Cheikh Nefzaoui - La Prairie Parfumée - 22

La Prairie parfumée où s’ébattent les plaisirs (الروض العاطر في نزهة الخاطر)
Traduction par Baron R***.
(p. 247-249).


Chapitre XVe

Relatif aux remèdes
qui provoquent l’avortement.

Séparateur

Sache, ô Vizir, que Dieu te fasse miséricorde ! que les remèdes qui amènent l’avortement et la chute du fœtus du ventre de la mère, sont innombrables. Mais, parmi eux, je ne te ferai connaître que ceux que j’aurai reconnus et éprouvés comme bons, afin que chacun puisse bien savoir ce qui peut lui être utile ou nuisible.

Je parlerai, en premier lieu, de la racine de garance[1]. Une petite quantité de cette substance fraîchement cueillie, ou même séchée, mais en ayant soin dans ce dernier cas, au moment de s’en servir, de la briser convenablement et de l’humecter pour qu’elle puisse pénétrer plus facilement, vicie le sperme de l’homme ou tue le fœtus en amenant sa chute et provoquant l’apparition des règles, quand elle est introduite dans le vagin de la femme. Le même résultat est obtenu au moyen de la décoction de cette plante absorbée à jeun par la femme et employée en même temps, comme remède externe, pour humecter le vagin.

Les fumigations de vapeur de graines de chou brûlées font tomber le fœtus, lorsque la femme se les fait arriver dans le vagin au moyen d’un tube en roseau.

Je passerai maintenant à l’alun شـبّ. Cette substance en poudre, introduite dans la vulve et répandue sur la verge, avant le coït, empêche la femme de concevoir en mettant obstacle à l’arrivée du sperme à son utérus, car elle a la propriété de sécher et de resserrer le vagin. Mais, elle a l’inconvénient de rendre la femme stérile et de lui enlever toute aptitude à la conception, si elle est employée trop fréquemment.

L’homme qui, au moment de la copulation, s’enduit le membre de goudron قطـران[2] enlève à son sperme la faculté d’engendrer. Ce remède est le plus énergique de tous et, si la femme en fait pénétrer à plusieurs reprises dans sa vulve pendant sa grossesse, elle deviendra stérile et son enfant, tué dans l’utérus, sortira mort.

La femme qui boit la valeur d’un mitskal[3] d’eau de laurier رنــد de la grande espèce, avec un peu de poivre, fait revenir ses règles et débarrasse son utérus du reste de sang qui s’y prend quelquefois en caillots. Si elle fait usage de ce remède, étant déjà enceinte, l’embryon tombe, et, si elle vient à accoucher, ce remède jouit de la propriété de provoquer l’expulsion de la matrice pernicieuse, ainsi que de l’arrière faix.

La femme qui boit de la cannelle grossière دارصـيني[nde 1] mélangée de myrrhe rouge مرالاحمر et qui s’introduit ensuite, dans le vagin, un tampon de laine imbibé de ce mélange, tue le fœtus et en provoque la chute, avec la permission de Dieu très élevé !

Quand le fœtus vient à mourir dans le ventre de la femme, on n’a qu’à faire bouillir des fleurs de giroflée jaune نوار الخيلي الاصفر dans de l’eau. Cette décoction a la propriété de le faire tomber aussitôt, avec la permission de Dieu très élevé !

Tous les remèdes que je viens de mentionner sont efficaces, et leur effet est certain.

  1. (c″) Note de l’éditeur. Le nom vulgaire de la cannelle est Keurfa قـرفة. Dar sini désigne une qualité de cannelle grossière.
  1. (144) Certains textes portent Araoua عـراوة, qui serait le buphtalmum sylvestre, mais il y a lieu de croire qu’il s’agit bien de la racine de garance عـروق الفوة, car l’ouvrage de médecine d’Abd er Rezeug el Djezaïri en fait un abortif.
  2. (145) Les Arabes connaissent depuis longtemps le goudron végétal, guetrane, dont le nom français vient, du reste, de leur langue. Ils l’obtiennent par la distillation, dans des fours grossiers, du bois des arbres résineux de leurs contrées, pin et cèdre.
  3. Voir note (79) : Le Mitskal est un poids qui représente les 3/7 du dirhem sa valeur correspond à un drachme et demi de notre ancien système de poids et représente, par conséquent, un gramme quatre-vingt-dix centigrammes.