dans leur institution à l’exercice de la parole, aiment de plus en plus à s’exprimer de vive voix et à lire la pensée sur les lèvres ; leurs pères, leurs mères, leurs frères et sœurs, leurs parents, leurs amis et leurs patrons disent hautement que les communications avec eux sont plus faciles et plus agréables qu’avec les sourds-muets instruits seulement par signes et par écriture.

Ces résultats nous semblent précieux pour les infortunés que leurs maîtres dévoués veulent rendre à la religion, à la famille, à la société, et ils doivent suffire pour faire persévérer ces nobles éducateurs dans la voie qu’ils ont suivie jusqu’à ce jour.


Le cours complet de l’institution est de sept ans.

Chaque jour, pendant deux heures, et chaque semaine, pendant une journée tout entière, les élèves se livrent à des occupations manuelles, qui consistent à peu près exclusivement en travaux d’horticulture sous un maître jardinier très-habile.

Nombre des enfants actuellement admis, 50.

Prix de la pension pour l’année scolaire, 500 fr. ; bourses et demi-bourses en faveur des pauvres, payées par les départements, les communes ou les bienfaiteurs, 450 fr. et 225 fr.

Ami lecteur, nous serions bien trompé, si, parmi les choses réellement intéressantes que vous aurez pu noter dans notre petit livret, celle-ci n’obtenait pas sur votre carnet de voyageur une mention toute spéciale.

Les ruines de notre aqueduc romain sont si près de là qu’en vérité nous ne saurions les classer en dehors de notre extrà-muros. Donc, en sortant de chez les Frères de Saint-Gabriel, faites quelques pas hors de la ville, suivez à gauche, et bientôt vous apercevrez le curieux objet de cette pointe à travers champs.

342. — Aqueduc de l’Ermitage. — Ces restes d’un ancien aqueduc, appelés aussi les arcs de Parigny ou de Parigné, sont situés à gauche de la route de Poitiers à Bordeaux, à environ deux kilomètres et demi de la ville. Cet aqueduc amenait à Poitiers, au temps des Romains, la source de Fontaine-le-Comte. Il était souterrain dans une grande partie de son parcours ; mais à l’ermitage il avait un vallon à franchir à ciel ouvert, et on y voit les ruines de cette œuvre, gigantesque autrefois, et qui va bientôt être anéantie par l’action destructive de la pluie et des hivers.

Notre gravure reproduit les trois arcades encore debout après tant de siècles, qui encadrent le paysage au fond duquel se dessine vaguement la ville de Poitiers. Plusieurs aqueducs ou branches d’aqueducs fournissaient à la cité des eaux abondantes, et ils accusent son importance sous les Romains et les soins que mettaient nos vainqueurs à doter les vaincus des bienfaits de leur civilisation.

(V. sur ce sujet l’excellent travail de feu M. Duffaud, ingénieur des ponts et chaussées. Mém. de la Société des antiq. de l’Ouest, 1854.)